• Le mois de Marie ou méditations sur sa vie ses gloires et sa protection

     
     

     

    Le mois de Marie

    ou méditations sur sa vie, ses gloires et sa protection

     

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    Source : Livre "Le mois de Marie ou méditations pour chaque jour du mois sur sa vie, ses gloires et sa protection"  par Aleksander Jełowicki

     

     

    POUR LE PREMIER JOUR DU MOIS

     

    POUR LA FETE DE L'IMMACULEE CONCEPTION.

    (8 décembre)

    I.

    0 Marie ! par où commencerai-je à vous glorifier et à proclamer vos grandeurs et votre amour ? Je commencerai par ces paroles prophétiques de l'Esprit saint vous annonçant au monde :

    "Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies ; avant qu'il créât aucune chose, j'étais dès lors. J'ai été établie dès l'éternité et dès le commencement, avant que la terre fût créée. Les abîmes n'étaient point encore, lorsque j'étais déjà conçue ; les fontaines n'étaient point encore sorties de la terre, la pesante masse des montagnes n'était pas encore formée, j'étais enfantée avant les collines. Dieu n'avait point encore créé la terre, ni les fleuves, ni affermi le monde sur ses pôles. Lorsqu'il préparait les deux, j'étais présente ; lorsqu'il environnait les abîmes de leurs bornes et qu'il leur proscrivait une loi inviolable ; lorsqu'il affermissait l'air au-dessus de la terre et qu'il dispersait dans leur équilibre les eaux des fontaines ; lorsqu'il renfermait la mer dans ses limites et qu'il imposait une loi aux eaux, afin qu'elles ne pussent point dépasser leurs bornes ; lorsqu'il posait les fondements de la terre, j'étais avec lui et je réglais toutes choses ; j'étais chaque jour dans les délices, me jouant sans cesse devant lui, me jouant dans le monde, et mes délices sont d'habiter avec les enfants des hommes ('). »

    Et pour nous aussi, ô Marie, nos délices sont d'être avec vous et de vous avoir près de nous.

    Dieu voyant de toute éternité tous ses actes, la création du monde et celle de l'homme, voyait aussi de toute éternité la chute de l'homme ; et de toute éternité il arrêta dans sa miséricorde de le relever de cette chute par l'incarnation et la mort de son Fils unique. Aussi, par une conséquence nécessaire, de toute éternité il conçut Marie dans sa pensée, et la destina à être la mère de son Verbe incarné. Marie a donc été présente à la pensée de Dieu avant la création du monde. Dieu la vit entre toutes ses créatures la plus belle, la plus sainte, la plus fidèle et la plus aimée ; il vit son amour pour lui de tous les jours, et ses délices à lui être agréable par son obéissance, en se jouant sans cesse devant lui, mais en se jouant dans le monde ; car elle devait commencer son service ici-bas sur toute l'étendue de la terre. Et Dieu vit que par amour pour lui elle aima tous les enfants des hommes, auxquels il devait donner un Sauveur par elle. Donc Marie a été conçue avant toute créature, et nous pouvons lui appliquer ces paroles de l'Esprit saint : « Je suis sortie de la bouche du Très-Haut ; je suis née avant toute créature ('). »

     

    Ainsi, de toute éternité conçue sans tache dans le sein de la miséricorde de Dieu, Marie attendait l'époque de sa conception naturelle dans le sein de sa mère.

     

    Salut, ô Marie, conçue sans tache ! choisie pour être la mère du Sauveur du monde : « Dieu vous a conçue dans sa pensée avant toute créature, car vous deviez enfanter l'homme-Dieu ('), » pour la rédemption de l'homme. « Seule et unique fille de la source de la vie (2) ! » « Nouvelle Éve, mère de la source de la vie (3) ! » « Médiatrice entre Dieu et les hommes, salut (4), ô vous qui au monde entier apportez la paix (5), » Vierge très sainte, conçue sans tache, salut !

    Promise par Dieu (6), attendue par les Patriarches, prédite par les Prophètes, chantée par le Psalmiste et par le Sage du Seigneur, désirée de tout le genre humain et des anges ; bien-aimée d'avant les temps et jusqu'à la fin des siècles de la sainte Trinité, plus lumineuse que les astres, et pure comme le reflet de Dieu, salut, Marie ! salut. O mère de Dieu, nous vous saluons avec les propres paroles de Dieu : « Que vous êtes belle, ma bien aimée ! que vous êtes belle ! vous êtes toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a point de tache en vous(7).»

    O Marie ! conçue sans péché, pour effacer le péché ; vous qui êtes notre vie, notre douceur, notre espé rance, nous vous saluons, Marie ! Nous nous réjouissons avec vous de la grâce de Dieu qui est en vous ; et nous nous en réjouissons comme si elle était à nous, car vous êtes notre mère ; et nous remercions Dieu, nous qui sommes vos enfants, du culte que nous vous rendons, du trésor que vous possédez, de ce charme ineffable qui vous rend si semblable à Dieu et qui vous a rendue digne d'être la mère de Dieu ; et pour défendre la gloire de votre immaculée conception, nous sommes prêts à sacrifier notre sang et notre vie.

    Notre âme glorifie le Seigneur, et notre esprit est ravi de joie en Dieu notre Sauveur, de ce que la sainte Vierge, la mère de Jésus et la nôtre, soit conçue sans tache !

    II.

    «Le péché d'Adam fut tel, dit saint Augustin, qu'il devait être expié par l'homme lui-même, mais il ne pouvait l'être que par Dieu ('). »

    Oui, l'homme devait l'expier, car l'homme avait péché ; mais l'homme ne pouvait l'expier, car l'offense du péché avait été infinie, à cause de l'infinie majesté de Dieu ; et sa justice infinie ne pouvait être satisfaite que par une oblation infinie, c'est-à-dire par l'oblation de Dieu lui-même. L'expiation du péché de l'homme exigeait la mort de l'homme ; et l'expiation de l'offense de Dieu exigeait l'oblation de Dieu même ; il fallait donc la mort de l'homme Dieu.

    La miséricorde infinie de Dieu a pourvu à cette offrande infinie, en arrêtant que le Fils de Dieu se ferait homme, afin qu'il pût mourir pour nous en tant qu'homme, et en tant que Dieu, satisfaire à la justice infinie pour notre péché, et par sa mort temporelle nous délivrer de la mort éternelle.

    Pour l'accomplissement de cette œuvre divine, le Fils de Dieu devait se faire homme, par conséquent se créer une mère, dans le sein très pur de laquelle, après s'être créé une âme, il s'incarnerait par l'opération du Saint-Esprit, et y demeurerait pendant neuf mois : Il créa Marie. « La sagesse s'est bâti une maison ('). » « La sainteté doit être l'ornement de cette maison (2). » «L'entreprise dont il s'agit est grande ; car ce n'est pas pour un homme, mais pour Dieu, qu'il s'agit de préparer une maison (3). »

    "Le Christ s'est choisi une mère, dit saint Pierre Damien, digne de lui et dont il n'eût point à rougir (4). » Elle fut donc conçue sans tache. Et saint Thomas ajoute : « Marie n'eût pas été digne d'être la mère de Dieu, si jamais elle eût péché ; car la honte du péché de la mère eût retombé sur le fils (5), » la honte même du péché originel, si elle eût été conçue dans ce péché : donc Marie fut conçue sans péché.

    « Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle (').» « Le serpent n'a point eu d'accès dans ce paradis (2), » dit saint Jean Damascène. Car Dieu lui-même a mis entre Marie et le serpent une inimitié éternelle ; alors que, d'une main, chassant nos coupables parents du paradis terrestre, il indiqua de l'autre aux repentants l'espoir du salut, en disant au serpent : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme (a). » Et non seulement il mit une inimitié entre Marie et Satan, mais encore il donna à Marie tout pouvoir sur lui, car il dit : «Elle te brisera la tête (').» Puis donc que Marie avait tout pouvoir sur Satan, Satan n'en avait aucun sur Marie : donc Marie n'avait jamais été dans ses fers : jamais ; donc pas même au moment de sa conception : donc elle est conçue exempte du péché originel.

    L'honneur du Fils de Dieu, la dignité de la mère de Dieu, sa victoire sur l'esprit des ténèbres, exigeaient ce privilége pour Marie : ainsi donc Marie est conçue sans péché.

    0 Marie ! Dieu pouvait vous créer libre de tout péché, il le devait, il l'a voulu ; donc il vous créa telle pour la gloire de son Fils, dont vous deviez être la mère : car « les pères sont la gloire des enfants ('). » II vous créa telle pour notre salut, pour que vous pussiez être la mère de notre Sauveur, pour que vous pussiez vaincre les enfers. Salut donc, ô très sainte Vierge conçue sans tache ! salut !

    Bien que Marie fût conçue sans tache ; et qu'elle demeurât sainte en tout et toujours, elle veillait constamment sur elle-même pendant toute sa vie, pour ne point laisser accès au péché, qu'elle n'avait jamais connu. Et, nous, conçus dans le péché, tourmentés par la concupiscence, emportés par nos passions, non affermis dans la grâce de Dieu, combien devrions-nous donc veiller sur nous-mêmes, redouter le péché, chercher à l'éviter ! Malheur à nous, si nous ne veillons pas, si nous ne recourons pas à l'assistance de Marie ! — O Marie ! conçue sans tache, priez pour nous, qui avons recours à vous !

    Marie est la plus belle œuvre de Dieu ; son plus bel ornement, c'est d'avoir été conçue sans tache ; son plus grand mérite, c'est d'avoir vécu sans tache. Et nous, bien que nous ayons été conçus et soyons nés dans le péché, nous en avons été purifiés par le sacrement du Baptême, en vertu du mérite du sang de Jésus-Christ ; alors nous étions purs de tous péchés !

     

    Mais, hélas ! nous avons péché depuis : le sacrement de Pénitence, il est vrai, et le sang de l'Agneau de Dieu nous en ont purifiés encore ; sommes-nous demeurés fidèles ? Non, nous avons de nouveau péché beaucoup et souvent. Quelle que fût l'énormité de notre faute, l'Agneau de Dieu a effacé ce péché et purifié nos âmes par son sang. Chaque fois nous avons recouvré l'innocence et la pureté. Où sont elles maintenant cette innocence et cette pureté qui d'abord nous avaient été données gratuitement, et qui depuis nous ont été redonnées tant de fois ? Où est-elle la vigilance qui devait nous préserver de la fange du péché ? où est-elle cette vigilance qui devait conserver dans nos âmes cette pureté qui ne coûte pas moins à Dieu que l'incomparable pureté de Marie ; car l'une et l'autre sont le fruit du sang de Jésus-Christ ?

    Par les mérites de ce sang très sacré prévus dans l'éternité, Marie a été conçue sans tache ; par les mêmes, mérites accomplis, nous avons été délivrés des liens du péché. Dieu, dans sa prescience, contempla son Christ, sa sainteté, ses mérites, et le sang qu'il devait verser pour la gloire de son Père et le salut du genre humain : et c'est à cause de ce sang adorable qu'il lui créa une mère conçue sans tache : qu'il lui créa Marie. Mais Dieu contemplait aussi son Christ au jardin des Oliviers, alors que, sous la pression de tous nos péchés, une sueur de sang ruisselait de tous ses membres ; alors que, pour nous, il subissait la plus cruelle flagellation : il contemplait son Christ, notre roi, couronné d'épines ; il contemplait son Christ, notre chef et notre modèle, portant la croix, expirant sur la croix. Dieu contemplait tout le sang du Christ versé jusqu'à la dernière goutte dans sa terrible passion, pour nous, misérables pécheurs ; et c'est à cause de ce sang adorable qu'il nous a tous adoptés pour ses fils ; par la vertu de ce sang si pur, il a purifié nos âmes souillées et nous a rendu cette inestimable ressemblance avec lui-même, que nous avions perdue par le péché.

     

    0 Dieu! si le souvenir de cette inconcevable miséricorde nous était présent à la mémoire, qui de nous serait assez malheureux pour pécher ? qui de nous serait assez ingrat pour vous offenser ?

    Rappelez-nous-le, ô Jésus ! ô Agneau de Dieu ! qui effacez par votre sang les péchés du monde ! rappelez-nous-le ce souvenir précieux ! Rappelez-nous le, ô Marie ! ô mère de Jésus ! conçue sans tache par le mérite du sang de cet Agneau de Dieu ! afin que rachetés par le sang de votre fils, et purifiés par ce sang adorable, nous puissions passer le reste de nos jours sans jamais souiller nos âmes par de nouveaux péchés.

     

     

    POUR LE 2ème JOUR DU MOIS

    POUR LA FETE DE LA NATIVITE DE LA SAINTE VIERGE,

    (8 septembre)

    I.

    « Dans ces derniers temps, la montagne sur laquelle se bâtira la maison du Seigneur sera fondée, sur le haut des monts, et elle s'élèvera au-dessus des collines : toutes les nations y accourront en foule (').» Quelle est donc cette montagne fondée sur le haut des monts, prédite par le Prophète comme étant la maison du Seigneur élevée au-dessus des collines, à laquelle accourront toutes les nations en foule ? C'est Marie, appelée Montagne au-dessus des monts, comme l'explique saint Grégoire, « car elle domine tous les saints par son élévation (2). »

    Marie peut être appelée Montagne sur laquelle se bâtira la maison du Seigneur, car le Seigneur devait résider en elle. Toutes les nations accourront vers elle ; car Dieu l'avait destinée à être la bénédiction des nations ; il devait habiter lui-même cette montagne de Sion pour le salut de tous ; et voilà ce que dit le Psalmiste : « Ne dira-t-on pas à Sion : Un grand nombre d'hommes sont nés dans elle : c'est le Très Haut lui-même qui l'a fondée (')? » Et comme c'est d'elle que devait naître l'homme-Dieu, elle fut élevée au-dessus de tous les saints, comme s'ils n'étaient que des fondements, et qu'elle dût être bâtie dessus : et le Psalmiste l'a dit, en parlant de Sion, comme figure de Marie : « Ses fondements sont posés sur les saintes montagnes (2). » Et c'est à Marie aussi que s'appliquent ces paroles du Sage : « J'ai établi ma demeure dans l'assemblée de tous les saints (3). »

    La plénitude de la grâce dont Dieu avait enrichi et orné l'âme de Marie au moment de sa création fut tellement abondante, que le Sage du Seigneur, transporté à la vue de ses perfections ineffables, s'écria dans son ravissement : « En moi est toute la grâce de la vie et de la vérité : en moi est toute l'espérance de la vie et de la vertu (4). » Voilà quelle fut Marie au moment de sa conception.

    « Sanctifiée au-dessus de tous les Saints et des Anges dans le sein de sa mère('), » Marie, œuvre de Dieu, « que Dieu seul surpasse (2), » sur laquelle le Saint-Esprit est descendu « comme la pluie sur une toison (3), » cette sainte Vierge a épuisé toute la grâce du Saint-Esprit (4). » Douée de la plénitude de l'esprit dans le sein de sa mère ; dans le sein de sa mère, aimant et glorifiant Dieu : quand elle ouvrit les yeux à la lumière du jour, elle parut radieuse et brillante de tous les trésors de la grâce de Dieu dont elle devait répandre les richesses sur tous les enfants des hommes destinés à devenir les siens.

     

    0 saint enfant, future mère de Dieu et la nôtre ! nous vous glorifions dans votre nativité. Votre naissance, ô Marie ! a réjoui le ciel et la terre, et nous réjouira jusqu'à la consommation des siècles. Soyez bénie, fille bien-aimée du Père Éternel ! soyez bénie, l'élue pour être la mère du Fils de Dieu ! Vierge fidèle, épouse du Saint-Esprit, soyez bénie !

     

    II.

     

    La terre gémissait sous le fardeau et l'anathème du péché ; et les deux même, après la chute des anges, avaient besoin de réparation. « La très pure sainteté de Marie, dit saint Anselme, surpassant la pureté et la sainteté de toute créature, lui a mérité l'honneur d'avoir été choisie par Dieu, pour servir de moyen à relever le monde entier de sa chute. C'est par cette Vierge sainte que tout a été restitué à l'état primitif, et que tout a été corrigé ('). » « C'est par Marie, dit Richard, que la perte des anges fut réparée ; c'est par Marie que le genre humain fut réconcilié (2). »

    Dieu, qui l'avait destinée à l'accomplissement de cette œuvre, qui l'avait créée pour être la mère du Sauveur, l'avait aussi comblée de dons inévitablement nécessaires pour remplir une si haute mission, pour occuper une si inconcevable dignité ; car saint Thomas nous dit : « Dieu distribue sa grâce selon la vocation de chacun (3). » Et voici pourquoi Marie a été créée dans la plénitude de la grâce de Dieu. Marie est pleine de grâce, non seulement pour elle-même, mais aussi pour nous. « Elle est pleine de grâce, et de cette plénitude nous prenons tous notre part (4), » dit saint Thomas de Villeneuve ; et saint Anselme ajoute : « Il n'est personne qui n'ait sa part dans la plénitude des grâces accordées à Marie. Quel est celui pour lequel la sainte Vierge ne soit propice ? Quel est celui qui ne soit embrassé dans sa miséricorde (') ? »

    Nous avons tous pris de la plénitude de la grâce de Dieu dans Marie ; réjouissons-nous donc et félicitons-nous tous de sa nativité. Saluons-la avec amour et reconnaissance, car elle est l'aurore précédant le soleil, après une nuit d'orage, nuit longue, froide et ténébreuse ; et chantons en son honneur l'hymne de notre sainte Eglise : « Votre naissance, ô sainte Vierge, mère de Dieu, annonça la grande joie au monde ; car c'est de vous qu'est sorti le Soleil de justice, le Christ notre Dieu, qui déchira l'anathème et donna la bénédiction ; qui vainquit la mort et nous donna la vie éternelle (2). »

    III.

    De la postérité d'Abraham, de la tribu de Juda, de la maison de David, comme il avait été prédit par les prophètes, Marie est venue au monde conçue miraculeusement ; car ses parents avaient été jusque-là stériles, et ils étaient parvenus à un âge très avancé.

    0 Joachim ! ô Anne ! bienheureux parents de la Vierge destinée à de si grandes choses, ce ne sont pas seulement vos saintes prières qui ont obtenu de Dieu la naissance de ce précieux enfant. Toutes les âmes justes enfermées dans l'abîme, altérées de la soif de Dieu, demandaient à grands cris cette rosée céleste. Le monde entier, depuis quarante siècles dans l'attente et l'espérance de la venue de cette mère de miséricorde, gémissait après elle. Et principalement la mère du péché et de la chute de l'homme vit exaucer en elle ses prières et ses pleurs. 0 Éve ! vous étiez la cause de la perte du paradis, félicitez-vous de ce qu'il est sorti de vous une Eve nouvelle, qui nous l'a restitué. 0 Adam et Eve, vous qui êtes nos premiers parents, saluez avec nous, qui sommes vos derniers enfants, saluez dans cette fille de vos arrières-neveux votre mère et la nôtre ; car Marie, en mettant au monde notre Sauveur et le vôtre, nous fit naître en Dieu, et vous et nous.

    Célébrons donc avec joie la naissance de la bienheureuse Marie, afin qu'elle intercède pour nous auprès de notre Seigneur Jésus-Christ. Et du fond de notre âme chantons les louanges du Sauveur, de ce qu'il a choisi une telle mère pour lui et pour nous.

    O bienheureux enfant ! ô sainte Marie ! les anges ne se lassaient pas de vous contempler, ils voyaient en vous l'ornement et la gloire des cieux. La sainte Trinité ne se lassait pas de vous contempler, elle voyait en vous son chef-d'œuvre ; mais c'est à nous surtout à vous contempler, très sainte Enfant ! vous, destinée à devenir notre mère bien-aimée ! vous, qui devez porter la couronne des cieux comme celle de la terre ! Salut ! ô notre Mère ! vos enfants vous saluent ! Salut ! ô notre Reine ! Vos sujets Vous saluent ! Puissions-nous, en qualité de vos enfants, vous ressembler, car vous êtes notre mère ! Puissions-nous, en qualité de vos sujets, vous rendre le digne et fidèle hommage de nos cœurs, car vous êtes notre reine !

     

    POUR LE 3ème JOUR DU MOIS

    ET POUR LA FÊTE DU SAINT NOM DE MARIE.
    (Le 1er dimanche après la Nativité.)

    I.

    « Et cette vierge s'appelait Marie (').» « Disons un mot sur ce nom, dit saint Bernard, qui signifie étoile de la mer, et cette interprétation convient essentiellement à la Vierge mère. Car, de même qu'une étoile lance ses rayons, sans altérer son essence, de même Marie mit au monde un fils, sans endommager sa virginité ; de même qu'un rayon n'ôte rien à la clarté de l'étoile, de même le Fils de la sainte Vierge n'a rien ôté à sa virginité. Elle est donc cette glorieuse étoile, descendant de Jacob, dont le rayon éclaire le monde entier, dont la clarté brille au haut des cieux et pénètre l'enfer, et qui, en traversant la terre, réchauffe plutôt les cœurs que les corps, allume les vertus et consume les péchés. Elle est cette étoile excellente et splendide, élevée par la Providence au-dessus de la vaste mer du monde, pour briller par son mérite, reluire par son exemple. Oh ! qui que tu sois, qui, au milieu des orages de ce monde, te sens enlever par la tempête plutôt que tu ne touches le sol de tes pas, suis constamment des yeux la clarté de cette étoile, sans quoi tu risques d'être englouti par l'abîme. Dans la tourmente des tentations, échoué sur le récif des afflictions, lève tes yeux vers cette étoile, implore le secours de Marie ! Ballotté par les vagues de l'orgueil, de l'ambition, de l'envie ou de la calomnie, lève tes yeux vers cette étoile, implore le secours de Marie ! Si la colère, l'avarice, ou la concupiscence font vaciller la nacelle de ton âme, regarde vers Marie ! Si, courbé sous l'énormité du crime, déchiré dans ta conscience, effrayé par l'attente du jugement, tu te sens entraîné dans l'abîme du chagrin et du désespoir, pense à Marie ! Au moment du péril, de la persécution, du doute, pense à Marie ! implore le secours de Marie ! Qu'elle soit constamment sur tes lèvres ; qu'elle demeure dans ton cœur ; et, pour obtenir son intercession, ne cesse jamais d'imiter son exemple. En la suivant, tu ne failliras pas ; en l'implorant, tu ne désespéreras pas ; en pensant à elle, tu ne te tromperas pas ; en s'attachant à elle, tu ne succomberas pas ; en te mettant sous sa protection, la peur ne te saisira pas ; en te guidant sur elle, tu ne t'égareras pas ; conduit par sa miséricorde, tu arriveras au but, et tu auras éprouvé toi-même combien il était juste de dire : Et cette vierge s'appelait Marie (') !!! »

    II.

    « Et cette Vierge s'appelait Marie. » La puissance protectrice de ce nom sacré éclata visiblement le jour de la victoire marquée à jamais dans les fastes de l'Eglise par la fête même du nom de Marie ; victoire remportée sous les murs de Vienne par le héros de la chrétienté, le pieux Sobieski, Jean III, roi de Pologne, lequel, plein de confiance en la puissance du nom de Marie, obéissant à la voix d'Innocent XI, père commun de tous les chrétiens, accourut avec une poignée de ses guerriers pour délivrer cette capitale près de succomber sous les forces irrésistibles des hordes musulmanes, et d'un seul choc renversa et dispersa leurs armées dix fois plus nombreuses. Et la puissance ottomane, si formidable et si menaçante jusqu'alors, atterrée et brisée par cette victoire si merveilleuse et si inattendue, ne s'en releva plus, et c'est depuis ce moment suprême que date son déclin.

    Cette victoire, remportée sous l'invocation de Marie, obtenue par sa puissante protection, lui fut offerte en hommage, et la fête du nom de Marie fut instituée en son honneur.

    Voici là-dessus le texte du Bréviaire romain : « Ce nom recevait déjà avant cette époque un hommage particulier dans différentes contrées du monde chrétien ; mais, pour rendre grâce à la très-sainte Vierge de l'éclatante victoire remportée sous sa protection sous les murs de Vienne sur le terrible Musulman, voulant insolemment fouler aux pieds les peuples de la chrétienté ; et pour perpétuer la mémoire d'un si grand bienfait, Innocent XI ordonna la célébration annuelle de la fête du saint nom de Marie dans l'Église universelle, le dimanche de l'octave de sa nativité (1). »

    Le nom de Marie est donc le bouclier de la chrétienté, il est sa force et sa victoire.

    Le nom vénéré de Marie signifie aussi souveraine, et souveraine du monde; car Marie est la reine du ciel et de la terre, et de tous les peuples du monde.

    Le nom de Marie signifie mer, c'est-à-dire mer d'amour, et mer de douleur.

    Le nom de Marie signifie encore lumière, l'aurore précédant le soleil, chassant de la terre les ombres du péché et de la mort.

    « Le nom de Marie vient du ciel ('). »

    « Le nom de Marie est descendu à terre sortant du trésor de Dieu... 0 Marie ! la très sainte Trinité vous a donné ce nom, au-dessus de tous les noms après celui de Jésus, afin qu'à votre nom aussi tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (2). »

    « Il n'est pas de nom ayant une telle puissance de secours, et il n'est pas de nom donné aux hommes, après celui de Jésus, qui ait versé autant de salut sur le genre humain que le nom de Marie ('). »

    « Votre nom est une huile répandue (2). » Comme l'huile qui ramollit, guérit, éclaire, réjouit de son parfum, et nourrit ; de même votre nom, ô Marie ! composé de cinq lettres, Verse dans nos âmes ces cinq dons, venant de cinq plaies de Jésus.

    « O Marie ! la puissance de votre nom sacré ramollit miraculeusement l'endurcissement du cœur : le pécheur respire en ce nom sacré l'espérance de la grâce de Dieu et de son pardon (3). »

    « O Marie ! votre nom guérit les blessures des pécheurs en les sauvant du désespoir. »

    « 0 Marie ! votre nom éclaire ceux qui sont dans les ténèbres du doute et de l'erreur. »

    « 0 Marie ! votre nom réjouit dans l'affliction (A).»

    « 0 Marie ! votre nom nourrit le plus savoureusement vos enfants. »

    « O miséricordieuse et très-glorieuse Marie ! vous enflammez les cœurs de ceux qui prononcent votre nom ; vous nourrissez les âmes de vos fidèles dès qu'ils ont pensé à vous ('). »

    « Votre nom, sainte Mère de Dieu ! est en toute occasion riche de grâces et de bénédictions divines (2). »

    « Quiconque prononcera votre nom avec piété ne l'aura jamais prononcé sans fruit. 0 vous ! qui êtes le salut de ceux qui vous invoquent (3) ! » ô Marie ! nous vous invoquons, sauvez-nous !

     

    III

    « Quelle est celle qui s'élève du désert, comme une fumée des parfums de myrrhe et d'encens (4) ?» C'est Marie ! «Quelle est celle qui s'avance comme l'aurore lorsqu'elle se lève, qui est belle comme la lune, éclatante comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille (5). » C'est Marie ! « Quelle est celle qui s'élève du désert, toute remplie de délices (') ? » C'est Marie ! — Pourquoi donc les Anges du Seigneur demandent-ils ainsi par trois fois dans le Cantique des Cantiques le nom de Marie ? C'est, pour qu'en le prononçant trois fois, leurs lèvres goûtent autant de fois de sa douceur ineffable et toujours nouvelle ; c'est pour que leurs oreilles entendent le triple cantique du nom de Marie, accompagnant si bien leurs cantiques en l'honneur de la sainte Trinité ; c'est pour que leurs cœurs se réjouissent triplement d'une joie d'autant plus désirée qu'elle est plus goûtée : car le nom de Marie est comme celui de Jésus, « du miel aux lèvres, de l'hymne aux oreilles, de la joie au cœur(2). »

    Qu'il a donc raison, Thomas à Kempis, de nous appeler tous vers Marie. « Désirez-vous être consolés dans vos afflictions, nous dit-il, approchez-vous de Marie, invoquez Marie, honorez Marie, remettez-vous à Marie, réjouissez-vous avec Marie, marchez avec Marie, cherchez Jésus avec Marie, et désirez de vivre et de mourir en leur compagnie (3). » 0 Jésus et Marie ! Cette prière si courte est bien facile à retenir, bien douce à méditer et bien puissante à nous protéger (') ! »

    « Le nom de Marie, dit saint Honoré, est tout rempli de charmes et d'aménité toute divine, car de même que l'aurore est suivie du soleil, ainsi le nom de Mario est nécessairement suivi du nom de Jésus (*). »

    « Le nom de Marie est le symbole de la chasteté (3), » dit saint Pierre Chrysologue. Ceux-là seulement se plaisent réellement dans ce nom, qui désirent posséder cette vertu, qui la demandent à Marie, sachant bien que ce nom sacré est la garde de la chasteté, son baume, son charme et sa couronne.

    Le nom de Marie, étant plein de grâce, est pour l'âme l'air à respirer ; c'est dans ce sens que saint Germain nous dit : « Comme la respiration n'est pas seulement le signe de la vie, mais qu'elle en conserve aussi le principe, de même le nom de Marie, dans la bouche des serviteurs de Dieu, n'est pas seulement le signe de leur vie, mais encore il la leur procure, l'entretient, la rend et la conserve (*). »

    « Béni soit celui qui chérit votre nom, ô Marie ! Votre nom est glorieux, il est admirable ; ceux qui le conservent au fond de leur cœur n'ont point de crainte à l'heure de la mort ('). »

    O Marie ! inscrivez votre nom dans mon cœur, gravez-le dans mon âme, qu'il demeure en moi et qu'il m'environne, qu'il me comble de paix et assure ma victoire. O Marie, que votre nom sacré soit exprimé par chaque battement de mon cœur, et qu'il soit la dernière parole que prononcera ma langue (2).

     

    POUR LE 4ème JOUR DU MOIS

    ET POUR LA FÊTE DE LA PRÉSENTATION DE LA SAINTE VIERGE. (21 novembre.)

    « Écoutez, fille, ouvrez les yeux, et ayez l'oreille attentive ; oubliez votre peuple et la maison de votre père : et le roi désirera votre beauté, car il est le Seigneur votre Dieu. Levez-vous, hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, mon unique beauté, et venez ('). »

    Marie a entendu et compris cet appel de Dieu ; et elle a dit : « Me voici, je viens. » Et elle est allée précéder et pour ainsi dire commencer par son sacrifice le grand sacrifice du Fils de Dieu ; qui, sachant que tous les sacrifices et toutes les offrandes humaines ne suffiraient pas pour racheter le monde, avait dit à son Père, par la bouche du roi prophète : « Vous n'avez point demandé d'holocauste pour le péché ; et j'ai dit alors : Me voici, je viens (2). »

    Ainsi devait faire le Christ, ainsi l'a fait Marie ; et c'est ainsi qu'elle a rempli le vœu de ses parents, qui, étant stériles et demandant à Dieu une postérité, avaient fait vœu de la consacrer à Dieu dans son temple.

    A l'âge où l'enfant sent le plus vivement et l'amour filial, et le besoin de se trouver auprès de ses parents ; à cet âge tendre, où l'enfance s'épanche avec tant de bonheur et d'affection dans les bras du père, sur le sein de la mère, Marie, guidée par la voix du Seigneur, quittait le séjour paternel, d'un pas chancelant encore, mais déjà ferme de courage et de résignation. Elle quittait Nazareth pour se rendre à Jérusalem dans la maison du Seigneur. Les saints parents aimaient bien leur enfant, mais ils aimaient Dieu par-dessus tout ; aussi l'accompagnaient-ils eux-mêmes, et les anges, escortant la sainte Pèlerine, chantaient joyeusement : « Que vos démarches sont belles, ô Fille du prince (') ! »

    « Dieu a fait grande fête avec ses anges, qui ont escorté sa fiancée allant à son temple, dit saint Bernardin ; car jamais il n'y avait eu un hôte qui lui fût plus cher et plus désiré (2). » Hâtez-vous donc, ô notre Souveraine ! hâtez-vous, ô mère de Dieu ! montez, joyeuse, dans le sanctuaire du Seigneur, pour y attendre la venue du Saint-Esprit (').

    Et Marie s'y rendit en toute hâte, en laissant après elle ce mot d'adieu au monde : « Félicitez-moi, vous tous qui aimez le Seigneur, de ce qu'étant toute petite j'ai plu au Très-Haut ('). »

    Oui, nous vous félicitons, ô sainte Enfant ! ô reine de l'univers ! Nous vous félicitons d'avoir méprisé le monde, de vous être plu en Dieu , et d'avoir plu à Dieu. Nous vous en félicitons, parce que nous vous aimons, et que nous voulons aimer Dieu avec vous et comme vous.

    II.

    « Me voici, je viens. » Voilà Marie arrivée au seuil du temple. L'aimable enfant de trois ans, belle, adorant ses parents, semant autour d'elle la sérénité et le bonheur, elle fait à ses parents ses plus tendres adieux, elle se presse contre leur sein, se jette à leurs genoux, et semble leur dire : « Mon père et ma mère ! je vous rends grâces pour la vie que vous m'avez donnée ; je vous rends grâces, mon père, pour la nourriture que m'ont procurée vos bras ! je vous rends grâces, ma mère, pour la nourriture que m'a fournie votre sein ! je vous rends grâces à tous deux pour l'amour dont vous avez entouré mon enfance ! Mais, par-dessus tout, je vous rends grâces, et je vous bénis, de ce que vous m'avez consacrée au service de Dieu ! Dieu vous en bénisse ! et vous, mes chers parents, bénissez-moi ! »

    Elle se relève aussitôt, et, d'un pas ferme, sans hésiter, monte les quinze degrés du sanctuaire, figurant les quinze mystères du saint rosaire. Là, aux pieds de l'archiprétre Zacharie, la première depuis la création du monde, elle renonce au monde, à son corps et à elle même pour se vouer à Dieu par le vœu de la pauvreté, de la chasteté et de l'obéissance : ainsi qu'elle l'a révélé à sainte Elisabeth, en lui disant : « J'ai résolu de garder la chasteté virginale, de ne rien posséder au monde, et de vouer ma volonté à Dieu ('). »

    0 Marie ! vierge et mère de Dieu ! première religieuse ! vous vous êtes éprise du saint amour de Dieu, comme Dieu s'était épris d'amour pour vous ; et comme il s'était donné à vous, vous vous êtes donnée à lui ; et dans l'extase d'amour vous ne cessez de chanter ce cantique d'amour : « Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui (2). » Quand pourrai-je aussi le chanter avec vous ?

    « Comme l'aurore lorsqu'elle se lève (3), » Marie brillait à chaque instant d'une clarté croissante, par l'assemblage de toutes les vertus. La candeur, la modestie, l'humilité, la douceur, la prière et la pénitence furent autant de rayons de son âme. Chaque jour elle croissait dans la lumière et dans la sainteté de la grâce de Dieu. Chaque jour elle acquérait de nouvelles richesses spirituelles, et par ses ardentes prières, et par ses larmes d'amour et de pénitence. « Sachez bien, dit-elle à sainte Elisabeth, que je n'ai reçu de Dieu aucune grâce sans une grande peine, sans de continuelles oraisons, des désirs ardents et beaucoup de larmes et de pénitences. » —Et nous, nous voudrions obtenir des grâces de Dieu, sans peine, sans prière et sans pénitence !

    0 Marie ! enseignez-nous tout ce que vaut la grâce de Dieu : pour que nous nous efforcions de la mériter, pour que nous soyons jaloux de la conserver, et qu'à chaque appel de Dieu, fidèles et obéissants, nous lui répondions avec vous : « Me voici, je viens. »

    III.

    « J'ai exercé devant lui mon ministère, dans la maison sainte..., et mon odeur est comme celle d'un baume très pur et sans mélange... J'ai poussé des fleurs d'une agréable odeur comme la vigne, et mes fleurs sont des fruits de gloire et d'abondance ('). » C'est à cause de ces paroles du Sage, appliquées à Marie, que saint Sophronius nous dit : « Marie a été un vrai jardin de délices, qui contenait toutes les espèces de fleurs et les parfums de toutes les vertus ('). » Dieu, touché de la reconnaissance et de la fidélité de Marie, la comblait chaque jour de nouvelles grâces, afin de la préparer à la plus excellente, qu'il avait destinée pour elle ; et, « cette dernière grâce, qui était la plus parfaite, dit saint Antonin, c'était de la préparer à la conception du Fils de Dieu(2). »

    Et comment Dieu préparait-il Marie à cette grâce au-dessus de toutes les grâces ? C'est par la vertu au-dessus de toutes les vertus : par la vertu d'un amour parfait. C'est cet amour qui lui faisait adresser sans cesse cette touchante prière : « Seigneur, envoyez l'Agneau dominateur de la terre. Cieux, envoyez d'en haut votre rosée, et que les nuées fassent descendre le Juste. 0 ! si vous vouliez ouvrir les cieux (3) ! »

    C'est là ce que demandait Marie, par ses effusions d'amour, en servant dans son temple Dieu irrité et non apaisé : c'est là son gémissement continuel en faveur de tous ses frères, accablés par la misère du péché, enfermés dans la prison de l'iniquité : « La voix de la tourterelle s'est fait entendre sur notre terre (4). »

    Et du désert de ce monde, Marie s'élevait vers le ciel sur les ailes de la prière, comme une nuée de parfums, montant et montant toujours vers le ciel, jusqu'à ce qu'elle redescende vers la terre en rosée de la grâce de Dieu.

    « Quelle est celle qui s'élève du désert comme une fumée qui s'échappe des parfums (') ? » C'est Marie, demandant la venue de la Vierge, mère de Dieu. Elle plaçait en elle toutes ses espérances, elle s'attachait à elle de tout son cœur : « 0 Fils de Dieu, Rédempteur du monde ! redisait-elle, en priant toujours, si vous ne devez pas venir de mon temps, permettez au moins que je puisse servir votre mère bien-aimée, envoyez-la, Seigneur ! envoyez-la (2) ! »

    0 Marie ! votre prière si touchante fait fondre en pleurs mon cœur endurci ! Par votre dévotion à la mère de Dieu, vous avez saisi Dieu lui-même, et vous êtes devenue la mère de Dieu. Remplissez nos cœurs de la même piété, et obtenez-nous une grâce, sinon égale, au moins semblable à la vôtre, afin qu'en désirant vous servir, vous et votre fils, et en faisant fidèlement la volonté de son Père, nous devenions, d'après ses propres paroles, ses frères, ses sœurs et ses mères : « Quiconque fait la volonté de mon Père, qui est dans les cieux , celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère (3). »

     

     

    POUR LE 5ème JOUR DU MOIS

    POUR LA FETE DES FIANÇAILLES DE LA TRES-SAINTE VIERGE. (23 janvier)

    I.

    «Marie étant fiancée à Joseph (')... » Avant, depuis et toujours, Marie fut épouse de Dieu : cette union sainte et unique seule pouvait mériter les honneurs de la maternité divine à celle qui en serait l'objet ; seule elle pouvait préparer une demeure au Sauveur du monde. Mais comme le Rédempteur ne devait y descendre qu'à l'état d'enfant, afin d'avoir à supporter toutes les misères de l'humanité ; comme jusqu'à une certaine époque , il entrait dans ses desseins non seulement de ne point révéler sa divinité, mais de la tenir soigneusement cachée aux yeux des hommes, et que par conséquent on ne pouvait savoir d'abord que sa mère était mère de Dieu, et qu'elle avait conçu par l'opération du Saint-Esprit, Dieu avait choisi Joseph pour tuteur de son Fils et pour défenseur de l'honneur de sa Mère : c'est pour cela que Marie avait épousé Joseph.

     

    Saint Jérôme se demande : « Pourquoi Jésus-Christ a-t-il pris naissance dans le sein d'une vierge mariée, et non dans celui d'une vierge libre ? » Et cette question il la résout lui-même en ces termes : « C'était d'abord, dit-il, pour démontrer la généalogie de Marie par celle de Joseph ; car il est bon de rappeler ici que l'Écriture sainte n'établit point la descendance des femmes ; mais comme la loi ancienne exigeait des Juifs qu'ils épousassent les femmes de leurs tribus et de leurs familles mêmes, ainsi la généalogie de la femme chez les Juifs ne pouvait être prouvée autrement que par celle de son époux. » « Deuxièmement, continue saint Jérôme, c'était pour que les Juifs, apprenant qu'elle était devenue mère, ne la lapidassent comme une vierge déshonorée. Troisièmement, enfin, pour qu'elle trouvât la protection nécessaire lors de sa fuite en Egypte. «Saint Ignace, martyr, ajoute encore une quatrième observation : « C'était, dit-il, pour cacher à Satan la naissance du Messie. Car de la sorte, l'esprit des ténèbres ne pouvait reconnaître en Jésus que l'enfant d'une femme mariée et non celui d'une vierge ('). »

    « Admirons la sagesse et la dignité des vues de la Providence ! s'écrie là-dessus saint Bernard. » Cette seule disposition divine a fourni un témoin du saint mystère, l'a caché à l'ennemi, et misa couvert l'honneur de la Vierge mère ('). »

    Quel est donc celui que Dieu avait choisi pour témoin du plus profond de ses mystères ? qu'il avait institué comme gardien de l'honneur de la Mère de son Fils ? qu'il avait nommé nourricier et protecteur de ce divin enfant ?Quel est ce gardien de la vérité, ce défenseur de l'arche du Seigneur et de toutes nos espérances ? Quel est ce protecteur de son maître, auquel le Saint-Esprit prédit en ces termes une gloire si insigne : « Celui qui garde son maitre sera élevé en gloire. » Quel est cet homme « aimé de Dieu dont la mémoire est en bénédiction (3) ?» Quel est celui dans lequel le peuple croira voir le père de Jésus-Christ, qui portera son Dieu dans ses bras comme un enfant, et qui s'endormira comme un enfant dans les bras de son Dieu ?... C'est Joseph, l'homme juste, le plus digne d'entre les patriarches, le protecteur, le gardien de tous les enfants adoptifs de Marie, de tous les frères de Jésus-Christ ; notre gardien durant toute la course de notre vie, notre gardien au moment de notre mort !

    0 Joseph ! saint époux de la mère de Dieu et de la nôtre ! tant que nous vivons, portez-nous dans vos bras avec l'enfant Jésus, et au moment de notre mort remettez-nous libres de toute crainte entre les bras de Jésus.

    II.

    « Marie avait épousé Joseph. » Tous les deux ils étaient de la famille royale, de la maison de David, et cependant ils étaient pauvres ; vivant dans la retraite du fruit de leur travail ; inconnus du monde, et n'en recevant point d'honneurs, mais connus et honorés de Dieu. Dieu les aima et les préféra à tous ; il les combla de ses bénédictions les plus abondantes et les plus précieuses : il les a remplis d'amour pour lui, mais il ne leur a donné ni les honneurs, ni les richesses du monde. Ce ne sont donc pas les honneurs et les richesses terrestres, mais la richesse de la grâce de Dieu qui est le signe de sa bénédiction. Supplions donc, implorons toujours, non pas le don des richesses et des honneurs, mais celui de l'amour de Dieu. Et si Dieu nous éprouve par l'indigence et le mépris de la part des hommes ; s'il daigne nous rapprocher ainsi de ces élus si vivement aimés de lui, songeons à Marie et à Joseph, et, suivant leur exemple, consacrons à Dieu nos travaux et nos misères, afin que Dieu les bénisse et les adoucisse.

    « Marie avait épousé Joseph. » Elle l'avait reçu pour époux des mains de Dieu, malgré son vœu de chasteté ; pleine de confiance en Dieu, que Joseph sera le fidèle gardien de sa virginité. En récompense de cette confiance de Marie, Dieu l'avait entourée d'un charme de modestie tellement puissant ; il l'avait remplie de tant de grâces, que, selon les paroles de saint Ambroise, « elle ne s'est pas seulement conservée chaste, mais encore elle communiquait par son regard le don de la chasteté ('). » Et qui est donc celui auquel elle a dû communiquer en premier le don précieux de la chasteté, sinon à Joseph son époux ? Saint Jérôme en est tellement persuadé qu'en réfutant l'hérétique Elvidius, il s'écrie : « Tu dis que Marie ne resta pas vierge, et moi je prétends bien plus, et dis que c'est par elle que Joseph lui-même conserva sa virginité (*). » Ah ! tournons donc nos regards vers Marie, afin que le charme de sa modestie rejaillisse sur nos cœurs et sur nos figures, et qu'il communique à nos âmes et à nos corps une pureté de plus en plus resplendissante.

    « Marie avait épousé Joseph. » Elle était donc soumise et obéissante envers lui. Comment Marie, obéissante envers Joseph ? Marie, choisie pour être la mère de Dieu, Marie, la plus sainte des créatures sorties des mains du Tout-Puissant ; Marie, la reine du ciel et de la terre, se faisant par la vertu de l'obéissance sujette de son sujet !... Cette obéissance de Marie donne la mesure de sa sainteté par celle de son humilité. La meilleure preuve de la sainteté, est la vraie humilité ; et la meilleure preuve de l'humilité est la vraie obéissance, c'est-à-dire obéissance sans égard à notre prétendue dignité, car toute dignité n'est pas à nous, mais à Dieu ; obéissance sans égard à notre prétendue supériorité, car quiconque s'élève sera abaisse (') ; » obéissance sans égard à notre prétendue sainteté, car  l'homme ne sait s'il est digne d'amour ou de haine (2) ; » obéissance sans égard a la prétendue infériorité de ceux que Dieu nous a donnés pour supérieurs, car Dieu ne fait point acception des personnes (3), mais de leurs cœurs. « Vous avez grand soin de paraître justes devant les hommes, nous dit le Seigneur ; mais Dieu connaît vos cœurs ; car ce qui est grand aux yeux des hommes est en abomination devant Dieu (4). » Et si toutefois il nous arrivait de nous croire supérieurs en dignité, en mérite, en sainteté à ceux que Dieu aura placés au-dessus de nous, songeons alors à Marie, mère de Dieu, reine du ciel et de la terre, qui fut obéissante à Joseph, pauvre charpentier.

    III

    « Marie fut reconnue grosse, ayant conçu dans son sein par l'opération du Saint-Esprit. Or, Joseph, son mari, étant juste et ne voulant pas la déshonorer, résolut de la renvoyer secrètement ('). » C'est un témoignage en faveur de Marie, observe saint Jérôme, car Joseph, connaissant sa chasteté, bien qu'étonné de ce qui était arrivé, garde le silence sur cet événement qui est un mystère pour lui. Et voilà pourquoi il résolut de la renvoyer secrètement. Mais lorsqu'il était dans cette pensée, un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne craignez point de prendre Marie pour votre femme, car l'enfant qu'elle porte dans son sein a été conçu en elle par l'opération du Saint-Esprit, et elle enfantera un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus, parce que ce sera lui qui sauvera son peuple (2). »

    Qui pourrait exprimer la joie de Joseph, lorsque les paroles de l'ange lui ont révélé qu'il était l'époux de la Mère du Fils de Dieu, le gardien et le plus proche serviteur de ce Fils bien-aimé ! Qui pourrait dire quelle fut la vivacité de la joie du plus éminent, du dernier de la série des patriarches ! Qui pourrait faire connaître le ravissement de son cœur, en voyant s'accomplir la promesse du Seigneur par la venue du Sauveur du monde ! De quel profond respect entourait-il la mère du Sauveur, Marie ! la divine Marie ! Et cependant Marie, mère de Dieu, respectait dans Joseph son chef et son supérieur.

    Quels exemples des plus grandes vertus ce couple si saint n'offre-t-il pas aux hommes de tous les états ! Une vierge en contemplant l'admirable chasteté de Joseph et de Marie s'attachera de plus en plus à cette sainte vertu. Des époux en contemplant leur concorde et leur paix domestique, aimeront la concorde et la paix domestique. Et nous tous, en contemplant l'obéissance de Marie, mère de Dieu, envers Joseph, serviteur de Dieu, nous aimerons l'obéissance et nous serons obéissants. Et l'humilité de Marie, et la sollicitude de Joseph, et leur vie retirée, et leur pauvreté, et leurs fatigues supportées par amour de Jésus-Christ, pourraient-elles ne pas nous porter à honorer Marie et Joseph, et à chercher à les imiter ! 0 Marie ! ô Joseph ! resterons-nous encore, malgré votre exemple, immodestes, désobéissants, orgueilleux, querelleurs, avares, paresseux pour le service de Dieu ? 0 Marie ! ô Joseph ! priez pour nous, afin que, marchant sur vos traces, nous puissions arriver jusqu'à Dieu.

     

    POUR LE 6ème JOUR DU MOIS

    POUR LA FETE DE L'ANNONCUTION.

    (25 mars)

    ÉVANGILE DE SAINT LUC, I, 26-38.

    « L'ange Gabriel fut envoyé de Dieu en une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une vierge qu'un homme de la maison de David, nommé Joseph, avait épousée, et cette vierge s'appelait Marie. L'ange étant entré où elle était, lui dit : Je vous salue, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Mais elle, l'ayant entendu, fut troublée de ses paroles, et elle pensait quelle pouvait être cette salutation. L'ange lui dit : Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très Haut : le Seigneur lui donnera le trône de David, son père : il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin. Alors Marie dit à l'ange : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme ? L'ange lui répondit : Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; c'est pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu ; et sachez qu'Elisabeth, votre cousine, a conçu aussi elle-même un fils dans sa vieillesse, et que c'est ici le sixième mois de la grossesse de celle qui est appelée stérile ; parce qu'il n'y a rien d'impossible à Dieu. Alors Marie lui dit : Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. Ainsi l'ange se sépara d'elle ('). »

    I.

    La fiancée de Joseph, l'épouse de Dieu, Marie, vivait à Nazareth, menant une vie cachée, dans la pauvreté, dans la chasteté et l'obéissance : pratiquant de bonnes œuvres, priant constamment, travaillant de ses mains pour suffire aux besoins domestiques ; versant des larmes d'un amour toujours croissant pour Dieu ; demandant par des aspirations et des soupirs toujours plus tendres et plus efficaces la venue du Sauveur du monde.

    Marie savait par l'étude de l'Écriture sainte, que le temps de cette bienheureuse venue était proche ; que les semaines d'années prédites par Daniel étaient accomplies ; que selon la prophétie de Jacob, le sceptre de Judas avait passé dans des mains étrangères, puisque c'était Hérode qui régnait sur le peuple de Dieu. Elle savait que le Sauveur du monde devait naître d'une vierge. Elle demandait instamment à Dieu la venue de cette vierge, et ses ardents soupirs ont forcé le Ciel à s'ouvrir plus tôt. Et l'ange du Seigneur fut envoyé à Marie pour lui annoncer que Dieu l'avait exaucée.

    « L'ange étant entré où elle était, lui dit : Je vous salue, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes (') ! » Salut glorieux, qui ne pouvait être adressé qu'à la Mère de Dieu. Mais enveloppée dans son humilité sainte, ne reconnaissant que son néant, Marie ne veut voir que sa bassesse. Ces paroles de l'ange l'effraient et la font trembler. Mais le messager céleste s'empresse de dissiper sa frayeur, et ajoute : «Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. (') » Nous avons perdu la grâce, et Marie l'a trouvée. Accourons donc, pécheurs, qui, par nos péchés, avons perdu la grâce, accourons vers Marie : auprès d'elle nous la retrouverons. Disons-lui hardiment : « Rendez-nous ce qui nous appartient, c'est bien pour nous que vous l'avez trouvé (2). » « Cherchons ainsi la grâce, cherchons-la par Marie (3) ! » s'écrie saint Bernard, et sans faute nous la retrouverons.

    « Vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé le Fils du Très Haut : le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père : il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin (4). »

    A cette annonciation, évidemment adressée à elle-même, Marie s'effraya de nouveau, au souvenir de son vœu de virginité. « Comment cela se fera-t-il ? car je ne connais point d'homme (') ? » avait-elle dit à l'ange. Mais à l'instant même, cette frayeur fut dissipée par la réponse de l'ange : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre : c'est pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu(2). »

    Cette assurance redoubla la joie de Marie. Sa foi sans bornes ne doute nullement de l'accomplissement de ces paroles. Elle a confiance en la toute puissance divine : son incomparable amour de Dieu et le zèle du salut des âmes la pressent d'accepter l'inconcevable et incommensurable grâce, par laquelle Dieu remit entre les mains de Marie le salut du monde et sa propre gloire. Écoutons donc sa réponse, et voyons ce qu'elle fera pour se saisir de cette couronne de la Mère de Dieu, que Dieu même vient de lui offrir par son ange.

    « Mais pourquoi, demande saint Irénée, le mystère de l'incarnation attend-il pour s'accomplir le consentement de Marie ? » Et il se répond : « C'est que Dieu veut que Marie soit le principe de tout bien (3).» « L'ange, dit saint Bernard, attend votre réponse, ô Marie ! et nous, qui gémissons sous l'arrêt de la damnation, nous aussi, ô notre reine ! nous attendons de vous un mot de commisération. Voilà que Dieu remet entre vos mains le prix de notre salut. Dès que vous aurez consenti, nous serons sauvés. Dieu lui-même, qui se complaît dans votre beauté, désire ce consentement, moyennant lequel il avait décidé de sauver le monde ('). » O Marie ! nous vous implorons tous avec saint Augustin : « Ne tardez plus, ô sainte Vierge, à donner votre réponse ! ne tardez plus à faire régénérer le monde (2) ! »

     

    II.

     

    « Alors Marie lui dit (3). » Qu'a-t-elle dit, celle qui fut choisie pour être mère de Dieu ? au-dessus de laquelle Dieu lui-même, dans son omnipotence, assure saint Bonaventure, ne saurait faire rien de plus grand (4) ! Qu'a-t-elle dit, Marie, lorsqu'il dépendait de sa réponse d'être mère de Dieu ? lorsque Dieu, dans ce moment, avait remis entre ses mains toute son omnipotence ? Qu'a-t-clle dit, Marie ?... Écoute», orgueil humain... «Alors, Marie lui dit : Voici la servante du Seigneur (').» Comment, vous que Dieu institue en ce moment souveraine maîtresse du ciel et de la terre ; vous dont les Évangélistes n'osaient plus faire d'autre éloge, dès qu'ils ont dit une fois que vous êtes la Mère de Jésus (2) ! vous que le Fils de Dieu servira comme sa Mère, vous ne vous donnez d'autre titre que celui de Servante !

    Honte donc à nous, hommes vaniteux ! apprenons de la bouche de Marie que l'homme n'a rien qui soit à lui ; qu'il n'est rien de lui-même. C'est précisément ce sentiment d'humilité qui a valu à Marie l'honneur de devenir Mère de Dieu : car voilà ce qu'elle a daigné révéler elle-même à sainte Brigitte : « Comment ai-je mérité une telle grâce ? C'est uniquement parce que je sentais et que je savais n'être rien par moi-même et n'avoir rien à moi. Et que je ne désirais jamais de la gloire pour moi, mais uniquement pour mon créateur et mon bienfaiteur (3). »

    « Alors, Marie lui dit : Voici la Servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole. » Fiât mihi secundum verbum tuum. «0 fiât plein de puissance ! s'écrie saint Thomas, ô fiât plein d'efficacité ! ô fiât d'entre tous les fiât le plus vénérable (') ! » Oui, grâce à ce fiât ! le Verbe a été fait chair. Grâce a ce fiât ! le salut du monde est consommé. Marie a mérité par ce consentement, dit saint Bernardin de Sienne, la prééminence et la souveraineté du monde ; elle a obtenu un sceptre royal sur tout être créé (2). Par ce consentement à l'incarnation du Fils de Dieu, Marie a le plus victorieusement imploré et obtenu le salut de tous ; de sorte qu'à dater de ce moment, elle nous porte tous dans son sein, comme une véritable mère porte ses enfants (3).

    O Servante du Seigneur, qui êtes Mère de Dieu ! O humilité ! ne voulant se suffire à elle-même, et suffisant à contenir Dieu, que le monde entier ne saurait contenir ! (4) D'où vient donc une telle humilité, à côté d'une telle chasteté, d'une telle innocence, et même d'une telle plénitude des grâces de. Dieu ?... O Bienheureuse ! d'où vous vient l'humilité, et une telle humilité (5) ? »

    « Cette bienheureuse Vierge, dit saint Bernardin de Buste, a plus mérité par ces humbles paroles : « Voici la servante du Seigneur, » que toutes les créatures ensemble eussent pu mériter par toutes leurs vertus ('). Et, bien que la chasteté de Marie ait surtout conquis le cœur de Dieu, c'est à cause de son humilité qu'elle a mérité de concevoir le Fils de Dieu (2). »

    « L'humilité de Marie, dit saint Augustin, est devenue l'échelle par laquelle Dieu est descendu du ciel sur la terre (3). »

    L'humilité est aussi l'échelle pour monter au ciel, la seule qui nous y conduise. C'est par elle que Dieu descend dans- nos cœurs ; c'est par elle qu'il nous élève vers lui.

    0 la plus humble des créatures, priez pour nous, qui sommes remplis d'orgueil, afin que nous devenions humbles ; et qu'ainsi votre humilité, qui esf notre exemple, devienne notre salut.

    III.

    A l'instant même où Marie dit : « Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole : le Verbe a été fait chair, et il a habité parmi nous ('). » « 0 Marie ! temple de Dieu, tabernacle du SaintEsprit ! (2) » Nous adorons le Verbe qui s'est fait chair dans votre très chaste sein, et qui y a demeuré pendant neuf mois. Et vous, Terre sanctifiée, Terre choisie, Terre promise ; vous, qui nous avez apporté dans votre sein le pain de la vie, soyez saluée ! chérie ! adorée ! Que notre vénération vous entoure, que notre amour nous attache à vous ! Et, de même que Moïse, en s'approchant du buisson ardent, avait ôté les souliers de ses pieds ; de même, en nous approchant de vous, nous voulons nous dépouiller de tout ce qui pourrait offenser la sainteté de Dieu, dont vous êtes la demeure. Et de même que Moïse contemplait le buisson ardent, qui n'était que votre symbole, nous ne cesserons de vous contempler avec une ravissante extase.

    Que votre frayeur à la vue de l'ange nous apprenne la modestie Que votre circonspection, quand « vous pensiez quelle pouvait être cette salutation, » nous apprenne la prudence ; principalement en tout ce qui pourrait flatter notre amour-propre. Que le cristal de cette chasteté, que vous avez préférée à l'honneur de la maternité de Dieu, nous entraîne par son charme à aimer la chasteté. Que votre foi, par laquelle vous avez cru totalement et complétement à la toute-puissance divine dans l'inconcevable mystère de l'Incarnation ; mystère que nous devons admirer, devant lequel nous devons nous humilier bien plus que devant celui de la création ; que votre foi donc, par laquelle vous avez cru à Dieu mieux que personne n'a su croire, que votre foi, ô Marie, fortifie la nôtre !

    Que l'amour qui a envahi votre cœur, ô Marie ! quand le Saint-Esprit est survenu en vous, que votre amour envahisse nos cœurs insensibles ; qu'il les entoure de flammes, qu'il les embrase de l'ardent amour de Dieu ! Et, comme vous, toute plongée dans l'amour de Dieu, vous qui aviez perdu le sentiment de vous-même, pour vous sentir toute en Dieu ; et qu'ainsi, la plus obéissante et la plus humble des femmes, vous avez dit : Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ; » et que par ces mots vous avez obtenu le salut du monde : de même puissions-nous, foulant aux pieds notre amour-propre, entrer, en vous suivant, dans l'amour de Dieu ! puissions-nous, humbles et obéissants, nous remettant à la volonté de Dieu, obtenir de participer à ce salut, en répétant avec vous en toute sincérité, et du plus profond de notre cœur : « Voici les serviteurs du Seigneur, qu'il nous soit fait selon votre parole ! »

     

    POUR LE 7ème JOUR DU MOIS

     

    POUR LA FETE DE LA VISITATION DE LA SAINTE VIERGE.

    (22 juillet)

    ÉVANGILE DE SAINT LUC, I, 39-56.

    « Marie partit en ce même temps, et s'en alla en diligence vers les montagnes, en une ville de Juda ; et étant entrée dans la maison de Zacharie, elle salua Élisabeth. Aussitôt qu'Élisabeth eut entendu la voix de Marie, qui la saluait, son enfant tressaillit dans son sein, et Elisabeth fut remplie du Saint-Esprit. Alors élevant sa voix, elle s'écria : Vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de votre sein est béni ; et d'où me vient ce bonheur, que la mère de mon Seigneur vienne vers moi ? Car votre voix n'a pas plutôt frappé mon oreille, lorsque vous m'avez saluée, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Et vous êtes bien heureuse d'avoir cru ; parce que ce qui vous a été dit de la part du Seigneur sera accompli. Alors Marie dit : Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante. Car désormais je serai appelée bienheureuse dans la suite de tous les siècles, parce qu'il a fait en moi de grandes choses, lui qui est tout-puissant et de qui le nom est saint. Sa miséricorde d'âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a déployé la force de son bras ; il a dissipé ceux qui s'élevaient d'orgueil dans les pensées de leur cœur. Il a renversé les grands de leurs trônes, et il a élevé les petits. Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés, et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches. Il s'est souvenu de sa miséricorde, et il a pris en sa protection Israël son serviteur, selon la promesse qu'il a faite à nos pères, à Abraham, et à sa race pour toujours. Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois ; et elle s'en retourna en sa maison ('). »

     

     

    I.

    « Marie partit en ce même temps, et s'en alla en diligence vers les montagnes, en une ville de Juda ; et étant entrée dans la maison de Zacharie, elle salua Elisabeth ('). »

    L'ange du Seigneur avait annoncé à Marie qu'Elisabeth, sa cousine, avait conçu un fils dans sa vieillesse, et Marie se hâta de la visiter. « Elle n'y est pas allée en incrédule pour vérifier la prédiction de l'ange, observe saint Ambroise, elle y a été conduite par la foi, se réjouissant de la parole de Dieu, se hâtant d'arriver, afin de rendre un service de charité : car la grâce du Saint-Esprit ne souffre point de délai (2). » « Qu'est-ce donc qui la pressait, ajoute saint Bernard, à rendre ce service de charité avec tant de diligence, si ce n'est l'amour qu'elle nourrissait dans son cœur (3)?»

    Que de grâces de Dieu entrèrent avec Marie dans la maison d'Elisabeth! que de grâces de Dieu descendirent sur cette famille par l'entremise de Marie, qui est devenue, selon l'expression de saint Bernard, par la conception du Fils de Dieu, « un aqueduc de l'eau de salut, par lequel toutes les grâces de Dieu découleraient toujours sur les hommes ('). »

    « Aussitôt qu'Elisabeth eut entendu la voix de Marie qui la saluait, son enfant tressaillit dans son sein, et Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit (2). » Et non seulement Elisabeth, mais aussi l'enfant sanctifié dans son sein, qui, rempli du Saint-Esprit, a tressailli de joie, et du sein d'Elisabeth a rendu témoignage au Verbe de Dieu dans le sein de Marie. C'est la première et la plus miraculeuse prophétie, le premier témoignage rendu par saint Jean-Baptiste à Jésus-Christ. Dieu nous a montré par ce miracle inouï qu'il avait déposé dans Marie la toute-puissance de sa grâce ; qu'il en avait fait son trésor et son trésorier.

    Par la conception du Fils de Dieu dans son sein très pur, Marie est devenue pour toujours ce champ qui cache un trésor dont parle Jésus-Christ (3).

    « Marie est ce champ, dit saint Bonaventure, qui cache le trésor de Dieu le Père (4) ; Marie est le trésor des grâces divines (5), dit saint Pierre Damien. Le bienheureux Albert le Grand appelle Marie « trésor de Jésus-Christ ('), et saint Bernardin la nomme « Dispensatrice des grâces divines (2). Entre vos mains, ô Marie ! s'écrie saint Pierre Damien, se trouvent tous les trésors de la-miséricorde divine (3), à quoi saint Germain ajoute : « Personne n'est sauvé que par vous ; personne n'obtient les dons de Dieu que par vous (4). »

     

    De cette vallée de misère et de péché nous vous invoquons, ô Marie ! Ramenez les égarés, visitez les affligés, soutenez le courage des exilés ; éclairez-nous, consolez nous, conduisez-nous à votre Fils, et la fin de notre exil sera arrivée ; et nous aurons recouvré le paradis de grâce, d'où nos péchés nous ont chassés.

     

    II.

     

    « Et Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit. Alors élevant sa voix, elle s'écria : Vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de votre sein est béni ! Et d'où me vient ce bonheur, que la Mère de mon Seigneur vienne vers moi ? Car votre voix n'a pas plutôt frappé mon oreille, lorsque vous m'avez saluée, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Et vous êtes bienheureuse d'avoir cru, parce que ce qui vous a été dit de la part du Seigneur sera accompli ('). .»

    Voyons la réponse de Marie à cet hommage rendu à la mère de Dieu. Celle qui allait devenir mère de Dieu s'était appelée la servante du Seigneur, en répondant à l'ange qui lui annonçait sa sainte maternité : maintenant qu'elle portait déjà le Fils de Dieu dans son sein, quel sera le titre qu'elle se donnera devant les hommes ?

    « Alors Marie dit : Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie, en Dieu, mon Sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante (2). 0 hymne, au-dessus de tous les hymnes ! expression sublime du cœur de Marie, qui chantera éternellement du fond de son âme la gloire de Dieu et le salut des hommes !

    0 Marie ! vous ne sauriez cacher votre gloire en proclamant la gloire de Dieu ; et vous serez toujours la plus rayonnante, car vous êtes la plus humble. Vous vous appelez toujours la servante du Seigneur, nous vous appellerons toujours souveraine de toute créature. Vous parlez de votre bassesse, nous chanterons toujours cette grandeur à laquelle Dieu vous a élevée au-dessus de toutes les grandeurs de la terre et du ciel, lorsqu'il a « regardé la bassesse de sa servante. »

    Voyons la continuation de cet hymne, ou plutôt de cette prophétie de Marie : « Désormais, dit-elle, je serai appelée bienheureuse dans la suite de tous les siècles (') » Pourquoi ? Est-ce à cause d'elle-même ? — Non, mais à cause de Dieu auquel elle rapporte toute gloire, comme elle l'a reçue toute de lui : « Parce qu'il a fait en moi de grandes choses, dit-elle, lui qui est toujours puissant, et de qui le nom est saint (a). » « Et quelles sont ces grandes choses, Marie ? Pourquoi ne les nommez-vous pas ? — Oh ! c'est qu'elles sont inexprimables (3J, » dit saint Thomas de Villeneuve. C'est à cause de ces grandes choses, ô Marie ! que désormais quiconque bénira Jésus, vous bénira aussi. Oui, quiconque s'adressant au Christ guérissant, au Christ enseignant, au Christ effaçant les péchés, au Christ donnant son corps pour nourrir nos âmes, et son sang pour purifier nos consciences ; au Christ mourant pour nous sur la croix, au Christ ressuscitant d'entre les morts, au Christ remontant aux cieux ; au Christ assis à la droite de son Père, dans le séjour de la gloire ; quiconque, dis-je, dans l'extase d'amour et de reconnaissance, s'adressant au Christ, se sera écrié avec la femme de l'Évangile : « Heureuses les entrailles qui vous ont porté, et les mamelles qui vous ont nourri (') ! » en bénissant Jésus, vous bénira aussi, ô* divine Marie !

    « Toutes les nations vous nommeront bienheureuse, car c'est pour toutes les nations que vous avez enfanté la vie et la gloire (2). » « Et c'est à juste titre que vous êtes bienheureuse et bénie, dit saint Ildephonse, car c'est par vous que la bénédiction descend sur toutes les nations (3). » Car vous avez apporté à toutes les nations la miséricorde divine que vous glorifiez , en disant : « Sa miséricorde s'étend d'âge en fige sur ceux qui le craignent (4). » Et nous ajoutons : « sur ceux qui vous aiment ; » car vous, Marie, vous êtes la mère de miséricorde, comme vous-même vous l'avez déclaré en ces termes : « Je suis appelée la mère de miséricorde, et en vérité la miséricorde du Fils m'a rendue miséricordieuse (5). »

    O servante du Seigneur et souveraine du monde ! ô servante du Seigneur et reine de tous les peuples ! ô servante du Seigneur et mère de miséricorde ! faites que nous soyons vos serviteurs, et payez éternellement nos services en miséricorde du Seigneur !

    III.

    « En moi est toute la grâce de la voie et de la vérité ; en moi est toute l'espérance de la vie et de la vertu ('). » Ces paroles du Sage du Seigneur conviennent parfaitement à Marie. Le Christ est le distributeur de la grâce ; le Christ est la voie, la vérité et la vie ; le Christ est le maître de la vertu ; et Marie est la mère du Christ. Et ce qui est dit de la Sagesse se rapporte également à Marie : « Celui qui m'aura trouvée, trouvera la vie, et il puisera le salut du Seigneur (2). » C'est par Marie que Dieu nous donna Jésus, c'est-à-dire la vie : Marie est donc par Dieu la source de la vie ; et ce n'est que de cette source, c'est à-dire de Marie, que nous pouvons puiser le salut du Seigneur. Aussi saint Méthode s'écrie : « 0 bienheureuse ! vous êtes le commencement, le milieu et la fin de notre sanctification (3) ! »

    Chacun peut puiser à cette source de la vie. Marie nous y invite tous ; elle nous attend tous, et ne dédaigne aucun pécheur. Comment se fait-il qu'avec une source inépuisable, à laquelle nous pouvons puiser toujours, à laquelle nous avons puisé souvent, nous ayons cependant puisé si peu ? C'est que nous puisons dans des vases fêlés, crevassés par le feu du péché : de sorte que les grâces les plus abondantes s'en échappent tout de suite ; comme Marie a daigné en informer sa fidèle servante, la vénérande Marie Villani. Gardons-nous donc du péché, gardons-nous de ce feu qui fait crevasser le vase destiné à recevoir la grâce de Dieu ; et si malheureusement il entrait dans nos âmes, éteignons-le à l'instant avec des larmes de la pénitence, et implorons Marie, qu'elle vienne sonder les fentes de nos cœurs avec la flamme de son amour.

    0 ! visitez-nous, Marie ! visitez-nous ! Lavez-nous du péché avec les torrents des grâces divines ; étreignez-nous, et enlevez-nous vers Dieu, afin que nous devenions des vases purs et sains, dignes de contenir le baume des grâces divines et les dons du SaintEsprit. « Les richesses sont avec vous, pour enrichir ceux qui vous aiment ('). » «Pauvres déshérités, nous héritons par vous la miséricorde ; ingrats, nous obtenons la grâce ; pécheurs, le pardon ; de faibles, nous devenons forts ; de terrestres, célestes ; mortels, nous recevons la vie ; exilés, nous recouvrons notre patrie (2). » Hâtez-vous donc de venir à nous : nous courons vers vous !

     

    POUR LE 8ème JOUR DU MOIS

    et POUR LA FÊTE DE LA MATERNITÉ DE LA SAINTE VIERGE. (Le 2e dimanche d'octobre.)

    ÉVANGILE DE SAINT LUC, II, . 1-19.

    « Vers ce même temps, on publia un édit de César Auguste, pour faire un dénombrement de toute la terre. Ce fut le premier dénombrement qui se fit par Cyrinus, gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire enregistrer chacun dans sa ville. Joseph partit aussi de la ville de Nazareth, qui est en Galilée, et vint en Judée, à la ville de David, appelée Bethléhem, parce qu'il était de la maison et de la famille de David, pour se faire enregistrer avec Marie son épouse, qui était grosse. Pendant qu'ils étaient là, il arriva que le temps auquel elle devait accoucher s'accomplit, et elle enfanta son fils premier-né, et l'ayant emmaillotté, elle le coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait point de place pour eux dans l'hôtellerie. Or, il y avait aux environs des bergers qui passaient les nuits dans les champs, veillant tour à tour à la garde de leurs troupeaux ; et tout d'un coup un ange du Seigneur se présenta à eux, et une lumière divine les environna, ce qui les remplit d'une extrême crainte. Alors l'ange leur dit : Ne craignez point, car je viens vous apporter une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie ; c'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur, et voici la marque : Vous trouverez un enfant emmaillotté, couché dans une crèche. Au même instant il se joignit à l'ange une grande troupe de l'armée céleste, louant Dieu et disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes chéris de Dieu. Après que les anges se furent retirés dans le ciel, les hergers se dirent l'un à l'autre : Passons jusqu'à Bethléhem, et voyons ce qui est arrivé, et ce que le Seigneur nous a fait connaître. S'étant donc hâtés d'y aller, ils trouvèrent Marie et Joseph, et l'enfant couché dans une crèche, et l'ayant vu, ils reconnurent ce qui leur avait été dit touchant cet enfant ; et tous ceux qui l'entendirent admirèrent ce qui leur avait été rapporté par les bergers. Or Marie conservait toutes ces choses, les repassant dans son cœur ('). »

     

     

    I.

    « Et elle enfanta son fils premier-né, et l'ayant emmaillotté, elle le coucha dans une crèche ('). Dieu se fit homme : la Vierge est devenue mère, et mère de Dieu. De ces deux mystères, lequel est le plus profond ? De cet anéantissement de Dieu par amour pour nous et pour notre salut ? ou de cette exaltation de Marie, afin de nous sauver par Marie, en venant au monde par Marie ? Nous n'avons qu'à nous prosterner et à glorifier Dieu dans ces deux mystères. Félicitons Marie de ce qu'elle est mère de Dieu ; réjouissons-nous de son bonheur, qui est aussi le nôtre, et chantons sur tous les accents, avec la sainte Église, du fond de nos cœurs, la gloire de la virginité et de la maternité de la Vierge, mère de Dieu :

    Sainte Marie ! sainte mère de Dieu ! sainte Vierge des vierges ! mère de Jésus-Christ ! mère de la divine grâce ! mère très pure ! mère très chaste ! mère toujours vierge ! mère sans tache ! mère aimable ! mère admirable ! mère du Créateur ! mère du Sauveur ! faites que nous puissions glorifier dignement votre maternité ; et, par la vertu de votre maternité, donnez-nous la foi, l'espérance, et surtout la charité.

    Selon la dignité, la grandeur, la sainteté et la bonté de Jésus, nous devons juger de la dignité, de la grandeur, de la sainteté et de la bonté de Marie ; car le Saint-Esprit l'a dit : « Le fils tire sa gloire de l'honneur du père, et un père sans honneur est le déshonneur du fils ('). » Et puisque le Christ, comme homme, n'avait point de père, mais une mère seulement, la gloire du Christ, en tant que Fils de l'homme, et toutes les qualités de ce suprême Pontife viennent de la gloire de Marie. Et comme il était bien raisonnable que nous eussions un pontife, comme celui-ci, dit l'Apôtre, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et plus élevé que les cieux (2), » il convenait aussi que sa mère, Marie, fût sainte, innocente, sans tache, séparée des pécheurs, et plus élevée que les deux : car, dit saint Bernard, « le Créateur venant au monde comme homme, a dû se choisir une mère qu'il savait lui convenir ('). » Et saint Thomas nous apprend « que Dieu donne à chacun sa grâce selon sa mission (2). » Dieu avait choisi pour ses Apôtres des hommes simples, et qui n'étaient point sans péché ; mais puisqu'il les avait choisis, il les a rendus dignes de leur mission, comme saint Paul nous le dit expressément : « Il nous a rendus capables d'être les ministres de la nouvelle alliance (3). » Et comme Marie n'était pas seulement choisie, mais créée pour être mère du Fils de Dieu, il est évident que nous ne saurions comprendre de combien de grâces Dieu l'avait ornée et préparée pour cette mission, à quelle dignité il l'avait élevée.

    La première qualité inhérente à la maternité de Marie, comme mère de Dieu, c'est qu'elle est vierge mère. « Car il ne convenait pas à Dieu d'avoir d'autre mère que la Vierge par excellence, et à la Vierge d'avoir d'autre Fils que Dieu, dit saint Bernard. Seule entre les femmes, continue-t-il, seule vous avez été trouvée digne d'offrir une demeure au Roi des rois dans le royal palais de votre virginité ('). » « Vous êtes la seule, proclamons-le avec saint Augustin, qui ait mérité d'être appelée épouse et mère de Dieu (3). » Répétons, enfin, avec la sainte Église : « Bienheureuse la Vierge dont les entrailles avaient mérité de porter notre Seigneur Jésus-Christ (3). »

    II.

    La deuxième prérogative de la maternité divine de Marie, c'est d'être devenue mère de tous les élus et reine du monde, régnant avec son fils Jésus : « En donnant naissance à l'Auteur de la vie, Marie a fait naître plusieurs à la vie (4), » dit saint Guillaume. « Une jeune Vierge, dit saint Pierre Chrysologue, pour avoir reçu Dieu dans son sein, obtint en récompense la paix au monde, la rédemption aux condamnés, et la vie aux morts (5). » « Si celui qui est né de la Vierge est roi, dit saint Athanase, la mère qui l'a mis au monde est justement reconnue pour reine et souveraine ('). » Saint Thomas nous dit : « que, lorsque Marie avait conçu et mis au monde le Fils de Dieu, elle a obtenu la moitié de la royauté de Dieu ; de sorte qu'elle est reine de miséricorde, comme le Christ son fils est le roi de justice (2). » Et le Psalmiste chante ainsi la gloire de Jésus et de Marie : « Votre trône, ô Dieu, éternellement, le sceptre de votre règne sera un sceptre de rectitude et d'équité. Vous avez aimé la justice et haï l'iniquité ; c'est à cause de cela , ô Dieu, que votre Dieu vous a oint d'une huile de joie, d'une manière plus excellente que tous ceux qui ont part avec vous (3). » Il désigne par là Jésus et son sceptre d'équité ; et, plus loin, en disant : « La Reine s'est tenue à votre droite, ayant un habit enrichi d'or (4), » il parle de Marie comme reine de miséricorde. Dans un autre endroit, le Psalmiste réclame à Dieu le sceptre du Christ : « O Dieu ! donnez au roi vos jugements, et au fils du roi votre justice ('). » Et nous, réclamons à Dieu, avec saint Bonaventure, le sceptre de Marie : « 0 Dieu ! donnez au roi vos jugements, et votre miséricorde à la mère du roi (2) ! » Mais Dieu avait exaucé nos prières avant même que nous les lui eussions adressées, car il nous donna dans cette mère du roi la mère de miséricorde, « qui est, pour les pécheurs repentants d'autant plus propice et miséricordieuse, qu'elle est plus élevée en honneur et en sainteté (3). » Elle tient dans ses mains le pain de la vie, « et la loi de la clémence est sur sa langue (4). »

    0 mère admirable ! mère de miséricorde ! nous nous réfugions près de vous, pour échapper à l'inondation de nos péchés et aux coups de la justice divine, afin de ne pas être engloutis dans nos iniquités et par nos iniquités. Vous êtes l'arche d'alliance et l'arche de salut. Et comme l'arche de Noé avait préservé du déluge tout ce qu'elle renfermait, de même, ô Marie ! vous préserverez des tempêtes du péché tous ceux qui se réfugieront dans votre sein. L'arche de Noé ne devait sauver qu'un petit nombre : mais vous, ô Marie ! vous, arche de Dieu ! vous êtes pour le salut de tous. Ainsi nous cherchons en vous notre refuge, nous vous implorons : sauvez-nous, car vous êtes mère de Dieu ; sauvez-nous, car vous êtes notre mère ! « 0 mère de tous les vivants (') ! » « ô mère de tous les croyants (2) ! » sauvez-nous !

    III.

    « Heureuse Marie ! s'écrie saint Bernard, vous êtes la mère du criminel et la mère du juge : mère de tous les deux, vous ne souffrirez pas qu'il y ait de la discorde entre ces deux frères. Vous engagerez le coupable au repentir, et dans votre sein de miséricorde vous engagerez le juge à la clémence, et vous les aurez réconciliés tous les deux (3) » « O bienheureuse assurance ! ô toute notre espérance ! s'écrie saint Anselme, la mère de Dieu est aussi ma mère ! Quelle sécurité pour nous ! quelle certitude pour nos espérances ! puisque notre salut est entre les mains d'un frère bienfaisant et d'une mère miséricordieuse (4) ! » Élevons donc notre voix, pour nous écrier avec saint Bonaventure : « 0 mon âme ! dis et redis avec confiance : Je me réjouirai et je ferai paraître ma joie de ce que mon jugement dépend de l'arrêt de mon frère et de ma mère ('). » « 0 ! que nous sommes bien sous la protection d'une telle mère ! dit Bellarmin. Qui pourrait nous arracher de son sein ? quelle tentation ou quelle crainte seraient capables de nous vaincre, nous qui avons confiance dans la protection de la Mère de Dieu, qui est aussi la nôtre (2) ? »

    Celui-là seul peut se perdre, qui ne veut pas devenir un bon fils de Marie. Malheur, malheur à celui qui serait mauvais fils de Marie ! Malheur, malheur à lui ! Dieu même le maudit : « Maudit est de Dieu, celui qui aigrit l'esprit de sa mère (3). » « Il blesse Marie, celui qui n'est point pénétré de respect pour sa maternité divine ; celui qui ne travaille pas à se rendre semblable à Elle, ainsi qu'à son divin Fils ; il contriste Marie celui qui vit dans l'insouciance, la paresse ou l'indifférence ; il offense Marie l'avare qui préfère son or à tout ; le voluptueux qui ne songe qu'à ses plaisirs infâmes ; le blasphémateur qui profane le nom sacré du Seigneur ; le voleur qui ne respecte pas le bien du prochain. Il soulève le cœur de Marie et le ferme à sa tendresse, l'orgueilleux qui met sa gloire en lui-même ; le dédaigneux qui méprise le prochain ; le cruel qui n'a point de pitié ; le moqueur qui tourne tout en dérision ; l'envieux à qui tout porte ombrage ; le méchant dont le bonheur est de faire du mal. Il la prierait en vain l'homme impitoyable qui ne sait pas pardonner ; il mérite surtout son indignation le plus dangereux des ennemis de ses frères, le meurtrier des âmes, le corrupteur et le tentateur, celui qui, de fils et serviteur de Marie, se fait compagnon et serviteur de Satan. »

    « Il est maudit de Dieu, celui qui aigrit l'esprit de sa mère('). » Oui, mais Marie ne l'a pas maudit ; car Marie n'est que miséricorde. Ainsi, pécheur, si grand pécheur que vous soyez, adressez-vous hardiment à Marie, elle est votre mère ; adressez-vous hardiment à Marie, elle vous appelle, elle vous tend les bras, pour que vous puissiez vous y reposer de vos iniquités ; elle vous ouvre son cœur et celui de Jésus, bien que vous les ayez percés tous les deux ! Vous avez été arrogant et entêté, contemplez Marie, et vous deviendrez doux, humble et pacifique, comme l'Agneau de Dieu qu'elle avait porté dans son sein. « Que de gens orgueilleux, dit saint Alphonse de Liguori, sont devenus humbles, grâce à leur dévotion pour Marie ! que d'emportés qui sont devenus doux ! que d'aveugles qui ont gagné la vue ; que de désespérés qui ont recouvré l'espérance et la confiance sans bornes ! que de damnés qui furent sauvés ! »

    0 Marie ! de loin je viens ; de loin je reviens vers vous ; vous savez ce qui me mauque, car vous êtes ma mère. Je me présente seulement devant vou s; je me prosterne à vos pieds ; je vous ouvre mon cœur, et je vous adresse les paroles de saint Bonaventure : « Je vous salue, ma souveraine ! ma mère ! vous, qui êtes mon cœur et mon âme, je vous salue (') ! » Et vous, ô Marie ! vous me relèverez, vous me guérirez, vous me sauverez !

     

     

    POUR LE 9ème JOUR DU MOIS

    POUR LA FETE DE LA PURETE DE MARIE.
    (Le 3ème dimanche d'octobre.)

    I.

    « 0 virginité sainte et sans tache de Marie ! comment ferai-je pour vous glorifier ? car c'est par vous que nous est donné notre Sauveur, notre Seigneur Jésus-Christ ('). »

    « 0 Marie ! vous êtes la fleur sur laquelle s'est reposé l'Esprit du Seigneur (2) ; » non seulement pour conserver, mais encore pour augmenter son parfum et son charme.

    Vous êtes la Vierge des vierges, tant à cause de votre virginité qu'à cause de votre maternité !

    Vous êtes la Vierge des vierges, à cause de votre pureté au-dessus de toutes les puretés ; par laquelle vous avez tellement plu à Dieu, qu'il vous a choisie pour cette Vierge qu'avait prédite Isaïe, en disant :

    « Une Vierge concevra, et elle enfantera un fils qui fera appelé Emmanuel ('). »

    Vous êtes aussi la Vierge des vierges, à cause de votre maternité ; car, étant vierge, et restant vierge, vous êtes devenue mère ; et, ô miracle des miracles ! mère de Dieu !

    Vous étiez vierge au moment de la conception ; car vous avez conçu par l'opération du Saint-Esprit. Vous étiez vierge au moment de l'enfantement, car vous enfantiez Dieu. Vous êtes vierge après l'enfantement, car vous avez enfanté Dieu (2).

    « Après l'enfantement, vous êtes restée toujours vierge, bienheureuse mère de Dieu, Marie! vierge pour l'éternité ! Temple du Seigneur, sanctuaire du Saint-Esprit ! La seule et unique, vous avez complu à notre Seigneur Jésus-Christ (3) ! »

    Le Fils de Dieu vous a choisie pour sa mère, à cause de votre pureté. « Vous avez conservé votre pureté au-dessus de toute créature humaine ; et voilà pourquoi vous avez conçu dans votre sein notre Seigneur Jésus-Christ (4). »

    C'est encore à vous que s'adressent ces paroles du Cantique des cantiques : « Je suis la fleur des champs, et je suis le lis de la vallée (l). »

     

    Oui, sur notre champ désert et rempli d'épines, vous êtes la fleur seule et unique. Dans cette vallée de pleurs et de péchés, vous êtes le lis seul et unique, le lis de pureté.

     

    « Tel que le lis entre les épines, telle est ma bien-aimée entre les filles (2); » et entre les fils du péché.

     

    Dieu vous a regardée, et il s'est épris de vous, de sa bien-aimée, à cause de votre pureté.

     

    Dieu vous a regardée, et il a eu pitié de ces épines parmi lesquelles vous vous trouviez ; et en vous faisant mère du Rédempteur et des rachetés, il a transformé toutes ces épines en lis.

     

    0 Fleur des champs ! ô Lis de la vallée ! veillez sur notre pureté, pour que nous fleurissions à côté de vous dans le ciel !

     

    II.

     

    «Je me suis reposée sous l'ombre de celui-ci que j'avais désiré, et son fruit est doux à ma bouche (3). » Personne n'a désiré la venue du Fils de Dieu au monde comme Marie. Aussi qui pourra jamais concevoir ces flammes si pures qui ont embrasé son âme quand elle l'eut enfanté. Lorsqu'elle désirait seulement la venue de Jésus-Christ, aussi bien que lorsqu'elle l'eut enfanté, déjà Notre-Seigneur fut pour Marie cet Arbre de vie sous l'ombre duquel elle se reposait, des fruits duquel elle se nourrissait. Le Christ fut pour Marie le Paradis, d'où elle n'est jamais sortie, d'où elle ne pouvait jamais sortir ; car l'amour parfait l'y enchaînait volontairement. Le Christ fut pour Marie le Paradis dans lequel, à l'abri du monde et de Satan, elle n'a pas seulement conservé sa pureté sans tache ; mais encore, par l'effet de l'enfantement du Fils de Dieu, cette pureté est devenue plus resplendissante, plus rayonnante, plus ravissante, plus parfaite ; relevée au-dessus de la pureté des Anges, et la plus rapprochée de celle de Dieu même, car le Christ lui-même fut le gardien et le fruit de cette pureté. « Je me suis reposée, dit-elle, sous l'ombre de celui que j'avais désiré, et son fruit est doux à ma bouche ('). »

    0 Jésus, qui aimez la pureté ! soyez aussi le gardien de la nôtre, afin que nous puissions aussi goûter de vos fruits, en méritant la bénédiction promise à ceux qui sont purs : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu (2). »

    0 Marie ! mère très pure ! mère très aimable ! faites que nos cœurs épris de votre pureté, et devenus semblables au vôtre par la pureté du corps et de l'âme, puissent demeurer avec votre cœur dans le cœur de Jésus, et que dans l'extase du bonheur et de la joie, nous chantions avec vous : « Je me suis reposée sous l'ombre de celui que j'avais désiré, et son fruit est doux à ma bouche ('). »

    III.

    En glorifiant Marie, saint Ambroise nous adresse les paroles suivantes, pour nous exciter à imiter ce modèle parfait : « Qu'y a-t-il de plus digne que la Mère de Dieu ? Qu'y a-t-il de plus resplendissant que celle que la Lumière même a choisie ? Qu'y a-t-il de plus pur que celle qui, sans tache corporelle, a enfanté le corps d'un enfant ? Et que dire de ses autres vertus !... Elle n'était pas seulement vierge de corps, mais d'âme, restant toujours fidèle à Dieu. Humble de cœur, grave de parole, judicieuse d'esprit, sobre de langage, s'appliquant à la lecture, mettant ses espérances dans les prières du pauvre et non dans les richesses trompeuses ; prudente dans ses actions, modeste dans son parler, accoutumée à regarder Dieu comme juge de ses pensées, et non les hommes ; ne faisant de mal à personne, bienveillante pour tous ; évitant les louanges, prenant la raison pour guide et la vertu pour son flambeau (2). »

    C'est l'admirable pureté de Marie, qui avait donné naissance à toutes ses vertus, et en avait fait le miroir de justice reflétant le plus exactement toutes les vertus de Jésus-Christ. Contemplons souvent ce miroir, cette image parfaite de Dieu, afin qu'à son exemple nous puissions aussi nous rapprocher de Dieu, selon ces paroles de saint Paul : « Ainsi nous tous, n'ayant point de voile qui nous couvre le visage, et contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, nous avançaut de clarté en clarté, comme par l'Esprit du Seigneur ('). »

    Mais l'humilité doit inévitablement servir de garde à cette admirable pureté qui, en faisant naître Dieu dans notre cœur, y fait naître aussi toutes les vertus : la pureté sans humilité ne saurait durer longtemps ; elle languirait et mourrait infailliblement, sans apporter de fruit pour la vie éternelle.

    C'est par la pureté et l'humilité jointes ensemble que Marie attira Dieu dans son sein. Dieu la prépara et l'orna de pureté et d'humilité pour en faire la mère de son Fils. «Dieu a voulu, dit saint Bernard, qu'elle fût et demeurât vierge, afin que de son sein immaculé notre Sauveur sortît radieux pour effacer tous nos péchés. Il a voulu qu'elle fût humble, afin qu'il en sortît le doux et l'humble de cœur, afin de nous donner l'exemple de la douceur et de l'humilité. Afin donc que celle qui devait concevoir et enfanter le Saint des saints fût sainte dans son corps, elle reçut le don de virginité ; et, pour qu'elle fût sainte dans son âme, elle reçut le don d'humilité... Et l'Ange fut envoyé à la Vierge, vierge de corps, vierge d'âme, vierge par vocation, vierge enfin comme l'Apôtre nous l'a décrite, c'est-à-dire sainte de corps et d'âme. Ce n'est point inopinément ou par hasard qu'elle s'est rencontrée, mais elle a été choisie dans l'éternité, prévue et préparée par le Très-Haut, gardée par les Anges, figurée dans les visions des Patriarches, promise par les Prophètes ('). »

    Saint Pierre Chrysologue nous dit : « Elle a donné la gloire aux Cieux, Dieu à la terre, et la foi aux gentils ; elle a mis un terme aux crimes, de l'ordre dans la vie, de la discipline dans les mœurs. La vierge a reçu de l'Ange la grâce qu'il apportait, pour rendre au monde le salut éternel. Vierge bénie et bienheureuse qui possède l'ornement de la virginité et l'honneur de la maternité ! vierge bienheureuse qui a mérité d'en haut la grâce de la conception, et qui a conservé la couronne virginale ! vierge bienheureuse qui a obtenu la gloire d'avoir conçu Dieu, et resta reine de toute pureté (') ! o bienheureuse ! vous dirons-nous, avec la sainte Eglise : « Vous avez enfanté celui qui vous a créée, et vous restez vierge pour l'éternité (2). »

     

    POUR LE 10ème JOUR DU MOIS

     

    POUR LA FETE DE LA PURIFICATION DE LA SAINTE VIERGE.

    (2 février)

    ÉVANGILE DE SAINT LUC, II, 22-35.

    « Et le temps de la purification de Marie étant accompli, selon la loi de Moïse, ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu'il est écrit dans la loi du Seigneur : Tout enfant mâle premier-né sera consacré au Seigneur ; et pour donner ce qui devait être offert en sacrifice, selon qu'il est écrit dans la loi du Seigneur, deux tourterelles ou deux petits de colombes. Or, il y avait dans Jérusalem un homme juste et craignant, nommé Siméon, qui vivait dans l'attente de la consolation d'Israël, et le Saint-Esprit était en lui. Il lui avait été révélé par le Saint-Esprit qu'il ne mourrait point qu'auparavant il n'eût vu le Christ du Seigneur. Il vint donc au temple par l'esprit. Et comme le père et la mère de l'enfant Jésus l'y portaient, afin d'accomplir pour lui ce que la loi avait ordonné, il le prit entre ses bras, et bénit Dieu, en disant : C'est maintenant, Seigneur, que vous laisserez mourir en paix votre serviteur, selon votre parole, puisque mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous donnez, et que vous destinez pour être exposé à la vue de tous les peuples, comme la lumière qui éclairera les nations, et la gloire d'Israël votre peuple. Le père et la mère de Jésus étaient dans l'admiration des choses que l'on disait de lui. Et Siméon les bénit, et dit à Marie sa mère : Cet Enfant est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs dans Israël, et pour être en butte à la contradiction des hommes : votre âme même sera percée par une épée, afin que les pensées dans le cœur de plusieurs soient découvertes ('). »

     

     

    I

    « Et le temps de la purification de Marie étant accompli, selon la loi de Moïse, ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur ('). »

    La mère, selon la loi de Moïse, ayant enfanté un fils premier-né, devait rester renfermée pendant quarante jours dans sa maison, comme impure ; cette époque passée, elle se rendait au temple pour sa purification, en y apportant son premier-né pour le consacrer à Dieu. Cette cérémonie accomplie, elle rachetait son fils par l'offrande d'un agneau et d'une colombe ; ou bien, en cas de pauvreté, par les deux jeunes colombes.

    Marie n'était point obligée de remplir ce devoir, car, comme l'observe saint Léon, « au moment même où elle conçut, elle reçut la purification (2). » Comme mère restée vierge, elle n'avait donc pas besoin de purification ; comme mère de Dieu, elle n'avait pas à consacrer son fils. Elle s'est soumise cependant volontiers et volontairement à ces deux préceptes, par respect pour la loi, pour donner l'exemple du strict accomplissement de ses commandements ; pour épargner le scandale à ceux qui ignoraient sa miraculeuse maternité ; pour cacher au monde sa sainteté et sa gloire ; pour avoir le mérite de l'obéissance, de l'humilité et du sacrifice volontaire ; enfin, pour rendre à Dieu une gloire infinie par le sacrifice d'un prix infini, pour renouveler à Dieu l'offrande absolue de son cœur par le sacrifice du Fils de Dieu, et pour l'acheter le monde par ce sacrifice infini.

    En sacrifiant son fils, Marie a donné la preuve la plus éclatante de son amour de Dieu et du prochain ; car c'était le sacrifice le plus cher et le plus pénible, et cependant elle l'a fait de tout son cœur. « Il est indubitable, observe saint Bonaventure, que le cœur de Marie sacrifiait son fils pour le salut du genre humain, afin que la mère soit en tout conforme au Père et au Fils ('). » Dans ce saint sacrifice, Jésus est l'offrande et Marie le sacrificateur. « Je pourrais appeler, dit saint Epiphanes, la sainte Vierge sacrificateur : car elle a sacrifié pour tous celui qu'elle avait enfanté pour tous (2). » Dieu, notre Père, « a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (3) ; et Marie, notre mère, nous a tellement aimés, qu'elle nous a donné son fils unique et l'a livré pour nous, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. Le Fils de Dieu « s'est offert lui-même à Dieu, comme une victime sans tache ('), » pour racheter nos péchés, et c'est à cause de ce sacrifice « que nous sommes appelés et que nous sommes en effet enfants de Dieu (2); » et Marie, sa mère, l'offre à Dieu, comme une victime sans tache, pour racheter nos péchés, et c'est à cause de ce sacrifice que nous sommes appelés et que nous sommes en effet enfants de Marie. Et ainsi que Dieu « n'a pas épargné son propre Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous (s), » ainsi Marie n'a pas épargné son propre fils, mais elle l'a livré pour nous tous. — « L'amour, comme personne n'en a jamais eu, dit saint Bernard, dicta le premier de ces sacrifices ; l'amour, comme personne n'en a eu, après celui-là, dicta le second (4). » — « Car aucune créature, dit êaint Bonaventure, n'a jamais brûlé d'autant d'amour pour nous, que Marie sacrifiant pour nous son propre fils, qu'elle aimait bien plus qu'elle-même (5). »

    « Ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, et pour donner ce qui devait être offert en sacrifice, selon qu'il est écrit dans la loi du Seigneur, deux tourterelles ou deux jeunes colombes ('). ; Marie avait offert deux jeunes colombes : c'était l'offrande d'une mère pauvre, bien qu'elle fût mère de Dieu ; c'était l'offrande de la mère d'un Dieu qui s'était fait pauvre pour nous enrichir. Il y avait beaucoup d'autres mères qui, par de semblables offrandes, rachetaient leurs fils ; mais elles les rachetaient pour elles-mêmes ; tandis que Marie ne le rachetait pas pour elle-même, mais pour nous ; comme elle ne l'avait pas conçu pour elle-même, mais pour nous.

    Au moment de l'annonciation de l'ange, Marie, remplie du Saint-Esprit, voyait bien qu'elle allait concevoir celui qui serait crucifié, que son âme serait percée d'un glaive ; elle voyait bien toutes les douleurs de son fils et les siennes, et, elle les a toutes acceptées volontairement ; et c'est alors que, sacrifiant son fils et elle-même pour le salut du monde, elle avait prononcé cet héroïque « fiât » qui devait lui apporter tant de douleurs, mais duquel dépendaient la gloire de Dieu et le salut du monde. Et maintenant, au jour de sa purification, Marie a solennellement réitéré son sacrifice à Dieu ; elle l'a réitéré pour nous, lorsqu'elle entendit les paroles du vieillard Siméon, qui, pénétré de l'Esprit-Saint, lui disait : Marie ! désormais votre fils n'est plus à vous ; car vous l'avez livré selon la volonté de Dieu « pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs dans Israël, et pour être en butte à la contradiction des hommes ('). » Et toutes ses douleurs seront doublement ressenties par vous ; et sa mort sera constamment une agonie pour vous ; « et votre âme même sera percée d'un glaive (2). » Et quand le vieillard Siméon eut prononcé ces paroles, Marie, surpassant le courage d'Abraham, du glaive de sa douleur refoula toute sa tendresse maternelle au fond de son âme, et silencieuse, comme il convenait à la dignité du sacrificateur, elle unissait sa volonté à celle du Père Éternel... et l'on entendit aux cieux un nouveau « fiât ! » que prononça le cœur de Marie.

    0 moment solennel ! moment saisissant et sublime ! Dieu, par son amour infini pour nous, nous donnant son Fils unique, le Fils de Dieu, par ce même amour, su livrant entre nos mains, et la mère de Dieu sacrifiant pour nous le fruit de ses entrailles en échange d'un glaive dont nous avons perce son âme ! 0 divin accord de la justice et de la charité dans la miséricorde ! 0 Jésus ! ô Marie ! en contemplant votre sacrifice, en reconnaissant votre amour, nous ne regarderons plus à nos sacrifices pour vous ; nous ne nous plaindrons plus de nos souffrances.

    Siméon, qui dans ce moment représentait le monde ancien, au nom de toutes les générations passées, reçut dans ses bras l'enfant Jésus, qui nous apportait le monde nouveau. Heureux celui qui ouvre ses bras à Jésus ! la paix entrera dans son cœur, et ses yeux verront le salut éternel.

    0 Marie ! c'est par vous que Dieu se donne à nous ; c'est par vous que nous nous donnons à Dieu !

    III.

    Pharaon, roi d'Egypte, craignant le nombre et la force toujours croissante du peuple d'Israël, avait donné l'ordre barbare de jeter dans le Nil tous ses enfants mâles, au moment de leur naissance. Dans ce temps-là, Jochabed, mère de Moïse, l'ayant mis au monde, le cacha pendant trois mois ; « mais comme elle vit qu'elle ne pouvait plus tenir la chose secrète, elle prit un panier de jonc, et l'ayant enduit de bitume et de poix, elle mit dedans le petit enfant, l'exposa parmi des roseaux sur le bord du fleuve , et fit tenir sa sœur loin de là, pour voir ce qui en arriverait. En ce même temps, la fille de Pharaon vint au fleuve pour se baigner, accompagnée de ses filles, qui marchaient le long du bord de l'eau. Et ayant aperçu ce panier parmi les roseaux, elle envoya une de ses filles qui le lui apporta. Elle l'ouvrit, et, trouvant dedans ce petit enfant qui criait,

    elle fut touchée de compassion, et elle dit : C'est un des enfants des Hébreux. La sœur de l'enfant lui dit : Vous plaît-il que j'aille chercher une femme des Hébreux qui puisse nourrir ce petit enfant ? Elle lui répondit : Allez. La fille s'en alla donc et fit venir sa mère. La fille de Pharaon lui dit : Prenez cet enfant, et me le nourrissez, et je vous en récompenserai. La mère prit l'enfant et le nourrit ; et lorsqu'il fut assez fort, elle le donna à la fille de Pharaon ('). » La fille de Pharaon avait remis le petit Moïse à sa mère avec promesse de récompense. Le vieillard Siméon remit l'enfant Jésus à sa mère, avec promesse d'un glaive qui devait percer son âme. Voilà votre récompense, ô Marie ! pour nous avoir enfanté et nourri Jésus, notre Sauveur !

    0 Marie ! pour notre salut vous avez déjà renoncé à l'aimable Jésus. « Prenez cet enfant et nourrissez-le pour nous, et nous vous en récompenserons. » Comme un à-compte de cette récompense vous avez déjà le glaive qui va percer votre âme, et lorsque l'enfant aura grandi nous vous donnerons la croix. Caressez votre cher enfant, en répandant des larmes amères sur lui ; caressez-le jusqu'à ce que nous l'ayons arraché de vos bras pour le traîner au supplice, pour le flageller, pour le couronner d'épines, pour le fouler aux pieds, pour le crucifier !

    Vous nous l'avez donné une fois, il est à nous pour toujours. Vous le nourrirez et vous rélèverez, mais non pour vous : et lui-même, en présence d'hommes auxquels il appartient, il ne vous donnera plus le nom de mère, mais de femme ; il vous nommera ainsi encore du haut de sa croix en vous donnant à nous pour mère !

    Les caresses de cet aimable enfant, de cet enfant chéri vous feront verser des larmes... de douleur et non de joie. Plus vous l'aimerez, plus votre douleur sera grande ; douleur incessante, qui ne fera qu'augmenter, sans que jamais vous puissiez l'adoucir ou l'assoupir.

    0 Marie ! qu'elle est terrible la croix que vous venez d'accepter ! nourrir votre fils pour le livrer au supplice de la croix ! Jour et nuit vous la verrez cette croix qui l'attend, et vous ne saurez ni la briser, ni l'éloigner, et vous ne sauriez, même par votre propre mort, l'épargner à votre fils !

    « Si la chose eût été possible, dit saint Bonaventure, vous eussiez accepté avec empressement toutes les souffrances de votre fils, et néanmoins vous avez consenti à ce que votre fils unique fût sacrifié pour le salut du genre humain ('). »

    Tout ce que rencontrait votre regard vous annonçait les souffrances et la mort de votre fils. Votre patrie même fut un tourment pour vous, car c'étaient ses enfants qui devaient tuer le vôtre. « Tout était amertume pour vous, vos larmes seules vous étaient douces (2). » « Vous viviez agonisante, vivante vous agonisiez, car vous portiez une douleur beaucoup plus poignante que la mort (3). »

    0 mère de Dieu et la nôtre ! vous avez racheté notre salut par un sacrifice inouï, inconcevable, par le sacrifice de votre fils. Ne vous laissez pas décourager par notre insensibilité et notre ingratitude ; répondez au contraire pour nous à votre fils, en lui disant que vos enfants se corrigeront. Ne nous abandonnez pas ; ne nous laissez pas vous abandonner, mais au contraire gardez-nous près de vous. Montrez-nous toujours ce divin enfant, que vous avez livré à la mort pour nous, et ce glaive à deux tranchants qui a percé si cruellement votre âme. Offrez-nous à Dieu avec votre enfant Jésus, pour qu'il ne nous rejette point ; percez nos âmes du glaive qui a percé la vôtre, afin qu'elles soient sauvées. Et comme vous avez mis l'enfant Jésus dans les bras de Siméon, de même, ô Marie ! déposez-le dans nos bras au moment de notre mort, afin que nous mourions en paix et que nous ressuscitions en joie, célébrant votre gloire et vous bénissant pour toute l'Eternité.

     

     

    POUR LE 11ème JOUR DU MOIS

    POUR LA FETE DES SEPT DOULEURS DE LA T. S. VIERGE.

    (Le 3ème dimanche de septembre.)

    Première douleur.

    I.

    « 0 vous, qui passez par le chemin, considérez et voyez s'il y a une douleur semblable à la mienne ('). » Oh ! non, Marie, il n'y a pas de douleur semblable à la vôtre.

    « Il n'y eut jamais semblable fils, semblable mère, semblable douleur (2), » dit saint Laurent Justinien. Il n'y eut jamais semblable fils, puisque le fils de Marie c'est le fils de Dieu. Il n'y eut jamais semblable mère, puisque Marie est mère de Dieu. Il n'y eut jamais semblable douleur ; car « Marie, selon l'expression de saint Amédée, entre tous les saints, ressemble le plus à Jésus-Christ, non seulement par le parfum de ses vertus, mais aussi par le nombre immense de ses douleurs ; non seulement par la joie des consolations divines, mais aussi par l'abondance de ses souffrances ('). »

    — « Les douleurs de Marie dans les souffrances de Jésus furent telles, que les Anges mêmes ne sauraient les définir ; Jésus seul pourrait les dire, car Jésus seul pouvait comprendre et mesurer les douleurs de sa mère. Plus elle aimait, plus elle souffrait, » dit saint Bernardin de Sienne (2).

    — « Plus son amour fut tendre, plus profonde fut sa douleur (3), » dit saint Bernard.

    « A qui vous comparerai-je, ô fille de Jérusalem ? A qui dirai-je que vous ressemblez ? Où trouverai-je quelque chose d'égal à vos maux ? Et comment vous consolerai-je, ô vierge, fille de Sion ? Le débordement de vos maux est semblable à une mer (4).» Oui, à une mer ! à une mer de douleur !

    — 0 mer terrible ! 0 mer sans fond ! Sur un de ses bords se trouve la crèche, et sur l'autre la croix ! Mer dont les eaux amères altéraient, jusqu'à la moindre goutte, les eaux limpides et douces qui découlaient du cœur de Jésus dans le cœur de Marie ! 0 mer de tempêtes soulevées par nos iniquités ! Mer hérissée des sept écueils de nos péchés, contre lesquels se brisaient sans cesse les consolations de Marie !... « 0 Marie, le débordement de vos maux est semblable à une mer (') ! »

     

    « Ma vie se consume dans la douleur, et mes années dans les gémissements..., et ma douleur est continuellement devant mes yeux (2). » Voilà ce que chante le Psalmiste. Ces paroles ne sont-elles pas l'expression de vos douleurs, ô Marie ! Car vos souffrances furent longues et constantes, puisque vous connaissiez d'avance toutes les souffrances de votre fils (3). » Vous étiez choisie pour être la mère du Fils de Dieu ; mais le Fils de Dieu ne devait régner sur nous que par les expiations les plus sanglantes. Sa couronne ne devait être qu'une couronne d'épines, et vous la partagiez avec lui.

     

    «Je vous couronnerai d'une couronne de maux (4), » dit le Prophète. A qui ces paroles s'adressent-elles, ô Marie, si ce n'est à vous ? Pour qui cette couronne de maux, si ce n'est pour vous ? Votre fils devait vous couronner ; mais il ne pouvait déposer sur votre tête sacrée aucune autre couronne qu'une couronne de maux, et de maux sans fin, comme son amour pour nous ; comme votre amour pour lui. Toutes les plaies du Sauveur se confondirent dans votre cœur ; et comme les sept châtiments de nos sept péchés, sept glaives à deux tranchants, réunis dans un seul, percèrent votre âme de sept douleurs, et lui firent constamment endurer les plus horribles tortures. C'est là votre couronne, ô reine des martyrs, que vous portez avec le roi des martyrs par amour pour nous, et pour nos péchés. Faites-nous-en partager les douleurs par amour pour vous et votre divin fils.

    II.

    « Les deux sexes ont concouru à la perte du genre humain, dit saint Bernard ; il était donc convenable que tous les deux aient concouru à sa rédemption ('). » Eve la première, la mère des mortels, avait commencé l'œuvre de perdition : Eve la nouvelle, Marie, commença l'œuvre de la rédemption. Adam avait consommé notre perdition ; le nouvel Adam, le Christ, consomma notre rédemption. Saint Jean Chrysostôme l'a dit en ces mots : « Marie nous restitua ce qu'Éve nous avait fait perdre ; le Christ délivra ce qu'Adam avait enchaîné ('). »

    Entre Éve et Adam le péché fut commun ; entre Éve la nouvelle et le nouvel Adam la réparation par la peine et la douleur fut commune. L'arbre du fruit défendu avait été l'instrument de notre perte, l'arbre de la mort ; l'arbre du fruit promis devait nécessairement être l'instrument de notre salut, l'arbre de la vie. « L'arbre a fourni la croix sur laquelle le Christ fut crucifié, dit saint Maxime, afin que l'homme, qui, dans le Paradis, a dû sa perdition à l'arbre de la concupiscence, dût aussi sa rédemption à l'arbre du salut ; et qu'ainsi le même objet qui fut l'instrument de la mort devînt l'instrument de la vie (2). » Il était donc nécessaire que le nouvel Adam mourût sur la croix, et que la nouvelle Eve fit descendre le fruit du salut de l'arbre de la croix pour nous le donner. C'est pour cela que Marie a sacrifié son fils pour Dieu et pour nous, et se sacrifia elle-même à la participation réelle à la Passion de Jésus-Christ, en remettant son enfant entre les mains de Siméon.

    Siméon n'a rien appris de nouveau à Marie quand, après avoir pris solennellement au nom de Dieu et au nôtre l'enfant Jésus des mains de Marie, il lui dit : « Votre âme même sera percée par un glaive ('). » Cette prophétie ne regardait principalement que nous-mêmes, afin que, pleurant cette douleur de Marie, nous nous repentions chaque jour davantage de nos péchés, et que, chaque jour, nous nous attachions davantage à l'âme de Marie, que nous avons percée nous-mêmes. 0 Marie ! et cependant, en entendant ces paroles, vous avez renouvelé votre sacrifice, vous avez de nouveau soumis votre âme au glaive qui devait la percer.

    II

    « Votre âme sera percée par un glaive. » — « Et d'autant plus cruellement, qu'elle aimait plus tendrement (2), » dit saint Laurent Justinien. « Il n'y eut jamais de douleur plus poignante ; car jamais il n'y eut de fils plus aimé (3), » dit saint Bonaventure.

    Les souffrances des martyrs n'étaient rien en comparaison des souffrances de Marie ; car, comme dit saint Jérôme : « Marie fut plus que martyre, car les martyrs souffraient dans leur corps, tandis que Marie souffrait dans son âme (4). » — « Chez d'autres martyrs, dit saint Bernard, le grand amour adoucissait la douleur ; mais la sainte Vierge souffrait d'autant plus qu'elle aimait davantage (5). »

    « La douleur de Marie surpassait toutes les douleurs de la vie présente, » dit saint Thomas ('). — « Toutes les douleurs du monde réunies ensemble n'égaleraient pas encore cette seule douleur de Marie (J), » dit saint Bernardin ; — et saint Bernardin de Sienne développe cette pensée en ajoutant : « La douleur de Marie fut si grande, que, répartie entre toutes les créatures capables de souffrir, elle les eût à l'instant toutes mises à mort (3). »

    « 0 Marie ! tous les tourments que les cruels persécuteurs faisaient endurer aux saints martyrs sont peu de chose, ou plutôt ne sont rien, en comparaison des maux soufferts par vous. Et vous n'eussiez pu leur survivre, si vous n'eussiez été fortifiée par l'esprit de votre fils (4) » qui, pour nous, s'étant fait « homme de douleurs (5), » a voulu que vous deveniez aussi pour nous « femme de douleurs ! »

    III.

    Le glaive a percé l'àme de Marie, et ce glaive fut à deux tranchants : l'un d'eux fut la passion de notre Seigneur Jésus-Christ ; et l'autre, c'est notre iniquité, repoussant l'amour de Jésus. « Cet enfant est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs dans Israël, et pour être en butte à la contradiction des hommes ('). » C'est là précisément, parce qu'au lieu de nous relever du péché par la grâce du Sauveur, nous en faisons l'instrument de notre perte par notre contradiction, c'est là précisément l'autre tranchant du glaive, avec lequel nous avons si cruellement percé l'âme de Marie.

    Ne sentez-vous pas la pointe de ce glaive, vous tous qui vous mettez en contradiction avec notre Seigneur Jésus-Christ, avec ses exemples, sa doctrine, sa grâce, sa chair et son sang, sa divinité et son amour ? Ne sentez-vous pas la pointe du glaive que vous enfoncez dans l'âme de Marie par le mépris de l'amour de son fils bien-aimé ?

    0 Marie ! vous le savez et vous le voyez, je ne veux plus me mettre en contradiction avec votre divin enfant. Je ne veux plus retomber dans le péché ; aidez-moi seulement à m'en relever une fois encore ; faites tomber de ma main le glaive terrible avec lequel j'avais percé votre âme ; et conduisez-moi enfin, à l'aide de votre amour, à l'amour de votre fils, qui est mon Sauveur, mon Dieu.

    « Vous avez laissé couler de vos yeux, jour et nuit, un torrent de larmes; vous ne vous êtes point donné de relâche, et la prunelle de votre œil ne se reposa point (') ; car vous aviez toujours devant vos yeux la passion future de Jésus, ainsi que mon ingratitude. Voici pourquoi le Psalmiste avait dit de vous : « Et ma douleur est continuellement devant mes yeux (2). »

    - A mesure « que l'enfant croissait et se fortifiait dans la plénitude de la sagesse (3), » vos douleurs croissaient et se multipliaient dans la plénitude de l'amertume. A mesure que « Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes (4), » le glaive de douleur s'enfonçait toujours plus avant dans votre âme. Et votre douleur croissait aussi à mesure que croissait votre amour.

    Chaque caresse de ce Fils de Dieu, qui est le vôtre, chacune de ses paroles, qui révélaient sa sagesse, chacun de ses sourires, qui avaient tant de charme et tant d'empire sur votre cœur, augmentaient votre amour pour lui, mais en même temps enfonçaient plus avant le glaive dans votre âme, d'autant plus qu'à tout moment vous vous sentiez plus près de sa croix !... Ainsi, tous les jours de votre vie se sont passés dans les larmes et les gémissements, selon les paroles du Psalmiste : « Ma vie se consume dans la douleur, et mes années dans les gémissements ('). »

    0 Marie ! faites que mon amour pour vous et pour Jésus devienne grand comme les douleurs que je vous ai causées. Faites que je ne commette plus de péchés, et que je ne me plaigne jamais des douleurs que Dieu dans sa miséricorde m'aura envoyées.

     

     

    POUR LE 12ème JOUR DU MOIS.

    Deuxième douleur de la très-sainte Vierge.
    la fuite en Egypte et le massacre des innocents.

    ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU, II, 1-18.

    « Jésus étant donc né dans Béthléhem de Juda, au temps du roi Hérode, des Mages vinrent de l'Orient à Jérusalem, et ils demandèrent : Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ; car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer. Ce que le roi Hérode ayant appris, il en fut troublé et toute la ville de Jérusalem avec lui. Et ayant assemblé tous les princes des prêtres et les scribes docteurs du peuple, il s'enquit d'eux où devait naître le Christ. Ils lui dirent dans Béthléhem de Juda, selon ce qui a été écrit parle prophète : Et toi, Bethléhem, terre de Juda, tu n'es pas la dernière d'entre les principales villes de Juda ; car c'est de toi que sortira le chef qui conduira mon peuple d'Israël. Alors Hérode, ayant fait venir les Mages en particulier, s'enquit d'eux avec grand soin du temps auquel l'étoile leur était apparue : et les envoyant à Bethléhem il leur dit : Allez, informez-vous exactement de cet enfant ; et lorsque vous l'aurez trouvé, faites le moi savoir, afin que j'aille aussi moi-même l'adorer. Ayant entendu ces paroles du roi, ils partirent. Et en même temps l'étoile qu'ils avaient vue en Orient allait devant eux, jusqu'à ce qu'étant arrivée sur le lieu où était l'enfant, elle, s'y arrêta. Lorsqu'ils virent l'étoile, ils furent transportés d'une extrême joie ; et entrant dans la maison, ils trouvèrent l'enfant avec Marie sa mère, et se prosternant, ils l'adorèrent ; puis ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent pour présents de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Et ayant reçu, pendant qu'ils dormaient, un avertissement de n'aller point retrouver Hérode, ils s'en retournèrent en leur pays par un autre chemin. Après qu'il furent partis, un ange du Seigneur apparut à Joseph, pendant qu'il dormait, et lui dit : Levez-vous, prenez l'enfant et sa mère, fuyez en Egypte et demeurez-y jusqu'à ce que je vous dise d'en sortir ; car Hérode cherchera l'enfant pour le faire mourir. Joseph s'étant levé, prit l'enfant et sa mère durant la nuit et se retira en Egypte, où il demeura jusqu'à la mort d'Hérode, afin que cette parole que le Seigneur avait dite par le prophète fût accomplie : J'ai rappelé mon fils de l'Égypte. Alors Hérode, voyant que les Mages s'étaient moqués de lui, entra dans une grande colère, et il envoya tuer dans Bethléhem et dans tout le pays d'alentour tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s'était enquis exactement des Mages. On vit alors s'accomplir ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : Un grand bruit a été entendu dans Rama ; des plaintes et des cris lamentables ; Rachel pleurant ses enfants, et ne voulant point recevoir des consolations, parce qu'ils ne sont plus('). »

    « Et Siméon les bénit, et dit à Marie, sa mère : Cet enfant est pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs dans Israël, et pour être en butte à la contradiction des hommes ('). » — Marie n'eut pas longtemps à attendre l'accomplissement de cette prophétie. Car Hérode, après avoir appris par les Mages la naissance du roi des Juifs, les ayant vainement attendus au retour, entra dans une grande colère, et craignant pour sa royauté, forma le projet de tuer Jésus.

    « Ce que le roi Hérode ayant appris, il en fut troublé (2). » Le tyran Hérode, jaloux de sa domination, en fut troublé ; oui, car le désir de la domination est le désir le plus fatal, il remplit de terreur et pousse à la cruauté. Il s'est troublé... il s'inquiéta... et de quoi ? de sa royauté temporaire !.. Que ne s'inquiétait-il plutôt du royaume éternel ? — « Que craignez-vous, Hérode ! s'écrie Fulgence ; le roi qui vient de naître n'est pas venu pour combattre les rois et les soumettre parla force des armes ; non, il est venu pour les conquérir miraculeusement, au prix de sa propre mort (3). »

    « Hérode en fut troublé et toute la ville de Jérusalem avec lui ('). » 0 Jérusalem ! vous vous troublez à la venue de votre roi, qui vous apporte la liberté des enfants de Dieu ? Peuple de Jérusalem ! ne vous alarmez pas ! le Christ ne vient pas pour s'emparer des propriétés que la Providence divine vous a données, mais il vous apporte en propriété ce que la miséricorde divine vous a préparé. Ne vous troublez pas ! le Christ n'est pas venu pour dominer sur nous par la violence, mais par l'amour : il n'est pas venu pour nous tuer, mais pour nous donner la vie. 0 Jérusalem ! vous vous alarmez peut-être à cause de la crainte d'Hérode, de peur que sa cruauté n'égale sa frayeur ? Ne le craignez pas ; mais au contraire, ayez bon courage ! car voici votre Sauveur qui est venu pour vous délivrer de toute crainte humaine ; et pour remplacer, comme il l'a dit lui-même, cette crainte pernicieuse des hommes par la crainte salutaire de Dieu : « Ne craignez point, nous dit-il, ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent tuer l'âme ; mais craignez plutôt celui qui peut perdre et l'âme et le corps dans l'enfer (2). »

    Oh! quelle est donc la douleur de Marie en voyant que nous aussi nous nous troublons à l'arrivée du Christ ; et que notre terreur, comme celle d'Hérode, est un signal de guerre, et de guerre impie, traîtresse et cruelle. Hérode ne s'est point contenté de persécuter Jésus dans sa propre personne, mais encore dans celle de tous les enfants de son âge. Et nous, nous faisons de même, en nous obstinant dans le mal ; nous voulons détruire tout ce qui nous fait voir le Christ, tout ce qui peut nous faire espérer d'atteindre le Christ : notre haine, venant de cette terreur, elle s'acharne principalement sur ceux qui ressemblent le plus au Christ. Marie le voit et souffre d'une douleur inexprimable, qui ne lui laisse aucun instant de repos, ni le jour ni la nuit.

    « Un ange du Seigneur apparut à Joseph pendant qu'il dormait, et lui dit : Levez-vous, prenez l'enfant et sa mère, fuyez en Égypte et demeurez-y jusqu'à ce que je vous dise. Car Hérode cherchera l'enfant pour le faire mourir ('). » Hérode cherchera l'enfant pour le faire mourir ! 0 douleur de Marie ! Jésus nous cherche pour nous sauver ; et nous, nous cherchons Jésus pour le perdre. Jésus veut vivre dans nos cœurs pour la vie éternelle ; et nous, nous voulons le faire mourir dans nos cœurs et dans le cœur de nos frères, par le péché et le scandale, pour notre mort éternelle.

    0 Marie ! Hérode persécutait votre enfant, son Sauveur. Mais vous sentiez alors que nous persécuterions aussi notre Sauveur, pour le perdre, pour nous défaire de lui et de son joug. 0 Marie ! nous avons honte de cette folie. Ne nous fuyez plus avec votre enfant ; mais, au contraire, réfugiez-vous vers nous. Nous ne voulons plus le faire mourir ; nous voulons le défendre et le conserver.

    II.

    « Joseph, s'étant levé, prit l'enfant et la mère durant la nuit, et se retira en Egypte ('). » Voilà donc à quoi se réduisent les joies de cette mère ! des douleurs, et rien que des douleurs ! Après la sinistre prophétie de Siméon, Marie cherchait quelque soulagement au moins dans ses caresses maternelles, dans sa sollicitude pour épargner, autant que possible, des privations à son enfant. Hélas ! cette consolation même devait lui manquer aussi. Elle enfanta Jésus dans une étable ; elle va_ l'allaiter en exil, au milieu des déserts et des privations de toute nature.

    0 Marie ! au milieu des ennuis, des difficultés et des privations de votre fuite en Égypte, l'étable même de Bethléhem ne vous faisait-elle pas l'effet d'un palais. Vous y trouviez au moins de la paille pour faire le lit de votre enfant ; des animaux domestiques y réchauffaient l'air glacé de la saison ; de pauvres bergers y apportaient leur offrande à votre enfant délaissé ; des Mages et des rois venaient lui présenter les hommages de leur respect et de leur soumission ; et ces témoignages de vénération, présages et avant-coureurs certains de la conversion des Gentils, consolaient votre misère. Mais dans votre fuite, loin de votre patrie, privée de tout abri, sur un sol étranger, qui pourrait comprendre ce que souffre votre cœur !

    "Le Sauveur du monde, obligé de vivre en proscrit ! s'écrie le bienheureux Albert le Grand. Oh ! quelle douleur pour le cœur de Marie, lorsqu'elle entendit au milieu de la nuit, ces paroles : Fuyez ! fuyez ! quittez votre patrie pour errer dans l'étranger ; abandonnez votre temple pour aller au milieu des temples élevés aux démons. Peut-il y avoir un chagrin plus grand que celui de cette jeune et pauvre vierge, forcée de fuir à travers des déserts âpres, inconnus et sauvages, avec son enfant nouveau-né, qu'elle porte sur ses épaules délicates de mère épuisée (').

    « Joseph et Marie n'avaient ni valet, ni servante, dit saint Pierre Chrysologue, ils se servaient eux-mêmes (2). » — « Pauvres qu'ils étaient, ils ne vivaient que du travail de leurs mains (3), » dit saint Basile. Mais dans l'exil cette ressource même est ingrate ; on hésite à procurer du travail à des étrangers ; le travail pourtant, c'est le pain. « 0 ! combien de fois Jésus demandait du pain à sa mère, et Marie n'en avait point pour lui en donner ('). »

    Ainsi s'écoulèrent les premières années de la vie du Sauveur du monde. Errant, exilé, à dater de son enfance, il veut nous faire entendre ainsi, que notre vie n'est qu'un exil, que nous devons supporter volontairement la pauvreté, les labeurs, les souffrances et les humiliations par amour pour lui, comme il les a lui-même supportés volontairement avec sa mère, par amour pour nous ; que nous devons les supporter sans plainte, comme il les ont supportés sans plainte. « Nous n'avons point ici-bas de cité permanente, dit l'Apôtre, mais nous cherchons celle où nous devons habiter un jour (2). » — « Vous n'êtes que voyageur, dit saint Augustin, vous jetez les yeux autour de vous, et vous passez (3). » — Mais la douleur de l'exil est un fait à nous, car c'est le fait du péché. C'est pour nos péchés que Jésus et Marie endurèrent l'exil.

    C'est à cause de nous, ô Marie ! que vous supportiez, vous et votre fils, les douleurs de l'exil. Pardonnez-nous-les ces douleurs ; et par ces douleurs et cet exil, rendez-nous plus doux notre exil et nos douleurs à nous. Enfin, le temps de notre exil passé, consolez-nous par votre présence et celle de votre fils.

    III.

    « Alors Hérode, voyant que les Mages s'étaient moqués de lui, entra dans une grande colère ; et il envoya tuer dans Bethléhem et dans tout le pays d'alentour tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s'était enquis exactement des Mages. On vit alors s'accomplir ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : Un grand bruit a été entendu dans Rama ; des plaintes et des cris lamentables ; Rachel pleurant ses enfants et ne voulant point recevoir de consolations, parce qu'ils ne sont plus ('). » — Cette Rachel pleurant ses enfants, cette mère inconsolable, c'est Marie. Lors du massacre des innocents chaque mère pleurait ses enfants : Marie pleurait la mort de tous ces enfants et la douleur de toutes leurs mères. Pauvres mères ! soyez consolées par les larmes de cette mère commune à vous et à vos enfants. — Mais vous, ô Marie ! qui saurait vous consoler ? Le cri des victimes, les lamentations des mères vous ont suivie dans les déserts de votre exil, en ajoutant de nouvelles douleurs aux vôtres. — Oh ! ces douleurs furent immenses, inconcevables, surpassant au delà de toute mesure les douleurs de toutes les mères assistant au massacre de leurs enfants, aux convulsions de leur agonie, lorsque les monstres les égorgeaient sur leur sein, et les arrachaient tout sanglants de leur cœur ; car, «jamais douleur personnelle, observe saint Jérôme, n'a fait souffrir personne au monde, comme souffrait Marie de la douleur des autres ('). » Oui, car tous les autres sont ses enfants, et leurs douleurs sont les siennes.

    Mais il est encore plus douloureux pour l'âme de Marie d'entendre les cris et les sanglots de ce permanent massacre des innocents, dans lequel chacun de nous est un Hérode, Hérode infernal, massacrant non pas le corps, de peu de valeur, mais les âmes, en les empoisonnant par de fausses doctrines, en les assassinant avec le poignard de la corruption et du scandale !

    0 Marie ! mère de douleur ! pardonnez-nous le massacre de ces innocents, le massacre de vos enfants, dans lequel, en égorgeant l'innocence, c'est votre propre enfant, c'est l'enfant Jésus que nous égorgeons, cet enfant qu'Hérode ne pouvait atteindre, car vous le lui avez soustrait, mais que vous ne pouvez pas nous soustraire à nous. Dans la personne de ces innocents, nous égorgeons vraiment votre fils, notre Dieu ! Malheureux que nous sommes ! Pardonnez-nous ! pardonnez-nous ! En vérité, nous ne savions ce que nous faisions ! Maintenant que nous le savons, nous ne saurions le pleurer assez. Nous pleurons nos iniquités, nous pleurons votre douleur. Oh ! par cette douleur, donnez-nous à nous, donnez aux âmes scandalisées par nous, des larmes sincères de la pénitence, suivies du salut éternel.

     

     

    POUR LE 13ème JOUR DU MOIS.

     

    Troisième douleur de la très-sainte Vierge.

     

    Jésus perdu et retrouvé dans le temple.

     

    ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU, II, 19-23.

     

    « Hérode étant mort, un ange du Seigneur apparut à Joseph, en Egypte, pendant qu'il dormait, et lui dit : Levez-vous, prenez l'enfant et sa mère, et retournez dans le pays d'Israël ; car ceux qui cherchaient l'enfant pour lui ôter la vie sont morts. Joseph, s'étant levé, prit l'enfant et sa mère, et se mit en chemin pour revenir dans le pays d'Israël. Mais ayant appris qu'Archélaùs régnait en Judée en la place d'Hérode, son père, il appréhenda d'y aller, et ayant reçu pendant qu'il dormait un avertissement, il se retira dans la Galilée, et vint demeurer dans une ville appelée Nazareth ; afm que cette prédiction des prophètes fût accomplie : Il sera appelé Nazaréen ('). »

    « Son père et sa mère allaient tous les ans à Jérusalem à la fête de Pâques. Et lorsqu'il fut âgé de douze ans, ils y allèrent selon qu'ils avaient accoutumé au temps de la fête. Quand les jours de la fête furent passés, lorsqu'ils s'en retournèrent, l'enfant Jésus demeura dans Jérusalem sans que son père ni sa mère s'en aperçussent. Et, pensant qu'il était avec quelqu'un de ceux de leur compagnie, ils marchèrent durant un jour ; et ils le cherchaient parmi leurs parents et parmi ceux de leur connaissance. Mais ne l'ayant point trouvé, ils retournèrent à Jérusalem pour l'y chercher. Trois jours après ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Et tous ceux qui l'entendaient étaient ravis en admiration de sa sagesse et de ses réponses. Lors donc qu'ils le virent, ils furent remplis d'étonnement, et sa mère lui dit : Fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous ? Voilà votre père et moi qui vous cherchions, étant tout affligés. Il leur répondit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu'il faut que je sois à ce qui regarde le service de mon père ? Mais ils ne comprirent point ce qu'il leur disait. Il s'en alla ensuite avec eux, et vint à Nazareth ; et il leur était soumis. Or, sa mère conservait dans son cœur toutes ces choses. Et Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes ('). »

     

    I.

    Lorsque les années d'exil furent accomplies, il fallait retourner dans le pays d'Israël, pour que Jésus pût y remplir sa mission. Or, comme saint Bonaventure l'observe, Jésus fut alors trop grand pour être porté, et trop petit pour faire le voyage à pied (2). » Ainsi, le retour même dans sa patrie fut encore pour Marie un sujet de fatigues et de douleurs ; car Dieu a voulu que toute consolation de Marie fût accompagnée d'amertume ; toute joie, de tristesse ; tout avantage, de peine ; et comme Jésus-Christ était en tout homme de douleur, que sa mère, Marie, fût en tout femme de douleur. Voici pourquoi, à leur retour dans leur patrie, ils ne se rendirent pas où ils voulaient, mais ils s'établirent à Nazareth, une des plus misérables bourgades de la Judée ; ce qui donna lieu à ce que, par dérision, on appela Jésus, le Nazaréen.

    Les larmes aux yeux, Marie voyait grandir la beauté et la sagesse de Jésus ; les rayons divins du regard de son fils pénétraient l'âme de Marie, et perçaient son cœur d'une indicible douleur ; car elle le voyait toujours sur la croix. Un des interprètes de la sainte Écriture applique à Marie ces paroles du Cantique : « Les cheveux de votre tête sont comme la pourpre du roi, liée et teinte dans les canaux ('). » Et à cette pensée il s'écrie: « 0 Marie ! votre cœur et vos pensées semblent aussi teintes dans le sang du Seigneur, car toujours elles étaient, pour ainsi dire, présentes à l'effusion du sang qui s'écoulait des plaies dont son corps était couvert (2). »

    Qui pourra comprendre ces douleurs incessantes du cœur de Marie, constamment plongée dans le sang de son fils ! 0 souffrance ! ô patience ! vous êtes les meilleurs témoins de notre fidélité et de notre amour pour Dieu, qui éprouve par des souffrances ses serviteurs fidèles. O Marie ! vous êtes la plus fidèle, car vous avez souffert le plus. Vous avez souffert le plus, car vous êtes la plus fidèle. O vierge fidèle ! priez pour nous, afin que nous devenions fidèles, et que, persévérant avec patience dans une vie parfaite, nous obtenions, par notre patience, le salut de nos âmes, selon ces paroles de saint Jacques : « La patience est parfaite dans ses œuvres (') ; » et selon ces paroles de Jésus-Christ lui-même : « C'est par votre patience que vous posséderez vos âmes (2). »

    Nous qui nous plaignons et nous lamentons pour des riens, voyons donc ce que sont nos douleurs à côté des douleurs de Marie, qui, par leur gravité et leur incessante durée, l'emportent de beaucoup sur toutes les douleurs réunies du monde entier. Et cependant la patience de Marie a su vaincre toutes ces douleurs et les enchaîner au fond de son cœur. Quant à nous, il suffit d'une indisposition, d'un léger mal de tête pour nous rendre lâches et paresseux dans le service de Dieu, pour nous ôter toute énergie. Les cheveux de la tête de Marie étaient comme la pourpre du roi, liée et teinte dans les canaux, et cependant Marie était toujours prête et toujours prompte pour le service de Dieu : « Elle allait tous les ans à Jérusalem à la fête de Pâques ('). »

    0 Marie ! enseignez-nous votre patience, afin que nous rendions grâces à Dieu des souffrances qu'il nous envoie ; et que nous soyons d'autant plus fidèles, que nous souffrons davantage.

    II.

    Que vous est-il arrivé, Marie ? vous courez dans les rues, dans les champs ; vous pleurez, vous gémissez !... Elle ne répond rien, mais elle questionne elle-même les passants : « N'avez-vous point vu celui qu'aime mon âme (2). » « L'enfant ne paraît pas, et que deviendrai-je (3). » 0 Marie ! comment ne devinerait-on pas que vous avez perdu Jésus !

    Comme elle ne trouvait point Jésus, Marie pensait qu'il était resté à Jérusalem avec quelqu'un de leur famille : elle savait bien qu'elle le retrouverait et cependant elle se lamente de sa perte. Et nous, pleurons-nous quand nous avons perdu Jésus, c'est-à dire quand nous avons offensé Dieu ? Nous pleurons amèrement la perte de biens terrestres ; et la perte de Jésus savons-nous la pleurer ? « Un homme perd-il son bœuf, il se met à sa recherche ; perd-il sa brebis, son âne, il se met à leur poursuite; et il ne se consolera de leur perte que quand il les aura retrouvés ; mais s'il perd son Dieu, il mange, il boit, il reste tranquille comme s'il ne lui était rien arrivé ('). » C'est ainsi que saint Augustin réprimande notre indifférence envers Dieu, entièrement opposée à la tendresse et à la fidélité de Marie.

    Celui-là seul qui pourrait comprendre l'amour de Marie, pourrait comprendre sa douleur quand elle perdit Jésus. Écoutons au moins ce que l'Ecriture sainte nous dit de cette douleur d'une manière prophétique, et comme elle annonce ses lamentations : « Je me lèverai, y est-il dit, je ferai le tour de la ville, et je chercherai dans les rues et dans les places publiques celui qui est le bien-aimé de mon âme ; je l'ai cherché et je ne l'ai point trouvé (2). » « Apprenez-moi où vous vous reposez à midi, de peur que je ne m'égare (3). » « Mes larmes m'ont servi de pain le jour et la nuit, lorsqu'on me dit tous les jours : Où est ton Dieu (4). » « C'est pour cela que je fonds en pleurs et que mes yeux répandent des ruisseaux de larmes, parce que celui qui devait me consoler s'est retiré loin de moi (5). » « Quelle joie puis-je avoir, moi qui suis toujours dans les ténèbres et qui ne vois point la lumière du ciel (')?» « Mon cœur est rempli de trouble, toute ma force m'a quitté, et même la lumière de mes yeux n'est plus avec moi (2). »

     

     

    Cette douleur fut pour Marie plus poignante encore que les précédentes. Quand elle se repliait sur elle-même elle souffrait, mais au moins se consolait-elle alors par la présence de Jésus, tandis que dans cette épreuve nouvelle cette consolation même lui manque. Elle soutfrait alors avec Jésus, mais dans ce moment elle souffre seule ; à travers les autres douleurs elle voyait au moins le salut du monde, mais ici elle ne voit que sa misère, son insuffisance pour soigner Jésus et pour le servir ; aussi dans son tourment elle ne fait que penser par quelle faute commise elle a perdu son Dieu. Bienheureuse l'âme qui se tourmente et se désole jusqu'à ce qu'elle ait retrouvé Jésus ! Bienheureuse l'âme qui, pour le retrouver, le cherche avec la sollicitude de Marie !

    0 Marie ! au moment de cette douleur vous avez vu et senti combien de fois je perdrais Jésus, et non seulement vous avez vu et senti que je le perdrais souvent, et que je ne ferais rien pour le retrouver ; mais encore, que je chercherais à me dérober, à me cacher devant Jésus, qui viendrait me chercher. Et cette circonstance aggravait votre douleur. Faites donc que cette insouciance, cette infidélité, cette lâcheté de mon âme, m'engagent au regret, aux larmes, au désir de chercher Jésus, et qu'elles vous engagent à avoir pitié de moi. 0 Marie ! prenez-moi, emmenez-moi ; et si je m'opposais à vous suivre, enlevez-moi de force ; et, mère chérie, portez-moi vers votre divin fils.

    III.

    Cette douleur de Marie devait être immense, puisque elle, si patiente, qu'au pied de la croix, à la mort de son fils, elle se taisait cependant ! en le retrouvant elle lui adressa en sanglotant ces mots arrachés à son amère désolation : « Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous (') ? » Pour un cœur affectionné y a-t-il une douleur qui puisse être comparée à la perte de celui qu'on aime ? Votre douleur, ô Marie ! à la perte de Jésus, prouve le degré de votre amour pour lui.

    La joie de Marie fut immense lorsqu'elle trouva Jésus enseignant au milieu des docteurs ; mais cette joie, si pure et si douce, fut troublée par les paroles de Jésus même, qui lui dit, comme s'il ne s'adressait pas à sa mère : «Pourquoi me cherchiez-vous ? ne saviez-vous pas qu'il faut que je sois à ce qui regarde le service de mon Père (2)? » C'était la première fois que Marie avait entendu de la bouche de Jésus des paroles en apparence froides, dont le sens échappait à son cœur maternel, mais qu'elle avait comprises comme servante du Seigneur : « Elle a conservé dans son cœur toutes ces choses ('). » Elle les a comprises pour se rappeler toujours par quel moyen le monde allait être sauvé ; pour se rappeler toujours que son fils n'était pas venu au monde pour faire sa joie, mais pour remplir la volonté de son Père, c'est-à-dire pour racheter le monde par l'effusion de son sang et le sacrifice de sa vie.

    Ces pensées étant toujours présentes à votre esprit, qu'y a-t-il d'étonnant, ô Marie ! « Que les cheveux de votre tête fussent comme la pourpre du roi, liée et teinte dans les canaux (2)? »

    « Jésus s'en alla ensuite avec eux et vint à Nazareth, et il leur était soumis (3). » La volonté du Père accomplie, Jésus était prêt à remplir les ordres de sa mère. Cette obéissance, qui témoignait de la vénération de Jésus pour Marie, ces soins affectueux qui prouvaient son amour pour elle, ces innocentes caresses par lesquelles il cherchait à dissiper ses chagrins, rendaient Jésus d'autant plus précieux à Marie, augmentaient chaque jour son amour pour lui, mais en même temps elles enfonçaient aussi de plus en plus le glaive douloureux dans son cœur, par la constante pensée qu'une mort si terrible devait le lui enlever.

     

    « Jésus croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes ('). » L'amour et les douleurs de Marie croissaient aussi dans la même proportion. Dans son modeste réduit, oublié du monde, Jésus passa trente ans dans l'obéissance, le travail et la pauvreté ; et lorsque cet agneau de Dieu s'en allait déjà pour effacer les péchés du monde ; lorsque ce bon pasteur sortait pour retrouver ses brebis égarées ; lorsque ce lion de la tribu de Juda s'en allait pour faire la conquête des enfers ; lorsque cet auteur de la vie allait répandre la parole de la vie, distribuer le pain de la vie, vaincre la mort par sa propre mort et donner la vie au monde, et qu'il allait recueillir l'ingratitude pour ses bienfaits, les reproches pour sa doctrine, les blasphèmes pour ses miracles ; lorsque ce fils adoré de Marie, agissant et enseignant, devait livrer des combats divins, et ne remporter la victoire que par l'effusion de son sang et sa terrible passion: ô ! quels furent alors les adieux de Marie ! que de douleurs dans ces adieux !... Jugez-en, vous surtout, ô mères ! dont le cœur connaît les sentiments affectueux que vous portez à vos enfants. Mais, prenant Marie pour modèle, suivez son exemple : enfermez vos douleurs dans votre cœur, et si Dieu appelle vos fils pour apôtres et pour martyrs, livrez-les sans opposition à la vocation qui les entraîne.

    0 Marie ! lorsque Jésus vous quittait pour aller, à la sueur de son front et par les flots de son sang, nous gagner le pain de la vie ; lorsqu'il s'arrachait de vos bras, de ce paradis terrestre dont nos péchés le chassaient pour le conduire au. supplice réparateur, quels touchants adieux ne vous fit il pas ! quelle tendresse ne vous prodigua-t-il pas dans ses embrassements d'amour et de reconnaissance ! C'était, hélas ! le dernier baiser filial, le dernier !!! C'était le dernier : « Dieu vous le rende ! Le dernier : « bénissez-moi, ma mère ! » — Marie, vous le suivrez partout où il ira ; pendant trois ans vous irez après lui ; vos yeux le verront encore pendant trois ans... : mais son cœur ne reposera plus sur votre cœur...; mais en présence des hommes il ne vous donnera plus le doux nom de « mère ! »

    POUR LE 14ème  JOUR DU MOIS.

    Quatrième douleur de la Très-sainte Vierge.

    Marie rencontre Jésus allant à la mort.

    I.

    0 Marie ! vos douleurs précédentes n'étaient que le prélude de cette grande, immense, solennelle douleur du martyre, que vous avez souffert conjointement avec le Fils de Dieu et le vôtre.

    L'heure de la rédemption du monde avait sonné ; l'heure du plus sublime des sacrifices avait retenti. Comme un guerrier salue le son de la trompette qui l'appelle au combat, ainsi votre fils, ô Marie ! a salué cette heure du combat, en disant à ses disciples : « J'ai souhaité avec ardeur demanger cette pâque avec vous ('). » Et pourquoi le souhaitait-il avec tant d'ardeur ? C'est que cette pâque était la dernière, et que sa passion allait commencer.

    Ainsi qu'au jour d'un grand succès ou d'une joie légitime nous donnons à nos amis des fêtes, nous leur offrons des cadeaux, et nous accordons à nos ennemis l'oubli de leurs offenses ; de même en ce jour mémorable votre fils bien-aimé, au milieu d'un banquet, nous a donné un cadeau, le plus riche cadeau qu'il ait pu nous faire, en se donnant lui-même à nous dans le très-saint Sacrement, pour servir de nourriture et de breuvage à nos âmes, de preuve à son amour, et de gage de son pardon aux pécheurs pénitents. Heureux du don qu'il venait de nous léguer, il adresse à son Père des prières pour ses disciples ; il les précède au jardin des Oliviers, et va spontanément au-devant de sa passion.

    A cette heure, éloignée en réalité, mais présente en esprit, Marie, qui partageait les joies de Jésus-Christ, va partager ses douleurs ; car, comme deux cordes du même son, dont une seule touchée fait vibrer l'autre à l'instant même, ainsi le cœur de Jésus et le cœur de Marie renvoyaient simultanément l'un à l'autre tous leurs sentiments. « Jésus souffrait-il, dit saint Grégoire, Marie souffrait aussi : car c'étaient les deux luths, dont l'un résonnant faisait résonner l'autre sans qu'on y touchât ('). »

    Au jardin des Oliviers, Jésus ayant pris sur lui le fardeau de tous nos péchés, il en fut tellement accablé que son sang s'échappait de tous ses pores, « et il lui vint une sueur comme de gouttes de sang qui découlaient jusqu'à terre.... Et étant tombé en agonie, il redoublait ses prières, en disant : Mon Père, si vous le voulez, éloignez ce calice de moi ; mais que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre (2). » Loin de Jésus, Marie éprouvait aussi les angoisses de l'agonie ; et accablée de souffrances, elle adressait à Dieu ses ferventes prières : « Elle n'a point cessé de pleurer pendant la nuit, et ses joues sont trempées de ses larmes ; il n'est personne qui la console ('). »

    Lorsque Jésus au jardin des Oliviers, la face prosternée contre la terre, qu'il venait d'inonder de son sang, s'offrait à son Père pour le salut du monde ; lorsque, les bras étendus en croix, il embrassait toutes les contrées et toutes les générations, et leur donnait un baiser de paix ; lorsque des mains de l'Ange il acceptait le calice de la Passion, qu'il allait boire jusqu'à la lie : Marie aussi, prosternée contre la terre, l'arrosait de ses larmes, réchauffait le cadavre glacé du vieux monde par la chaleur de son cœur, et recevait le calice offert à Jésus, que, seule et unique, elle devait boire avec lui jusqu'à la lie.

    0 longue et terrible nuit ! semblable à l'orage sillonné par les foudres, qui toutes éclataient dans l'âme de Marie ! L'arrestation de Jésus, la fuite de ses disciples, le baiser de Judas, que de coups pour le cœur de cette mère de douleur !... Que cette nuit fut terrible et sanglante pour vous, ô Marie ! par quelle journée terrible et sanglante elle devait être suivie !

     

    II.

    Dès le matin, Jésus, insulté, maltraité, fut traîné d'un juge à l'autre. Ses accusateurs ne peuvent fournir la moindre preuve contre lui ; de sorte que l'infâme Pilate se voit obligé de déclarer son innocence. Mais l'innocent n'a point de défenseur ; ses disciples mêmes l'ont fui ; Pierre l'a renié par trois fois. Pierre a depuis pleuré son péché ; mais combien Marie ne l'a-t-elle pas pleuré !... Et cependant elle ne se hâta pas de réparer la faute de Pierre, elle n'alla pas au prétoire pour rendre témoignage à Jésus. Un seul mot de sa bouche eût peut-être calmé la fureur de la foule, eût désarmé les juges ; une parole d'une mère sainte pour un fils si saint !... Mais Marie n'a pas été rendre témoignage pour Jésus, afin de ne pas retarder notre salut. 0 Marie ! vous n'avez point de pitié pour vous-même, ni pour votre fils ; vous n'en avez que pour nous, qui ne sommes que vos enfants d'adoption. Vous ne voulez pas éloigner, pas même alléger les souffrances de votre fils, et par conséquent les vôtres : « car la sanglante passion de Jésus se répétait sanglante dans votre cœur, comme dans une glace parfaitement polie ('). »

    Voici Jésus condamné, condamné à mort, traîné au dernier supplice ; et voici Marie qui accourt : elle suit les traces sanglantes de son fils; elle aperçoit la foule qui le conduit. Par un chemin détourné elle la devance pour courir à la rencontre de son bien-aimé. Les acclamations et les cris de joie qui naguère, à son entrée triomphale à Jérusalem, l'accueillaient avec tant d'empressement et de spontanéité, retentissent encore pour ainsi dire dans la cité. Hosanna au plus haut des cieux ! gloire au Fils de David ! tout le peuple le répétait à l'envi. Marie avait assisté à ce glorieux triomphe ; son cœur en avait été vivement touché, et maintenant elle entend les imprécations, les injures, les blasphèmes ; elle entend résonner les coups dont on accable Jésus succombant sous sa croix. Elle entend son arrêt de mort proclamé avec fureur ; elle voit les instruments de son supplice portés en triomphe ; elle voit enfin la terrible croix, portée par une victime qui s'affaisse sous son poids, par un juste que les passions ont condamné ; ce juste, c'est son fils... Sa figure est inondée de sang ruisselant de dessous une couronne d'épines. Sa poitrine est déchirée,... tout son corps couvert de blessures... Il est méconnaissable pour tout œil humain ; mais le cœur de mère ne pouvait le méconnaître.

    Jacob, le patriarche, avait déchiré sa robe à la vue de la robe ensanglantée de Joseph ; il pleurait de longues années sans se consoler de la perte de son fils. Et que devint Marie à la vue non de la robe, mais de la personne même de Jésus, tout ensanglanté, tout meurtri et tout inondé de son sang, s'avançant au lieu de son supplice ? Que devint Marie ? Son âme a gémi, mais rien que son âme ; sa bouche se taisait. 0 mon fils bien-aimé, lui disait son cœur, c'est donc pour cela que je vous ai mis au monde ! 0 le fruit unique de mes entrailles, c'est donc pour cela que je vous ai nourri de mon sein, que j'ai soigné votre enfance ! Où est-elle, cette beauté divine qui brillait sur votre front ; cette beauté ravissante que mes yeux aimaient à contempler, cette beauté surhumaine dans laquelle s'absorbait mon âme ?

     

    « Il a été couvert de plaies pour nos iniquités ; il a été brisé pour nos crimes ('). Depuis la plante des pieds jusqu'au haut de la tête il n'y a rien de sain en lui ; ce n'est que blessure, que contusion et que plaie enflammée qui n'a point été bandée, à laquelle on n'a point appliqué de remède, et qu'on n'a point adoucie avec l'huile (2). » Ainsi l'avait décrit le prophète Isaïe, et les yeux de sa mère l'ont aperçu ainsi. Marie l'a reconnu ; et nous, le reconnaissons-nous ?

    « Tel fut l'ouragan de douleur, dit saint Bernard, qu'il se précipitait de Jésus sur sa mère, et de sa mère sur Jésus. 0 connexité inconcevable ! 0 douleur incomparable (3) ! Ils n'ont fait qu'échanger de regard, et par ce regard le cœur de Jésus demanda à Marie :

     

    « Ma mère, où allez-vous ? — A la mort avec vous, mou fils, » répondit le cœur de Marie !

    III.

    A l'époque où Jésus remplissait de ses miracles et de ses bienfaits les régions diverses de la Palestine ; que les multitudes le suivaient et l'entouraient de leur vénération, Marie n'apparaissait pas, afin de ne pas détourner sur elle le moindre rayon de la gloire de Jésus. Mais lorsque Jésus marche au supplice, au supplice le plus ignominieux, Marie s'y montre, afin de partager avec son fils toutes les douleurs et tous les mépris.

    Agar ne voulait point voir la mort de son fils: « Je ne verrai point mourir mon enfant, » dit-elle ('). Marie, au contraire, s'est dit dans son âme: « Je verrai mourir mon enfant ; » et elle suivit Jésus, qui portait sa croix, jusqu'au haut de la montagne. Elle aussi, la pauvre mère, elle portait la sienne, invisible, mais non moins lourde que celle de Jésus ; elle désirait y mourir en même temps que son fils : « Je verrai mourir mon enfant !... » Elle le suivait, « et sa douleur maternelle, dit saint Bernard, arrachait avec abondance des larmes involontaires ; tous pleuraient en la voyant (2). » Elle fut la seule qui ne pleurât pas. Elle ne se plaint ni de l'ingratitude des scribes et des pharisiens, ni de la haine des accusateurs, ni de l'iniquité des juges, ni de la cruauté des bourreaux, ni de la fureur du peuple ; elle réprime la violence de son amour maternel blessé par cette douleur sans nom ; elle retient les éclats de sa tendresse ; elle refoule au fond de son cœur déchiré par le glaive toute la tristesse qui l'accable. Elle suit Jésus dans un silence solennel, comme Abraham suivait Isaac ; elle suit Jésus, que l'on conduit à la mort ; elle le suit pour l'offrir à ce sacrifice si sanglant, et pour redoubler par sa présence la douleur de ce terrible supplice (').

    Marie fut la première des élus; aussi la première a-t-elle suivi la voie des élus : « Si quelqu'un veut venir après moi, dit le Christ, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix, et qu'il me suive (J). D Marie a rempli la première ce précepte de Jésus ; la première elle prit sa croix et elle suivit Jésus pour mourir avec lui. « La mère portait aussi sa croix, dit l'abbé Guillaume, et elle suivait Jésus pour être crucifiée avec lui (3). » Cet exemple sublime doit nous apprendre, comme l'observe saint Jean Chrysostôme, « que la croix de Jésus-Christ, sans que nous y ajoutions la nôtre, ne suffit pas à notre salut (4). » Et comme Jésus nous montre le chemin du ciel en montant au Calvaire, Marie nous montre le chemin de Jésus en le suivant avec sa croix par le chemin de la croix. En suivant ainsi Jésus, Marie nous demande si nous voulons les suivre.

    Oui, oui, ô Marie ! je voudrais vous suivre, mais je ne le pourrai sans votre assistance ! O Marie ! par la douleur que vous avez soufferte en suivant Jésus portant sa croix, obtenez-moi la grâce de vous suivre, portant jusqu'à ma mort toute croix qu'il plaira à Dieu dans sa miséricorde de m'envoyer pour mon salut. Vous avez porté votre croix, vous si sainte, si innocente! et moi, qui tant de fois ai mérité les peines de l'enfer, oserai-je encore me plaindre de ma croix, et rendre par là plus lourde la vôtre, ô Jésus ! et la vôtre, ô Marie ! Non, non, qu'il n'en soit pas ainsi !

     

    POUR LE 15ème JOUR DU MOIS.

     

    Cinquième douleur de la Très sainte Vierge.

    Crucifiement et mort de Jésus.

    I.

    Contemplez Jésus et Marie au haut du Calvaire. Semblable à l'agneau qu'on va égorger, Jésus ne laisse échapper aucune plainte, aucun gémissement ; il se livre à la volonté de ses bourreaux. Ils le poussent, ils le maltraitent, ils le couvrent d'injures et d'imprécations. Ils déchargent ses épaules du fardeau de la croix, mais c'est pour l'y clouer. Ils n'ôtent pas sa couronne d'épines, mais ils le dépouillent de ses vêtements avec violence. Ils déchirent en quatre parts sa robe de dessus : Jésus-Christ en couvre les quatre parties du monde : l'est, l'ouest, le sud et le nord. Ils arrachent sa robe sans couture, tissue par les mains de Marie, et maintenant collée à ses nombreuses blessures ; aussi son sang jaillit de nouveau de toutes ces plaies en présence de Marie. Une pâleur mortelle en a couvert les joues de Jésus ; une pâleur mortelle en a couvert les joues de Marie ; car le sang de Jésus c'est le sang de Marie !

     

    0 Jésus ! Jésus! qu'est donc devenue la beauté ravissante de votre divin visage, que les anges contemplaient avec admiration ? « Comment a-t-il changé sa couleur, qui était si belle (')? Le front livide, les yeux ternes, les lèvres brûlées, les joues meurtries, tout le corps couvert de plaies, et les os mis à nu ! Il n'y a plus qu'un souffle de vie en lui, et l'on continue de martyriser encore ce divin martyr en présence de sa mère ! On l'étend sur la croix, on attache ses mains et ses pieds avec des clous sans pointe ; à chaque coup de marteau ses veines se rompent, ses os se brisent, et son sang jaillit de nouveau par torrents. Mais d'où vient tant de sang, et pourquoi tant de sang répandu, puisqu'une seule goutte suffirait pour sauver le monde ? C'est que l'amour surabondant de Jésus offre pour nous une rançon surabondante ! Et les douleurs de Marie furent surabondantes !

    Marie voit élever la croix, elle entend les railleries et les cris forcenés du peuple. Attaché à la croix, son fils bien-aimé n'est couvert que de sang ! Ses yeux, frappés de ce sanglant spectacle, en reçoivent un plus terrible encore : lorsqu'au même instant cette croix fut rudement précipitée par sa base dans le creux du rocher préparé pour la recevoir. 0 instant terrible parmi les terribles ! Cette violente secousse rouvre toutes les blessures, disloque tous les os, brise tous les nerfs, tout le corps s'affaisse. Jésus souffre toutes ces douleurs sans laisser échapper une plainte, et Marie elle-même garde le silence.

     

    Au milieu de cet auguste silence s'accomplit le sacrifice immense, infini ; le sacrifice d'amour, par lequel la terre est donnée au ciel et le ciel à la terre. Au-dessus de l'océan des crimes du monde crucifiant son Sauveur, se trouve suspendu l'océan de miséricorde divine, le sang précieux de Jésus, sang versé pour la rédemption du genre humain, et que la main de Marie laisse couler sans opposition.

    « Marie s'accordait tellement avec la volonté de Dieu, dit saint Anselme, que si l'accomplissement de cette volonté l'eût exigé, elle aurait cloué elle-même son fils sur la croix ('). » — « Son amour pour nous fut si grand, dit sainte Mathilde, qu'elle a sacrifié avec joie son fils pour le salut du monde (2). »

    Qui pourrait comprendre cette lutte entre l'amour et la douleur, dans laquelle l'amour de Marie pour Dieu et pour nous n'a pas seulement vaincu son amour d'une mère comme elle pour un fils comme Jésus, mais encore l'a contrainte à accepter une si grande douleur ! Toutes les souffrances de Jésus, Marie les ressentait, et d'une manière plus terrible encore ; car tout ce que Jésus-Christ, son fils, qui est Dieu, souffre en son corps, Marie le souffre en son âme. « Autant de plaies au corps de Jésus, autant de plaies au cœur de Marie, dit Arnold (3). » — « Les plaies qui couvraient tout le corps de Jésus se réunirent dans le cœur de Marie ('), » dit saint Bonaventure. Et saint Jérôme nous dit : « Les coups, les plaies, les clous qui déchiraient le corps de Jésus déchiraient l'âme de Marie (2). » — « La croix et les clous du fils étaient la croix et les clous de la mère, et le crucifiement du Christ crucifiait Marie (3), » dit saint Augustin. Et saint Bernard s'écrie : « 0 Marie ! où étiez-vous alors ? Au pied de la croix ? Non ! sur la croix même (4), »

    Saint Bernardin de Sienne nous assure que s'il eût été possible que Marie nous sauvât par sa mort, elle se serait mille fois sacrifiée pour nous en place de son fils (5). Et comme c'était chose impossible, elle désirait au moins mourir avec son fils. « Elle désirait au sang de son âme ajouter le sang de son corps(6). » Mais Dieu n'y a point consenti, afin que le prix des douleurs et du sacrifice de Marie en devint plus grand ; car en même temps que son âme agonisait avec son fils, son corps était forcé de vivre.

     

    « La mère du Dieu sauveur agonisait dans l'âme, dit saint Amédée ; car la douleur, la tristesse, l'agonie, la flamme dévorante, et la mort pire que la mort se trouvent réunies, là où la vie ne cesse point, malgré les angoisses de la mort ('). »— « Ainsi Marie, selon l'expression de saint Bernard, agonisait vivante, vivait agonisante, et ne pouvait mourir, car vivante elle était morte (2); » morte de cette autre mort dont parle saint Augustin, lorsqu'il dit : « Il est une mort qui sépare forcément l'âme du corps ; il est une autre mort qui retient l'âme forcément dans le corps (3). »

     

    0 Marie ! vous mouriez de cette mort pour nous! et de quelle vie vivons-nous pour vous ?

     

    II

     

    « 0 merveille de la puissance divine ! s'écrie saint Amédée, ô merveille de la puissance divine dans la mort de Jésus et dans le courage de Marie ! qui, malgré l'immensité de sa douleur, ne perd rien ni de sa modestie virginale ni de la force de son âme ; elle ne succombe pas, elle reste debout, dominant par l'inconcevable force d'esprit l'inconcevable force de sa douleur ('). » — « Les disciples ont abandonné Jésus, dit saint Anselme, les hommes se sont enfuis ; Marie, seule, toute seule, pour la gloire de son sexe, forte de sa foi en Jésus, assiste à sa passion ; et seule, debout, se tenant avec la dignité qui convenait à sa modestie virginale. Au milieu d'une si grande amertume elle ne se déchirait pas le sein, elle ne prononçait aucune malédiction, aucun murmure ; elle n'appelait pas la vengeance divine, mais elle se tenait debout, digne et modeste, sublime de patience, concentrant ses douleurs, remplie de larmes, toute plongée dans sa désolation (2). »

    « Elle se tenait auprès de la croix, dit saint Ambroise : la mère de Jésus se tenait près de la croix ; les hommes l'ont abandonné, et l'intrépide Marie s'y tenait remplie de douleur et de miséricorde ; elle contemplait les blessures de son fils avec des yeux pleins de compassion, car elle y voyait le salut de tous. Mère à la hauteur d'un aussi sublime spectacle, elle s'y tenait debout, bravant la présence des bourreaux. Le fils étendu sur la croix, et la mère au pied de la croix y restait prête à mourir avec lui ('). »

    Dépouillé de tout vêtement, couvert seulement de sang et de plaies, suspendu entre le ciel et la terre, Jésus fut cloué sur la croix par les trois clous forgés par nos trois concupiscences : la concupiscence du corps, la concupiscence des yeux, et l'orgueil de la vie. Sa divinité l'unissait au ciel, et son sang coulant jusqu'à la dernière goutte l'unissait à la terre. 0 Jésus ! elle s'est accomplie sur vous cette prophétie : « Ils ont percé mes mains et mes pieds et ils ont compté tous mes os (2). » Ils les ont comptés, les assassins de Dieu ; et la mère du Dieu vivant, souffrant pour nos péchés, les a comptés aussi. Marie a compté les os de Jésus, car tous ses os s'étaient disloqués sur la croix. Le bruit des os qui se désarticulaient, des nerfs qui se brisaient sous les coups des clous et du marteau, sous le poids du corps et par la terrible secousse de la croix précipitée dans le creux du rocher, tout cela brisait, déchirait l'âme de Marie ; tout cela lui faisait endurer les souffrances de la mort, de la mort la plus cruelle, car c'était la mort de son fils, de la mort vivante, car Marie lui devait survivre !

    Marie n'a point succombé sous l'incommensurable fardeau de cette douleur ; elle se tenait debout, et d'un œil plein de désolation elle contemplait Jésus. Toutes les fois que leurs regards se rencontraient, un nouveau coup mortel perçait leurs âmes, et ce qui augmentait encore cette inconcevable douleur, c'est que Marie ne pouvait en aucune façon soulager son fils agonisant, ni l'aider en quoi que ce fût. 0 Marie ! c'est en vain que vous lui tendez vos bras ; c'est en vain que vous cherchez à l'attirer sur votre sein ! C'est principalement dans ce moment que le Fils de l'homme n'avait pas où reposer sa tête !

    Lorsque Jésus s'écria : « J'ai soif (') ! » Marie ne pouvait lui offrir que ses larmes, amères, brûlantes, qui tombaient sur le cœur de Jésus comme une pluie de feu, et qui du cœur de Jésus retombaient sur le cœur de Marie en torrent de feu. 0 Jésus ! vous avez soif de nos âmes, et Marie aussi en a soif pour vous : c'est cette soif qui lui fait unir son sacrifice au vôtre ; c'est cette soif qui la fait consentir à votre mort sur la croix, et par là même à la sienne, plus cruelle encore !

    Lorsque Marie entendit l'unique et profond gémissement de son fils : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné (2) ? » que de gémissements retentirent dans son âme ! Ce fut le moment le plus douloureux : on dirait presque le seul moment douloureux de toute la passion de Jésus-Christ ; car, tout le long de sa passion il était demeuré muet comme un agneau, et dans ce moment sa douleur éclata par un cri si terrible ! 0 Jésus ! Jésus ! vous demandiez à votre Père, sur la montagne des Oliviers, qu'il détournât de vous le calice d'amertume, car vous y voyiez au fond ce moment d'abandon de Dieu ! 0 que sera-ce donc que l'abandon de Dieu pour l'éternité ? 0 Marie ! à cette seule pensée, mon cœur est saisi d'un effroi mortel... 0 Marie, secourez-moi ! rendez-moi Dieu que j'ai déserté, et désormais ne souffrez pas que je le déserte

     Près de Marie, au pied de la croix, se tenait saint Jean,le disciple aimé du Seigneur, aimant le Seigneur. Seul d'entre les disciples il était là, afin de recueillir, pour eux et pour nous, la dernière parole du testament, le dernier trésor de l'héritage du Sauveur. Jésus était à l'agonie, ses deux bras étendus dans toute leur grandeur, pour embrasser tous les peuples et toutes les générations, car il mourait pour tous. Sa tête, couronnée d'épines, penchée vers la terre, purifiait et faisait renaître la terre par les dernières gouttes de son sang. Sa figure pâle et endolorie, mais sereine et bienveillante, semblait se tourner vers ses bourreaux pour leur donner le baiser de paix. Mais ses yeux s'entr'ouvrent encore... sa bouche articule des sons... Que cherchent donc ces regards ?... que dira cette bouche ?... Ah ! ses yeux voulaient encore voir pour la dernière fois sa mère et son disciple bien-aimé ; sa bouche... 0 ! elle avait encore à dire une parole d'amour, du plus grand amour, pour eux et pour nous ! — « Jésus ayant donc vu sa mère, et près d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère : Femme ! voilà votre fils ; puis il dit au disciple : Voilà votre mère ('). »

    « Femme ! voilà votre fils. » C'est la bouche de Jésus qui a prononcé ces paroles ; mais son cœur y disait : Femme promise par Dieu pour être la mère de tous les vivants dans l'ordre de la grâce et du salut éternel ! femme qui avez écrasé la tête du serpent par la mort de votre fils ! femme conçue sans tache et pleine de grâce ! femme dans laquelle la Très-Sainte Trinité s'est complue avant le commencement des siècles ! fille bien-aimée du Père éternel ! mère admirable du Fils de Dieu ! vierge épouse du Saint-Esprit ! femme attendue par les nations, dont la promesse faisait battre leur cœur de foi et d'espérance ! femme attendue dans les cieux pour être la reine des anges et des saints ! femme qui m'avez donné le sang et le corps et qui offrez avec moi en sacrifice ce sang et ce corps ! femme forte ! vous qui avez sauvé le monde avec moi, vous qui êtes la mère du genre humain, la mère des élus, la mère de l'Église : — « Femme ! voilà votre fils. » — Ainsi, dans la personne de Jean, le Christ nous donna tous pour fils à sa mère. « Puis il dit au disciple : Voilà votre mère ('). » Ainsi, dans la personne de Jean, le Christ donna sa mère à nous tous pour mère ; car toute parole de Dieu s'exécute en même temps. Et, dès ce moment, la mère du Christ a ouvert pour nous son cœur maternel ; et à l'instant même elle a obtenu pour nous cette prière de son fils agonisant, cette prière qui donne accès au pardon, même aux plus grands pécheurs : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (2). » Et à l'instant même cette prière ouvrit le ciel au larron repentant. « Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (3), » lui dit Jésus-Christ. Et, dès ce moment, le paradis est ouvert par l'intercession de Marie à tout pécheur repentant.

    « Il parut un grand prodige dans le ciel : c'était une femme qui était revêtue du soleil, et qui avait la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête. Elle était enceinte et elle criait étant en travail et ressentant les douleurs de l'enfantement (4). » C'était Marie que saint Jean voyait dans l'Apocalypse, et saint Bernardin de Sienne nous dit: « Marie a souffert à la mort de son fils les douleurs les plus cruelles pour devenir la mère de tous les fidèles, et ces douleurs égalent les douleurs de toutes les mères ensemble, car les douleurs de toutes celles qui enfantent se sont concentrées dans cette mère unique (') » — « Debout sous la croix, vous enfantiez dans des douleurs atroces, dit saint Bernard. Vous avez payé au pied de la croix votre privilége de mère. Vous n'avez point souffert de douleurs en enfantant votre fils, mais vous avez souffert mille douleurs au moment de sa mort (2), » — « en devenant mère de tous les fidèles (3). »

    C'est en souffrant toutes ces douleurs que Marie est devenue notre mère ; et c'est grâce à ces douleurs que nous sommes devenus frères de Jésus-Christ. « De tout votre cœur n'oubliez point les douleurs de votre mère, afin que votre sacrifice d'expiation et votre offrande soient entièrement parfaits (4)'. »

    0 Marie ! Jésus en mourant a imploré pour nous son Père éternel ; qui est-ce qui implorera Jésus pour nous, qui ne l'avons pas crucilié une fois, mais tant de fois ? Qui serait-ce, si ce n'est vous, ô Marie, qui êtes sa mère et la nôtre ! Nous nous rappelons vos douleurs, et nous les rappelons à votre souvenir, afin que vous rappelant ce que nous vous coûtons, vous ne souffriez pas que nous périssions et que nous soyons perdus pour vous !

     

    POUR LE 16ème JOUR DU MOIS.

    Sixième douleur de la Très-sainte Vierge.

    Descente de la croix.

    I.

    Le Fils de Dieu a voulu, dit Richard de Saint Victor, que sa mère surpassât par son éclat l'éclat de tous les saints ; et, comme elle est nommée Vierge des vierges et Reine des vierges, qu'elle fut aussi nommée Martyre des martyrs et Reine des martyrs ('). »

    « Or il y a deux genres de martyres, dit saint Amédée : l'un est ostensible et l'autre secret ; l'un est visible et l'autre invisible ; l'un par le corps et l'autre par le cœur. Les apôtres et les martyrs ont été martyrisés par le corps ; mais les saints qui ont été martyrisés dans leur cœur ont souffert bien plus que les souffrances corporelles. Abraham a souffert dans son cœur lorsque Dieu lui ordonna d'immoler pour offrande son fils unique, qu'il aimait plus que lui-même, et qu'il a offert à l'instant. C'est par ce genre de martyre que, plus digne de gloire que tous les martyres, la victorieuse Marie s'était associée à la passion de Notre-Seigneur. Elle a bu le calice d'amertume et de la passion, et emportée par le torrent de douleurs, elle a souffert le martyre qu'aucun martyre ne saurait égaler ('). »

     

    « D'autres saints, dit saint Guillaume, sont devenus martyrs en mourant pour le Christ ; Marie est devenue martyre en souffrant le martyre avec le Christ et mourant avec lui. Le martyre des autres est tout de corps ; celui de Marie est tout de cœur. Les martyrs ont donné leur sang, c'est-à-dire le sang de l'homme ; Marie, dans son martyre, donna le sang de Dieu. L'instrument de son martyre fut Jésus lui-même (2). »

     

    « Quel était le martyre de Marie, dit saint Anselme, personne n'est en état de le dire, tout ce que nous savons, c'est que son martyre fut plus cruel que la mort, car elle aimait son fils plus qu'elle-même ('). » Saint Isidore Paluziota nous dit : « que le plus cruel des supplices pour les parents, c'est la mort de leurs enfants, surtout quand on les massacre en leur présence (2). » L'ancienne loi défendait de tuer les bêtes mêmes en présence de leurs mères ; les Juifs ont tué le fils de Dieu en présence de sa mère !...

    « C'est peu de dire, observe saint Ildephonse, que Marie ait souffert lors de la passion de Notre-Seigneur un martyre beaucoup plus cruel que celui de tous les martyrs ensemble (3). » — « La Sainte Vierge est au-dessus de tous les Martyrs, comme le soleil est au-dessus de toutes les étoiles (4), » dit saint Basile. Et saint Amédée ajoute : « Marie a bu le calice d'amertume plus amère que la mort ; et ce que le genre humain tout entier n'aurait pu souffrir, Marie l'a souffert. Fortifiée par la puissance divine, elle a vaincu son sexe, vaincu l'humanité et souffert un martyre vraiment surhumain (5). »

    « De quel spectacle nos yeux sont-ils frappés! s'écrie saint Augustin : pour l'impitoyable, la piété flagellée ; pour l'ignorant, la sagesse injuriée ; pour le menteur, la vérité tuée ; pour l'injuste, la justice condamnée ; pour le cruel, la miséricorde oppressée ; pour le misérable, la sincérité abreuvée de vinaigre, et la douceur de fiel ('). » — « Et lorsqu'à la vue de ce crime, dit saint Amédée, la nature entière a tremblé ; lorsqu'à la vue de la mort du Fils de Dieu, la nature entière a poussé un long gémissement, Marie seule resta debout avec la divinité (2); » « soutenant ce cruel martyre, dit saint Cyprien, par la force de son regard (3). » — « Elle contemplait d'un regard plein de compassion, ajoute saint Ambroise, les plaies de son fils, dont elle voyait découler la rédemption du monde (4).

    II.

    « Alors Jésus, jetant un grand cri, dit : Père ! je remets mon âme entre vos mains ('). » Et Marie, dont l'âme était l'écho le plus fidèle de l'âme du Christ, avec le sentiment du sacrificateur et du sacrifice, jeta aussi un grand cri dans son âme, et dit : « Père ! je remets mon esprit entre vos mains, et plus que mon esprit, car c'est l'esprit de mon fils, qui est le vôtre. Glorifiez-le, ô mon Dieu ! et déposez dans ses plaies les trésors inépuisables de votre miséricorde !

    O Marie ! vous entendrez encore une parole de votre fils, une parole qui devait marquer la fin de son sacrifice et de son martyre, qui devait annoncer le dernier battement de son cœur pour vous ! — « Jésus, ayant donc pris le vinaigre, dit : Tout est accompli. Et, baissant la tête, il rendit l'esprit (2). » Tout est accompli! Oui, du côté de Jésus le sacrifice est accompli : du côté de Marie il ne l'est pas encore. Jésus est mort ; Marie, toujours en agonie, ne peut pas mourir. Les douleurs de Jésus ont cessé, les douleurs de Marie augmentent de plus en plus.

    « Or, de peur que les corps ne demeurassent à la croix le jour du Sabbat, parce que c'en était la préparation, et que ce jour du Sabbat était une grande fête, les Juifs prièrent Pilate de leur faire rompre les jambes, et de les faire ôter. Il vint donc des soldats qui rompirent les jambes au premier et à l'autre qu'on avait crucifié avec lui ('). » — Ne craignez point, Marie ! ces bourreaux ne rompront point les jambes à votre fils , car l'Écriture a dit : « Vous ne briserez aucun de ses os (2). »

    « Étant venus à Jésus, et voyant qu'il était déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes (3). »—Ils ne lui rompirent point les jambes ; mais ils vous réservaient, ô Marie ! une douleur plus grande encore.

    Quel est donc cet assassin sacrilége qui, la lance en arrêt, accourt pour frapper la victime sainte jusque dans les bras mêmes de la mort ? Espériez-vous, Marie, qu'il allait vous frapper, vous immoler ? Non ; il allait seulement percer votre âme d'un coup de plus ! —Sa main criminelle perça le cœur de Jésus, cette demeure constante de l'âme de Marie ! L'arbre de la croix trembla sous le coup ; les dernières gouttes de sang tombèrent des plaies de Jésus, et son cœur entrouvert laissa échapper deux torrents ensemble, l'un de sang, l'autre d'eau... C'est son dernier sang ; c'ett l'eau de notre salut, fruit de ce sang précieux. La source de cette eau fut le cœur de Jésus, par conséquent le vôtre, ô Marie ! Car la flamme du martyre et la flamme de l'amour ont fondu vos cœurs en un seul cœur. « Un des soldats lui perça le côté avec une lance ; et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau ('). »

    Ne fuyez pas, infortuné Longin, qui avez percé le côté de votre Sauveur, qui vient de mourir pour vous. Entrez au contraire dans ce cœur, que vous avez ouvert vous-même ; entrez-y hardiment. Regardez Marie qui prie pour vous !... Grâce à sa prière, Longin se convertit, et devint un saint que nous vénérons. 0 bienheureux Longin ! grand pécheur purifié par le sang que vous avez versé, conduisez-nous vers Marie ; car nous aussi nous avons percé le cœur de Jésus ! Qu'elle nous montre « celui que nous avons percé (2) ; » conduisez-nous vers Marie, car nous voulons pleurer avec elle, et, comme vous, devenir saints par elle.

    La mort de Jésus-Christ a ouvert les sépulcres et fendu les pierres. Quand fendra-t-elle, quand ouvrirat-elle nos cœurs ?... « Et toute la multitude de ceux qui assistaient à ce spectacle, considérant toutes ces choses, s'en retournaient en se frappant la poitrine (3). » Oh ! quand viendra-t-il le moment, où, nous aussi, nous nous frapperons la poitrine comme nous le devons ?

    Après cela, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, parce qu'il craignait les Juifs, demanda à Pilate qu'il lui permît d'enlever le corps de Jésus ; et, Pilate le lui ayant permis, il vint et enleva le corps de Jésus (') ». Oh ! qui pourrait dire avec quelle inexprimable tendresse Marie tendit ses bras à Jésus descendu de la croix, pour le faire reposer sur son sein ? Avec quelle douleur elle le pressa contre son cœur désolé ! Qui pourrait dire avec quelle ardeur elle eût désiré pouvoir réchauffer les restes froids de son fils par la chaleur de son sein maternel ?... Oh ! c'est en vain, Marie, que vous voudriez faire passer votre âme dans ce corps inanimé ! Mère du Crucifié, vous ne saurez pas lui donner la vie une seconde fois !

     

    Marie contemple cette bouche livide, ces yeux éteints. Elle visite les blessures de ses bras, de ses jambes et de son côté ; elle compte toutes ses plaies : c'est nous qui les avons faites ! « Il a été couvert de blessures pour nos iniquités (2). » Elle compte toutes ses plaies ; elle pèse dans sa main les clous qui l'avaient attaché à la croix, en se disant : Voilà donc sa récompense pour tout le bien qu'il leur a fait !

     

    Elle penche sur la sienne sa tète couronnée d'épines.. « Oh ! que de glaives percèrent dans ce moment l'âme de cette mère (') ! » s'écrie saint Bonaventure.

    « 0 Vierge sacrée ! s'écrie saint Alphonse de Liguori, vous qui, avec tant d'amour, avez donné votre fils au monde pour notre salut, voici que le monde vous le rend... Il me le rend, il est vrai ; mais dans quel état !... Mon fils était blanc, éclatant de beauté, vous me le rendez livide et éteint ; les plaies dont vous avez couvert son corps ont fait disparaître tout le charme de sa figure ! Mon fils était beau, et le voilà difforme : c'est « un ver, et non un homme, » l'opprobre des hommes et le rebut du peuple (2). » 'Son regard enflammait d'amour, et maintenant il n'a plus de regard !... Verges implacables ! épines cruelles ! clous impitoyables ! lance barbare ! pouviez-vous donc martyriser ainsi votre Créateur et votre Seigneur ?... Mais que dis-je des épines et des clous ? C'est vous, pécheurs, c'est vous qui avez martyrisé mon fils unique !... Accourez donc, et voyez ce que vous avez fait !... »

    « Marie ôte doucement la couronne d'épines du front de son fils bien-aimé ; elle rapproche les plaies de sa main maternelle, elle les lave de ses larmes ; elle place le corps dans l'attitude du repos ; elle a fermé ses yeux... elle a voulu croiser ses bras sur sa poitrine... Ses bras s'étendirent de nouveau, pour montrer qu'aussi bien que son cœur, ils sont toujours ouverts aux pécheurs repentants ('). » Et tenant son fils que nous avons mis à mort, le tenant sur ses genoux, Marie nous appelle : Accourez, mes chers enfants, nous dit-elle, accourez tous bien vite ! Mon fils est mort pour Vous tous, afin de vous donner la vie. Le temps de la crainte est passé, le temps d'amour a commencé. Accourez donc sans crainte, ô mes enfants ! accourez sans crainte. Son cœur vous est ouvert, donnez-lui les vôtres ! C'est là la seule récompense qu'il vous demande pour son sacrifice ; c'est là la seule consolation que je vous demande pour toutes mes douleurs. Accourez bien vite à mon fils : il vous pardonnera, je l'implore pour vous... Et vous aussi, je vous implore pour mon fils unique, ô mes chers enfants ! ne le flagellez plus, ne le crucifiez plus ; mais venez le servir avec moi, venez l'aimer comme moi !...

    O Marie ! nous accourons à votre appel ; nous apportons tous les instruments de supplice de votre fils, tous nos péchés, et nous les déposons à vos pieds. Votre amour, ô notre mère ! nous a désarmés ; de cruels et barbares assassins de votre fils, il nous a transformés en vos enfants. 0 Mère de miséricorde ! nous souffrons de vos douleurs, nous aimons votre fils de votre amour, et nous sommes prêts à le servir par amour pour lui.

     

     

    POUR LE 17ème JOUR DU MOIS.

    Septième douleur de la Très sainte Vierge.

    Jésus mis dans le tombeau.

    I.

    « Ayant donc pris le corps de Jésus, ils l'enveloppèrent dans des linceuls avec des aromates, selon la manière d'ensevelir qui est en usage parmi les Juifs. Or il y avait au lieu où il avait été crucifié un jardin, et, dans ce jardin, un sépulcre tout neuf, où personne n'avait encore été mis ('). »

    Quelle douleur pour Marie de se séparer de ces restes chéris ! quels déchirants adieux ! Comme elle embrassait et ces mains et ces pieds ! comme elle les arrosait de ses larmes brûlantes ! Oh ! quelle douleur extrême ! être séparée de son fils bien-aimé... et séparée par le tombeau !... Elle suivait au sépulcre le corps de Jésus ; elle aurait voulu y rester avec lui ; mais Dieu ne l'a pas voulu. « Mon Dieu ! mon Dieu ! je dois donc vivre encore pour souffrir encore ! » En gémissant ainsi, à demi morte elle-même, elle arrive au tombeau où l'on doit déposer son fils bien-aimé ; elle y arrive pour offrir à Dieu cette nouvelle douleur. « 0 Fils de Dieu ! ô mon fils ! vous étiez mon père, mon fils, mon époux, mon âme ! Et maintenant me voici orpheline, veuve, et mère de douleur ; j'ai tout perdu en vous perdant, mon fils (') ! »

     

    En pleurant ainsi son fils bien-aimé et se lamentant ainsi, elle ajouta aux aromates dont on avait entouré le corps de Jésus le baume précieux de ses larmes ; et, plongeant son regard dans le tombeau qui allait recevoir le corps de Jésus, l'arrosant de ses larmes, elle le bénit et le consacra en disant dans son âme : « Heureuse pierre, qui vas renfermer le corps qu'avait porté mon sein, je te bénis et j'envie ton sort ! Je te confie ce trésor de mon cœur. 0 ! garde-le ! conserve-le ! défends-le d'une nouvelle fureur de ceux qui l'ont tué (2) ! » Et l'âme de Marie ressentit de nouveau toutes les douleurs de Jésus, toutes les douleurs de sa passion, de sa mort sur la croix !

     

    « Le supplice de la croix réunit les douleurs de tous les supplices, dit Cornélius à Lapide : il perce les bras et les jambes comme un glaive ; il disloque les membres comme la torture ; il déchire le corps comme des ongles de fer ; il le met en lambeaux comme une bête féroce ; il brûle comme du feu, mais à petit feu, faisant durer le tourment avant de consumer sa victime et lui donner la mort ('). » Tel Fut le martyre qu'endura Jésus sur la croix, sans compter la flagellation, la couronne d'épines, les injures, le fiel, les blasphèmes, les soufflets des bourreaux, et le plus cruel de tous ses tourments : le baiser de Judas ! Tel fut le martyre de Jésus, et par conséquent celui de Marie.

    Comme les rayons du soleil se réunissent dans le foyer d'un miroir ardent, de même toutes les souffrances de Jésus se réunirent comme autant de glaives dans le cœur de Marie, près du tombeau de son fils, et clouèrent à ce tombeau son cœur et son âme.

    0 Marie ! jusqu'à la consommation des siècles, le saint sépulcre, le sépulcre de votre fils, restera humide de vos larmes, brûlant de vos baisers !...

    II.

    « Enfin, les disciples de Notre-Seigneur prirent la pierre, et enfermèrent dans le saint sépulcre le corps de Jésus, trésor au-dessus de tous les trésors de la terre et des deux. Marie laisse son cœur enseveli avec Jésus, car Jésus était tout son trésor. Et nous, que faisons-nous de nos cœurs ? Nous les plaçons dans les créatures, nous les ensevelissons dans la fange ! Et pourquoi pas avec Jésus, qui, bien que monté au ciel, a voulu rester avec nous, vivant dans le saint-sacrement de l'autel ? C'est là que devraient demeurer nos cœurs. Car « où est votre trésor, là sera votre cœur ('), » nous dit le Seigneur. 0 Jésus ! Jésus ! je veux être toujours avec vous, sûr la croix comme au tombeau. 0 Marie ! près de la croix, près du sépulcre, obtenez-moi cette grâce (2).

    Et Marie s'en alla du sépulcre près de la croix toute chaude encore du sacrifice qui y avait si longtemps brûlé. Que n'a-t-elle senti à la vue de ce lit de douleur et de mort, sur lequel son fils bien-aimé agonisait en sa présence pendant trois heures mortelles ! Elle se jette au pied de la croix, comme si Jésus-Christ y reposait encore ; elle l'embrasse, elle la presse contre son cœur, et ramasse par ses baisers le reste du sang de son fils divin.

    0 sainte croix ! disait Marie dans son cœur, je vous salue et je vous adore ! Vous êtes sanctifiée par le sang du Fils de Dieu ; d'instrument de supplice, vous êtes devenue l'instrument du salut ; d'instrument de peine infamante, vous êtes devenue le trône de la miséricorde, le berceau d'un monde nouveau, le signe de la victoire, l'arme et le bouclier de tous mes enfants d'adoption, la force et la vie de la sainte Église ! C'est par vous qu'a vaincu le lion de la tribu de Juda ; c'est par vous que l'agneau de Dieu a effacé les péchés du monde ; c'est de vous que brillera la clarté divine de l'est à l'ouest, et du sud au nord : au nom et par le nom de Jésus, roi du peuple de Dieu ! Vous serez à jamais le symbole de son règne, de sa puissance et de son amour ; car c'est sur vous que mon fils et mon Dieu a établi son règne éternel sur le ciel, l'enfer et la terre. 0 sainte croix ! je vous salue et je vous adore, et par cette adoration je bénis la miséricorde de Dieu.

    0 mes enfants ! accourez au pied de cette croix ; elle sera votre bouclier, votre refuge et votre soulagement. Elle sera votre bouclier contre Satan, car elle a vaincu l'enfer ; votre refuge contre le courroux de Dieu, car elle a désarmé la justice divine ; votre soulagement dans vos afflictions, car elle vous a gagné le ciel.

    Je vous glorifie et vous rends grâce, ô mon fils bien-aimé ! de ce que, par la croix, vous avez racheté tous vos enfants qu'en mourant vous m'avez légués. Gloire et bénédiction à vous de ce que, de votre croix, vous avez fait à mon Dieu un autel sur lequel le saint sacrifice brûlera pour le salut du monde jusqu'à la consommation des siècles ; de ce que par votre croix vous avez fondé et fortifié votre Église. Que votre croix, dans tous les siècles, lui donne la victoire ! qu'elle défende tous mes enfants ! qu'elle les abrite, qu'elle les soulage et qu'elle les sauve !

    C'est ainsi que Marie pleurait et cherchait des consolations en priant pour nous.

    Oh ! accordez-nous donc, ô Jésus ! ce que Marie vous a demandé pour nous au pied de votre croix.

    III.

    En quittant la croix, Marie retournait tristement à sa demeure. Ceux qui la rencontraient pleuraient sur elle ; mais personne ne la consolait, car personne ne pouvait la consoler.

    Elle rentra dans sa maison, maintenant déserte pour elle. Son fils bien-aimé n'y est plus ! Elle sait qu'elle ne le trouvera plus comme elle l'a trouvé autrefois, et cependant elle le cherche encore, et son cœur l'appelle : 0 mon enfant ! où êtes-vous ? où êtesvous, mon fils bien-aimé ?

    « Elle se rappelle maintenant les caresses de l'enfant dans l'étable de Bethléhem ; sa divine présence pendant les longues années de leur bienheureuse retraite à Nazareth ; son amour filial et ses tendres regards, les paroles de la vie éternelle qui coulaient de sa bouche. Et à côté de cela, le terrible tableau de la journée d'aujourd'hui se retrace dans sa pensée ; toutes ces cruautés, ces fouets, ces clous, ces épines, ce corps déchiré par des milliers de plaies parmi lesquelles les cinq plaies les plus profondes ; ces os mis à nu, cette bouche de cadavre, ces yeux morts... Ah ! Jean ! où est donc votre maître ? Madeleine ! où est donc votre bien-aimé ? 0 Dieu ! qui donc nous l'a ravi ?... Il n'y est plus ! il n'y est plus ! répondent en sanglotant tous les cœurs déchirés... Il n'y est plus ! il n'y est plus ! redisent les murailles. Et les souvenirs d'amour, se retraçant aux regards de l'âme, entassaient douleur sur douleur. Marie pieurait, et tous pleuraient autour d'elle ! Et toi, mon âme, ne pleureras-tu pas (') ? »

    0 Marie ! vous êtes l'innocence même et vous pleurez ; moi, qui suis un criminel, comment ne pleurerais-je pas ? Oh ! ma mère, faites qu'en pleurant vos douleurs, je pleure mes péchés !

    Lorsque le roi David apprit la mort de son fils Absalon, il fut saisi de douleur, et, montant à la chambre qui était au-dessus de la porte, il se mit à pleurer ; et il disait en marchant : « Mon fils Absalon ! Absalon mon fils ! que ne puis-je donner ma vie pour la tienne ! mon fils Absalon ! Absalon mon fils (2). » Ainsi David pleurait son fils ingrat, rebelle, fratricide, et qui leva sur lui-même sa main parricide. Comment ne pleurerait donc pas Marie ? Comment ne pleurerait-elle pas le fils le plus reconnaissant, le plus saint, qui était la perfection même et qui l'aimait tant !... Car c'est Dieu que ce fils de Marié, et c'est sa mort que pleure cette mère de douleur. Et puisque le roi David aurait voulu donner sa vie pour celle de son fils, combien plus Marie, aimant son fils infiniment plus, et voyant sa mort, n'eût pas voulu donner sa vie pour la sienne ! Combien de fois ne s'est-elle pas offerte au Père éternel pour mourir à la place de son fils. Et maintenant que ce fils unique, ce fils bien-aimé, ce Fils-Dieu est mort, avec quelle douleur elle s'écrie du fond de son âme : "Mon fils Jésus ! Jésus mon fils ! que ne puis-je donner ma vie pour la tienne ! mon fils Jésus ! Jésus mon fils !... » 0 Marie ! qui pourrait ne pas pleurer en vous voyant pleurer ainsi ?

    La mère des Machabées a souffert sept fois la mort en voyant le martyre de sept enfants. Marie, dans ses sept douleurs, l'a soufferte aussi sept fois. Mais la mère des Machabées, martyrisée à l'instant, n'avait pas survécu à ses enfants, tandis que Marie, martyrisée avec Jésus, a survécu à Jésus ; et c'était là sa plus cruelle douleur. Mon fils ! mon fils ! où est-il ? Au sépulcre, où il est descendu en passant par la croix. A cette pensée, toutes les blessures de Jésus la faisaient souffrir de nouveau, et de nouveau le glaive cruel s'enfonçait dans son âme !

    « Vous pleuriez, Marie, et vos yeux se sont affaiblis à force de verser des larmes (') ; » et vos premiers enfants pleuraient avec vous ; et vos derniers enfants pleureront avec vous. Ils pleureront vos douleurs par amour pour vous et pour Jésus. « Consolations du monde, retirez-vous de moi ; je répandrai des larmes amères (2). » 0 sainte mère de douleur ! faites-nous pleurer et ne laissez pas sécher nos larmes jusqu'à ce que nous arrivions au ciel.

     

    POUR LE 17ème JOUR DU MOIS.

    DU COEUR IMMACULÉ DE MARIE.

    La fête du Cœur immaculé de Marie tombe le premier dimanche après l'octave de l'Assomption.

    1.

    0 Marie ! que dirai-je de votre cœur ? C'est le cœur le plus douloureux, le plus aimant, le plus beau. Le plus douloureux, car il souffre de toutes les douleurs de Jésus ; le plus aimant, car il aime de l'amour de Jésus ; le plus beau, car il ressemble le plus au cœur de Jésus. Il est doux, humble, pur, patient, clément, miséricordieux, docile, obéissant jusqu'à la mort.... jusqu'à la mort de la croix, qui était plus que la vôtre, car c'était la mort de votre fils.

    0 Marie ! votre cœur est le plus beau ! En le contemplant, Dieu vous a dit : « Vous êtes toute belle, ma bien-aimée ('). » 0 Marie ! votre cœur est le plus aimant ! aimant Dieu d'un amour si grand que Dieu lui-même vous a dit : « Vous avez blessé mon cœur ('). » 0 cœur de Marie ! cœur selon le cœur de Jésus-Christ ! riche de toutes les vertus, faites-vous connaître à nous, et faites que nos cœurs se forment à votre exemple.

    0 Marie ! quel est donc ce glaive qui traverse votre cœur ? Ah ! c'est le glaive à deux tranchants qui a percé votre âme et qui s'est fixé dans votre cœur. Le cœur de Marie est toujours saignant, toujours douloureux, et cependant il est calme et toujours calme, car il est toujours soumis à la volonté de Dieu. 0 Marie ! apprenez-nous cette vertu, car c'est elle qui, au milieu d'afflictions et de souffrances, donne la paix et la joie du cœur !

    Dieu perce les cœurs par la douleur pour y entrer par l'amour. Celui qui comprend cette miséricorde de Dieu l'en bénira ; car si Dieu a percé le cœur si pur, si saint de Marie, d'un glaive si cruel, pour y faire germer un amour sans bornes, qu'y a-t-il d'étonnant que nos cœurs, couverts, enveloppés de péchés sans nombre, soient brisés d'afflictions et de douleurs, afin que l'amour de Dieu y puisse pénétrer ? Et puis, si l'innocente et la sainte Marie non seulement ne se plaint pas de ses douleurs, mais si au contraire elle les bénit, que faisons-nous donc, nous pécheurs, en nous plaignant de nos souffrances, en cherchant à nous en soulager autrement qu'en recourant à Dieu ?

    Rien ne dissipe les ténèbres de la nuit que le soleil ; rien ne dissipe nos afflictions que Jésus ; et cette aurore sans laquelle le soleil ne se lève jamais : Marie ! Dans toutes nos tribulations, implorons Marie, car Jésus la suit toujours. Saint Philippe de Néri assure qu'il dissipait tous ses chagrins, calmait toutes ses douleurs en invoquant Marie. Un enfant qui souffre se presse sur le sein de sa mère, et bientôt il oublie sa douleur, et sa dernière larme semble une goutte de rosée se jouant sur la fleur. Et nous aussi, enfants de Marie, pressons-nous sur son sein ; sa douce haleine séchera nos larmes, et n'en laissera qu'une goutte dans le souvenir de douleurs passées, pour augmenter le charme de nos cœurs, pour ajouter du prix à notre joie, pour raviver notre amour ; car le cœur le plus souffrant aime le plus ardemment.

    Le symbole de l'amour divin, c'est la croix ; le symbole de l'amour de Marie, c'est le glaive. Ainsi nous ne pouvons avoir pour symbole de notre amour que la croix et le glaive. Soyons donc prêts à endurer toutes les souffrances, parce que Jésus et Marie ont souffert pour nous ; parce que nous avons péché ; parce qu'il nous faut mériter la miséricorde divine ; parce qu'il faut que nous nous donnions entièrement à Dieu ; parce qu'il faut que nous nous arrachions complétement au monde et à nous-mêmes ; parce qu'enfin nous devons, pendant notre séjour terrestre, travailler à nous assurer de notre séjour céleste.

    Les souffrances imméritées sont les dons les plus favorables de Dieu ; il ne les accorde qu'à ses élus comme preuve de son amour particulier, comme signe de la gloire spéciale qu'il leur a préparée au ciel. Jésus a souffert, et il est ainsi entré dans sa gloire ; nous aussi, nous devons souffrir pour la partager avec lui. Celui qui souffre le plus de souffrances imméritées acquiert le plus de ressemblance avec Jésus-Christ, et participera le plus à sa gloire. Marie fut la créature la plus aimée de Dieu, aussi l'a-t-il éprouvée le plus. La plus grande part de gloire avait été destinée pour Marie, aussi Dieu a-t-il percé son cœur des douleurs les plus poignantes. 0 Seigneur ! comptez-nous aussi parmi vos élus, aimez-nous aussi, et percez aussi nos cœurs de douleur, pour les remplir de votre saint amour. « Mon cœur est préparé, ô Dieu ! mon cœur est préparé ('). »

    0 Jésus ! ô Marie ! vous avez souffert par amour pour nous ; faites-nous souffrir par amour pour vous.

    II

    Quelle est donc la couronne qui entoure votre cœur, ô Marie ? C'est la couronne de roses blanches, symbole de sa pureté sans tache qui répand autour d'elle un charme inexprimable, exhalant un parfum de toutes les vertus. Toutes les vertus ont établi leur siége dans le cœur de Marie, dans ce trône de la sagesse divine ; toutes ont déposé leurs trésors dans le cœur de Marie, dans ce sanctuaire brillant de l'or de la vérité ( domus aurea). Le cœur de Marie est le vase spirituel rempli de la grâce divine : vase d'honneur, plein de la majesté de Dieu ; vase insigne de la dévotion, plein de cet admirable amour de Dieu, qui veille toujours et qui prie toujours ! « Je dors, et mon cœur veille ; la voix de mon bien-aimé qui frappe. Ouvrez-moi, ma sœur, ma bien-aimée, ma colombe, vous qui êtes sans tache (') ! »

    Le cœur de Marie veille toujours, parce qu'il aime toujours ; car le cœur aimant veille constamment, attentif à la voix du bien-aimé qui frappe et dit : « Ouvrez-moi ! » C'est à cause de l'amour si vigilant de Marie que Dieu l'appelle si tendrement, si amoureusement : « Ouvrez-moi, ma sœur, ma bien-aimée, ma colombe, vous qui êtes sans tache ! »

    Que Dieu aimât le cœur de Marie, le cœur si pur, si saint, si fidèle, cela se conçoit ; mais que l'amour de Dieu cherche constamment à pénétrer dans nos détestables cœurs, pour les purifier de tous les vices, pour y semer toutes les vertus, pour y établir son trône divin, voilà ce qui ne saurait se concevoir. Et, s'il y a quelque chose de plus étonnant, c'est notre insolente indifférence à la voix de Jésus-Christ, qui nous appelle constamment, et en frappant à nos cœurs, nous dit en vain : « Ouvrez-moi ! » Nous vivons, mais nos cœurs sont morts ; nous veillons, mais nos cœurs dorment ; ils n'ont pas le sentiment qu'ils devraient avoir ; ils ne prient pas comme ils devraient prier, et voici pourquoi ils se livrent au péché.

    « Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation ('). « Veillez donc, puisque vous ne savez quand le maître de la maison doit venir, si ce sera le soir ou à minuit, ou au chant du coq, ou au matin ; de peur que, survenant tout d'un coup, il ne vous trouve endormis (2). Or ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez ! » « Me voici à la porte, et j'y frappe. Si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui, et je souperai avec lui, et lui avec moi (3). » « Heureux ce serviteur si son maître, à son arrivée, le trouve agissant de la sorte (4)! » « Si vous entendez aujourd'hui sa voix, gardez-vous bien d'endurcir vos cœurs (5)! »

    Ah ! Marie ! malgré ces avertissements, que de fois, insensible à la voix de votre fils, je l'ai entendu sans l'écouter. Ah ! Marie, dites à Jésus qu'il vienne encore une fois ; cette fois il ne frappera pas en vain, car j'ai toute confiance que vous serez dans mon cœur pour le lui ouvrir.

     

    O Marie ! quelle est donc la flamme qui brûle et qui brille dans votre cœur ? Sa lumière est plus douce que celle de la lune, plus éclatante que celle du soleil ! C'est le feu de la charité dans lequel brûle et se consume éternellement le sacrifice permanent et complet sans cesse offert à Dieu : c'est le feu mystérieux qui fait fondre ensemble votre cœur et celui de Jésus. Cette union de votre cœur avec celui de Jésus, cette conformité de votre volonté avec celle du Père éternel, vous rendent plus encore d'esprit que de corps la mère de Jésus, selon ces paroles du Christ : « Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère ('). » - En suivant l'exemple de Marie, c'est-à-dire en faisant la volonté de Dieu par amour pour Dieu, rien n'est plus facile que de devenir frère ou sœur de Jésus-Christ. Cœurs humains, vous cherchez l'amour, vous avez besoin d'amour ; vous ne pouvez être sans amour : il est pour votre âme ce que l'air est pour votre corps ; il est le feu qui entretient votre vie. Où le cherchez-vous donc ? puisque l'amour infini, puisque Dieu lui-même se donne à vous, pour que vous l'aimiez ! puisque pour mère il vous a donné la mère de son Fils ! afin qu'elle vous élève pour être (ils de Dieu, en allumant dans vos cœurs ce feu qui brûlait dans le sien, ce feu du ciel que Notre-Seigneur jeta sur la terre, comme il le déclare lui-même : « Je suis venu, dit-il, pour jeter le feu dans la terre ; et que désiré-je, sinon qu'il s'allume (') ? » ce feuj qui ne consume pas, maisqui vivifie ; ce feu d'amour, enfin, qui brûle avec tant de force pour Dieu et pour nous dans le cœur de Marie !

    0 Marie ! ô ma mère ! vous avez blessé mon cœur, et moi j'ai blessé le vôtre ; mais quelle différence ! Vous avez blessé le mien avec un trait d'amour ; j'ai blessé le vôtre avec un glaive de douleur !

    O Mère adorable ! adorable surtout parce que vous m'aimez, bien que je sois l'un des assassins de votre fils ! adorable, parce que vous m'aimez comme si j'étais votre fils unique, comme si j'étais votre unique bonheur. Vous me cherchez, vous me suivez partout de votre amour, bien que je me cache de vous, bien que, comme un insensé, je vous fuie toujours !

    Que je sois dans les déserts, que je sois au fond des précipices, votre cœur maternel est toujours près de moi pour me consoler dans mes afflictions, pour me guider quand je m'égare, pour m'assister quand je succombe, pour me calmer dans mes agitations, pour m'avertir quand je me perds, et me ramener dans la maison paternelle ; pour rafraîchir ma lassitude, pour nourrir ma faim, pour abreuver ma soif avec le corps et le sang de Notre-Seigneur, pour couvrir ma nudité avec la grâce de Dieu.

    0 Marie ! non seulement vous vous donnez à moi, mais encore vous me suppliez que je vous accepte avec toute la richesse, tout le charme et toute la puissance de la grâce divine que vous m'apportez.

     

    0 Marie ! la multitude même de mes péchés, qui ont grossi comme les eaux d'un fleuve, n'a pas pu éteindre votre charité pour moi ; car « les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité, et les fleuves n'auront pas la force de l'étouffer ('). »

     

    0 mère du Rédempteur ! mère de ceux qu'il a rachetés ! retirez-moi tout ce que je possède, et donnez-moi votre cœur, c'est-à-dire l'amour de Dieu et du prochain. Alors encore, le trésor que vous m'aurez donné me serait donné pour rien ; car «quand un homme aurait donné toutes les richesses de sa maison pour la charité, il les mépriserait comme s'il n'avait rien donné (2), » puisque toutes les richesses et le monde entier ne sont rien en comparaison de la charité.

     

    POUR LE 19ème JOUR DU MOIS.

    DE L'HUMILITÉ ET DE LA DOUCEUR DE MARIE.

    I.

    Saint Thomas nous dit : Que de tous les saints du Seigneur il n'y en a aucun qui brille d'un plus vif éclat par une vertu particulière ; mais que Marie, comme reine de tous les saints, les domine tous par toutes les vertus. C'est pour cela que saint Ambroise nous invite à contempler toujours la sainte Vierge, car elle est le miroir de justice qui réflète le plus exactement l'image de Notre-Seigneur, et que c'est sur elle que nous devons chacun modeler notre cœur, afin qu'enfants de Marie, nous ressemblions de plus en plus à notre divine mère. Car, selon que l'a dit un autre serviteur de Dieu, « les imitateurs de Marie sont les seuls enfants de Marie. »

    Or donc, la première vertu que nous devons imiter dans Marie, c'est la vertu de l'humilité.

    L'humilité, dit saint Cyprien, c'est l'introduction à la vie dévote, le soutien des autres vertus, l'attrait de l'âme qui cherche à plaire à Dieu ; car l'humilité n'est que la confession de ces deux vérités : que nous ne pouvons faire rien de bon par nous-mêmes, et que tout ce qui est bon nous vient de Dieu. « Vous ne pouvez rien faire sans moi ('), » dit le Seigneur. Et saint Paul nous le dit en ces termes : « Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu ! Et si vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifiez-vous, comme si vous ne l'aviez point reçu (2) ? » Ainsi l'humilité évoque nécessairement le sentiment et l'aveu de notre nullité : « Si quelqu'un s'estime être quelque chose, il se trompe lui-même, parce qu'il n'est rien (3). »

    Toutes les fois qu'un homme qui n'est pas aveuglé par le péché se retrace dans sa mémoire tous les bienfaits de la création, par lesquels Dieu nous a tirés du néant et nous a comblés de ses dons ; toutes les fois qu'il songe aux bienfaits de la rédemption, par lesquels, au prix de son sang, Dieu nous a relevés de notre chute, et a remis entre nos mains tous les moyens nécessaires pour obtenir le salut éternel ; toutes les fois qu'il considère les bienfaits de la grâce sanctifiante, par laquelle de vils et méprisables pécheurs, à condition du repentir seul, Dieu nous élève du péché à la sainteté, de la terre au ciel, et de l'humanité jusqu'à la divinité ; toutes les fois qu'il le médite, l'homme s'abîme et se perd dans l'infini de la bonté et de la miséricorde divine ; et, saisi d'étonnement, il s'écrie avec sainte Elisabeth : « D'où cela me vient-il ! d'où cela me vient-il ! » Accablé par l'immensité des grâces divines, il se plonge de plus en plus dans le sentiment de l'humilité ; il avoue sa nullité et sa méchanceté, il adore la bonté divine, il pleure ses iniquités ; honteux et contrit, il s'humilie devant son Créateur et son Rédempteur ; il s'humilie même devant toute créature ; il s'humilie d'autant plus, qu'il avait plus reçu de Dieu, qu'il avait plus offensé Dieu, et qu'il espère plus de Dieu.

    L'humilité est donc un devoir pour tout homme.

    Par l'humilité nous entrons en Dieu, en l'emmenant dans nos cœurs ; de même que par l'orgueil nous sortons hors de Dieu, en l'éloignant de nous ; car « Dieu résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles ('). » L'humilité est donc notre principale richesse, la condition nécessaire de notre salut ; sans humilité nous ne sommes que des cadavres vivants, des sépulcres blanchis.

    L'humilité, reconnaissant que par elle-même elle n'est rien, elle ne se recherche pas elle-même, elle ne recherche que Dieu, sachant que tout vient de Dieu, espérant tout de Dieu. L'humilité ne désire point sa gloire, mais la gloire de Dieu ; et voilà pourquoi elle est la base et la source de toutes les vertus. L'humilité possède la foi vive, car elle soumet sa raison au distributeur de la raison, qui est Dieu. L'humilité possède l'espérance, car elle n'a pas confiance en elle-même, mais en Dieu. L'humilité possède la charité sans bornes, car n'aimant rien en elle, mais en Dieu, et ne s'attachant à aucune chose créée, elle aime toutes les choses créées en vue du Créateur, puis elle aime le Créateur de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces ; enfin, comme elle est vide d'elle-même et de toute autre chose, elle est remplie du feu de l'amour de Dieu, qui la saisit, l'entoure, la pénètre, la ravit et l'embrase ; de sorte que l'âme humble ne vit pas pour elle-même, mais pour Dieu et en Dieu. Aussi l'humilité se complaît dans la pauvreté, par amour de Dieu ; elle garde la chasteté pour complaire toujours à Dieu ; elle se nourrit d'obéissance, mettant toute sa sécurité et toute sa joie dans l'accomplissement de la volonté de Dieu. Elle est reconnaissante pour toute chose, sachant que rien ne lui est dû ; elle est vaillante et courageuse, car elle ne compte pas sur elle-même, mais sur Dieu ; elle est laborieuse, car elle sait qu'elle doit rendre compte à Dieu ; elle est pénitente, car elle sent son indignité et tremble de se trouver en faute ; elle est patiente, puisqu'elle sait qu'elle a mérité bien plus de souffrances ; elle ne s'élève audessus de personne, elle ne se compare à personne ; elle ne se plaint de rien et ne s'étonne d'aucune injustice à son égard ; au contraire, elle s'étonne des louanges qu'on lui donne, de l'estime qu'on lui témoigne. Et c'est ainsi que l'humilité est l'introduction, le soutien et le charme de toutes les vertus.

    Et voici pourquoi Jésus-Christ insiste pour que nous possédions cette vertu : « Apprenez de moi, nous dit-il, que je suis doux et humble de cœur ('). »

    Oui, Seigneur ! nous le désirons bien ; mais vous, ô Marie ! qui l'avez le mieux appris, apprenez-nous comment nous devons l'apprendre de notre Seigneur Jésus-Christ.

    II.

    « Quiconque veut bâtir une tour bien haute, doit creuser des fondements bien profonds, » dit saint Grégoire. La tour que nous avons à bâtir doit atteindre jusqu'au ciel ; car il s'agit pour nous de conquérir le ciel. Cette entreprise doit donc nous faire comprendre combien notre humilité doit être profonde, puisque c'est elle qui doit en être le fondement ! Ah ! travaillons, travaillons sans relâche à creuser ce fondement, car le temps est bien court et le terrain bien dur. Plus nous aurons creusé dans l'humilité, plus notre tour s'élèvera vers le ciel ; car c'est en proportion de notre humilité que Dieu nous aura remplis de sa grâce : « Quiconque s'abaisse sera élevé (2). » Et si nous nous abaissions comme Marie, nous serions comme elle remplis de toutes les vertus, et comme elle élevés vers Dieu.

    0 tour de David ! tour d'ivoire, dont le sommet atteint jusqu'au plus haut des cieux ! O sanctuaire privilégié que Dieu habite à cause de votre humilité, faites que nos cœurs deviennent par la vertu de l'humilité des demeures propres à recevoir les grâces de Dieu, qu'il refuse aux superbes et qu'il accorde aux humbles, comme vous le proclamez vous-même dans l'hymne de votre humilité, en disant : «Il a renversé les grands de leurs trônes et il a élevé les petits. Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés, et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches ('). »

    Bien que Dieu se soit complu dans Marie, à cause de tous ses charmes, comme il est dit dans le Cantique des cantiques : « Vous êtes toute belle, ma bien-aimée (2). » — « Cependant, dit saint Jérôme, c'est à cause de l'humilité de Marie, de préférence à toute autre vertu, que Dieu a voulu prendre naissance dans son sein virginal (3). » Et Marie même le confesse en disant : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante (4). » — « Il n'a pas regardé seulement sa virginité et son innocence, mais aussi son humilité profonde (r'), » dit saint Laurent Justinien. « Son humilité, c'est-à-dire son anéantissement ('), ajoute saint François de Sales.

    Dieu a regardé Marie, parce qu'elle reconnaissait sa bassesse : voici pourquoi il l'a bénie et l'éleva au-dessus de toutes les créatures, parce que de toutes les créatures elle était la plus humble ; voici pourquoi il a fait en elle de grandes choses, qu'elle ne pouvait exprimer elle-même, car l'humilité de Marie a été si profonde, que la langue humaine ne saurait le dire. Marie, la plus humble de toutes les créatures, ayant par son humilité mérité d'être élevée à la plus haute dignité de la création, à la dignité de mère de Dieu, n'en devint que plus humble ; car les grandes choses que Dieu lui a faites l'avaient encore abaissée. Elle a disparu dans le Seigneur ; elle ne se voit et ne se sent plus ; elle ne voit que Dieu, elle ne se sent qu'en Dieu, elle ne chante que Dieu. « Mon âme, dit-elle, glorifie le Seigneur et mon esprit est ravi de joie eil Dieu mon Sauveur (2). »

    C'est ainsi que Marie a mérité, par la plus profonde humilité, les grâces les plus élevées ; et plus elle en recevait de Dieu, plus elle s'abaissait elle-même. Elle s'abaissait devant Dieu, comme le mendiant devant le riche qui l'assiste largement. Elle s'abaissait devant les hommes, en allant la première visiter Elisabeth, en cachant à Joseph son privilége de mère de Dieu. Elle s'abaissait devant le monde entier, en accomplissant la cérémonie de la purification, qui voilait aux yeux de tous le don de virginité uni à celui de maternité, et de maternité divine. Elle s'abaissait partout et toujours, car nulle part elle ne cherchait de gloire pour elle-même. Et ce n'est qu'à la croix, où il ne s'agissait plus de gloire, mais du mépris des hommes, mépris qu'elle y trouva ; ce n'est qu'au pied de la croix qu'elle se manifeste comme mère de celui que les hommes ont condamné comme un malfaiteur et qu'ils exécutaient comme un criminel. Elle s'abaissait enfin devant elle-même : elle estimait qu'elle n'était rien ; elle sentait qu'elle n'était rien. Et c'est ce qu'il y a de plus difficile pour nous, et ce n'est facile qu'aux âmes qui, comme Marie, glorifient le Seigneur et non elles-mêmes : « Mon âme glorifie le Seigneur ('). »

    Et mon âme, qui glorifie-t-elle, du Seigneur, ou du serviteur ? Est-ce Dieu, ou elle-même ? Et mon esprit, en qui est-il ravi ? Est-ce en Dieu, qui est son Sauveur, ou en lui-même, qui est son propre ennemi ?

    0 Marie ! qui par votre humilité avez donné Dieu aux hommes et les hommes à Dieu. 0 Marie ! qui par votre bienheureuse humilité avez vaincu l'enfer et nous avez conquis le ciel ! 0 Marie la plus humble ! que deviendrai-je, moi, le plus orgueilleux, si votre humilité ne triomphe de mon orgueil !

     

    III.

    « Que vous êtes belle ! ma bien-aimée, que vous êtes belle ! vos yeux sont ceux des colombes ('). » Ces yeux de colombe, dont la beauté ravit Dieu même, ce sont la douceur et l'humilité. La douceur et l'humilité, voilà les deux yeux fermés au monde et ne regardant que le ciel : voilà les deux ailes qui, sans le moindre bruit, emportent l'àme vers Dieu ; voilà les deux rayons qui éclairent l'âme et l'unissent à Dieu ; voilà les deux chemins divins par lesquels le Saint-Esprit descend dans l'âme. La douceur et l'humilité étaient dans Marie cette perle précieuse avec laquelle elle acheta le ciel et Dieu lui-même. La douceur et l'humilité étaient dans Marie le parfum du souffle de Dieu.

    Douce comme la rosée du printemps, Marie a passé sa vie entière dans la plus humble modestie. On ne l'entendait pas plus qu'on n'entend le cours des planètes ; et comme les planètes accomplissent silencieusement leur révolution au milieu de l'azur des cieux, de même Marie pratiquait en silence toutes ces vertus sublimes, dont l'éclat se rèflétait sur le fond d'azur de son humilité, et feront éternellement l'admiration du monde. Chantait-elle, c'était à Dieu. Se plaignait-elle, c'était d'amour. Pleurait-elle, c'était sur nous. Priait-elle, c'était pour nous. Elle chantait à Dieu, du fond de son âme bienheureuse : « Mon âme glorifie le Seigneur (') ! » Elle n'a soupiré qu'une seule plainte, c'est quand, après avoir retrouvé Jésus après sa disparition, elle lui dit, dans l'effusion du chagrin qu'elle en avait éprouvé ainsi que Joseph, et encore plutôt par ses larmes que par ses paroles : « Mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous ? Voilà votre père et moi qui vous cherchions tout affligés (2). »

    Son âme pleurait toujours, mais en secret, tout bas. Elle pleurait les souffrances de Jésus ; elle pleurait sur nos péchés et sur nos ingratitudes ; car c'était là vraiment le glaive qui transperçait son âme. Marie priait, mais ce n'était pas pour demander, même à son fils, des biens terrestres pour elle : elle demande tout pour nous, quand même nous ne lui demandons rien ; comme elle a fait aux noces de Cana, où, voyant que le vin venait à manquer aux époux, elle dit à Jésus, bien qu'on ne le lui demandât pas : « Ils n'ont point de vin (s), » et Jésus leur procura miraculeusement du vin, l'accordant à l'instant à la prière de Marie.

    Et nous aussi, o Marie ! nous n'avons point de vin, et nos vases ne sont remplis que d'écume et dé vinaigre. 0 notre mère ! vous savez bien quel est le vin qu'il nous faut. Dites tout bas à Jésus : « Ils n'ont point de vin, » et dites-nous, à nous, tout haut, car nous sommes sourds à votre voix, dites-nous bien haut quels sont les vases que nous devons préparer pour recevoir ce vin, et de quoi devons-nous les remplir.

    Marie ne désire d'autres vases que nos cœurs, elle veut que nous les remplissions de l'eau limpide de l'humilité, avec laquelle son fils fera, par l'effet de sa grâce, du vin excellent, vin de charité, qui servira pour notre festin éternel.

    Marie ne s'est jamais plainte ni de l'ingratitude des hommes, ni des persécutions, ni du glaive dont nous avons percé son âme, car son humilité absorbait sa douleur. A côté de cette douceur de Marie, voyons figurer nos murmures et nos plaintes, nos disputes et nos querelles, nos prétentions, nos clameurs, et nos vanteries...

    0 vous si douce ! ô vous si paisible ! calmez-nous Marie ! apaisez-nous ! pour que nous puissions entendre le chant humble et doux de votre cœur, et que nous puissions l'accompagner aussi, en chantant avec vous, du fond de nos cœurs, cette hymne à la gloire de Dieu, à notre propre néant : « Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur. »

     

    POUR LE 20ème JOUR DU MOIS.

    DE LA FOI DE MARIE.

    I.

    « La foi, dit saint Paul, est ce qui rend présentes les choses qu'on espère, et ce qui nous prouve celles qu'on ne voit point (') ; » celles qu'on ne voit ni par les yeux du corps, ni par ceux de l'esprit. La foi est donc la base de l'espérance, car pour espérer il faut croire que la chose dans laquelle on espère peut arriver. La foi, c'est la raison et la preuve de notre confiance en Dieu ; la foi, c'est l'hommage, c'est le culte rendu à la vérité et à la source de toute vérité, qui est Dieu.

    La foi est la condition du salut, car Notre-Seigneur l'a dit : « Celui qui croira, et qui sera baptisé, sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné (2). » La foi est la condition de la justification : « Quiconque croit est justifié (3), » par les actes de la foi et par la foi, « qui est animée par la charité ('). » La foi est la condition de la vie. « Le juste vit de la foi (2), » dit l'Apôtre. La foi est la condition des grâces efficaces de Dieu. « Croyez-vous que je puisse le faire (3) ? » demandait ordinairement le Christ à ceux qui le priaient de faire des miracles. La foi est la condition d'action efficace pour la cause de Dieu et de notre salut ; Jésus-Christ lui-même nous l'apprend, lorsqu'il dit : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : transporte-toi d'ici là, et elle s'y transporterait, et rien ne vous serait impossible (4). » Voici pourquoi les apôtres suppliaient Notre-Seigneur en disant : « Augmentez notre foi (5). » En un mot, la foi est une condition indispensable pour être agréable à Dieu : « Il est impossible de plaire à Dieu sans la foi, » dit saint Paul (B). »

    « C'est par la foi, dit l'Apôtre, que nos pères ont conquis les royaumes, ont accompli les devoirs de la justice, ont reçu l'effet des promesses, ont fermé la gueule des lions, ont arrêté la violence du feu, ont évité le tranchant des épées, ont été guéris de leurs maladies, ont été remplis de force et de courage dans les combats, ont mis en fuite les armées des étrangers... Les autres ont souffert les moqueries et les fouets, les chaînes et les prisons. Ils ont été lapidés, ils ont été sciés, ils ont été éprouvés, ils sont morts par le tranchant de l'épée (') ; » leur foi augmentait leur force et leur courage, et ils se consolaient d'avoir à souffrir pour la cause de Dieu.

     

    L'Eglise et toutes les vertus qui y fleurissent doivent leur durée et leur développement à la foi. Et tout cela par Marie, qui est la mère et la conductrice de tous les croyants. Les patriarches et les prophètes contemplaient la foi de Marie : contemplons-la aussi et tâchons de l'imiter.

    La foi de Marie fut vive, simple et persévérante. La foi de Marie fut si vive qu'elle nous a donné la vie. Car, dit saint Irénée, « ce qu'Eve avait noué par l'incrédulité de la foi, Marie l'a dénoué par sa foi (2). » — « Eve, dit Tertullien, avait cru au serpent, Marie a cru à Gabriel ; ce que l'autre avait perdu en croyant au mal, Marie l'a racheté en croyant au bien (3). »

     

    Au mépris de la parole de Dieu, Eve, abandonnant la foi et croyant à Satan, ferma le paradis, enfanta la mort, ouvrit l'enfer ; en respectant la parole de Dieu, en conservant la foi et croyant à l'ange, Marie vainquit la mort, enfanta la vie, ouvrit le ciel. « La foi de Marie, dit saint Augustin, en adhérant d'esprit et de cœur à l'annonciation de l'ange, a ouvert le ciel ('). » Et voici pourquoi elle sera appelée bienheureuse dans la suite des siècles, voici pourquoi Elisabeth, la saluant au nom de tous les peuples et de toutes les générations, au nom de toutes les nations et de toutes les langues, au nom de tous les cœurs qui aiment Dieu, s'écria : « Vous êtes bienheureuse d'avoir cru (2) ! »

     

    0 Marie ! nous vous saluons aussi par les mêmes paroles : « Vous êtes bienheureuse d'avoir cru ! » Par votre foi si vive, vous nous avez donné la vie ; par votre foi si vive, ce n'est pas seulement la montagne que vous avez transportée, mais vous avez remué le ciel et la terre : du ciel, vous avez fait descendre Dieu même sur la terre ; de la terre, vous élevez tous les croyants jusqu'à Dieu. Par votre foi si vive, vous avez réparé l'incrédulité d'Eve, vous nous avez conquis le paradis, vous nous avez donné Dieu. « Oui, vous êtes bienheureuse d'avoir cru ! »

    0 Marie ! mère de la foi et de tous les croyants, vous qui, par votre foi, avez brisé la tête du serpent, obtenez-nous une foi pareille à la vôtre, afin que nous puissions toujours être les vainqueurs de Satan !... « Vous, dont la foi si vive a dompté pour toujours toutes les hérésies ('), » faites-nous avoir la foi libre de toute erreur, la foi vive et resplendissante comme la lumière de Dieu qui nous la donne. Vous avez cru, Marie, « et il est accompli tout ce qui vous a été dit de la part du Seigneur (2). » Augmentez donc notre foi, pour que sur nous s'accomplissent aussi, non les menaces du Seigneur", mais bien ses promesses !

    II.

    Le deuxième caractère de la foi, c'est la simplicité, qui consiste dans la soumission volontaire de la raison et du cœur à la foi. Il ne suffit pas de croire seulement par la raison, car Satan croit ainsi : « Les démons croient, et ils tremblent (3) ! » dit saint Jacques ; mais il faut que le cœur aussi soit pénétré de la foi. L'Apôtre le dit : « Il faut croire de cœur pour être justifié (4). » La simplicité de la foi éclaire la raison, enflamme le cœur, car elle nous attire les dons de la sagesse et de l'amour de Dieu ; et c'est pour cela que Jésus-Christ en rend grâces au Père éternel, en disant : « Je vous rends gloire, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et que vous les avez révélées aux simples et aux petits (') ; » c'est-à-dire à ceux qui, se reconnaissant simples et petits, humilient leur esprit devant la sagesse divine, tournent leurs cœurs vers Dieu, comme l'enfant les tourne vers sa mère, croient à tout ce que Dieu leur révèle, exécutent tout ce que la foi leur commande. Plus l'esprit de l'homme est vif et droit, plus il y a de simplicité dans sa foi ; car, sachant que Dieu est la vérité même, ne pouvant se tromper, ni nous tromper, il soumet son esprit à toute parole de Dieu, et l'accepte de cœur.

    Marie, temple de la sagesse, fut aussi le temple de la foi, et de la foi la plus simple : or tout est facile pour une âme fidèle qui a une véritable simplicité. Ne semblait-il pas, en effet, que ce que l'Ange du Seigneur avait annoncé à Marie, c'est-à-dire qu'elle concevrait et qu'elle mettrait au monde un fils sans cesser d'être vierge, était la chose la plus difficile à croire ? qu'elle, créature, elle serait la mère du Créateur ; que Dieu se ferait homme dans son sein ; qu'il naîtrait comme un enfant de l'homme, et que cet enfant, que cet homme-Dieu rachèterait le monde au prix de sa mort ? Cependant, ayant reconnu que tout ce que l'Ange lui annonçait venait de Dieu, Marie le crut avec une simplicité parfaite ; et, bien qu'elle sût n'être rien par elle-même, elle ne douta point que Dieu, qui avait tiré le monde du néant, ne pût aussi se servir de son néant pour en faire le ealut du monde.

    0 simplicité sainte! quand descendras-tu aussi dans nos cœurs ? Quand commencerons-nous à croire, avec une simplicité parfaite, à tout ce que Dieu nous propose par sa sainte Église ? Quand commencerons-nous à croire, avec la même simplicité, à toutes les promesses du Seigneur ; à tout ce que Jésus-Christ lui-même nous enseignait, soit par son exemple, soit par ses paroles, sur les souffrances, sur les bonnes œuvres, sur l'amour de nos ennemis, sur la sécurité en présence de ceux qui ne peuvent tuer que le corps et ne peuvent endommager notre âme ; sur les béatitudes promises aux pauvres, aux doux, à ceux qui pleurent, à ceux qui sont affamés et altérés de la justice, aux miséricordieux, à ceux qui ont le cœur pur, aux pacifiques, et à ceux qui souffrent persécution pour la justice (')?... Quand nous arrivera-t-il d'avoir assez de simplicité de foi pour commencer à être vraiment obéissants à l'Église de Dieu ? Quand cesserons-nous de manquer de courage pour les œuvres de Dieu ? Quand cesserons-nous de douter dans nos prières ? « Car celui qui doute, dit saint Jacques, est semblable au flot de la mer, qui est agité et emporté çà et là par la violence du vent (2). » Et s'il en est ainsi, si pa reils au flot ballotté par le vent, nous nous laissons emporter par le doute, qu'y a-t-il d'étonnant que, saisis de frayeur nous-mêmes, nous épouvantions les autres ? C'est que nous avons perdu la simplicité de la foi, qui donne le calme, la sérénité, le vent propice, qui nous mène, après la traversée de la vie, au port du salut éternel. 0 Marie ! sauvez-nous du naufrage ! sauvez-nous en nous obtenant la foi vive et simple

    III

    La couronne de la foi, c'est la persévérance. « La foi de Marie fut plus ferme, dit saint Alphonse de Liguori d'après Suarès, que celle de tous les hommes et de tous les anges ensemble. Elle avait vu son fils dans la crèche de Bethléem, et croyait cependant qu'il était le Créateur du monde. Elle l'avait vu fuyant devant Hérode, et croyait cependant qu'il était le roi des rois, Dieu tout-puissant. Elle l'avait vu naître, et croyait cependant qu'il était éternel. Elle l'avait vu pauvre et ayant faim, et croyait cependant qu'il était le maître de l'univers. Elle l'avait vu couché sur la paille, comme s'il était privé de force, et croyait cependant que sa force dirigeait le monde. Elle l'avait vu ne prononçant encore aucune parole, et croyait cependant qu'il était la sagesse infinie. Elle l'avait vu pleurant, et croyait cependant qu'il était la béatitude même. Elle l'avait vu enfin crucifié, agonisant, mort, et lorsque la foi de tous ses disciples lut ébranlée, Marie croyait toujours qu'il était Dieu, immortel, et qu'il ressusciterait. »

    La vie de Jésus s'éteignit, la foi de Marie ne s'éteignit pas ; et voici pourquoi saint Léon adresse à Marie ce verset du Sage du Seigneur : « Sa lampe ne s'éteindra point pendant la nuit ('). » Et voici pourquoi, observe saint Antonin, la sainte Église éteint tous les cierges pendant la cérémonie des Ténèbres, à l'exception d'un seul, qu'elle garde non éteint sous l'autel, en commémoration qu'à la mort du Christ la foi de tous ses disciples s'était éteinte, sauf celle de Marie, qui seule dans son cœur conserva aux jours de la mort de Jésus la foi vive et ardente de la sainte Église. Aussi sainte Méthode appelle Marie, « le flambeau de la foi (*), » et saint Cyrille la nomme « le sceptre de la sainte foi (3), » le sceptre qui nous assure le règne de la vérité.

    Qu'est-ce donc que notre fermeté et notre persévérance dans la foi à côté de celles de Marie ? Le moindre souffle de vent nous emporte ; la moindre adversité nous brise ; la moindre difficulté nous rebute ; le moindre danger nous épouvante ; le moindre insuccès nous abat ; la moindre misère nous afflige ; la moindre injustice nous trouble ; le moindre mépris nous bouleverse ; la moindre croix nous terrifie, bien que nous sachions par la foi que c'est la croix qui est notre force et notre appui, notre arme et notre victoire, notre trésor et notre bonheur.

    « La foi, dit saint Alphonse de Liguori, est un don de Dieu, mais elle est aussi notre propre vertu ; elle est le don du Seigneur en tant qu'elle est la lumière dont Dieu éclaire notre âme ; elle est notre vertu en tant qu'elle est un libre assentiment de notre raison et de notre cœur, recevant la lumière divine, la suivant et s'y conformant. » Nous avons donc à demander le don de la foi, et d'un autre côté nous devons conformer nos actes à la foi. « Celui-là seulement, dit saint Grégoire, croit en esprit et en vérité, qui accomplit tout ce qu'il croit ('). » Et saint Augustin, en insistant sur ce que nos actes doivent partir de la foi, nous dit : « Vous dites que vous croyez, mais faites ce que vous dites, et vous prouverez votre foi (2). » Ce n'est que la foi vive, simple et ferme qui fait la vie de l'âme, dit saint Paul. « Le juste qui m'appartient vivra de la foi (3). » Mais celui qui soutient qu'il a de la foi, et qui n'agit pas selon la foi, celui-là ne vit pas, il est mort. Saint Jacques nous l'apprend en disant : « que la foi sans les œuvres est morte (4). » Quel avantage avez-vous de croire en Dieu, si vous vivez comme s'il n'y avait pas de Dieu ? Quel avantage avez-vous de croire à la vie éternelle, si vos œuvres vous condamnent à la mort éternelle ?

     

    0 Marie ! Vierge fidèle ! faites que votre foi relève la nôtre ! intercédez pour nous, afin que Dieu augmente notre foi et nous donne une foi vive, simple et persévérante : vive dans les œuvres, simple dans l'obéissance, persévérante dans les adversités ; une foi enfin qui ressemble à la vôtre.

     

    POUR LE 21ème JOUR DU MOIS.

    DE L'ESPÉRANCE DE MARIE.

    I.

    « Je suis la Mère de la science et de la sainte espérance ('). » Marie est la mère de la science, c'est-à dire de la foi ; elle est aussi la mère de l'espérance, qui suit la foi. « L'espérance, dit saint Alphonse de Liguori, naît de la foi ; car c'est par la foi que Dieu nous inculque la connaissance de sa bonté et de ses promesses, afin que nous nous élevions par l'espérance au saint désir de la possession de Dieu. » Plus notre foi sera profonde, complète, vive et simple, plus notre espérance sera profonde, complète, vive et simple. Et comme Marie, possédant au plus haut degré toutes les qualités de la vraie foi, règne sur tous les fidèles, elle règne aussi par la même raison sur tous ceux qui espèrent ; et voici pourquoi l'Église l'appelle « Mère de l'espérance, » selon les paroles du Sage du Seigneur : «Je suis la mère de la science et de la sainte espérance. »;

    L'espérance est la première conséquence et la première application de la foi. Par la foi nous acquérons la connaissance de Dieu ; par l'espérance nous nous attachons à Dieu, dont nous avons acquis la connaissance, selon cette expression du Psalmiste : « Mon bonheur est de m'attacher à Dieu, et de mettre mon espérance dans le Seigneur mon Dieu('). »

    Il est facile d'avoir de la foi en connaissant la foi de Marie ; car si Marie, avant la résurrection de Jésus, croyait à sa résurrection parce qu'elle croyait à sa divinité, il nous est bien plus facile de croire à la divinité de Jésus-Christ après sa résurrection. Il en est de même de l'espérance : si Marie, avant la résurrection de Jésus avait une espérance si vive que, debout près de la croix, elle a pu sans défaillir contempler son fils mourant, qu'y a-t-il donc de difficile pour nous après la résurrection du Seigneur, de venir, forts de notre espérance, au pied de la croix, non pour y pleurer et nous lamenter, mais au contraire pour nous réjouir de nos souffrances, comme nous l'apprend l'Apôtre, lorsqu'il dit : « Réjouissez-vous dans l'espérance ; soyez patients dans les maux (2). » Celui qui espère en Dieu se réjouit dans sa patience, car Dieu sera sa patience comme il est son espérance. « Vous êtes, Seigneur, ma patience, dit le Psalmiste : Seigneur, vous êtes mon espérance dès ma jeunesse (3). »

     

    L'autre source de l'espérance de Marie, c'était son humilité : humilité la plus profonde, par laquelle reconnaissant qu'elle n'était rien, ne s'attachant à rien, ne s'appuyant sur rien, si ce n'est sur Dieu, elle s'abîmait en Dieu par l'espérance, et demeurait en Dieu dès le temps qu'elle eut quitté le sein de sa mère, dès sa plus tendre jeunesse, en redisant avec le Psalmiste : « Vous avez été mon espérance dès que j'ai quitté les entrailles de ma mère, dès le temps que je suçais encore ses mamelles ('). » Aussi, dès son enfance appuyée sur Dieu, Marie n'est jamais tombée ; elle n'a même pas vacillé. Elle était en sécurité au milieu des périls, calme dans les fatigues, forte dans les douleurs ; elle s'avançait par un chemin semé d'épines comme sur des fleurs, pour se tenir debout au pied de la croix.

     

    « Quelle est celle qui monte du désert toute remplie de délices, appuyée sur son bien-aimé (2) ? » C'est Marie, l'épouse du Saint-Esprit, s'avançant dans le désert du monde et remplie de délices au milieu des tourments d'une vie toute hérissée de glaives ; elle s'avance d'un pas sûr, sans blesser son pied contre la pierre du scandale, car elle est appuyée sur Dieu, car elle monte de vertu en vertu et de gloire en gloire, en redisant dans son cœur : « C'est mon bonheur de demeurer attachée à Dieu et de mettre mon espérance dans le Seigneur ! »

    II.

    L'espérance de Marie a été forte et persévérante. Elle avait voué sa chasteté à Dieu ; et cependant, pour suivre la volonté de Dieu, elle a épousé Joseph, dans la ferme espérance que Dieu lui donnerait, dans la personne de Joseph, un gardien de sa chasteté.

    L'Ange annonçait à Marie une chose inouïe, inconcevable ; il lui annonçait qu'elle serait mère de Dieu. Elle reconnaissait son néant ; cependant, confiante dans l'espérance que Dieu remplira sa promesse, elle répondit : « Qu'il me soit fait selon votre parole ('). »

    Elle voyait Joseph affligé de sa grossesse ; cependant elle ne lui révéla point le mystère de l'incarnation ; confiante dans l'espérance que Dieu lui-même éclairera et consolera Joseph, et qu'il la couvrira contre l'atteinte du soupçon.

    L'époque de l'enfantement de Jésus approchait : cependant Marie, sur l'ordre d'Hérode, se rendit à Bethléem, dans l'espérance que Dieu ne la quittera pas au jour de l'accouchement. Et les anges la servirent dans l'étable de Bethléem ; les bergers et les rois vinrent rendre hommage à l'enfant et à sa mère.

    Sur l'ordre de Dieu, révélé à Joseph, Marie, tenant Jésus dans ses bras, quitta son pays au milieu de la nuit, pour se rendre dans une contrée lointaine, barbare, idolâtre ; elle se rendit sans assistance, sans pain, au milieu des ennemis ; mais elle s'y rendit en toute sécurité, car elle avait mis son espérance en Dieu ; elle avait confiance qu'il la nourrirait, elle et son enfant, qu'il les garderait et qu'il les ferait rentrer dans leur pays. Elle souffrait donc dans la patience, elle travaillait dans la joie.

    Lorsqu'elle eut perdu Jésus, sa douleur fut inexprimable ; mais son espérance égalait sa douleur : aussi a-t-elle cherché et retrouvé Jésus.

    Quand, aux noces de Cana, Marie dit à Jésus que les époux manquaient de vin, et que son fils lui répondit sèchement : « Femme, qu'y a-t-il entre vous et moi ? mon heure n'est pas encore venue ('). » Marie hâta cette heure par la force de son espérance, en disant à ceux qui servaient : « Faites tout ce qu'il vous dira (2). » Et le Christ honora l'espérance de Marie par son premier miracle, en changeant à l'instant l'eau en vin le plus délicieux.

    Mais c'est surtout au pied de la croix, en voyant l'agonie de son fils, que Marie a prouvé la plus parfaite espérance. L'Écriture sainte nous dit, en parlant de la mère des Machabées, qui était la figure de Marie : « Cependant leur mère, plus admirable qu'on ne peut dire, et digne de vivre éternellement dans la mémoire des bons, voyant périr en un même jour ses sept enfants, souffrait constamment leur mort, à cause de l'espérance qu'elle avait en Dieu (3). » Mais que dire de la sainte espérance de Marie !... Elle qui voyait la terrible passion de Jésus, et son supplice ignominieux, et son abandon de Dieu ; elle qui entendit sortir de la bouche du Sauveur cette plainte lugubre et saisissante, ce cri suprême capable de glacer toute âme de terreur : « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné (')? » Elle ne perdit point l'espérance ; malgré l'abandon de Dieu , elle n'abandonna pas son Dieu. Elle le tint serré dans les bras de l'espérance, et sous la croix, comme près du sépulcre, elle était certaine qu'au jour et à l'heure marqués par lui, elle le verrait ressusciter, glorieux et assis à la droite de Dieu. Et c'est ici que se vérifia parfaitement en Marie cette parole de Job : « Quand Dieu me tuerait, je ne laisserais pas d'espérer en lui (*). »

    Par la force de cette espérance, Marie dissipait les doutes des disciples, fortifiait le courage des martyrs, et raffermissait la sainte Eglise pour tous les siècles à venir, en lui laissant comme héritage son espérance dans toutes les promesses de Jésus-Christ. Et voici pourquoi la sainte Église la nomme son espérance (3) !


    III.

    tf Ainsi, étant justifiés par la foi, dit saint Paul, ayons la paix avec Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur, qui par la foi nous a donné aussi entrée à cette grâce en laquelle nous demeurons fermes, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire des enfants de Dieu. Et non seulement, mais nous nous glorifions encore dans les afflictions, sachant que l'affliction produit la patience, la patience l'épreuve, et l'épreuve l'espérance. Or cette espérance n'est point trompeuse... Ce n'est qu'en espérance que nous sommes sauvés..., prenant pour cuirasse la foi, et pour casque l'espérance du salut ('). » Oh ! que n'endossons-nous chacun cette armure !

    La moindre adversité nous abat, car nous ne possédons pas la sainte espérance ; nous nous fions aux hommes ; nous faisons encore plus mal, nous nous fions à nous-mêmes, et nous ne nous fions pas à Dieu. Voici pourquoi nous succombons : « Ceux-là se confient dans leurs chariots, et ceux-ci dans leurs chevaux ; mais, pour nous, nous aurons recours à l'invocation du nom du Seigneur notre Dieu ('). » Et nous serons sauvés.

    « Machabée espérait toujours avec une entière confiance que Dieu ne manquerait point de lui envoyer son secours (2). » Et ce secours lui arriva.

    « Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles. Le Seigneur est proche de tous ceux qui l'invoquent en vérité, » dit le Psalmiste (3). « Demeurons fermes et inébranlables dans la profession que nous avons faite d'espérer, puisque celui qui nous l'a promis est très fidèle dans ses promesses (4). »

    Il a promis de nous affermir dans le bien et de nous préserver du mal, dit l'Apôtre: « Dieu est fidèle, et il vous affermira et vous défendra contre le malin esprit (5). »

    Il a promis de nous aider à remplir tous les devoirs de notre vocation : « Celui qui vous a appelés est fidèle, et c'est lui-même qui le fera (")... »

    Il a promis de nous assister dans nos tentations, afin que nous puissions en sortir victorieux : l'Apôtre nous l'atteste, quand il nous dit : « Dieu est fidèle, et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au delà de vos forces ('). »

    Il a promis aux pécheurs qui se repentent et font pénitence de leur pardonner tous leurs péchés, si nombreux et si graves qu'ils soient : saint Jean l'Évangéliste nous l'annonce, quand il dit : « Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste, il nous les remettra, et nous purifiera de toute iniquité (2). »

    Il nous a promis, enfin, le ciel en récompense de nos souffrances ; car voilà ce qu'il dit par la bouche de son Evangéliste : « Ne craignez rien de ce qu'on vous fera souffrir... Soyez fidèles jusqu'à la mort, et je vous donnerai la couronne de vie (3). »

    Et c'est la certitude de ces promesses qui fait dire à l'Apôtre : que « l'espérance sert à notre âme comme d'une ancre ferme et assurée, et qui pénètre jusqu'au dedans du voile (4), » c'est-à-dire, jusqu'au sanctuaire de la miséricorde divine.

    0 Marie ! mère de la sainte espérance ! vous en qui nous mettons notre confiance, attachez nos cœurs à cette ancre par le lien de la foi, et faites luire votre propre espérance, comme une étoile qui nous guidera, qui nous conduira à travers les ténèbres du temps, à travers la tempête de cette mer orageuse de la vie, jusqu'au jour éternel, jusqu'au port du salut. « En vous, dit le Saint-Esprit, est toute la grâce de la voie et de la vérité. En vous toute l'espérance de la vie et de la vertu ('). » C'est donc à vous, ô Marie ! que nous nous adressons pour obtenir la vertu de l'espérance, vertu par laquelle nous mettrions une confiance salutaire dans la miséricorde de Dieu, par laquelle nous apprendrions à mépriser le monde et nous-mêmes, pour ne compter que sur la force qui nous vient de Dieu, d'après les paroles du Psalmiste : « Il est bon de se confier au Seigneur plutôt que de se confier dans l'homme (2) ; » d'après les paroles de votre fils : «Vous ne pouvez rien faire sans moi(3), » et d'après celles de son Apôtre : « Je puis tout en celui qui me fortifie (4). » Et qu'ainsi, toujours prêts à remplir la volonté de votre fils, nous ne nous découragions jamais, mais que nous redoublions nos efforts et nos travaux, en disant avec le prince des apôtres : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre ; mais néanmoins, sur votre parole, je jetterai le filet (5). »

    Obtenez-nous, Marie, l'espérance qui ne vous a jamais abandonnée, afin que nous soyons diligents dans l'accomplissement de nos devoirs, patients dans les adversités, forts dans les dangers et vaillants dans le combat : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ? Le Seigneur est le défenseur de ma vie, qui pourra me faire trembler ? Quand des armées seraient campées contre moi, mon cœur ne serait point effrayé ('). Le Seigneur est mon soutien, et je mépriserai mes ennemis (2). C'est en vous, Seigneur, que j'ai mis mon espérance, ne permettez pas que je sois confondu pour jamais (3). »



    POUR LE 22ème JOUR DU MOIS.

    DE LA CHARITE DE MARIE.

    I.

    « Maintenant ces trois vertus, la foi, l'espérance et la charité, demeurent ; mais, entre elles, la plus excellente est la charité ('). » "La charité, c'est le soleil et le foyer de toutes les vertus, c'en est la vie et la santé, le mérite et la récompense, le chef et la victoire. La charité, c'est à la fois la croix et la couronne.

    La charité, c'est un baume pour toutes les blessures, un bouclier contre toutes les flèches, une arme pour tous les combats, un conseil pour tous les besoins ; elle répond à tous les doutes, adoucit toutes les souffrances, et console de tous les malheurs ; elle abonde tellement en grâce et en bénédictions, que, pour en posséder toujours davantage, un cœur aimant désire souffrir toujours davantage.

    La charité l'emporte sur la foi, par laquelle nous croyons en Dieu, et sur l'espérance, par laquelle

    nous espérons posséder Dieu, puisque par l'amour nous possédons Dieu; « car Dieu est amour ('). » . La charité est nécessaire avant tout ; elle est nécessaire comme Dieu même. Qui n'a pas de charité, n'a pas de Dieu ; qui n'est pas dans la charité, n'est pas en Dieu ; qui ne vit pas dans la charité, ne vit pas en Dieu.

    La charité est nécessaire avant tout ; car tout est dans la charité. En elle, toute la loi de Dieu ; en elle, toutes nos espérances ; pour elle, toute notre foi. Le degré de charité de nos cœurs marque le degré de la gloire éternelle que nous posséderons. Sans charité, point de salut ; qu'on soit sage, qu'on fasse des merveilles, qu'on se dévoue pour son prochain, si l'on manque de charité, on ne sera pas sauvé ; car voilà ce que dit l'Apôtre : « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et le langage des anges même, si je n'ai point la charité, je ne suis que comme un airain sonnant et une cymbale retentissante Et quand j'aurais le don de prophétie, que je pénétrerais tous les mystères, et que j'aurais une parfaite science de toutes choses ; quand j'aurais encore toute la foi jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis rien. Et quand j'aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, et que j'aurais livré mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, tout cela ne me sert de rien (2). »

    Tout est dans la charité, et tout est par la charité ; aussi la charité a-t-elle été tout pour le cœur de Marie. Le cœur de Marie est le trône de toutes les vertus, parce qu'il est l'autel de la charité ; autel de l'amour brûlant constamment pour Dieu, élevant constamment ses parfums vers Dieu. Marie est pleine de grâce, car elle est pleine de charité. Dieu a choisi Marie pour sa demeure ; c'est donc la charité qui a fait sa demeure en elle. Dieu s'est incarné dans Marie ; c'est donc la charité qui s'est incarnée dans elle.

    Le buisson ardent, qui, brûlant toujours, s'est montré à Moïse, ne se consumant jamais, a été l'image de Marie, assure saint Thomas de Villeneuve. Et saint Anselme nous dit : que le cœur de Marie fut le feu et la flamme ; car de même que le feu fait jaillir la flamme et la lumière, ainsi le cœur de Marie faisait jaillir le feu d'amour, brillant par la flamme de toutes les vertus, éclairant par la bienheureuse lumière qu'il répandait tout autour.

    « Il parut un grand prodige dans le ciel : c'était une femme revêtue du soleil, qui avait la lune sous ses pieds et sur sa tête une couronne de douze étoiles ('). » C'est Marie ! revêtue du soleil, donc toute en soleil, toute en amour, toute en Dieu ! Revêtue et pénétrée d'amour, et tellement pénétrée, que l'amour était en elle, comme elle était en l'amour. « Vous avez revêtu le soleil, et vous êtes vous-même revêtue du soleil(')! » s'écrie saint Bernard. «Une couronne de douze étoiles sur sa tête, » c'est la couronne éblouissante de l'éclat de toutes les vertus, qui sont comme des étincelles d'amour jaillissant du soleil d'amour. « La lune sous ses pieds. » Car comme la lune est belle, et que ses rayons sont doux, éclairée qu'elle est par la lumière du soleil ; ainsi Marie est belle, et elle nous éclaire d'une douce lumière, éclairée qu'elle est par l'amour de Dieu, pour nous guider vers son soleil. « La lune est sous ses pieds. » Symbole visible que chacun des pas de Marie est un reflet de l'amour divin. 0 Marie ! apprenez-nous à marcher de vos pas !

     

    II

    « Mon bien-aimé est à moi, et je suis a lui (2). » Bienheureux accord ! en vertu duquel Marie a toujours été avec Dieu, dès le moment de sa conception. Par ce bienheureux accord et par cet échange d'amour, le cœur de Marie, sans cesser d'être libre, a toujours été enchaîné d'amour. La colombe respire l'air, se joue dans l'air, et plane dans l'air ; Marie respirait l'amour, se jouait dans l'amour, et planait librement dans l'immensité de l'amour de Dieu.

    Séraphins et Chérubins, accourez donc vers Marie, pour qu'elle vous apprenne à aimer !

    0 Marie ! a mère du pur amour (') ! » apprenez-moi cet amour, sans lequel je suis « malheureux et misérable, pauvre, aveugle et nu (2). »

    La principale et constante action de l'amour dans le cœur de Marie a toujours été une soumission pleine et entière à la volonté de Dieu. Le cœur de Marie fut toujours d'accord avec Dieu, chacun de ses battements disait : « Qu'il me soit fait selon votre parole !» Ce qui la portait à cet accord pariait avec la volonté de Dieu, à cet acte d'amour incessant, c'était sa foi vive, son espérance ferme et son humilité de plus en plus profonde, qui la poussait à une reconnaissance de plus en plus vive pour toutes les grâces dont Dieu la comblait, et dont elle se sentait de plus en plus indigne. Ainsi, tout concourait à attiser toujours cette immense flamme de l'amour de Dieu, qui brûlait si pure et si ardente dans le cœur de Marie.

    « De même que les mouches n'osent s'approcher d'un feu trop ardent, ainsi les démons n'osaient s'approcher du cœur de Marie (3), » dit saint Bonavehture.

    - Aimons donc de l'amour de Marie, et les démons n'oseront pas s'approcher de nous.

    Une autre preuve de l'amour de Dieu, c'est la souffrance et la souffrance volontaire. Le cœur de Marie brûlait d'un feu toujours plus vif ; car, pour attiser le feu, Dieu lui donnait toujours de nouvelles épines, de nouvelles croix et de nouvelles douleurs. Or le glaive de douleur qui perçait toujours le cœur de Marie l'enflammait toujours d'un amour nouveau.

    Apprenons donc de Marie à aimer les souffrances et à les tourner vers le but que Dieu se propose en nous les donnant, c'est-à-dire à l'augmentation de notre amour pour lui : celui qui n'aime Dieu que dans la prospérité, aime la prospérité ; mais il n'aime pas Dieu.

    0 Marie ! gardez-nous d'un pareil amour ; mais apprenez-nous à aimer nos croix par amour de Dieu, afin que nous puissions, en suivant fidèlement votre exemple, et dans la sincérité de nos cœurs, nous écrier avec saint Paul : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est mort crucifié pour moi, comme je suis mort crucifié pour le monde (') ! » — « Qui donc nous séparera de l'amour du Christ ? Sera-ce l'affliction ou les déplaisirs, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le fer ? Mais, parmi tous ces maux, nous demeurons victorieux par celui qui nous a aimés ; car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, niles Principautés, ni les Puissances, ni leschoses présentes, ni les futures, ni la puissance des hommes, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond , ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Dieu, en Jésus-Christ, notre Seigneur ('). »

    III.

    Que Marie aimât Dieu, qui l'avait aimée le premier; qu'elle l'aimât de tout son cœur, c'est chose naturelle et juste ; mais que Marie nous aimât, nous autres, qui avons crucifié son fils bien-aimé, son fils unique... qu'elle nous aimât comme ses propres enfants... c'est là un acte de miséricorde qui ne se laisse concevoir que par la foi, qui nous fait croire que Marie nous aime de l'amour inspiré par Dieu lui-même.

    En effet, en nous destinant Marie pour mère, Dieu mit dans son cœur l'étincelle même de cet amour qu'il avait pour nous, en nous sacrifiant son Fils unique ; et en nous sacrifiant son Fils unique, en se tenant au pied de la croix pour assister à l'accomplissement de ce sacrifice, dont dépendait notre salut, en désirant enfin de mourir pour nous, c'est de cet amour que Marie nous aimait, et qu'elle aimera éternellement tous les enfants des hommes. « La sainte Vierge, dit Arnould, brûlait du feu d'un amour inexprimable pour nous, puisqu'elle désirait faire le sacrifice de sa propre vie pour le salut du genre humain, en même temps que son fils faisait le sacrifice de la sienne ('). » Ah ! cette mère adorable sacrifia pour nous bien plus que sa vie, car elle sacrifia la vie de son fils unique.

    Le prophète avait prédit, en parlant du Christ : « Il a pris véritablement nos langueurs, et il s'est chargé lui-même de nos douleurs (2). » En toute vérité, cette prophétie s'applique aussi à Marie ; car elle a souffert toutes les souffrances à cause de nos péchés ; elle a souffert toutes les douleurs à cause de son amour pour nous ; « elle a pris véritablement nos langueurs, elle s'est chargée elle-même de nos douleurs. »

    Ainsi, nous héritons de la charité, non seulement de notre Père, qui est au ciel, mais encore de notre mère, qui nous a fait naître pour le ciel. Nous devons donc aimer d'abord notre Père, qui est au ciel, et notre mère, qui est reine des cieux. Conséquemment nous devons aimer tous nos frères, tous les hommes, par amour de ce Père et de cette mère. « C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, a dit notre Seigneur, si vous avez de l'amour les uns pour les autres ('). »

    Et son disciple de prédilection, l'apôtre de charité, nous enseigne comment nous devons nous aimer. « Mes enfants, dit-il, n'aimons pas de parole ni de langue, mais par les œuvres et en vérité (2). » — « C'est pourquoi, pendant que nous en avons le temps, faisons du bien à tous (3). » Nous devons donc, par amour de Dieu, nous aimer les uns les autres, nous secourir les uns les autres, nous supporter les uns les autres. L'Apôtre nous dit : « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ (4). » Et Marie nous le prêche d'exemple, car elle porte tous nos fardeaux, elle qui est le Refuge des pécheurs, la Consolation des affligés, le Secours des chrétiens, la Mère de miséricorde et la Mère de l'amour.

    Nous avons tous besoin dela miséricorde de Marie ; soyons donc miséricordieux envers nos frères. Saint Grégoire nous affirme que rien ne nous rend propice le cœur de Marie, comme la miséricorde envers nos frères ; et voilà pourquoi il nous y exhorte en disant :

     

    « Soyez miséricordieux, comme cette mère, céleste est miséricordieuse pour vous ('). »

    0 Marie ! mère de l'amour, obtenez pour nous cette grâce, qu'en suivant votre exemple nous accomplissions, dans l'amour de Dieu et du prochain, ce précepte de Dieu : « Que celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère (2)-. » Rappelez-nous souvent que nous sommes tous frères ; ne souffrez pas, parmi vos enfants, de discorde, d'envie, de vengeance, de haine, de mépris et d'indifférence ; mais obtenez le même cœur pour tous, le cœur aimant Dieu, aimant tous et chacun en Dieu, conformément au commandement de Dieu et à votre exemple.


     

    POUR LE 23ème JOUR DU MOIS.

    DE LA PAUVRETE DE MARIE.

    I.

    « Tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ; ce qui ne vient point du Père, mais du monde ('). » Le saint Évangéliste désigne ainsi toutes les tentations auxquelles nous sommes tous exposés par suite du péché originel. Pour nous rendre maîtres de ces trois principales tentations, Jésus-Christ nous a laissé trois armes différentes, trois conseils évangéliques, savoir : pour vaincre la concupiscence des yeux, la pauvreté volontaire ; pour vaincre la concupiscence de la chair, la chasteté volontaire ; et pour vaincre l'orgueil de la vie, l'obéissance volontaire. Par la pauvreté volontaire, nous renonçons aux biens du monde, par conséquent à tout ce qui pourrait tenter nos yeux ; par la chasteté volontaire, nous renonçons aux jouissances du corps, par conséquent à tout ce qui pourrait nous tenter du côté du corps ; par l'obéissance volontaire, nous renonçons à toute envie de commandement, de domination, de distinction et fie gloire, par conséquent nous étouffons en nous l'orgueil de la vie.

     

    Notre Seigneur Jésus-Christ nous a laissé dans sa vie même le plus parfait modèle de ces trois vertus de la perfection chrétienne ; et il dota Marie d'une manière toute particulière de ces mêmes vertus, autant pour notre exemple que pour son mérite particulier.

     

    Libre de toute concupiscence, car elle fut libre du péché originel, Marie s'est complue dans ces vertus ; c'est qu'elle voulait par la pauvreté volontaire sacrifier à Dieu le monde entier et les biens de ce monde, par la chasteté les biens de son corps, et par l'obéissance les biens de son âme. Ainsi, le sacrifice de Marie fut complet, absolu et parfait. Et nous, enfants de Marie, nous pouvons aussi à l'exemple de Marie, de cette mère divine, grâce à son intercession, et dans la mesure de la grâce de Dieu, faire le même sacrifice.

     

    Il n'y a pas au monde de trésor comparable à la pauvreté volontaire, car elle nous assure le royaume des cieux. « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux ('). » C'est la béatitude que Jésus-Christ mit en tête de toutes ses béatitudes. Il consacra la vertu de la pauvreté par sa pauvreté personnelle, depuis la crèche de Bethléem jusqu'à son tombeau ; et en se faisant pauvre pour nous, il déposa tousses trésors dans sa pauvreté, qu'il nous laissa comme un exemple à suivre : « Car vous savez, dit l'Apôtre, quelle est la bonté de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, étant riche, s'est rendu pauvre pour l'amour de vous, afin que vous devinssiez riches par sa pauvreté ('). » . Et comment pouvons-nous devenir riches par la pauvreté de Jésus, si ce n'est en nous rendant pauvres d'esprit ? Car le Christ ne s'est rendu pauvre que pour assister les pauvres. « Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés, et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches (2). » Car il n'apporta son Évangile qu'aux pauvres, ce qu'il déclara lui-même aux disciples de Jean, comme l'irrécusable preuve de sa mission : « Que l'Évangile est annoncé aux pauvres (3). » Car enfin il a fait de la pauvreté volontaire la principale condition de la perfection chrétienne ; ce qu'il nous indique clairement par le conseil qu'il donne au jeune homme qui observait fidèlement les commandements de Dieu, et qui demandait à Jésus « ce qui lui manquait encore. Jésus lui dit : Si vous voulez être parfait, allez, vendez ce que vous avez et le donnez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; puis venez et me suivez ('). »

    L'esprit de pauvreté vivifie la foi, augmente l'espérance, développe la charité et prépare merveilleusement à la douceur, à l'humilité et à la patience.

    Le pauvre d'esprit dans le sens évangélique est celui qui ne désire point les biens du monde, mais les biens célestes ; aussi dans la sincérité du cœur adresse-t-il à Dieu les paroles du Psalmiste : « Car qu'y a-t-il pour moi dans le ciel, et que désirai-je sur la terre, sinon vous (2) ? »

    Le pauvre d'esprit est celui qui se regarde comme débiteur de toute chose envers Dieu ; et plus il a reçu de Dieu, plus il se reconnaît pauvre ; car il se sent d'autant plus débiteur envers Dieu, son créancier, dont il possède tout, et auquel il doit rendre compte de tout, jusqu'à la dernière obole.

    Le pauvre d'esprit est celui qui, pauvre des richesses du monde, ne tient pas à les acquérir, et qui, riche des richesses du monde, ne tient pas à les posséder ; suivant cet avis du Psalmiste : « Si vous avez beaucoup de richesses, gardez-vous bien d'y attacher votre cœur (3); » et redisant avec le Sage du Seigneur, qui était en même temps le plus riche des hommes : « Que les trésors de ce monde ne sont que vanité et affliction d'esprit ('). »

    0 que cette pauvreté est une tâche difficile pour le riche, puisque notre Sauveur même l'a dit : « Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'il ne l'est à un riche d'entrer dans le royaume des cieux (2). » Combien donc les riches doivent-ils exercer en eux l'esprit de pauvreté, et craindre leurs richesses plutôt que les désirer ! Combien les pauvres doivent-ils bénir Dieu de leur pauvreté ! Mais, en même temps, ils ont à se rappeler que la pauvreté seule n'est pas encore la vertu de la pauvreté, elle n'est qu'un moyen pour acquérir cette précieuse vertu. La vertu de pauvreté, c'est l'esprit de pauvreté, c'est-à-dire le détachement complet des biens de la terre et de soi-même, et l'attachement complet aux biens célestes et à Dieu.

    Pour que le pauvre soit vraiment pauvre, c'est-à dire pauvre d'esprit dans le sens évangélique, il ne doit pas seulement ne pas désirer de biens terrestres, et ne pas les envier aux riches ; mais encore il ne doit pas s'enorgueillir de sa pauvreté, « car le pauvre superbe est haï du Seigneur (3), » dit le Sage.

    Les pauvres d'esprit, enfin, d'après la parole de saint Paul, doivent être « comme tristes, et pourtant toujours dans la joie ; comme pauvres, et enrichissant plusieurs ; comme n'ayant rien, et possédant tout ('). » Effectivement possédant tout, car ils possèdent Dieu.« Le Seigneur est la part qui m'est échue en héritage (2), » dit le Psalmiste. Or, posséder Dieu, n'est-ce pas posséder tout ?

    0 Marie ! obtenez pour nous de votre fils cette pauvreté, qui est une richesse ; car votre fils, en se rendant pauvre pour nous, a changé la pauvreté terrestre en trésors célestes.

    II.

    Si, selon l'opinion de certains auteurs sacrés, Marie hérita d'un riche patrimoine; ce qui n'est pas moins certain , c'est qu'aussitôt qu'elle en fut maitresse, elle distribua tous ses biens aux pauvres, et lit à Dieu le vœu de pauvreté, comme elle a daigné le révéler elle-même à sainte Brigitte, en lui disant : « J'avais fait vœu, dès le commencement, de ne rien posséder au monde ; j'ai distribué tout ce que j'avais aux pauvres, ne gardant pour moi qu'un modeste vêtement et quelque nourriture (s). »

    Fidèle à cet esprit de pauvreté, Marie n'hésita pas à épouser Joseph qui était pauvre ; et, comme l'affirme saint Bonaventure, à entretenir la sainte famille du travail de ses mains, à l'aide de l'aiguille et du fuseau.

    « Oh ! dans quel dénûment se trouvait Marie au moment de la naissance du Christ ! s'écrie saint Bernard. Une étable, une crèche, un peu de foin, quelques langes misérables, tout y respire la pauvreté, glorifiée par les cantiques des anges. » Les rois et les mages qui étaient venus pour adorer Jésus offrirent de riches présents ; mais Marie, d'après les uns, les a fait distribuer aux pauvres par Joseph ; d'après les autres, elle n'a fait que les toucher, en signe d'acceptation de l'offrande, sans en accepter le don. Il est certain, dans tous les cas, qu'elle demeura pauvre, comme par le passé, car le jour de la purification, Marie, selon la coutume des pauvres, n'offrit que deux tourterelles.

    Exilée, errante, accablée de fatigues, ignorée dans sa retraite, Marie resta constamment pauvre. Après l'ascension de Jésus, Marie, sa cohéritière du ciel, hérita de sa pauvreté sur la terre, de sorte qu'elle devint doublement pauvre. Les révérends Bède et Bupert attestent qu'après l'ascension de Notre-Seigneur, la sainte Vierge ne vivait que d'aumônes, distribuées journellement aux veuves ; et qu'elle se réjouissait en esprit de ce que sa pauvreté fût arrivée au point de se voir condamnée à vivre ainsi. Et Marie, comme son fils, n'avait pas où reposer sa tête ; car Jésus-Christ avait dit, en parlant de lui-même : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ('). » Métaphraste et Nicéphore témoignent que Marie ne possédait en mourant que deux robes, qu'elle laissa à des pauvres matrones.

    Ainsi, à l'exemple de son fils, Marie vécut et mourut dans la pauvreté. Jésus-Christ, riche de son patrimoine éternel, s'est rendu pauvre pour nous; il vécut et mourut dans la pauvreté, qui fut aussi la pauvreté de Marie, car l'indigence des enfants est l'indigence des parents.

    Béni soit notre Seigneur Jésus-Christ, qui, de riche qu'il était, s'est rendu pauvre pour nous ! et bénie soit la sainte mère de Dieu, qui, elle aussi, s'est rendue pauvre pour nous, afin quenous devenions riches de la pauvreté du fils et de la mère, en fondant notre richesse sur l'esprit de la pauvreté ! et qu'ainsi, en toute sécurité, nous puissions espérer dans le Christ notre Sauveur, selon la parole du prophète : « En lui espéreront les pauvres de son peuple (2). »

     

    III

     

    Celui qui ne veut pas hériter de la pauvreté de Marie n'est pas un véritable enfant de Marie. Qu'un païen, qui ne connaît pas Dieu ; qu'un Juif, qui attend toujours l'arrivée du Messie (qui doit, à leur dire, distribuer entre les Juifs tout l'or du monde) ; que ceux-là, dis-je, ne recherchent que l'or, qu'ils n'aiment que l'or, cela se comprend ; mais qu'un chrétien, qu'un enfant de Marie, qui est la plus pauvre mère du plus pauvre homme-Dieu, que celui-là ait la fièvre de l'or !... cela ne se conçoit pas ; et cependant ce n'est malheureusement que trop vrai et trop général !

    L'avare, qui désire la possession de l'or, ne croit pas en Dieu, n'espère pas en Dieu et n'aime pas Dieu.

    Il ne croit pas en Dieu, dont la Providence prend soin de toute créature, comme dit le Psalmiste : « Tous, Seigneur, ont les yeux tournés vers vous, et ils attendent que vous leur donniez leur nourriture dans le temps propre ('). »

    Il n'espère pas en Dieu, il ne se fie pas en Dieu, qui lui a dit : « Ne vous inquiétez donc point en disant : Que mangerons-nous ? ou que boirons-nous ? ou de quoi nous vêtirons-nous ? comme font les païens qui recherchent toutes ces choses ; car votre Père sait que vous en avez bosoin. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît (2). »

    Il n'aime pas Dieu, celui qui fait peu de cas de ces paroles du Seigneur : « Que servirait à un homme de gagner tout le monde et de se perdre soi-même (') ? Or il est indubitable qu'il se perd, celui qui n'a souci que de l'or, comme si la vie éternelle ne nous attendait pas, ou comme si notre séjour ici-bas ne devait pas finir.

    L'empressement démesuré pour les intérêts temporels constitue le péché opposé à la vertu d'esprit de pauvreté; mais le désœuvrement est aussi un péché. Le vrai pauvre évangélique est celui qui, après avoir distribué ses biens aux pauvres, travaille pour les nourrir. On y arrive, observe le vénérable Bède, si, par amour pour Jésus-Christ, après avoir renoncé aux biens de ce monde, on travaille afin de se procurer la nourriture pour soi-même et pour les pauvres, à la sueur de son front, comme le faisait saint Paul en suivant l'exemple de Marie. « Je n'ai désiré, dit-il, de recevoir de personne ni argent, ni or, ni vêtement ; et vous savez vous-mêmes que ces mains, que vous voyez, m'ont fourni, à moi et à ceux qui étaient avec moi, tout ce qui nous était nécessaire. Je vous ai montré en toutes manières, qu'il faut soutenir ainsi les faibles en travaillant, et se souvenir de ces paroles que le Seigneur Jésus a dites lui-même : qu'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir (2). » —Et, dans un autre endroit, le même Apôtre nous engage à ce travail, lorsqu'on réprimandant ceux qui s'emparent injustement des biens d'autrui, il dit : « Que celui qui dérobait, ne dérobe plus ; mais qu'il s'occupe plutôt à travailler de ses propres mains à quelque ouvrage bon et utile, pour avoir de quoi donner à ceux qui sont dans l'indigence ('). »

    Marie a de son exemple prévenu ce conseil. Du travail de ses mains elle gagnait sa nourriture et de quoi Subvenir au besoin des pauvres ; et, lorsqu'elle n'avait rien à leur donner, elle priait pour eux, comme elle l'a t'ait aux noces de Cana, quand, touchée de ce que le vin manquait aux nouveaux mariés, elle dit à Jésus : « Ils n'ont plus de vin (2). »

    Faisons de même: par notre travail et nos prières Venons au secours des pauvres. Pour les riches prions en ces termes : « Seigneur, ils n'ont point l'esprit de pauvreté ! » et pour les pauvres prions ainsi : « Seigneur, ils n'ont point le pain quotidien. »

    0 Marie ! ô mère la plus pauvre du plus pauvre des enfants des hommes, de l'homme-Dieu ! vous qui l'avez mis au monde dans une étable, qui n'aviez qu'un peu de foin pour l'y coucher, qui, avec lui, avez passé la vie entière dans l'indigence, qui l'avez vu mourir dans le dénùinent le plus absolu, qui l'avez vu enseveli dans un sépulcre qui ne fut point à lui, obtenez-nous de lui l'esprit de pauvreté et une tendre pitié pour la misère de notre prochain ; sentiments qui vous ont fait distribuer vos biens aux pauvres, les nourrir du travail de vos mains, et provoquer le premier miracle de votre fils pour venir en aide à ceux qui étaient dans l'embarras. Faites que nous n'ayons aucun attachement aux biens de ce monde ; car votre fidèle serviteur, saint Philippe de Néri l'a dit : « Quiconque s'attache aux trésors de ce monde ne saurait se sanctifier. » Et sainte Thérèse, votre bien-aimée, nous apprend : « que celui qui recherche des biens périssables périra infailliblement. » Faites que notre seul désir et notre seul trésor soit Dieu. Il ouvrira sa main, et nous serons rassasiés ; il ouvrira son cœur, et nos cœurs seront dans l'abondance. Il est notre père et vous êtes notre mère, de quoi donc nous mettrions-nous en peine ? Et si l'indigence nous accable, faites que nous songions alors à votre pauvreté, et à celle de votre fils. Et vous, qui êtes miséricordieux, vous accomplirez sur nous cette bénédiction : « Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux (')! »

     

     

    POUR LE 24ème JOUR DU MOIS.

    DE LA CHASTETÉ DE MARIE.

    I.

    La vertu de chasteté est si pure, si lumineuse, que son éclat surpasse celui des anges. Les anges ne possèdent point le mérite de la chasteté, car ils n'ont point de corps. La vertu de chasteté est une vertu héroïque, exigeant des comhats continuels, des veilles constantes, des prières incessantes ; car cette vertu, la plus chère à Dieu, est principalement exposée aux attaques de Satan, qui, pour en venir à bout, irrite les sens et l'imagination. Tous ses traits contre la chasteté sont toujours dangereux, et ses blessures toujours mortelles. Voici pourquoi, pour soutenir ce combat, il faut toujours avoir recours à Marie ; car cette tour de David est remplie d'armes et d'armures qui facilitent la victoire, victoire de préférence couronnée par Dieu.

    Pour remporter la victoire, la chasteté rencontre d'autant plus d'obstacles, que le corps se révolte toujours contre l'esprit, et qu'il s'oppose toujours à lui, comme l'Apôtre s'en plaint en parlant de luimême : « Je me plais, dit-il, dans la loi de Dieu, selon l'homme intérieur ; mais je sens dans les membres de mon corps une autre loi qui combat contre la loi demon esprit, et qui me rend captif sous la loi du péché, qui est dans les membres de mon corps. Malheureux homme que je suis! qui me délivrera de ce corps de mort ? » Et il se répond : «La grâce de Dieu, par Jésus-Christ notre Seigneur ('). » Et nous ajouterons : par Marie, mère de notre Seigneur Jésus-Christ, qui peut obtenir pour nous la grâce de chasteté, et qui, par son charme, nous attire à cette belle vertu.

     

    « Vous êtes toute belle, ma bien-aimée ! et il n'y a point de tache en vous (2) ! » a dit l'Esprit saint en parlant de Marie. Et pourquoi Marie est-elle belle et toute belle ? C'est qu'il n'y a point eu en elle de tache qui eût souillé son âme et son corps ; c'est qu'elle est demeurée chaste de corps et de cœur ; c'est qu'elle aima, par amour de Dieu, la vertu de chasteté, afin de se rendre ainsi plus chère à Dieu. Aussi elle a plu à Dieu, observe l'un des Pères de l'Église, par sa virginité, et tellement plu, que le Saint-Esprit exalte de toute manière cette très chaste virginité. « Levez-vous, dit-il, hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, mon unique beauté ! et venez... Vous êtes la fleur des champs et le lis des vallées... l'odeur de vos vêtements est comme l'odeur de l'encens. Ma sœur, mon épouse est un jardin fermé et une fontaine scellée (')... »

    Oh ! que cette beauté, si vivement aimée de Dieu, devrait être le souhait de chacun de nous, afin qu'en nous voyant, Dieu nous dise aussi : « Vous êtes tout beau, mon bien-aimé ! »

    Tel fut le premier homme créé par la main de Dieu. Tel fut chaque chrétien régénéré par la grâce de Dieu. Et non seulement dans le sacrement du Baptême Dieu nous a donné la chasteté du corps et de l'âme, et la grâce pour la bien garder ; mais encore il nous la redonna dans le sacrement de la Pénitence ; et il nous munit d'une nouvelle force pour la conserver, en nous nourrissant dans le très-saint Sacrement de sa propre chair, chaste par excellence, et en nous abreuvant de son propre sang, de ce « vin délicieux qui fait germer les vierges (2). » Nous pouvons donc et nous devons être chastes ; mais le voulons-nous ?

     

    II.

    Tel qu'est le lis entre les épines, telle est ma bienaimée entre les filles ('). «Tel que le lis brille entre les épines, telle la très-chaste Marie brille entre les filles d'Adam. Toutes les autres filles d'Adam étaient ce que sont les épines, soit à l'égard d'elles-mêmes, soit à l'égard des autres. La seule Marie fut un lis pour tous ; sa vue attirait tous par sa chasteté et par le charme admirable de sa modestie, qui est la sauvegarde, le témoin et l'ornement de la chasteté.

    Que de fois avons-nous été ce que sont les épines, pour nous, ou pour les autres ! Ayons-en honte maintenant, et contemplons Marie, ce lis de chasteté, pour aimer enfin la chasteté, chacun selon son état,

    Il y a chasteté virginale et chasteté conjugale ; l'une absolue, l'autre relative ; l'une supérieure et plus noble , l'autre inférieure et moins noble, mais non moins délicate ; l'une est comme l'or, et l'autre comme l'argent ; mais chacune d'elles, selon l'état et la vocation de chacun, appartient au trésor du Seigneur. Hélas ! l'une comme l'autre sont rares ; le champ de ce monde est tout couvert d'épines, et c'est à peine si l'on rencontre quelques lis... Il faut cependant que ces épines deviennent des lis, pour mériter de fleurir éternellement dans les prairies de l'Agneau de Dieu.

     

    Le bienheureux Albert le grand, zélateur de la vertu de chasteté, l'admirant dans Marie, s'écrie : «0 vierge des vierges ! qui sans conseil et sans exemple a voué sa chasteté à Dieu, et dont l'exemple suscita toutes les vierges ('). » — « 0 vierge des vierges ! s'écrie saint Bernard, qui donc vous a appris à plaire ainsi à Dieu par votre chasteté, et à vivre sur la terre de la vie des Anges (2) ?» Ah ! c'est l'amour parfait qui l'a appris à Marie.

    La meilleure arme pour défendre, le meilleur bouclier pour préserver la chasteté, c'est l'amour de Dieu. Celui qui aime Dieu d'un amour véritable restera pur comme l'or au creuset. Marie, qui aimait Dieu de cet amour, gardait sa chasteté, et l'estimait tant, qu'elle eût mieux aimé ne pas devenir mère de Dieu que de la perdre ; et voici pourquoi elle dit à l'Ange qui lui annonçait que d'elle naîtrait le Sauveur du monde : a Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme (3)?» Et ce n'est que lorsque l'Ange l'eut assurée qu'elle concevrait du Saint-Esprit, qu'elle consentit avec humilité à devenir mère de Dieu, en prononçant ces mots, d'où dépendait le salut du monde : « Qu'il me soit fait selon votre parole ('). » Le salut du monde dépendait effectivement du consentement de Marie ; mais il dépendait aussi de sa chasteté ; car Dieu ne pouvait naître que d'une vierge aussi complétement pure que le fut Marie.

    Et maintenant le saint de chacun de nous dépend aussi de notre chasteté, personnelle, soit virginale, soit conjugale, soit celle de veuve, pourvu qu'elle soit fidèlement gardée, et qu'elle s'oppose constamment à l'ignoble péché d'impudicité qui perd les âmes et le monde. Car quiconque s'endort dans ce péché peut se réveiller aux enfers. Qui meurt dans ce péché sera enseveli aux enfers. « Celui qui garde la chasteté est un ange, dit saint Ambroise, et celui qui la perd devient un démon (2). » Quelle terrible vérité !

    « 0 Marie ! Dieu vous a choisie pour servir d'étendard à la chasteté (3). » Nous accourons donc tous, et nous nous rangeons tous sous votre drapeau, car nous voulons être les vainqueurs. Conduisez-nous, protégez-nous, combattez en nous, afin que nous triomphions. 0 Marie ! mère de chasteté, purifiez vos enfants par le sang de votre fils, et jusqu'à notre mort gardez notre chasteté.

     

    III.

    « Des vierges seront amenées au roi après elle ; on les conduira jusque dans le temple du roi ('). » Voici donc le chemin virginal, le chemin qui conduit au temple du roi, le chemin qui conduit à Dieu : c'est de suivre Marie, d'imiter Marie ; mais de l'imiter surtout dans la chasteté du cœur, qui est une condition indispensable pour conserver la chasteté du corps. Car l'homme du dehors vient toujours de l'homme du dedans ; et voilà pourquoi le Psalmiste dit, en parlant de Marie : « Toute la gloire de cette fille du roi lui vient du dedans (2). » Ainsi, demandons avec le Psalmiste la chasteté du cœur : « Créez en moi, ô Dieu ! un cœur pur (3) ! » Et suivant l'exemple de Marie, plaçons à la garde de la chasteté la douceur et l'humilité.

    Marie fut la plus chaste, car elle fut la plus douce et la plus humble. « Bienheureux ceux qui sont doux, car ils posséderont la terre (4), » a dit le Seigneur. Ils posséderont la terre promise dans la vie future, c'est-à-dire la patrie céleste; et dans cette vie ils posséderont la terre, c'est-à-dire qu'ils auront triomphé du monde et de la chair par la vertu de la chasteté. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu ('), » dit encore le Seigneur. Et comme «il n'entrera rien de souillé dans le royaume du ciel (2), » il est évident que c'est la chasteté du cœur qui donne la chasteté du corps. 0 Marie ! vierge au cœur le plus chaste ! obtenez-nous la chasteté du cœur, afin que, chastes au dehors comme au dedans, nous puissions contempler Dieu avec vous jusque dans les plus intimes perfections de son être divin.

    Pourquoi nous est-il si difficile de conquérir la vertu de chasteté ? « C'est, dit saint Augustin, parce que nous ne voulons pas garder ce qui la garde. » Qu'est ce donc qui garde la chasteté ? Bellarmin nous l'apprend, en citant Marie pour exemple : « C'est, dit-il, le jeûne, l'éloignement ou la fuite des dangers, et la prière (3) ; » ajoutons-y le travail. Marie nous offre pour tout cela le modèle le plus excellent.

    Ainsi : 1) Quant au jeûne, ses yeux et sa bouche jeûnaient par l'incomparable modestie et l'inaltérable continence, comme saint Épiphane, saint Jean Damascène, saint Grégoire de Tours, saint Bonaventure et tant d'autres l'observent à sa louange. Elle gardait toujours les yeux baissés, elle n'ouvrait jamais la bouche inutilement, et jeûnait tous les jours de sa vie par toutes les abstinences et toutes les mortifications de la chair. Tandis que nous, qui traitons si légèrement le jeûne, qui tournons en dérision la mortification de la chair, comment voulons-nous être chastes ?

    2) L'éloignement ou la fuite des dangers. « Celui qui évite les piéges sera en sécurité ('), » dit le Sage du Seigneur en parlant de tous les piéges. Combien plus faut-il se garder des piéges partout tendus à la vertu de chasteté, car ceux-là sont les plus dangereux et les plus traîtres. Saint Philippe de Néri nous dit : « Que dans le combat des sens il n'y a que le poltron qui triomphe ; » c'est-à-dire celui qui fuit toute tentation et qui craint le péché d'impudicité jusqu'à éviter la moindre occasion qui pourrait y conduire. Un tel poltron est un véritable héros, car il est vainqueur de lui-même. C'est ainsi que faisait Marie, qui, veillant constamment sur sa chasteté, s'était troublée en entendant les paroles de l'Ange ; qui, en allant visiter Élisabeth, pour éviter autant que possible la rencontre des hommes, comme dit l'Evangéliste : « s'en alla en toute hâte (a) ; » et qui enfin, pour la même raison, s'en retourna chez elle avant la naissance de saint Jean-Baptiste. Pour conserver la chasteté et la mettre à l'abri de tout danger, Marie gardait soigneusement la retraite et n'allait au milieu du monde que pour exercer quelque acte de charité ; comme elle le fit en allant aux noces de Cana, où elle s'était rendue en compagnie de Jésus. Oh ! que de leçons pour nous tous dans cette conduite de Marie !

    3) La prière. « Veillez et priez, afin que vous ne tombiez pas dans la tentation ('), » a dit le Seigneur, Mais il faut prier de bouche et de cœur, ainsi qu'il faut veiller sur ses sens et sur son cœur. Il faut prier constamment, car le danger est constant. Il faut, par une prière continuelle de notre cœur, nous tenir continuellement dans le cœur de Dieu ; car ce n'est qu'ainsi, ce n'est que là, que nous nous trouverons en assurance et hors de danger. Oh ! que l'exemple de Marie nous enseigne bien ce secret de bonheur et de sécurité ! 0 Marie ! qui pourrait dire vos prières et vos veilles ?

     

    4) Le travail. Le travail est une arme certaine contre la tentation : car la paresse est l'une des principales causes de l'impudicité. L'orgueil, la gourmandise et la paresse, mènent au quatrième péché capital, à l'impureté. « Voici quelle a été l'iniquité de Sodome, dit le Seigneur, ça été l'orgueil, l'excès de viande, l'abondance de toutes choses et l'oisiveté où elle était elle et ses filles. Elles ne tendaient point la main au pauvre et à l'indigent ; et elles se sont élevées et ont commis des abominations devant moi ; c'est pourquoi je les ai détruites comme vous avez vu (2). » Et le Seigneur les a détruites par un déluge de feu, pour montrer que le feu éternel sera le châtiment de cet abominable péché.

    0 Marie ! ô la plus humble, la plus sobre et la plus laborieuse ! obtenez-nous l'humilité, la sobriété et l'amour du travail, afin que nous ne soyons pas comptés parmi les plus stupides ; car le Sage du Seigneur l'a dit : « Celui qui aime à ne rien faire est très insensé ('). » Obtenez-nous la pitié et la miséricorde envers les pauvres, afin que leurs prières nous obtiennent la chasteté, que nous ne pouvons avoir que par un don de Dieu, comme ce même Sage nous l'apprend, en disant : « J'étais un enfant bien né, et j'avais reçu une bonne âme ; et, devenant bon de plus en plus, je suis venu dans un corps qui n'était point souillé. Comme je savais que je ne pouvais avoir la continence si Dieu ne me la donnait (et c'était déjà un effet de la sagesse de savoir de qui je devais recevoir ce don), je m'adressai au Seigneur, je lui fis ma prière, et je lui dis de tout mon coeur (2). »

    Ainsi, ô Marie ! mère la plus chaste ! mère la plus aimable ! nous vous supplions de tout notre cœur, obtenez-nous de votre fils le don de chasteté, et veillez sur nous, pour conserver à jamais dans nos cœurs cette vertu qui vous est si chère.

     

     

    POUR LE XXVe JOUR DU MOIS.

    DE L'OBEISSANCE DE MARIE.

    I.

    « Eve, par sa désobéissance, a causé sa mort et celle du genre humain, dit saint Augustin ; Marie, par son obéissance, procura le salut du genre humain ('). » Ainsi la désobéissance fait notre perte, et l'obéissance fait notre salut.

    L'obéissance est une vertu qui nous porte à l'accomplissement de la volonté de Dieu. Elle renferme donc toutes les autres vertus, car toute vertu n'est vertu que parce qu'elle s'accorde avec la volonté de Dieu ; et elle n'est vertu qu'autant qu'elle s'accorde avec la volonté de Dieu. L'obéissance est donc la soumission de notre volonté à la volonté de Dieu, non seulement dans la pratique de telle ou telle autre vertu, mais encore dans la manière dont il veut que nous l'exercions. Et c'est par cette raison que le Sage du Seigneur nous apprend que l'obéissance plaît à Dieu bien plus que toutes les offrandes de ceux qui se refusent au frein de l'obéissance : « L'obéissance, dit-il, vaut beaucoup mieux que les victimes des insensés ('); » c'est-à-dire de ceux qui veulent se gouverner selon leur propre volonté, et non selon la volonté de Dieu. Car n'est-ce pas folie que de faire des offrandes dont Dieu ne veut pas ? ou de les faire autrement qu'il ne veut ? Et le Seigneur lui-même le dit en ces termes : « L'obéissance est meilleure que les victimes (2). » Car l'obéissance est le sacrifice principal, le plus grand des sacrifices, la somme de tous les sacrifices ; car c'est le sacrifice de notre volonté, de laquelle dépendent tous les sacrifices.

    Par l'obéissance nous devenons sacrificateurs et victimes ; nous nous rendons nous-mêmes esclaves de la volonté de Dieu ; nous devenons véritables enfants de Dieu, semblables en cela aux enfants dociles d'une bonne mère, qui n'ont pas souci de ce qu'elle va leur donner, mais de ce qu'elle voudrait qu'ils fissent, et qui ne cherchent qu'à prévenir ses volontés et ses désirs. Par l'obéissance nous devenons semblables à Jésus-Christ lui-même, « qui fut obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix (3), » et qui ne faisait jamais que ce qui plaisait à Dieu, comme il l'a déclaré lui-même, en disant : « Je fais toujours ce qui est agréable à mon père. »

    Par l'obéissance nous nous assurons le salut éternel, que Jésus-Christ nous a mérité par son obéissance. Par l'obéissance nous préservons nos âmes de tout danger ; car en ce monde rien ne saurait nous perdre, si ce n'est notre propre volonté qui nous entraîne au mal, et nous livre à l'esclavage du péché. Par l'obéissance nous devenons enfants de Dieu, nous vivons dans son cœur, et nous sommes dans la liberté d'enfants de Dieu, d'héritiers de Dieu et de cohéritiers de Jésus-Christ (3). Par l'obéissance nous acquérons une protection toute particulière de Dieu, que le Psalmiste exprime en ces termes : « Il a commandé à ses anges de vous garder dans toutes vos voies. Ils vous porteront dans leurs mains, de peur que vous ne heurtiez votre pied contre la pierre (3). »

    Plus nous nous donnons à Dieu, plus Dieu se donne à nous. Par la vertu de l'obéissance nous nous donnons entièrement à Dieu, et en récompense de cette vertu Dieu se donne entièrement à nous. Qui aime véritablement Dieu, aime aussi l'obéissance ; car pour un cœur aimant l'obéissance est non seulement un devoir, mais encore un véritable besoin. L'amour ne vit que d'obéissance, aussi il nous y pousse, il nous y entraîne ; et comme dit l'Apôtre : « L'amour du Christ nous presse ('). » L'amour est obéissant avant tout ; il suit partout l'objet aimé, qui est Dieu ; il suit le chemin par lequel il plaît à Dieu de le conduire. Plus ce chemin est difficile, plus l'amour s'y engage courageusement ; car il sait qu'au bout de ses fatigues et de ses souffrances il trouvera Dieu, car il sait que l'obéissance envers Dieu mène infailliblement à Dieu.

    « Par le travail de l'obéissance nous retournons vers Dieu, dont la paresse de la désobéissance nous avait éloignés (2), » dit saint Benoît dans le prélude de sa divine règle. 0 bienheureuse obéissance ! quand donc deviendras-tu la règle de mon cœur ?

    « L'âme du juste médite l'obéissance ; les enfants de la sagesse forment l'assemblée des justes, et le peuple qu'ils composent n'est qu'obéissance et amour (3). » Selon ces paroles du Sage du Seigneur, la sagesse et la justice, l'obéissance et l'amour marchent toujours ensemble. Tel donc que fut l'amour, telle fut l'obéissance de Marie ; et voici pourquoi, comme elle est la mère de l'amour, elle est aussi la mère de l'obéissance.

     

    II.

    « Quiconque fait la volonté de mon père, qui est dans les cieux, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère ('). » D'après ces paroles de notre Seigneur Jésus-Christ, Marie, sa mère selon le corps, était aussi sa mère selon l'esprit ; car son obéissance envers Dieu était si parfaite, qu'elle pouvait dire en toute vérité avec Jésus-Christ ; « Je fais toujours ce qui lui est agréable (2). »

    Dès que Marie apprit qu'elle avait une volonté, elle est allée tout de suite la vouer à Dieu, ne voulant avoir d'autre volonté que celle de Dieu, par conséquent d'autre liberté que celle de Dieu. En se vouant à Dieu dans son temple, Marie a fait vœu d'obéissance, devenant par cet acte volontaire à tout jamais servante du Seigneur, dignité à laquelle elle n'a jamais voulu renoncer ; car, quoiqu'elle fût mère de Dieu, elle s'appelait toujours servante du Seigneur.

    A dater de son enfance, elle obéissait à Dieu en le servant dans son temple, et passa toute sa vie dans l'obéissance constante, toujours en vue de Dieu. Obéissante à Dieu, elle épousa Joseph, bien qu'elle se fût déjà consacrée à Dieu. Obéissante à l'Ange qui lui annonçait sa miraculeuse maternité, elle répondit : « Qu'il me soit fait selon votre parole (3). »

     

    Obéissante à César en ce qui n'était pas contraire à la loi du Seigneur, elle se rendit selon ses ordres à Bethléem, malgré l'approche de l'époque à laquelle elle devait enfanter. Obéissante à la loi, elle fut au temple accomplir sa purification, à laquelle elle n'était point obligée. Obéissante à Joseph , même dans les choses les plus difficiles, elle se leva la nuit, et sur sa parole elle se rendit avec Jésus en Égypte. Obéissante, elle a sacrifié son fils pour le salut du monde. Obéissante jusqu'à la mort, et à la mort de la croix de son fils, elle fut tellement obéissante, selon l'observation de saint Ildefonse : que pour accomplir la volonté de Dieu, elle se serait offerte à crucifier son fils elle-même, si les bourreaux s'y fussent refusés ('). » Elle fut encore obéissante en cela qu'elle ne mourut pas au pied de la croix, à la vue de l'agonie de son fils, quoiqu'elle souffrit une douleur plus terrible que la mort même. Cette obéissance de Marie, à l'exemple de celle de Jésus, lui a mérité un nom au-dessus de tout nom après le nom de Jésus. Et ce que l'Apôtre a dit de Jésus-Christ, « se rendant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix : C'est pourquoi Dieu l'a élevé et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (2); » on peut le dire aussi de Marie après Jésus ; que c'est à cause de son obéissance, el de son obéissance jusqu'à la mort, et à la mort de la croix de son fils unique, que Dieu lui a donné un nom qui, après le nom de Jésus, est au-dessus de tout nom ; et qu'au nom de Marie tout genou fléchit dans le ciel, sur la terre et dans les enfers. Oui, on peut le dire, car par l'obéissance de Marie les cieux sont élevés, la terre sauvée, et l'enfer vaincu.

     

    Comme Marie vivait d'obéissance, elle est aussi morte par obéissance. Saint Ildephonse nous dit qu'au moment où Jésus est venu chercher l'âme de Marie pour la porter au ciel, elle lui fit la même réponse qu'elle avait faite en consentant à le recevoir dans sou sein virginal : « Voici la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole ('). »

    0 sainte obéissance ! qui, changeant notre volonté contre la volonté de Dieu, et de la volonté de Dieu faisant notre volonté, nous faites vaincre l'enfer, subjuguer la terre et conquérir le ciel ! 0 ! vertu toute puissante, qui faites descendre Dieu dans nos cœurs, et qui nous élevez jusqu'au sein de Dieu ! quand donc te posséderai-je ? 0 Marie ! ô la plus obéissante ! obtenez-moi cette vertu dont j'ai un si grand besoin !

    III.

    C'est l'orgueil qui a poussé Satan à la désobéissance ; c'est l'orgueil qui nous y pousse aussi. C'est par orgueil que nous refusons obéissance à Dieu, ainsi qu'à ceux que Dieu nous a donnés pour chefs. Le signe principal de l'orgueil, c'est la désobéissance, comme l'obéissance est le signe principal de l'humilité. Marie fut la plus obéissante, car elle fut la plus humble. L'obéissance est aussi le signe principal de l'amour. Marie a surpassé toutes les créatures par son obéissance, car elle les a toutes surpassées par son amour.

    L'humilité et l'amour doivent être les premiers motifs de notre obéissance, laquelle, à l'exemple de celle de Marie, doit être douce, humble, joyeuse, libre et générale ; c'est-à-dire s'étendre sur toute chose sans exception, sur les choses faciles comme sur les difficiles, sur les grandes comme sur les petites, même sur les moins importantes ; car c'est là ce qui constitue la parfaite obéissance.

    C'est de cette obéissance que nous devons obéir à tous les commandements de Dieu : a Si vous m'aimez, gardez mes commandements ('), » dit le Seigneur, C'est de cette obéissance que nous devons obéir à l'Église comme à Dieu même, car Jésus-Christ a dit à ses Apôtres : a Celui qui vous écoute, m'écoute ; celui qui vous méprise, me méprise (*). » C'est de cette obéissance que nous devons obéir à tous nos supérieurs, en ce qui n'est pas contraire à la loi de Dieu : les enfants aux parents, les élèves aux maîtres, les femmes à leurs maris, les serviteurs à leurs maîtres, les subordonnés à leurs chefs ; tout cela par amour de Dieu, afin que tous n'en fassent qu'un par cet amour, que la paix de Dieu soit dans tous les cœurs, et que le nom de Dieu soit sanctifié sur la terre.

    Heureux celui qui. aimant par-dessus tout la volonté de Dieu, soumet sa volonté à Dieu, et la lui consacre pleinement à l'exemple de Marie ! Heureux celui qui, pendant la vie du temps, fait avec Jésus et Marie la volonté de Dieu, car il sera, pendant la vie de l'éternité, couronné de gloire !

    0 Marie ! ô la plus obéissante ! vous avez annoncé à sainte Brigitte, « que l'obéissance mène chacun à la gloire ; » je désire donc de tout mon cœur être obéissant. 0 Marie ! vous avez obtenu par votre obéissance un tel pouvoir de Dieu, que tout pécheur, aussi coupable qu'il soit, obtiendra le pardon, si, ayant recours à votre protection, il promet d'être obéissant. Nous recourons donc à vous, tout désobéissants que nous étions, en protestant de vouloir vous suivre dans la voie de l'obéissance. Par la force de votre obéissance, brisez donc notre désobéissance, comme vous avez brisé la tète du serpent. Remplissez-nous de l'amour de la volonté de Dieu, dont le charme ineffable aplanit toutes les difficultés, adoucit toutes les amertumes. Remplissez-nous de la crainte de notre propre volonté, afin que, par la parfaite abnégation de nous-mêmes, nous devenions, selon votre exemple, des serviteurs de Dieu ; et que nous méritions la vie éternelle, qui est le fruit de votre obéissance et de celle de votre fils.

     

     

    POUR LE XXVIe JOUR DU MOIS

     

    POUR LA FETE DE L'ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE.

    (Le 15 août)

    LÉGENDE DU BREVIAIRE ROMAIN.

    « L'ancienne tradition nous apprend qu'au moment où la très-sainte Vierge allait s'endormir du sommeil de la mort, tous les saints Apôtres, qui alors furent dispersés par toute la terre pour travailler au salut des peuples infidèles, furent au même instant transportés dans les airs pour se réunir à Jérusalem. Lorsqu'ils y furent arrivés, une vision d'anges leur apparut, et ils entendirent les cantiques des esprits célestes ; et c'est ainsi qu'au milieu d'une gloire divine Marie rendit son âme très-sainte entre les mains de Dieu ; tandis que son corps qui, d'une manière indicible, avait accueilli Dieu même, fut déposé dans un cercueil à Gethsémani, au milieu des cantiques des Anges et des Apôtres, lequel chant des Anges s'y prolongea durant trois jours sans interruption ; et lorsque cette mélodie céleste cessa au bout de trois jours, les Apôtres, en compagnie de saint Thomas, qui n'était arrivé qu'après le troisième jour, et qui voulait adorer le corps sacré qui avait porté Dieu, ouvrirent le sépulcre, mais ils ne purent aucunement y trouver ce corps. Et comme ils n'y trouvèrent que le linge dont il fut enveloppé, et qu'une odeur la plus suave qui en émanait les eut pénétrés, ils refermèrent le cercueil, frappés de ce mystérieux miracle ; la seule chose qu'ils pensèrent fut, que celui auquel il avait plu de tirer sa chair, se faire homme et naître de la Vierge Marie, comme il était Dieu le Verbe, et Seigneur de gloire, et qu'il avait conservé intacte sa virginité après l'enfantement même, il lui a plu aussi de glorifier ce corps immaculé, en le rendant incorruptible après sa mort, et en le transférant au ciel avant la résurrection commune et universelle ('). »

     

     

    I.

    « Il est arrêté que les hommes meurent une fois ('), car la mort est la solde, la rançon du péché (2)... » Mais Marie, conçue sans péché et toujours sainte, pourquoi fallait-il qu'elle mourût ? C'est parce que Jésus-Christ est mort. C'est aussi pour nous rendre, conjointement avec Jésus, la mort plus douce, et non seulement plus douce, mais encore désirable. Effectivement, depuis que, par la mort de Jésus, le ciel nous est ouvert ; depuis que, par la mort de Marie, nous avons une mère au ciel, la mort, pour tous ceux qui aiment Jésus et Marie, est le plus grand des bienfaits ; car elle met le terme aux misères de cette vie, et nous ouvre la gloire, le bonheur et la félicité de la vie éternelle.

    « C'est une chose précieuse devant les yeux du Seigneur que la mort de ses saints (3) ! » s'écrie le Roi-prophète. Qu'elle était donc précieuse devant les yeux du Seigneur, la mort de Marie ! de cette Sainte au-dessus de tous les saints, de cette Reine de tous les saints ! Marie soupirait après la mort depuis l'ascension de Jésus-Christ ; car, servante du Seigneur, elle désirait se trouver avec son Seigneur, et mère de Dieu, elle désirait se trouver avec son fils Dieu. Et tous les deux soupiraient après la mort de Marie ; car ils désiraient voir et posséder la mère de leur Roi, leur Reine. 0 Marie ! nous soupirons aussi après la mort, car nous désirons être avec Jésus et avec vous, pour le servir, et régner avec vous.

     

    Qu'est-ce qui fait l'amertume de la mort ? c'est l'attachement aux biens terrestres. « 0 mort ! que ton souvenir est amer à un homme qui vit en paix au milieu de ses biens ('), » dit le Sage du Seigneur. Qu'est-ce qui donne la terreur de la mort ? c'est le péché, c'est-à-dire la désobéissance à la loi de Dieu. « Malheur à vous, hommes impies, qui avez abandonné la loi du Seigneur, le Très-Haut (;!)! » Mais celui, au contraire, qui suit la loi de Dieu , qui garde les voies du Seigneur, celui que l'amour de Dieu a détaché de la terre pour l'élever au ciel, celui qui ne vit que pour Dieu et en Dieu, celui-là désire la mort de tout son cœur, et dit avec saint Paul : « Jésus-Christ est ma vie, et la mort m'est un gain... Je désire d'être dégagé des liens du corps, et d'être avec Jésus-Christ ; ce qui est sans comparaison le meilleur ('). »

     

    Combien donc Marie ne devait-fille pas désirer la mort, elle qui n'avait jamais été attachée à la terre, elle qui brûlait toujours de l'amour de Dieu, elle qui était toute plongée en Dieu, elle, « cette femme qui était revêtue du soleil, et qui avait la lune sous ses pieds et une couronne de douze étoiles sur sa tète (')? » Oh ! combien Marie devait désirer la mort ! elle qui soupirait après Jésus, après son fils et son Dieu, elle qui soupirait par d'inexprimables gémissements : « La voix de la tourterelle s'est l'ait entendre dans notre terre (2) ; » car où était l'objet de son affection, son cœur y demeurait constamment, ainsi qu'il est écrit : « Là où est votre trésor, là sera aussi votre cœur (3). »

    Et nous, qui pouvons et qui devons, à l'exemple de Marie, fouler aux pieds le monde, habiter le ciel par notre cœur, et devenir par nos œuvres frères, sœurs et mère du Christ ; et nous aussi, vivant à l'exemple de Marie, nous désirerons la mort à l'exemple de Marie. « Arrière avec les larmes ! » disait en mourant saint Laurent Justinien à ceux qui le pleuraient. « Arrière avec les larmes ! ce n'est pas le moment des larmes, c'est celui de la joie (4)! »

     

    Une pieuse carmélite s'étonnait beaucoup de ce que le médecin, qui lui avait annoncé sa fin prochaine, ne demandait pas une forte récompense pour lui avoir apporté une si bonne nouvelle. Un grand nombre de saints, ayant supporté les fatigues de la vie, confiants en la miséricorde de Dieu, qui ne repousse jamais Un cœur humble et contrit, désiraient ardemment la mort, et la saluaient avec joie.

    Oh ! quelle était donc la joie de Marie, lorsque le feu de son amour pour Dieu, toujours plus ardent, consumait déjà les dernières fibres de ces liens invisibles, qui rattachaient son âme à cette vie mortelle, lorsque d'un moment à l'autre il allait enlever cette âme trois fois bénie, pour la porter sur ses flammes célestes jusqu'au-dessus des chœurs des anges, jusque dans le sein de Dieu ! Toute sa vie, Marie demandait toujours : « Qui me donnera des ailes comme à la colombe, afin que je puisse m'envoler et me reposer (')? » C'est la mort qui lui a donné ces ailes ; c'est la mort qui nous les donne aussi. Les anges sont descendus pour chercher leur Reine ; et Marie est toujours prête à descendre pour chercher chacun de nous, car nous sommes ses enfants.

    0 Marie ! apprenez-nous à vivre comme vous, pour que nous désirions mourir comme vous ! et à l'heure de notre mort, venez nous chercher vous-même, portez-nous vous-même jusqu'à votre fils, présentez-nous à lui en qualité de vos enfants. Oh ! si vous daignez exaucer cette prière ! aujourd'hui même, et à l'instant même, je suis prêt à mourir entre vos bras, afin de vivre éternellement sur votre sein, ô Mère chérie ! « Mon cœur est préparé, ô Dieu ! mon cœur est préparé (') ! »

    II.

    « Levez-vous, hâtez-vous , ma bien-aimée, ma colombe, mon unique beauté, et venez ! car l'hiver est déjà passé, les pluies se sont dissipées, et ont cessé entièrement (2). » O Marie, l'hiver de la mort est passé pour vous ; la pluie de vos larmes s'est dissipée, et elle a cessé entièrement. Voici votre bien-aimé qui vous appelle : Levez-vous ! « Venez, venez, vous serez couronnée (3). » Oui, vous serez couronnée, ô notre mère ! comme Reine des Anges, Reine des Patriarches, Reine des Prophètes, Reine dos Apôtres, Reine des Martyrs, Reine des Confesseurs, Reine des Vierges, Reine de tous les saints, Reine de toutes les nations, et de la nôtre aussi. Levez-vous, venez, vous serez couronnée ! Et l'âme de Marie est venue chercher son corps, et elle se leva. Et, plus belle que la lune au milieu des étoiles, Marie brilla au milieu des saints et des anges descendus pour la chercher ; elle brilla du reflet de la clarté du soleil, du reflet de la gloire de Jésus, qui s'avançait au-devant d'elle. « Le glorieux Jésus se leva, dit saint Bernardin, et s'avança à la rencontre de sa mère, pour la présenter lui-même à la très sainte et très adorable Trinité ('). »

     

    0 Marie ! qui pourra dire les merveilles de cette rencontre ! En vous voyant défaillante d'amour, appuyée sur le bras de votre fils, les esprits bienheureux se demandaient : « Quelle est celle-ci, qui s'élève du désert, toute remplie de délices, et appuyée sur son bien-aimée (2)?» C'est Marie ! c'est Marie ! — Levez vos portes, ô princes ! et vous, portes éternelles, levez-vous, afin de laisser entrer la Reine de gloire ! Qui est cette reine de gloire ? C'est la reine forte et puissante, reine puissante dans les combats, qui a écrasé la téte du serpent. Levez vos portes, ô princes ! et vous, portes éternelles, levez-vous, afin de laisser entrer la Reine de gloire (3) !

    Et ce ne sont pas seulement les portes du ciel, c'est le ciel lui-même qui s'est ouvert pour la laisser entrer, qui s'est incliné à son approche. Et la sainte Trinité l'a bénie à son arrivée. Dieu le Père a béni sa fille bien-aimée. Dieu le Fils a béni sa mère si tendrement affectionnée, Dieu le Saint-Esprit a béni son épouse fidèle. La très sainte Trinité a revêtu Marie du reflet de sa gloire et l'a remplie de sa béatitude... Gloire à vous, ô Jésus fils de Dieu et fils de Marie !... « La Reine s'est tenue à votre droite, ayant un habit enrichi d'or, étant environnée de ses divers ornements ('). » Oh ! que le ciel est devenu beau de l'éclat de toute sa beauté !

    O Marie ! « beaucoup de filles ont amassé des richesses, mais vous les avez toutes surpassées (2) ; » car le Fils de Dieu, qui est votre fils, vous a couronnée lui-même. 0 Marie, donnez-nous le droit de cité dans le royaume des deux, vous qui êtes notre reine ; donnez-nous une part de votre héritage, vous qui êtes notre mère !

    III.

    A qui vous comparerai-je ? Marie. A personne ; car vous êtes supérieure à toute créature, et vous n'êtes inférieure qu'à Dieu.

    Marie est supérieure à tous les saints et à tous les anges du Seigneur, au delà de toute mesure. « Au delà de toute comparaison, dit saint Éphrem, Marie surpasse par sa gloire tous les esprits célestes (3). »

     

    « Après Dieu, supérieure à tous ('), » dit saint André de Crète. « Élevée au-dessus de toute créature (2), » dit saint Arnoud. Et saint Bernardin de Sienne ajoute : « Que la glorieuse Marie a le même nombre de serviteurs que la très-sainte Trinité ; car toutes les créatures, anges ou hommes, toutes celles qui sont au ciel comme toutes celles qui sont sur la terre, étant sujets de Dieu, sont sujets de la sainte Vierge ; car Dieu lui-même l'a couronnée pour cela (3). » — « Vous n'avez point d'égal, s'écrie saint Anselme en s'adressant à Marie, car tout ce qui est, n'est qu'au-dessus, ou au-dessous de vous : au-dessus c'est Dieu seul, au-dessous c'est tout ce qui n'est pas Dieu (4). »

     

    Telle est votre grandeur, ô Marie ! grandeur incommensurable !

     

    Et votre béatitude, qui pourrait la comprendre ?

     

    Si saint Paul, dans son extase enlevé au Paradis, s'écrie : « que l'œil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu, et que le cœur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment ('); » quelles sont donc la gloire et la béatitude que Dieu avait préparées pour Marie, qui l'aimait plus que tous les cœurs ensemble ! Si le Psalmiste, se trouvant encore sur la terre, élevant sa voix à la louange du Seigneur, a dit : « Vos consolations ont rempli de joie mon âme, à proportion du grand nombre de douleurs qui ont pénétré mon cœur (2); » quel devait être le cantique de Marie, montée au ciel, couronnée au ciel par la main de Dieu luimême ! Car si les douleurs de Marie étaient sans bornes, combien les consolations dont Dieu avait rempli son âme au ciel devaient-elles être plus incommensurables encore ! Car, dit l'Apôtre, « les souffrances de la vie présente n'ont point de proportion avec cette gloire, qui sera un jour découverte en nous(8). » Si, d'après les paroles de Jésus-Christ, sont bienbeureux les pauvres d'esprit, bienheureux ceux qui sont doux, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice, bienheureux ceux qui sont miséricordieux, bienheureux ceux qui ont le cœur pur, bienheureux les pacifiques, et bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux est à eux : oh ! vous êtes donc huit fois bienheureuse, ô bienheureuse Marie ! car vous avez mérité toutes ces bénédictions, et avec infiniment plus d'abondance que personne.

    Réjouissons-nous donc et tressaillons de joie, de ce que la récompense qui avait été réservée à Marie dans les cieux, lui a été accordée non seulement avec justice, mais avec abondance (') : avec justice, parce que Dieu « rendra à chacun selon ses œuvres (2) ; » avec abondance et surabondance, parce que Dieu a promis « une bonne mesure, pressée et entassée, et qui se répandra par dessus (3). »

    O Marie ! rien ne saurait nous donner l'image de votre grandeur, de votre gloire, de votre richesse, de votre félicité et de votre béatitude, si ce n'est votre nom, lequel, après celui de Jésus, est le plus beau, le plus puissant, le plus miséricordieux et le plus doux. Votre trône, du haut duquel vous régnez sur la terre et sur les cieux, est élevé au-dessus de tous les trônes des bienheureux , de tous les trônes des esprits célestes, que votre fils, ô notre mère, a fait rouler sous vos pieds comme autant de grains de perles éblouissantes. Dans les cieux il n'y a pas de créature qui soit votre égale. Aucun être ne vous est supérieur, si ce n'est Dieu même, et votre fils bien aimé, qui est le fils de Dieu et Dieu lui-même ; et c'est ce qui ajoute encore à l'indicible bonheur de votre cœur maternel, car vous êtes sa mère !

     

    0 mère trois l'ois admirable ! « Après la vision de Dieu, la plus grande gloire est celle de vous contempler (').» — « Vous êtes, après Dieu, notre plus grande gloire et notre plus grande joie (*). » Vous êtes, après Dieu, toute notre espérance ! 0 bienheureuse ! dans l'immensité de votre gloire et de votre bonheur pourriez-vous oublier la misère de vos enfants ? « 0 jamais ! jamais ! une miséricorde si grande que la vôtre ne saurait oublier une misère aussi profonde que la nôtre (3). » — « Votre miséricorde, ô Marie ! était bien grande lorsque vous étiez souffrante sur la terre ; mais elle est bien plus grande encore depuis que vous régnez au ciel (4). » Comme vous n'avez point hésité à donner pour nous toutes vos douleurs sur la terre, hésiteriez-vous à nous faire participer de vos joies au ciel ? Que l'on vous demande des biens temporels, qui sont aussi à votre disposition ; mais nous, ô notre mère ! nous ne vous demandons que des biens éternels ; nous demandons par votre intercession la rémission des péchés, l'amendement de la vie, la bonne mort, et le bonheur de vous contempler vous et votre fils. «Oh ! de grâce, notre avocate, tournez donc vers nous vos regards miséricordieux, et après cet exil montrez-nous Jésus, le fruit béni de vos entrailles, ô clémente, ô charitable, ô douce vierge Marie (') ! » 

     

     

    POUR LE XXVIIe JOUR DU MOIS

    POUR LA FETE DE NOTRE-DAME DU MONT CARMEL.
    (10 juillet)

    LEGENDE DU BREVIAIRE ROMAIN.

    Le cinquantième jour après Pâques, qui est le jour de la fête de la Pentecôte, lorsque les Apôtres, inspirés par le Saint-Esprit, commencèrent à parler diverses langues et à faire des miracles en invoquant le nom de Jésus, plusieurs hommes, rapporte la tradition, marchant sur les traces des saints Prophètes Elie et Elisée, préparés d'ailleurs à la venue du Christ par la prédication de saint Jean-Baptiste, ayant examiné les choses de près et s'étant convaincus de la vérité, acceptèrent sans hésiter la foi de l'Évangile ; et comme ils ont eu le bonheur d'approcher de la sainte Vierge et de converser avec elle, ils lui vouèrent un sentiment de vénération tout particulier, et furent les premiers à édifier en l'honneur de la très-chaste vierge, une chapelle sur le mont Carmel, à l'endroit même où Élie avait vu s'élever le nuage qui était le symbole de la Vierge. Ils se rassemblaient donc plusieurs fois par jour dans cette chapelle pour y honorer par de pieuses pratiques, par des hymnes et des prières, la bienheureuse Vierge, protectrice de leur Ordre. Et voici pourquoi on les a nommés : Frères de la bienheureuse Marie du mont Carmel. Les Papes ont non seulement confirmé cette dénomination, mais ils ont accordé plusieurs indulgences spéciales à tous ceux qui appelleraient de ce nom soit l'Ordre lui-même, soit ses membres. Et la très-magnanime Vierge Marie a non seulement revêtu cet Ordre de son nom et de sa protection, mais encore elle lui a donné, par les mains du bienheureux Simon l'Anglais, le saint Scapulaire, afin que cette robe céleste devint son signe distinctif et sa défense contre tous les maux qui l'assaillaient. Et postérieurement, comme cet Ordre n'était point connu en Europe, et qu'on insistait beaucoup auprès d'Honorius III en demandant sa suppression, la très miséricordieuse Marie lui apparut la nuit, et lui ordonna formellement d'accepter favorablement l'Ordre même et les Frères qui le composent. Or cet Ordre, très agréable à la sainte Vierge, fut non seulement doté par elle de plusieurs priviléges dans ce monde, mais aussi dans l'autre (car sa puissance et sa miséricorde s'étendent partout) : de sorte que ceux d'entre les fidèles qui, appartenant à la confrérie du saint Scapulaire, feraient une certaine abstinence de viande, réciteraient quotidiennement les oraisons prescrites, et, selon leur état, garderaient la vertu de chasteté ; durant leur pénitence dans les flammes du purgatoire, seront (la piété nous ordonne de le croire) consolés et soulagés par sa tendresse maternelle, et par son intercession conduits au plus tôt dans la patrie céleste. C'est donc en commémoration de ces immenses bienfaits que l'Ordre des Carmes a résolu de célébrer annuellement cette nouvelle solennité (').

     

     

    I.

    « Jésus dit à sa mère : Femme, voilà votre fils ; puis il dit au disciple : Voilà votre mère ('). » Ces paroles, par lesquelles Jésus-Christ mourant sur la croix faisait adieu à sa mère et saluait ses enfants ; ces paroles qui disent l'immense amour de notre Sauveur, expliquent aussi pourquoi Dieu avait donné à Marie une force si grande, qu'elle ait pu rester debout au pied de la croix, sans mourir de douleur ; comme aussi pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, en montant au ciel, n'a point emmené Marie avec lui, mais qu'il la laissa sur la terre.

    Jésus-Christ avait promis à ses disciples qu'il ne les laisserait pas orphelins ; aussi leur a-t-il donné pour mère sa propre mère ; et il l'a laissée sur la terre aussi longtemps qu'il le fallait pour faire sécher leurs larmes après son départ, pour bercer les premiers enfants de la sainte Eglise, et pour allaiter du lait maternel la sainte Eglise elle-même, enfantée par la passion du Fils et les douleurs de la Mère. « Jésus-Christ a laissé Marie après lui, dit le savant et pieux Cornélius à Lapide, pour être la mère des Apôtres et des fidèles, pour soutenir les chancelants, pour consoler les affligés, fortifier les faibles, rassurer et raffermir les irrésolus et les pusillanimes, guider, instruire et vivifier toute la chrétienté. Aussi c'est Marie qui rassembla les Apôtres dispersés au moment de l'arrestation de Jésus ; c'est elle qui releva, par l'espoir du pardon, la confiance de Pierre désolé d'avoir renié son maître ; c'est elle qui avait maintenu la foi en la résurrection de Notre-Seigncur, quand ses disciples l'avaient perdue, consternés qu'ils étaient par sa mort si ignominieuse ('). »

     

    Et Marie était la consolation des affligés, elle-même inconsolable après la mort de Jésus !

    Et Marie était le guide des Apôtres : elle présidait à leurs prières dans le Cénacle, et c'est assurément par ses prières qu'elle obtint plus promptement la descente du Saint-Esprit : elle bénissait tous les travaux des Apôtres, elle-même toute bénie.

    Et Marie était la force des Martyrs, elle qui a souffert le plus cruel des martyres avec son fils, le Sauveur du monde. En la contemplant, les Martyrs se réjouissaient de souffrir pour Jésus-Christ, et obtenaient par son intercession la grâce nécessaire pour subir le martyre. « Lorsque les princes des Juifs, nous dit Cornelius à Lapide, lorsque les princes des Juifs emprisonnaient, meurtrissaient, faisaient mourir les Apôtres, Marie souffrait de toutes ces persécutions comme si elles lui fussent personnelles ; mais son âme sublime savait les vaincre, et elle enseignait aux Apôtres, par son exemple et par ses paroles, la manière de les vaincre ('). »

     

    Jésus, qui avait prévu et ordonné tout cela, avait dit à Marie en lui montrant Jean : « Femme, voilà votre fils. » Par ces paroles, il lui disait : 0 ma mère ! soyez la femme forte, pour que vous deveniez après mon départ, et à tout jamais, la base inébranlable et l'immuable appui de mon Eglise ; pour que vous la souteniez par votre force, que vous la guidiez par vos conseils, que vous la réchauffiez par votre amour, que vous apaisiez ses orages par vos prières ; et que vous lui donniez le développement, la puissance et la paix pendant tous les siècles à venir, jusqu'à la fin du monde : « Femme, voilà votre fils ! » Votre fils, c'est tout mon peuple, tout le genre humain ! Soyez la santé des infirmes, le refuge des pécheurs, la consolatrice des affligés, le secours des chrétiens. Soyez mère pour tous, dans tous les lieux, dans tous les siècles et pour toutes choses : « Voilà votre fils !»

     

    Et ce que Jésus a dit s'est fait immédiatement ; car, comme nous l'avons déjà fait observer, ce que Dieu dit, il l'opère en le disant.

    0 Marie ! vous êtes notre mère, et nous sommes vos enfants ! Là est toute notre gloire et tout notre espoir.

    II.

    De son vivant, Marie brillait déjà comme le soleil au milieu de ses enfants, les éclairant, les réchauffant, les fortifiant et les réjouissant. Aussi tous s'empressaient-ils près d'elle, pour se réjouir de sa vue, se nourrir de sa parole et se ranimer de son amour. Aux pieds de Marie tous se sentaient frères, et tous enfants de Dieu. Qui peut comprendre le bonheur ineffable qu'on éprouvait à voir Marie, à entendre Marie, à converser avec Marie ; ce bonheur, que nous désirons avec une si vive ardeur, et dont l'espoir seul, qui en est le pressentiment, rajeunit notre cœur en comblant notre âme d'une joie indicible. 0 Marie ! Marie ! nous languissons et nous soupirons après vous.

    Saint Denis l'Aréopagite, converti par saint Paul à Athènes, s'en alla à Jérusalem pour voir Marie. Frappé de la dignité et du charme de cette mère de Dieu, il s'écria dans son enthousiasme : Si la foi ne m'apprenait le contraire, je penserais que Marie est la divinité même. Tel était l'éclat de gloire dont l'amour et la grâce de Dieu avaient revêtu Marie !

    0 Marie ! avec quelle justesse saint Bernard vous adresse ces paroles : « Vous avez revêtu le soleil, le soleil vous a revêtue ('). » Ah ! ce soleil moral ne désire que de nous revêtir aussi. « Revêtez-vous de notre Seigneur Jésus-Christ (2), » s'écrie l'Apôtre. Mais qui est-ce qui nous revêtira de ces « armures de lumière (3)? » Personne, si ce n'est vous, ô Marie ! Car, qui est-ce qui revêtirait les enfants, si ce n'est leur mère ? Et ces armures victorieuses nous sont très nécessaires, car le combat dure continuellement et sans relâche.

     

    0 Marie ! nous avons grandement besoin de ces vêtements rayonnants, devant l'éclat desquels nos ennemis, les habitants des noires ténèbres, seront mis en fuite à l'instant même. O Marie ! revêtez-nous de ce soleil dont vous êtes revêtue.

    Marie, a exaucé cette prière avant que nous la lui ayons adressée ; elle nous a revêtus de ce soleil , invisible à l'œil humain, du soleil de la grâce de Dieu ; et pour signe visible, elle nous apporte du ciel le saint Scapulaire. Celui qui reçoit et qui garde ce vêtement avec le sentiment d'une piété filiale, aura Marie pour mère pendant toute sa vie ; elle sera sa consolation dans les souffrances, sa force dans les adversités, sa lumière dans les ténèbres, son guide dans les chemins raboteux et difficiles de cette vie, son appui et son soutien toujours, sa victoire partout, et sa couronne au moment de la mort.

    0 notre Mère ! « qui donc, après Jésus, votre fils, entourait le genre humain d'autant de soins que vous (') ! » s'écrie saint Germain. Vous gardez les fidèles, afin qu'ils ne faiblissent pas ; vous gardez les pécheurs, afin qu'ils se convertissent ; vous gardez les saints, afin qu'ils se sanctifient toujours davantage, et vous gardez tous les enfants des hommes, afin qu'aucun n'en soit perdu pour vous. Et si nous sommes fidèles à porter ce vêtement miraculeux du saint Scapulaire, vous imprimez sur nos âmes-votre cachet, afin que Satan, y apercevant votre nom, prenne la fuite à sa vue, comme le voleur s'enfuit devant la clarté du jour.

    III.

    Pendant tout le cours de notre vie, sans cesse le démon nous observe, et cherche à nous entraîner dans le mal, afin de faire sa proie de nos âmes : « Comme un lion rugissant cherchant qui il pourra dévorer (2). » Mais, au moment de la mort, sa fureur et sa perfidie prennent une extension terrible. C'est bien ici qu'il faut s'écrier avec le prophète : « Malheur à la terre et à la mer, parce que le diable est descendu vers vous, avec une grande colère, sachant qu'il ne lui reste que peu de temps (3). » Le temps de l'agonie est le temps de la plus redoutable lutte, car celui qui sera vainqueur au moment de la mort, restera vainqueur pour l'éternité. Voici pourquoi, à ce moment décisif, Satan nous entoure de ses légions, et, comme dit Isaïe : « Les maisons seront remplies de dragons ('). » Tout l'enfer s'agite alors pour faire vomir sa fureur sur nous : « L'enfer s'en va tout en trouble à ton arrivée (2). » Et il combat alors par des tentations plus fortes que celles dont il tente l'homme pendant le reste de sa vie ; car ce seront là des tentations de géants : « Il a fait lever des géants à cause de toi (3). »

    Pour un pareil combat, pour une lutte si décisive, Marie, notre mère, nous arme du saint Scapulaire muni de son saint nom, devant lequel, selon l'expression de saint Bonaventure, « les démons disparaissent, comme la cire se fond devant le feu (4). » 0 mon âme ! ne redoute pas la mort, puisque tu as pour enseigne le nom de Marie. « La très-sainte Vierge reçoit les âmes des agonisants (5), » dit saint Vincent de Ferrare ; et non seulement elle les reçoit et les protége, mais encore elle accourt elle-même au-devant de nos âmes ('), » ajoute saint Jérôme. 0 mon âme ! ne redoute point la mort, puisque le Scapulaire orne ma poitrine, et que Marie, se trouvant dans mon cœur, t'adresse les mêmes paroles qu'elle avait adressées à Adolphe : « Pourquoi donc craignez-vous la mort, puisque vous m'appartenez (*) ? » 0 mon âme ! ne crains pas la mort, car il ne dépend que de toi-même, pour que Marie te dise ce qu'elle avait dit à saint Jean de Dieu, saisi de frayeur au moment de son agonie : « Je ne délaisse jamais mes fidèles serviteurs au moment de leur mort (3). »

     

    Ah ! Marie ! je sais bien que vous ne délaissez point vos fidèles serviteurs, mais je crains de ne pas vous être fidèle ! 0 Marie ! faites donc d'abord que je vous sois toujours fidèle ! Prenez mon cœur, et ne me le rendez jamais, quand même je vous le redemanderais, quand même je voudrais vous l'arracher. Entrez dans mon cœur, et n'en sortez pas, quand même j'essaierais de vous en éloigner ; afin que le jour où la mort arrivera, et avec elle l'enfer tout entier, en vous voyant dans mon cœur l'enfer s'épouvante, et que la mort me devienne douce comme votre nom et celui de votre Fils.

     

    « Pour la gloire de votre nom, ô ma Souveraine ! accourez au moment où mon âme devra quitter ce monde ; accourez au-devant d'elle, recevez-la et consolez-la par votre présence ; soyez pour elle la voie et la porte du paradis, obtenez-lui la lumière éternelle et la paix du ciel ('). »

     

     

    POUR LE XXVIIIe JOUR DU MOIS

    POUR LA FÊTE DE NOTRE-DAME DU ROSAIRE.
    (Le 1er dimanche d'octobre.)

    LÉGENDE DU BRÉVIAIRE ROMAIN.

    Lorsque l'hérésie des impies Albigeois ravageait toutes les contrées de Toulouse, et que de jour en jour elle poussait de plus profondes racines, saint Dominique, qui venait d'instituer l'Ordre des Frères Prêcheurs, faisait tous ses efforts pour la combattre. Pour accomplir son œuvre de la manière la plus efficace, il adressa ses ardentes prières à la sainte Vierge, dont la dignité avait été impudemment outragée par les sectaires, et demandait son assistance, d'autant qu'elle a le pouvoir d'abattre toutes les hérésies. La sainte Vierge alors (à ce que la tradition rapporte) invita saint Dominique à prêcher aux peuples le saint Rosaire, comme une arme très salutaire contre les vices et les erreurs ; ce dont le saint s'acquitta admirablement, en exécutant avec zèle la mission qui lui avait été confiée. Or le Rosaire est une série de prières composée de quinze dizaines de salutations angéliques, séparées entre elles par des oraisons dominicales, et chacune de ces dizaines se trouve accompagnée d'une méditation pieuse sur l'un des quinze mystères de notre rédemption. A dater de cette époque, ce mode de prier, chaudement recommandé par saint Dominique, se propagea avec un succès merveilleux, et les souverains Pontifes attestèrent à plusieurs reprises, par des lettres apostoliques, que saint Dominique a été le fondateur et le propagateur de cet exercice de dévotion. Cette institution salutaire attira d'innombrables bienfaits sur la communauté chrétienne, au nombre desquels on compte justement la victoire remportée, près des îles nommées Echinades, sur les forces prépondérantes des Turcs, par le saint père Pie V et les chefs chrétiens stimulés par ses exhortations. Et ce n'est pas sans raison que nous attribuons cette victoire à cette dévotion particulière ; car elle fut remportée le jour même où la confrérie du saint Rosaire récitait dans tout le monde chrétien ses prières habituelles selon le rit prescrit. Et Grégoire XIII, en le confirmant de son autorité, et voulant que des actions de grâces soient rendues à la très sainte Vierge, sous l'invocation de NotreDame du Rosaire, par toute la terre et dans tous les siècles, pour un bienfait aussi signalé, ordonna que-sa fête fût célébrée sous le rit double majeur chaque premier dimanche d'octobre, dans toutes les églises possédant l'autel du saint Rosaire. Depuis, d'autres Papes ont accordé un grand nombre d'indulgences aux confréries du saint Rosaire, ainsi qu'à ceux qui accomplissent régulièrement cet exercice de dévotion. Enfin, le Pape Clément XI, considérant que la célèbre victoire remportée en 1716 en Hongrie, par Charles VI, élu empereur romain, sur d'innombrables cohortes ottomanes, est arrivée le jour même où l'on célébrait la fête de Notre-Dame des Neiges, et à l'heure même où la confrérie du saint Rosaire, accompagnée d'une multitude de fidèles, suppliait Dieu avec ferveur et en grande solennité qu'il daignât accorder la victoire sur les Turcs, en demandant humblement la puissante assistance de la sainte Vierge, et implorant son secours en laveur de la chrétienté, attribua justement cette victoire , ainsi que la levée du siége de l'île de Corcyre, bloquée par-les infidèles, à la toute-puissante protection de Notre-Dame du Rosaire. Et pour éterniser la mémoire de ce bienfait, non moins que les actions de grâces des fidèles, il ordonna que la fête du saint Rosaire fût désormais célébrée le même jour et sous le même rit, dans toute l'Église universelle. Et Renoît XIII fit insérer tout cela dans le Bréviaire romain. Ainsi, glorifions toujours la mère de Dieu par cet exercice de dévotion, qui lui est tellement agréable, afin que, de même qu'elle avait daigné tant de fois accorder aux fidèles, qui lui adressaient les prières du saint Rosaire, la victoire sur les ennemis de la terre, elle daignât aussi nous accorder la victoire sur les ennemis de l'enfer (').

    I.

    « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête, et tu tâcheras de la mordre par le talon ('). »

    Cette première prédiction par laquelle Dieu, dans sa miséricorde, tout en prédisant la confusion du serpent, consolait aussi nos premiers parents, au moment même où il les châtiait de leur péché, cette prédiction s'est accomplie dans la personne de Marie, et c'est par Marie qu'elle continuera son accomplissement jusqu'à la fin des siècles. Le fils réel et unique de Marie, c'est Jésus ; ses fils adoptifs, mais non moins véritables, ce sont tous les disciples de Jésus-Christ : car Marie est la mère de Jésus et la mère de tous les fidèles de Jésus-Christ. Marie est la mère de Jésus, parce qu'elle lui a donné le corps et la vie du corps. Marie est notre mère, parce que c'est par elle que nous recevons la grâce de Dieu, c'est-à-dire la vie de l'âme.

    Dieu a mis une inimitié éternelle entre Marie, conçue sans péché, et Satan, le père et le principe du péché ; il a mis une inimitié éternelle entre la race de Marie, qui est Jésus-Christ, ainsi que les enfants fidèles de Marie, et la race de Satan, qui sont les enfants du péché. Et d'abord, entre la race de Marie, qui est Jésus-Christ, vainqueur du péché, « cet agneau de Dieu , qui ôte le péché du monde ('), » et la race des enfants de Satan, qui sont les enfants du péché : « Elle te brisera la tête, et tu tâcheras de la mordre au talon (2). » Marie a brisé la tête de Satan, en restant debout sous la croix de son fils, en sacrifiant son fils à la mort de la croix pour le salut du monde. Marie a brisé la tête de Satan avec son talon, dans ce sens principalement, que Jésus-Christ, comme dit saint Léon, en sacrifiant son corps au martyre de la passion, a brisé toute la puissance de Satan (3). Et comme le corps de Jésus-Christ, à côté de sa divinité, n'était qu'une chose tout à fait inférieure, figurée par le talon ; que, d'un autre côté, le corps de Jésus-Christ est en quelque sorte le corps de Marie, car il est uniquement formé du corps de Marie ; ainsi, dans ce sens spirituel aussi, Marie a brisé avec son talon la tête de Satan. Et, ce talon, Satan tâchait toujours de le mordre, et il l'attaquait avec fureur ; et, au moment où il s'imaginait l'avoir déjà mis en lambeaux sur la croix, ce talon bienheureux lui brisait la tête ; et c'est par Marie qu'elle a été brisé : « Elle te brisera la tête ('). »

    Et nous aussi, nous sommes les enfants de Marie. Entre nous aussi et la race de Satan, c'est-à-dire le péché, Dieu, dans sa miséricorde, a daigné mettre une inimitié éternelle ; et Satan tâche, par tous les moyens possibles, de nous mordre ; il s'attaque toujours à nous, afin de nous perdre. Mais sa tête est déjà brisée ; il ne lui reste que sa gueule, toujours béante, armée d'un dard venimeux, dont il blesse et tue, mais uniquement ceux qui s'en approchent volontairement : car Satan, comme dit saint Bernard, « ressemble à un chien à l'attache ; il peut aboyer, mais il ne saurait mordre (2), » si ce n'est ceux qui, d'eux-mêmes, se livrent à lui, sans s'inquiéter du danger auquel ils s'exposent.

    Grâce à Jésus et à Marie, Satan ne peut donc rien pour notre perte ; il n'exerce d'action sur nous que par notre infidélité, c'est-à-dire, s'il parvient à nous faire renier la foi en Jésus et en Marie, à laisser entrer le péché dans notre cœur, et à nous faire cesser par là d'appartenir à la race de Marie, pour devenir enfants de la race de Satan, qui combat éternellement avec celle de Marie.

    Ce sont ces infidèles et ces déserteurs qui composent ici-bas l'armée de Satan, combattant avec acharnement l'armée de Jésus-Christ composée de fidèles enfants de Marie. Ce ne sont, du côté de Satan, que méchanceté, orgueil, avarice, impudicité, cruauté, lâcheté, haine, toute mauvaise doctrine et tout scandale, n'importe de quelle forme il soit et sous quelle couleur il se présente : voilà le cortége de Satan. Du côté des enfants de Marie, c'est l'humilité, l'obéissance, la douceur, la patience, la foi, l'espérance, la charité, la chasteté, et Marie elle-même. Donc de notre côté la victoire est infaillible, complète ; victoire sur toutes les tentations, sur toutes les épouvantes, sur toutes les illusions, sur toutes les malices ; victoire sur Satan, victoire en Jésus-Christ, mais par Marie : « Elle te brisera la tête ! »

    II.

    « Aussitôt que la bienheureuse Vierge fut élevée pour régner dans les cieux, le pouvoir du démon fut réduit et ruiné ('). » Ces paroles de saint Bernardin de Sienne se trouvent chaque jour vérifiées par le fait. Car, quel est celui qui n'ait point vaincu Satan, en invoquant le secours de Marie ? Et Marie ne se contente pas de nous prêter seulement un secours ordinaire, elle nous accorde encore des secours extraordinaires, en nous expédiant de temps en temps du haut des cieux les plus puissants auxiliaires.

    Cette puissante protection de Marie éclata surtout par le don du saint Rosaire, qu'elle nous présenta du ciel comme une chaîne propre à enchaîner l'enfer, pour qu'il ne pût rien tenter contre nous ; chaîne composée de quinze anneaux d'or, de quinze mystères d'amour, nous apportant la victoire de Jésus et de Marie ; victoire qui est bien la nôtre, car elle est pour nous. Ces saints mystères forment, pour ainsi dire, une armée rangée en bataille, armée composée de quinze légions d'anges, ayant à leur tête Jésus et Marie.

    La première victoire que Marie nous a fait remporter sur l'enfer, à l'aide du saint Rosaire, fut la conquête de l'hérésie des Albigeois par saint Dominique. Et Marie nous fera vaincre ainsi toutes les erreurs, car l'Église chante « sa victoire sur toutes les hérésies ('). » Et Marie nous donnera la victoire sur tous les ennemis de la sainte Église, comme elle nous la donnait toutes les fois que nous les combattions en son nom et en son honneur.

    Il n'y a pas de victoire que nous ne puissions obtenir avec le secours du Rosaire ; car, qu'est-ce que le Rosaire ? Le Rosaire est l'ensemble de tous les mystères ayant trait à la victoire remportée sur l'enfer. Il est le symbole de cette victoire et en même temps la victoire elle-même. Dans les cinq premiers mystères, qui sont : l'Annonciation, la Visitation, la Nativité de Notre-Seigneur, sa Présentation et Jésus retrouvé dans le temple, et qu'on nomme mystères Joyeux, le combat se prépare avec toute la certitude de la victoire. Dans les cinq autres mystères, qui sont : la Prière dans le jardin des Oliviers, la Flagellation, le Couronnement d'épines, le Chemin du Calvaire, et le Crucifiement, et qu'on nomme mystères Douloureux, le combat sanglant, terrible, se continue et porte en lui-même une victoire complète, absolue. Dans les cinq derniers mystères, qui sont : la Résurrection, l'Ascension, la Descente du Saint-Esprit, l'Assomption, et le Couronnement de la sainte Vierge, et qu'on nomme mystères Glorieux, nous retrouvons le fruit de la victoire, le triomphe et les conquêtes éternelles.

    Dans tous ces mystères, la coopération et l'union entre Jésus et Marie sont telles, que leurs deux noms ne se laissent jamais séparer. Au nom de Jésus, l'écho de nos cœurs répond par le nom de Marie ! Au nom de Marie, l'écho de nos âmes répond par le nom de Jésus !

    Dans ces quinze dizaines, qui sont quinze légions armées pour le combat, Jésus et Marie, Marie et Jésus, forment cette puissance envahissante, invincible, ces guides suprêmes de la victoire, devant lesquels tout genou fléchit, toute puissance se brise.

    Mais ces armes, mais ces armures, mais ces chefs, mais cette armée que nous donne le saint Rosaire, pour nous assurer la victoire ont absolument besoin d'un combattant, sans lequel tout serait perdu ; ce combattant, c'est vous, c'est moi, c'est chacun de nous. Passez donc sous les étendards de Jésus et de Marie, et la victoire est à vous.

     

    III.

    « Comprenez donc, s'écrie saint Bernard, combien Dieu exige de nous de piété et d'amour, dans les hommages par lesquels il veut que nous honorions Marie, puisqu'il a déposé en elle la plénitude de tout bien : afin que nous sachions que toute espérance, toute grâce, le salut même, nous viennent abondamment par elle ('). » — « Marie, dit le bienheureux Raymond, présente les prières de ses serviteurs devant le trône de Dieu ; car elleest notre avocate devant le Fils, comme le Fils est notre avocat devant le Père ; ou plutôt, elle l'est devant le Père et le Fils (2). » Et nous pouvons ajouter: et devant le Saint-Esprit, pour intercéder dans tous nos besoins. Marie, que saint Laurent Justinien appelle « la véritable médiatrice entre Dieu et les hommes (3), » Marie nous offre, dans son saint Rosaire, une échelle pour monter au ciel, et un lien sacré qui nous enchaîne à Dieu pour toute l'éternité ; de sorte que le bienheureux Alain n'hésite point à dire : « que celui qui a de la dévotion pour le saint Rosaire, porte le signe d'élection pour la gloire éternelle ('). » — « Cherchons donc la grâce, et cherchons-la par Marie, s'écrie saint Bernard, car ce que nous cherchons par Marie sera indubitablement trouvé par elle, puisque telle est la volonté de Dieu, que nous possédions tout par Marie (2). »

    Cherchons tout par Marie, qui nous cherche avec tant de sollicitude, qui nous met entre les mains son saint Rosaire ; cette arme redoutable pour les démons, qui les met en fuite et les fait rentrer dans leur ténébreux empire ; ces quinze dizaines de saintes prières qui pénètrent son cœur d'amour pour nous, et nous remplissent de tendresse pour elle.

    0 Marie ! je me rends à vous ! Je désire être votre captif ; car ce n'est que dans la prison de votre amour que consiste la véritable liberté. 0 mère bien-aimée ! enchaînez-moi de cette chaîne de votre amour, et rivez-la à votre cœur brûlant du feu d'un amour inextinguible. Je ne suis pas digne de cette grâce, je le sais, et cependant je l'espère ; car « une mère peut-elle oublier son enfant (3) ? » Ainsi, ô Marie ! bien que je vous aie abandonnée souvent, bien que je ne sois pas digne d'être appelé votre enfant, vous êtes pourtant ma mère ! Soyez donc ma mère pendant ma vie et à ma mort ! Et je ne craindrai ni la mort ni le jugement ; car, comme Richard l'a si bien dit : « Qui oserait venir m'accuser, en vous voyant porter ma défense. »

     

    POUR LE XXIX° JOUR DU MOIS

    POUR LA FETE DE NOTRE-DAME DE LA DELIVRANCE.

    (24 septembre)

    LÉGENDE DU BRÉVIAIRE ROMAIN.

    A l'époque où la plus grande et la plus belle partie de l'Espagne gémissait sous le joug des cruels Sarrasins, et qu'un grand nombre de fidèles se trouvaient exposés, dans les fers de l'esclavage, à renier la foi de Jésus-Christ et à perdre le salut éternel, la bienheureuse Reine des cieux, venant au secours de ces malheureux, signala sa grande miséricorde dans le rachat de ces captifs. Elle apparut donc à saint Pierre Nolasco, qui était un homme de beaucoup de piété possédant une fortune considérable, et qui méditait constamment sur les moyens à prendre pour venir en aide à ce grand nombre de chrétiens qui gémissaient dans les fers des Maures. Or, la sainte Vierge, apparaissant avec un front serein, lui déclara, que ce serait chose très agréable pour elle et pour son Fils, que l'institution d'un Ordre en son honneur, qui serait chargé du soin de délivrer les captifs de l'oppression des Sarrasins. Rempli d'allégresse par cette céleste vision, l'homme de Dieu se sentit embrasé de la plus ardente charité. Son cœur ne rêva plus que l'accomplissement de cette institution, dont tous les membres, ainsi que lui-même, entraînés par cette immense charité, allaient se dévouer jusqu'au sacrifice de leur vie pour leurs amis et leurs frères. La même nuit, la sainte Vierge apparut aussi au bienheureux Raymond de Pennafort, ainsi qu'à Jacques, roi d'Aragon, auxquels elle a fait connaître les mêmes intentions sur le nouvel Ordre religieux, en les engageant à prêter la main à l'accomplissement de cette grande œuvre de charité. Pierre, de son côté, accourut aux pieds de Raymond, qui était son confesseur, lui raconta sa vision et se remit humblement sous sa direction. Il apprit alors que Raymond avait été comme lui instruit par la voie céleste. A ce moment le roi Jacques, qui lui aussi avait été instruit par la sainte Vierge, arriva auprès d'eux ; ils se concertèrent ensemble pour l'établissement de l'Ordre en l'honneur de la Mère de Dieu ; et, sous l'invocation de Notre-Dame de la Délivrance, le 10 août 1218, le même roi Jacques fonda le couvent de l'Ordre religieux proposé par les deux saints, et dont tous les membres s'engageaient, par un quatrième vœu, à se rendre comme otages, si besoin en était, au pouvoir des infidèles, en échange des chrétiens retenus en captivité. Le roi donna à ces religieux le privilége de porter ses aimes sur leur poitrine ; et il obtint du pape Grégoire IX la confirmation de cet Ordre, si éminent par son amour envers le prochain. Et, sous la protection de la Vierge-Mère, Dieu donna à cet Ordre un accroissement si prompt et si heureux, qu'en peu de temps il s'est propagé par toute la terre, comptant dans son sein des hommes illustres par leur sainteté, leur charité et leur piété, qui ramassaient les aumônes des fidèles pour racheter les captifs, et qui se livraient quelquefois eux-mêmes pour les délivrer. Afin que les actions de grâces dues pour un pareil bienfait, et pour l'institution d'un pareil Ordre, soient toujours rendues à Dieu et à la sainte Vierge, le Saint-Siége consentit à faire célébrer une fête particulière, avec un office qui lui serait propre ; et dota cet Ordre de plusieurs priviléges très importants (').

     

     

    « Je sais, ô ma souveraine ! s'écrie saint Pierre Damien, que vous êtes la plus aimante, et que vous nous aimez d'un amour invincible (') ! » Ah ! nous le savons tous, qu'après Dieu, Marie est la plus aimante, et par conséquent la plus miséricordieuse ; et que sa miséricorde, ainsi que son amour, est invincible. L'enfer ne la vaincra pas, car c'est au contraire sa miséricorde qui a vaincu l'enfer. Nos misères ne la vaincront pas, car l'amour de Marie est un amour maternel ; plus ses enfants sont misérables, plus son amour est tendre et prévenant. Les iniquités des hommes et des démons ne la vaincront pas, car, selon nos besoins, et même surabondamment, selon nos dangers, et bien au delà, la protection de Marie veille toujours sur nous, nous soutient, nous protége, nous délivre et nous relève. Y a-t-il quelqu'un qui n'ait éprouvé la miséricorde de Marie, de cette mère de miséricorde ? A moins qu'il n'eût jamais prononcé, qu'il n'eût jamais invoqué le nom de Marie ; à moins que son cœur n'eût jamais répondu par un seul battement au cœur de Marie ; à ce cœur animé constamment du plus vif amour pour nous, d'un amour qui nous prévient et nous poursuit, comme la grâce de Dieu, d'un amour invincible !

     

    Si l'amour de Marie poursuit ceux-là mêmes qui ne l'aiment pas, de quel amour n'embrase-t-elle pas tous ceux qui l'aiment : ces petits enfants qui n'ont jamais affligé cette bonne mère, qui la réjouissent en répondant à son amour par un amour réciproque, qui jouent à ses pieds dans la sainte concorde, ceux-là aussi qui, de méchants qu'ils étaient, sont devenus bons et dociles, grâce à son assistance ! Marie, qui nous poursuit de son amour, ne se laisse jamais devancer par notre amour pour elle ; car elle nous aime toujours plus qu'elle n'est aimée de nous. Saint Ignace le martyr, s'extasiant sur l'amour de Marie, s'écriait : « Ah ! toujours, toujours, ceux qui aiment Marie, sont bien plus encore aimés par Marie (') ! »

     

    0 Marie, en vous aimant nous ne vous aimons que comme vos enfants ; et vous nous aimez bien autrement, car vous nous aimez comme notre mère. Nous ne saurions donc, ni vaincre votre amour, ni même l'égaler. Puissions-nous au moins vous aimer autant que nous devons aimer une telle mère !

     

    On avait demandé à saint Stanislas Kostka, combien il aimait Marie. A cette demande il fondit en larmes, et il s'écria « : Marie ? mais c'est ma mère ! » Oh ! si quelqu'un demandait à Marie combien elle nous aime, et s'il le demandait de bon cœur, il entendrait au fond de son âme cette tendre réponse : « Vous ? mais vous êtes mes enfants ! »

     

    Oh! pourquoi donc ne nous pressons-nous pas autour de cette tendre mère, en nous y hâtant d'autant plus, que nous avons plus besoin de sa miséricorde et de son amour ? Pourquoi ne la supplions-nous pas qu'elle vienne nous délivrer ? nous qui avons besoin d'être délivrés, et de Satan, et du monde, et de nous-mêmes, et de toutes les chaînes, malheureusement trop lourdes, que nous nous sommes forgées par nos péchés.

     

    II.

     

    Parmi les innombrables solennités établies en l'honneur de Marie notre mère, l'Eglise célèbre avec reconnaissance la fête de Notre-Dame de la Délivrance. Et puisque Marie a si merveilleusement pourvu à la délivrance des fidèles soumis au joug des Sarrasins, quels miracles de miséricorde n'est donc pas en droit d'espérer celui qui, par son propre péché, devenu le prisonnier de Satan, recourrait en toute confiance à Marie, et la prierait de l'arracher à la gueule du lion infernal, fût-il sur le point de le dévorer.

    « Marie, selon l'expression de saint Bernardin de Buste, veut nous faire plus de bien, obtenir pour nous et nous accorder plus de grâces que nous ne pouvons en désirer (') ; » parce que les sentiments de son cœur sont pour nous ce que les rayons du soleil sont à la nature. Et voici pourquoi, dit saint Bonaventure, «personne ne saurait éviter sa lumière et sa chaleur (2). Et comme le soleil éclaire et réchauffe tout ce qui existe, ainsi Marie, continue saint Bernard, « est devenue tout pour tous ; elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, afin que chacun y puise de sa plénitude : le captif, sa délivrance ; le malade, sa guérison ; l'affligé, sa consolation ; le pécheur, son pardon (') ; » et saint Alphonse de Liguory ajoute : « et Dieu sa gloire. »

    Et comme Jésus-Christ répand ses richesses sur tous ceux qui l'invoquent (2) ; de même Marie, qui tient en ses mains tous les trésors de son fils, répand ses richesses sur tous ceux qui ont recours à elle. Qui connaît le cœur d'une mère, devinera facilement combien Marie désire que nous nous adressions à elle, afin de puiser le plus abondamment dans les trésors de Jésus-Christ qui se trouvent entre ses mains. Comme elle nous invite ! Comme elle nous attire ! Comme elle nous supplie de la supplier ! Elle nous entoure de sa protection, alors même que nous ne le demandons pas, pour que, au moins, nous l'en remerciions, et que cette action de grâces nous serve de prière ! Elle nous place devant les yeux les merveilles de son amour, elle nous entoure des rayons de la grâce de Dieu, afin que nous voyions enfin, que nous nous apercevions enfin que cette mère de Dieu, qui est la nôtre, mère la plus tendre et la plus aimable, nous ouvre toujours le sein de sa miséricorde, au fond duquel nous attend toujours la miséricorde de Dieu. Elle tend ses bras vers nous, toujours prête à délivrer, à relever, à embrasser, même le plus grand pécheur ; pourvu qu'il s'écrie du fond de son cœur :

    « Marie, ma mère ! sauvez-moi ! » Elle s'annonce à nous par des milliers de miracles ; elle se recommande à nous par des milliers de grâces ; elle nous appelle par des milliers de soupirs maternels, qui font involontairement soupirer nos cœurs, sans qu'ils puissent même en deviner quelquefois la cause. Ah ! ce soupir inconnu, c'est le soupir de Marie notre mère, qui gémit en nous par des gémissements ineffables, pour demander notre amour, pour nous réveiller du sommeil dans lequel nous sommes plongés au milieu du désert de ce monde, pour nous délivrer de ces ennemis acharnés et perfides dont nous sommes entourés. Ce soupir bienheureux, tout pénétré d'amour, ce soupir est un appel par lequel Marie nous invite, et nous dit : «Je suis la ville de refuge pour tous ceux qui ont recours à moi : approchez donc, et recevez surabondamment de mes mains le don de toutes les grâces (').

    Tant de bonté et de sollicitude de Marie font dire à saint Bonaventure : « 0 ma souveraine ! ce ne sont pas seulement ceux qui vous injurient qui pèchent contre vous, mais encore ceux-là qui négligent de vous invoquer et de vous prier (2). »

    0 Marie ! préservez-nous de ce péché, et, par là même, vous nous aurez préservés de tout autre péché ; car, comme l'a dit un de vos serviteurs :

    Point ne péchera qui, sitôt tenté,
    Du secours à Marie aura demandé (').

    III.

    « Le recours à Marie, dit saint Anselme, n'est pas de la défiance envers la miséricorde divine ; c'est le juste sentiment de crainte, de sa propre indignité (2). » — « Allons donc nous présenter avec confiance, nous dit l'Apôtre, devant le trône de la grâce, afin d'y recevoir miséricorde, et d'y trouver le secours de la grâce dans nos besoins (3). » Et ce trône de grâce, qui est-ce, si ce n'est Marie (4)?

    Allons vers Marie, nous tous principalement qui sommes chargés des liens du péché ; qui avons refusé tant de fois la grâce et l'amour de Jésus-Christ ; qui sentons très bien que nous ne sommes plus dignes d'être écoutés ; qui, par notre malice, notre impudicité et une infinité d'autres crimes, avons effacé et souillé l'image de Jésus-Christ imprimé sur nos âmes ; nous qui ne nous sentons dignes que d'être rejetés, qui connaissons toute l'infamie de notre ingratitude envers le bon pasteur, qui n'a point hésité à livrer sa vie pour ses brebis, pour nous ; nous enfin qui, effrayés à la vue de tout le mal que nous avons fait, nous sommes presque tentés de désespérer de la miséricorde de Dieu si généreuse qu'elle soit, sachant que nous avons nous-mêmes poussé sur nous la porte de cette miséricorde infinie, que nous l'avons barricadée par notre impénitence, et que nous l'avons hérissée contre nous, comme d'autant des glaives, de l'innombrable multitude de nos péchés. Oui, tout coupables, tout criminels, tout infâmes que nous soyons, ne désespérons pas ; car nous avons Marie ! Adressons-nous à Marie, avec saint Jean Damascène, en lui disant : « Ouvrez-nous la porte de la miséricorde du Seigneur, bienheureuse Vierge, mère de Dieu ! car vous êtes le salut du genre humain ('). » Et redisons avec saint Ambroise : « Marie ! ouvrez-nous les portes éternelles, car vous avez les clefs du Paradis (2) ! »

     

    Saint Anselme nous apprend, « que notre salut nous peut quelquefois venir plus promptement en invoquant le nom de Marie, qu'en invoquant le nom de Jésus même ; car, à Jésus, en tant que juge, il appartient aussi de nous punir ; tandis qu'à Marie, qui est notre avocate, il n'appartient que de nous défendre(3).

     

    « 0 bienheureuse Marie ! s'écrie saint Bernard, vous êtes la mère du coupable et la mère du juge ; mère de tous les deux, vous ne souffrirez point de discorde entre vos deux enfants ('). » « 0 Marie ! exclame saint Bonaventure, vous embrassez de votre amour maternel le pécheur le plus abominable au monde entier, et vous ne l'abandonnez, jusqu'à ce que vous ne l'ayez réconcilié avec son juge (2). »

    Et moi, je m'écrie : 0 Marie ! refuge des pécheurs ! vous qui ne méprisez personne, vous qui n'abandonnez pas même les plus grands coupables, réconciliez-moi, moi enfant prodigue, moi pécheur le plus misérable et le plus indigne, réconciliez-moi avec Jésus votre fils et mon juge, afin qu'au jour du jugement je ne trouve en lui que mon Rédempteur et mon Sauveur.

     


     

    POUR LE 30ème JOUR DU MOIS

    POUR LA FÊTE DE NOTRE-DAME DES NEIGES.
    (5 août)

    LÉGENDE DU BRÉVIAIRE ROMAIN.

    Du temps du pape Libère, le patricien Jean, Romain, et sa femme non moins noble, n'ayant point d'enfants auxquels ils dussent laisser l'héritage de leur fortune, la léguèrent à la Sainte-Vierge, mère de Dieu, la suppliant, par des prières ferventes, qu'elle daignât les informer à quel usage particulier il lui plairait de voir consacrer cet argent. Leurs prières et leurs vœux étant bien sincères, la bienheureuse Marie les exauça et les approuva par un miracle. Dans la nuit du 5 août, à l'époque des plus grandes chaleurs à Rome, la butte de l'Esquilin fut couverte de neige. Et dans la même nuit la Sainte Vierge apparut séparément, en songe, à Jean et à sa femme, et leur recommanda de bâtir une église sous l'invocation de la Vierge-Marie, à l'endroit même qui fut couvert de neige ; leur faisant comprendre, que c'est ainsi qu'elle voulait devenir leur héritière. Jean le rapporta au Pape Libère, qui en fut aussi informé en songe. Au milieu donc des prières solennelles du clergé et du peuple, le Pape se rendit sur la butte couverte de neige, et y traça l'emplacement de la future église, qui fut d'abord construite avec l'argent de Jean et de sa femme, et ensuite restaurée par Sixte III. Cette église avait porté différents noms, tantôt on l'appelait Basilique Libérienne, tantôt Sainte-Marie de la Crèche. Mais comme il y avait à Rome plusieurs églises du nom de la Vierge Marie, pour que la prééminence de cette Basilique, si célèbre par ce miracle, fût constatée par sa dénomination, on l'appela Sainte-Marie-Majeure. Et la mémoire de sa consécration est annuellement célébrée le jour même de cette neige miraculeuse (').

     

    I.

    « J'aime ceux qui m'aiment ('). » Ces paroles du Saint-Esprit, concernant la Sagesse, sont appliquées par la sainte Eglise à Marie, qui est le Siége de la Sagesse. Puisque Marie, comme nous l'avons vu, nous aime, malgré nos péchés, et que, par cet amour, elle n'a point hésité, à l'exemple du Père Eternel, de sacrifier son fils à la mort, et à la mort de la croix ; puisque Marie aime ceux-là mêmes qui rejettent son indicible amour, qui ne cherchent point leur salut dans le sang de son fils, qui, au contraire, le foulent aux pieds d'une manière sacrilége, et renouvellent toujours, par leurs péchés, la passion du Sauveur ; puisque Marie ne méprise aucun pécheur, et qu'elle les poursuit tous de son amour : oh ! combien donc cette mère de l'amour aime-t-elle ceux qui l'aiment ! Cet amour de Marie ne se laisse point concevoir par ceux-là mêmes qui l'éprouvent ; et ils ne peuvent que redire, dans l'extase de leur bonheur, ces paroles de saint Bonaventure : « Bienheureux ceux qui aiment Marie de tout leur cœur ! bienheureux ceux qui la servent (') ! » Et pourquoi bienheureux ? C'est que Marie, comme l'observe le bienheureux Raymond Jourdan, « ne se contente pas d'aimer ceux qui l'aiment, elle sert encore ceux qui la servent ('). »

    Qui a trouvé Marie a trouvé tout le bien. « Tous les biens me sont venus avec elle : et j'ai reçu de ses mains des richesses innombrables (2). Ceux qui l'aiment la découvrent aisément, et ceux qui la cherchent la trouvent. Elle prévient ceux qui la désirent et elle se montre à eux la première. Celui qui veille dès le matin pour la posséder n'aura pas de peine, parce qu'il la trouvera assise à sa porte (3). » Ces paroles concernant la Sagesse donnent aussi la plus exacte image de Marie. Car quelle est la grâce dont pourrait manquer celui qui aime Marie ? Quel est celui que Marie n'ait prévenu de sa protection et de son amour ? Quel est celui qu'elle n'attende pas au seuil de sa porte ? Quel est le cœur auquel elle ne vienne frapper ? A quel appel n'accourt-elle pas ? A quelle demande ne répond-elle pas ? Quel est enfin celui qui, l'ayant cherchée, ne l'ait pas trouvée ; et même sans la chercher ne l'ait rencontrée, tantôt dans une sainte inspiration, tantôt dans un bon conseil, tantôt dans un secours extraordinaire ? De combien de miracles n'a-t-elle pas prouvé sa maternelle vigilance sur nous qui sommes ses enfants ? 

    Parmi les innombrables miracles d'amour et de protection de Marie, celui de Notre-Dame des Neiges brille d'un éclat tout particulier ; et la sainte Église, pour en perpétuer la mémoire dans les cœurs de tous les enfants de Marie, et leur retracer l'amour de Marie pour tous ceux qui l'aiment, célèbre ce miracle par une fête particulière. Tout le peuple de Rome et le Pape lui-même fut témoin de ce miracle, et la plus magnifique Basilique du monde, érigée eh l'honneur de Marie, en est le monument.

    II.

    Par ce miracle, universellement connu sous le nom de Notre-Dame des Neiges, et dont nous célébrons la mémoire avec grande joie et grande espérance, Marie nous enseigne plusieurs vérités importantes.

    1° Marie nous apprend, parce miracle, combien lui sont agréables la concorde, l'amour et la sainteté conjugales ; comme furent celles du patricien Jean et de son épouse. Elle nous apprend, par conséquent que, faute de concorde, d'amour et de sainteté, les époux ne sauraient lui plaire ; or, ceux qui ne plaisent point à Marie ne plaisent point à Dieu. Malheur donc aux époux querelleurs, infidèles ou impies !

    2° Marie nous apprend, par ce miracle, que la stérilité des époux n'est plus un signe de la défaveur divine ; et que, par conséquent, les époux stériles n'en doivent point s'aflliger outre mesure ; qu'ils doivent rendre grâce à Dieu tout aussi bien de leur stérilité que de leur fécondité, en se remettant toujours avec joie à la volonté divine ; et que, dans toutes leurs peines et dans toutes leurs afflictions ils trouveront toujours une consolation dans Marie, qui est la Consolatrice des affligés.

     

    3° Ce miracle nous apprend, que nous devons donner à Marie une partie de notre héritage terrestre, si nous voulons avoir notre part dans son héritage céleste. Les lois civiles elles-mêmes constituent les parents héritiers de leurs enfants, qu'ils laissent une postérité ou non. Il est donc de toute justice, qu'enfants de Marie, nous laissions à la disposition de cette Mère à nous une partie de notre fortune, en la suppliant de nous faire connaître le charitable usage auquel il lui plairait de la destiner.

    4° Marie nous apprend par ce miracle, que la construction des églises est une œuvre très agréable à Dieu, car c'est une œuvre très charitable, en ce sens qu'elle contribue puissamment à la gloire de Dieu et au salut des âmes. C'est dans les églises que les pécheurs obtiennent la miséricorde, les indigents l'aumône, les affligés la consolation, les cœurs agités le calme, et tous les malheureux le bonheur de la paix qu'on ne retrouve qu'aux pieds des autels.

    5° Marie nous apprend, par ce miracle, qu'elle peut tout faire pour nous soulager ; et que, s'il ne lui était pas difficile de couvrir la terre de neige au milieu des chaleurs de l'été, de même il lui sera facile, pourvu que nous le lui demandions sincèrement, de nous obtenir la faveur d'être revêtus de la robe de l'innocence plus blanche que la neige, et de nous préserver par sa fraîcheur des chaleurs brûlantes du inonde, de Satan et de notre propre chair.

     

    6° Nous apprenons enfin par ce miracle, et c'est pour nous un grand sujet de joie et de consolation ; nous apprenons, dis-je, que toute offrande faite à Marie, aussi bien que celle que l'on fait à Dieu, ne sera jamais oubliée ; car, de même qu'en signe de récompense éternelle, la mémoire de l'offrande de sainte Madeleine, qui a versé des parfums sur les pieds de Jésus, sera transmise d'âge en âge jusqu'à la fin des siècles ; de même la mémoire de l'offrande que ces pieux époux ont avec leurs cœurs déposée aux pieds de Marie, sera à jamais célébrée dans le monde chrétien.

    III.

    0 Marie ! nous aussi nous sommes prêts à vous tout offrir. Mais est-ce par amour pour vous, ou bien par amour de nous-mêmes ? Est-ce pour glorifier votre nom, ou bien pour obtenir de vous quelque avantage temporel ?

    Descendons au fond de notre cœur et demandons-nous à nous-mêmes, si ce que nous voulons offrir à Marie est digne de lui être présenté, et si les sentiments de notre cœur sont ceux que doivent avoir ses enfants ? Car, pour que notre offrande soit agréable à Marie, il faut, avant tout, qu'elle lui soit présentée par un cœur qu'elle reconnaisse être celui de son enfant. « Quiconque se trouve dans l'état du péché mortel, dit saint Pierre Chrysologue, n'est pas digne de s'appeler enfant d'une telle mère ; car celui qui ne fait pas les œuvres de sa mère, la renie (') » Et celui dont les œuvres sont contraires aux œuvres de Marie, dit saint Alphonse de Liguory, prouve par là, qu'il ne veut pas être compté parmi les enfants de cette mère si sainte et si adorable. Marie est humble, et son enfant saurait-il être orgueilleux ? Marie est toute chaste, et son enfant saurait-il être libertin ? Marie est toute amour, et son enfant saurait-il haïr, et haïr son prochain ?

     

    « Les enfants de Marie, dit Richard, sont ceux qui l'imitent dans sa chasteté, dans son humilité, dans sa douceur, dans sa miséricorde (2). » Voici les enfants que Marie ne reniera pas, auxquels elle se montrera toujours mère, et dont elle acceptera les offrandes, riches ou pauvres, sans distinction ; car Marie, de même que Jésus, ne regarde point à la grandeur du don, mais à la grandeur de l'amour et à la pureté du cœur qui lui offre ce don. Elle obtient un miracle, plutôt que de laisser des enfants dignes de son amour privés de conseil, de secours et de consolation ; car elle les admet tous à la participation de toutes ses richesses, de grâce sur la terre, et de gloire au ciel.

    Chacun de nous peut devenir un tel enfant de Marie, pourvu qu'il le veuille ; car Marie « ne méprise aucun pécheur, comme une bonne mère ne méprise point son enfant lépreux ; car Marie se rappelle bien que c'est pour les pécheurs que Dieu en a fait la mère de miséricorde. Et là où il n'y aurait point de misère, la miséricorde ne saurait y trouver de place ('). »

     

    0 Mère de miséricorde ! nous nous adressons donc à vous, en vous disant avec vos élus, Basile, Éphrem, Fulgence, Bernard : « Vous êtes, après Dieu, notre unique espoir. Salut donc, ô espoir de mon âme ! salut, ô protection la plus assurée des chrétiens ! salut, ô refuge des pécheurs ! salut, ô tour de David, qui êtes le salut du monde, salut ! Le ciel et la terre auraient depuis longtemps croulé, si votre prière ne les soutenait (2). Soutenez-nous donc toujours, ô clémente ! ô miséricordieuse ! ô douce vierge Marie ! O clémente envers ceux qui sont dans la misère, miséricordieuse envers ceux qui vous invoquent, douce envers ceux qui vous aiment ! O clémente envers ceux qui se relèvent du péché, miséricordieuse envers ceux qui s'avancent dans la vertu, douce envers ceux qui demeurent en Dieu ! 0 clémente en nous délivrant ! ô miséricordieuse en nous gratifiant ! ô douce en vous donnant à nous (3) !

     

    POUR LE XXXIe JOUR DU MOIS

     

    POUR LA FETE DE NOTRE-DAME DU SECOURS DES CHRETIENS. (24 mai)

     

    LÉGENDE DU BRÉVIAIRE ROMAIN.

    Le peuple chrétien a souvent éprouvé le prompt secours de la Vierge mère de Dieu, combattant par des moyens miraculeux les ennemis de la foi. Voici pourquoi, après la célèbre victoire des Chrétiens, remportée sur les Turcs aux îles Echinades, le saint Père Pie V ajouta aux invocations des litanies de la très-sainte Vierge celle de Secours des Chrétiens. Mais entre les faits mémorables et vraiment miraculeux, il faut compter surtout la délivrance du Souverain Pontife Pie VII, lequel, chassé du siége apostolique de Pierre par le complot et les armes des impies, impitoyablement gardé en prison, particulièrement à Savonne, pendant plus de cinq ans, en butte à une persécution sans exemple dans les siècles passés, et privé de toute communication nécessaire pour gouverner la sainte Église, s'est trouvé soudainement, et d'une manière inattendue, rendu au siége apostolique, aux acclamations universelles, et porté, pour ainsi dire, sur les bras du monde entier. Et le même fait s'est encore renouvelé une deuxième fois, lorsque, forcé de céder à l'orage, le même Pape, accompagné du Sacré Collége, quitta la sainte ville pour se réfugier en Ligurie. Mais, grâce à la visible protection de Dieu, le terrible orage qui menaçait le monde s'évanouit sous la main divine, et le saint Pontife rentra à Rome au milieu des cris d'allégresse de tous les peuples ; après avoir précédemment (d'après le vœu par lequel il s'était engagé en prison) couronné solennellement, de ses propres mains, l'image de la Sainte-Vierge, vénérée sous le nom de la Mère de Miséricorde, à Savonne. Or, Pie VII, parfaitement au courant de tout ce qui concernait sa délivrance, l'attribuait uniquement à la protection de la Très Sainte Mère de Dieu, dont il implorait lui-même le secours, invitant aussi tous les chrétiens à la même prière. C'est pour ces raisons qu'il ordonna de célébrer annuellement, en l'honneur de la Sainte-Vierge, sous l'invocation de Notre-Dame du Secours des Chrétiens, une fête solennelle le 24e du mois de mai, jour anniversaire de sa rentrée dans la ville sainte. Il institua aussi pour ladite fête un Office propre, afin que de cette manière puissent durer perpétuellement et la mémoire toute particulière d'un pareil bienfait et les actions de grâces de la sainte Église (').

     

     

    I.

    « Nous vous avons offensé !... et il n'y a personne qui s'élève vers vous et qui vous retienne ('). C'est ainsi que le Prophète Isaïe s'adressait à Dieu, du milieu du peuple coupable, craignant pour lui un châtiment justement mérité. Et nous aussi nous sommes un peuple coupable ; et nous aussi nous méritons les plus sévères châtiments de Dieu ; et nous aussi nous serions obligés de nous lamenter ainsi avec le Prophète, si nous n'avions point Marie. « Avant Marie, dit saint Bonaventure, il n'y avait personne qui eût pu s'élever pour arrêter le bras du Seigneur prêt à punir ; mais Marie arrête son fils et l'empêche de frapper les pécheurs ('). » C'est donc Marie qui est tout notre espoir et toute notre défense. Et voilà pourquoi le même saint désirant le salut de tous, nous invite tous à glorifier Marie : « Ecoutez-moi, vous tous, nous ditil, qui désirez le royaume de Dieu ! glorifiez la vierge Marie, et vous trouverez le salut éternel (2). » Et saint Jean Damascène, dans l'extase de son zèle pour le salut des âmes, s'écrie : « Le peuple qui ne sert point Marie périra ! Les peuples qui se privent du secours d'une telle mère, se privent du secours de son Fils et de toute la cour céleste (3). »

    En vérité, celui qui ne glorifie pas Marie, et qui ne sert point Marie, ne saurait espérer de secours ni des hommes, ni des anges, ni de Dieu lui-même ; car tout son amour incommensurable pour nous, toute son inépuisable miséricorde et sa grâce toute puissante, Dieu l'a déposé entre les mains de Marie, afin qu'elle s'en serve pour nous récompenser des honneurs que nous lui rendons, des témoignages de confiance que nous lui exprimons. Ainsi, la récompense pour ce que nous faisons en l'honneur de Marie, c'est Dieu lui-même, avec toute sa puissance, toute sa bonté et tout son amour ; car servir Marie, c'est servir Dieu par Marie. Et c'est pourquoi le même saint, en nous engageant au service de Marie, nous dit : « Le plus grand des honneurs c'est de servir Marie et d'appartenir à sa cour ; car servir Marie, c'est régner ; et se laisser conduire par elle, c'est plus que régner ('). » Et c'est bien vrai, car cette reine du Ciel et de la terre sert elle-même tous ses fidèles serviteurs , et tient entre ses mains toutes les couronnes et toutes les récompenses, tous les honneurs et toute la gloire des élus de Dieu.

     

    N'avons-nous pas nous-mêmes reçu de ces services de Marie, et aux jours de notre innocence, et aux jours de notre pénitence ? N'avons-nous pas éprouvé nous-mêmes que Marie est le secours des chrétiens ? — Servons-la donc fidèlement, et de nouveau elle se hâtera de nous secourir, et de nouveau elle nous relèvera de tous nos péchés, de toutes nos misères et de toutes nos peines.

     

    Saint Basile a justement nommé Marie l'hôpital pour toutes nos souffrances et toutes nos misères. — « Dieu, dit-il, nous a ouvert un hôpital public dans Marie. Ayons donc confiance et, sans hésiter, adressons-nous à Marie dans tous nos besoins, invoquons toujours Marie : car Dieu veut qu'elle soit notre secours en toute chose ('). »

    0 Marie ! Dieu vous a donné à nous tous pour médecin ; car nous sommes tous malades et très malades. Détruisez donc tous nos péchés, guérissez toutes nos faiblesses, car vous le voulez et vous le pouvez. Vous attendez seulement que nous nous reconnaissions pour malades, que nous désirions sincèrement recouvrer la santé, et que nous nous réfugiions avec amour vers vous, ô notre mère ! Nous voici donc prosternés à vos pieds ! Voyez notre misère et notre faiblesse. Le péché nous accable et nous brise ! Relevez-nous, sauvez-nous ! ô notre mère ! « Sauvez-nous, nous périssons (2) ! »

    II.

    « Marie est l'étoile de la mer, dit saint Thomas, car, de même que l'étoile guide les navigateurs vers le port, de même Marie guide les fidèles serviteurs de Jésus-Christ vers la gloire (3). »

     

    « Marie est l'échelle du ciel, dit saint Pierre Damien, car c'est par elle que Dieu est descendu du ciel, afin que les hommes puissent par elle monter au ciel ('). »

    Dans les ténèbres de cette vie, Marie éclaire les justes, pour qu'ils ne s'écartent pas du bon chemin ; elle éclaire les pécheurs, pour qu'ils le retrouvent ; et elle nous éclaire tous de la lumière qui lui vient de Dieu. «Elle est belle comme la lune (2). » «Comme la lune, dit saint Bonaventure, tient le milieu entre le soleil et la terre, et ce qu'elle reçoit du soleil elle le répand sur la terre : de même Marie est la médiatrice entre Dieu et nous, et répand sur nous la grâce qu'elle reçoit de Dieu (3). »

    Marie est la porte du ciel. « Aucune grâce, dit saint Bernard, n'arrive du ciel sur la terre, que par les mains de Marie (4). »

    Marie « est comme le vaisseau d'un marchand qui apporte de loin son pain (5). » Ce pain, c'est Jésus-Christ, comme il l'a dit lui-même : « Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement ('). » Qui donc nous a apporté ce pain du ciel, si ce n'est Marie !

    Marie est l'arche d'alliance qui renfermait la véritable manne, c'est-à-dire, Jésus-Christ. Et comme à la vue de l'arche contenant la manne, les murs de Jéricho se sont écroulés ; de même à la vue de Marie, à l'invocation de Marie, s'écroulent et s'abîment toutes les puissances de l'enfer. « Le démon s'enfuit, tout l'enfer tremble, lorsque je m'écrie : Je vous salue, Marie (2) !

    « Marie est l'arche d'alliance, dit saint Bernardin de Sienne (3). » Saint Jean l'Évangéliste a vu dans l'Apocalypse un arc-en-ciel entourant le trône de Dieu : « Et il y avait autour de ce trône un arc-en-ciel (4). » « Cet arc-en-ciel, c'est Marie, qui adoucit les jugements et les arrêts de Dieu contre les pécheurs (5). » — « Et l'arc sera dans les nuées, et, en le voyant, je me souviendrai de l'alliance éternelle (6), » a dit le Seigneur. — « Aussi en voyant Marie intercédant pour nous, dit saint Bernard, Dieu nous remet nos péchés et renouvelle son alliance ('). »

    C'est à Marie que s'adressent ces paroles du Cantique : « Menez paître vos chevreaux près des tentes des pasteurs (2). » C'est-à-dire,_ ramenez les pécheurs à l'église de Dieu, afin que ces chevreaux deviennent des agneaux.

    « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, » a dit Jésus-Christ. Marie aussi ne vient pas chercher les justes, mais les pécheurs : car, comme a dit le Seigneur, « ce ne sont pas ceux qui se portent bien, mais les malades, qui ont besoin de médecin (3). »

    0 Marie ! vos trésors sont nos trésors, et le baume de votre vertu et de votre gloire, c'est le baume pour nos plaies. Et, puisque vous êtes le Secours des Chrétiens, vous êtes nécessairement aussi le secours des pécheurs, car qui pourrait se relever du péché sans votre secours ? — 0 Marie ! vous êtes le secours des justes et le secours des pécheurs, afin que vous nous ameniez tous, par la grâce de Dieu et par le chemin de la véritable pénitence, de la terre de l'exil dans notre véritable patrie. — 0 Marie ! ô ma mère ! c'est ainsi que je crois, c'est ainsi que je désire, et c'est ce que, tout misérable pécheur que je suis, j'attends et j'espère de vous !

     

    III.

     

    « Celui qui est ami aime eu tout temps ('). » Ce sont probablement ces paroles du Sage qui ont fait dire à Innocent III : « 0 Marie! vous êtes la Lune de la nuit, l'Aurore du matin et le Soleil du jour (2) ! » Marie nous aime en tous temps : elle nous aime la nuit, c'est-à-dire quand nous sommes dans le péché ; le matin, c'est-à-dire quand nous faisons pénitence ; et au grand jour, c'est-à-dire lorsque nous marchons dans la voie de la justice. En tout temps elle nous éclaire, pour nous indiquer les voies du Seigneur, et en tout temps elle le fait par amour pour nous. C'est à cause de cet amour qu'elle nous dit, par la bouche du Sage : « Heureux celui qui m'écoute, qui veille tous les jours à l'entrée de ma maison, et qui se tient à ma porte. Celui qui m'aura trouvée trouvera la vie, et il puisera le salut du Seigneur. Mais celui qui péchera contre moi, blessera son âme. Tous ceux qui me haïssent aiment la mort (3). »

     

    Il est vrai, ô Marie ! que celui qui vous aura trouvée trouvera la vie éternelle, et que celui qui vous hait, hait Dieu, et il trouvera la mort éternelle. 0 Marie !

     

    Vous haïr ? Oh ! que cette parole me saisit d'effroi ! Vous haïr ! Mais cela se pourrait-il ? Haïr Dieu !..; Serait-ce donc possible ? Rien qu'à cette idée l'enfer s'entr'ouvre, avide de nos âmes ; et les démons, semblables aux oiseaux de proie, tombent sur les cœurs cadavres qui ne vous aiment point !... Mais nous, ô Marie ! « semblables aux petits poussins qui, à la vue du milan, se cachent sous les ailes de leur mère, à la vue de Satan nous nous réfugions sous votre manteau de mère (l). »

    0 Marie ! nous nous écrions vers vous, avec saint Augustin : « Vous êtes l'unique espérance des pécheurs ; car c'est par vous que nous espérons la rémission de tous nos péchés (2). » — « Nos iniquités ont fait une séparation entre nous et notre Dieu (3). » Réconciliez-nous donc, ô Marie ! réconciliez-nous si bien avec Dieu, que votre Fils bien-aimé nous dise : « Vous êtes mes amis (4). » Mais à quoi nous servirait cette réconciliation si désirable et si heureuse, si nous allions jamais la perdre ? Conservez-nous-la donc à tout jamais. Nous attendons de vous cette dernière grâce, cette grâce éternelle avec toute confiance, car, comme l'a dit saint Bernard : « C'est en vous que les pécheurs trouvent le pardon, et les justes la grâce pour l'éternité ('). »

     

     

    0 mère de l'amour ! vous nous aimez en tout temps. 0 Marie ! en tout temps secourez-nous ; en tout temps maintenez-nous dans votre amour et dans l'amour de votre Fils, jusqu'au jour de l'éternité ; afin qu'au jour du jugement, en nous voyant tous rangés à vos pieds, les élus et les anges euxmêmes, frappés d'étonnement, s'écrient en vous bénissant : « 0 Marie, c'est par vous que les pécheurs ont cherché Dieu, et les voilà sauvés (2) ! »

    Et que vous dirai-je, à vous, ô Jésus ! que vous dirai-je en fmissant ces méditations sur votre Mère, ces soupirs vers elle, et par elle vers vous ? Que vous dirai-je, ô Jésus ! ô mon doux Jésus ! Pénétré de foi, d'espérance et d'amour, admirant votre promesse, que vous ne nous laisseriez pas orphelins, en vous adorant et en vous rendant grâces, je m'écrierai du fond de mon cœur : O Jésus ! ô mon doux Jésus ! en nous donnant votre Mère pour Mère, vous nous avez bien tenu parole !

    Vive Jésus ! vive Marie !

     

    Si en parcourant ce petit livre, retraçant les merveilles de la miséricorde de Jésus et de Marie, vous vous êtes senti plus d'amour pour Dieu, et par conséquent plus de compassion pour votre prochain, vous ne refuserez pas l'aumône de vos prières à l'auteur de ce livre, qui vous la demande très humblement et très instamment, en s'appropriant cette prière de saint Augustin, pleine de larmes et de confiance :

    « Inspirez, ô Seigneur, à vos serviteurs et à vos enfants, mes frères et mes maîtres, que je voudrais servir et de ma voix et de ma plume et de tout mon cœur ; inspirez à tous ceux qui liront ces lignes, qu'ils daignent se souvenir au pied de vos autels de Honorée votre servante et de Vinceslas jadis son mari, dont vous vous êtes servi pour me donner la vie, et de mon frère Edouard issu du même sang ; afin que ce qu'ils m'ont demandé en quittant cette terre, leur soit plus abondamment acquis dans les prières de plusieurs. »

    PRIÈRE DE L'ACTEUR A LA TRÈS-SAINTE VIERGE.

    O Marie, mère de Jésus-Christ. Vous qui avez si amèrement pleuré la mort de votre Fils, et qui de vos larmes avez adouci les nôtres, recevez mes actions de grâce de ce que vos douleurs ont soulagé les miennes ; et soyez bénie de ce que, eu me faisant composer ce petit livre et me tenant ainsi constamment à vos pieds tout le temps de mon grand deuil après la perte de ma mère et de mon frère chéri, vous m'avez rempli de consolations et d'espérances éternelles. Soyez donc bénie, vous qui êtes notre Vie, notre Douceur et notre Espérance ! Soyez toujours bénie, et faites que tous ceux qui liront ces lignes vous bénissent toujours. Je remets entre vos mains mon corps et mon àme, afin que vous les sauviez. Je remets entre vos mains tout le bien que j'ai reçu de vous, afin que vous me le conserviez et que vous l'augmentiez toujours. Je remets aussi entre vos mains ce petit livre que vous m'avez donné, afin que vous le déposiez avec son auteur aux pieds de Jésus. Ainsi soit-il.

    FIN.