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Premier vendredi d'avril
Considération pour le premier vendredi d'avril
Amour du cœur de Jésus pour les hommes
Dieu est amour, et le cœur de Jésus, qui est le chef-d'œuvre de la très-sainte Trinité, ce cœur adorable de l'Homme-Dieu, est aussi tout amour ; sa vie, son essence, c'est l'amour ; ses attributs sont des attributs d'amour ; ses actes sont des productions de son amour ; et cet amour que Jésus a pour nous est infini dans son étendue, éternel dans sa durée, immense dans sa libéralité, incompréhensible dans ses effets. C'est lui, c'est cet amour qui a abaissé un Dieu dans le sein d'une vierge ; c'est lui qui a planté la croix du Calvaire et dressé les autels où la Victime eucharistique vient tous les jours donner au monde le spectacle du plus étonnant, du plus grand, du plus constant de tous les amours.
Interrogeons le ciel, interrogeons la terre, nous n'y trouverons rien qui soit comparable à l'amour que Jésus a pour nous. Demandons aux anges, aux séraphins qui se consument d'amour aux pieds de l'Éternel, s'ils savent aimer leur Dieu comme Jésus aime l'homme ; ils nous répondront que leurs saintes ardeurs, leurs brûlants transports ne sont que de faibles étincelles de ce feu sacré dont le cœur du Sauveur est le foyer et la source.
Notre cœur est fécond en affections, il sait aimer fortement, aimer passionnément, et pourtant cette tendresse, ces sentiments si vifs et si forts, dont nous sommes susceptibles, ne méritent pas le nom d'amour, comparé à celui que Jésus a pour nous.
L'amour maternel est de tous les amours que l'homme connaît le plus fort, le plus tendre, le plus constant ; il est capable d'héroïsme, il inspire le dévouement le plus sublime, rend courageux et intrépides des êtres faibles et timides ; c'est une image de celui de Dieu pour sa créature ; c'est un écoulement, un ruisseau sorti de cette source intarissable de tendresse et de charité.
Mais l'image n'est pas la réalité, le ruisseau n'est pas la source, et la mère la plus tendre n'aima jamais son enfant comme Jésus sait nous aimer.
Pour concevoir une juste idée de cet amour, pour pouvoir l'apprécier comme il mérite de l'être, considérons quelques instants quel est celui qui nous aime et ce que nous sommes pour mériter ce prodigieux amour.
Celui qui nous aime est Jésus, Jésus, le Verbe éternel, le Fils unique du Père, engendré par lui de toute éternité dans les splendeurs des saints, égal à lui en toutes choses, grand comme lui, saint, puissant, éternel comme lui ; c'est Jésus, ce Dieu heureux par lui-même, heureux par l'éternelle contemplation de son être et de ses infinies perfections ; c'est Jésus, cet être infiniment parfait, qui a tiré sa gloire de lui-même, et qui n'a besoin, pour être heureux, ni de notre amour, ni de nos louanges, et cependant il nous aime, il désire, il demande notre amour.
Et maintenant voyons ce qu'est l'homme et en quoi il a pu mériter l'amour dont Dieu l'honore. L'homme, c'est un peu de boue, quelques grains de poussière que la main du Seigneur a pétris et qu'il a animés d'un souffle, d'une vie immortelle. L'homme est un composé de petitesse, d'impuissance, de faiblesse ; c'est une proie destinée à la mort ; il paraît aujourd'hui sur la terre, il cherche en vain à y établir sa demeure, à la remplir du bruit de son nom ; le lendemain, la tombe s'est refermée sur lui, et le silence de l'oubli vient bientôt peser sur cette tombe. L'homme est un néant, mais un néant souillé par le péché ; c'est un être dont la corruption est la nature, qui ne trouve au fond de son cœur que des penchants mauvais et un poids qui l'incline et le porte sans cesse au mal. Voilà l'être que le Fils de l'Éternel, la sainteté par essence, a aimé d'un amour infini. Il a vu l'homme coupable, et il en a eu pitié ; il l'a vu malheureux, et il l'a aimé, il a voulu le sauver. Redevable à la justice divine d'une dette qu'il ne pouvait acquitter, esclave du démon, gémissant sous la servitude du péché, l'homme, banni à jamais du ciel, devait subir les maux du temps et ceux bien plus redoutables de l'éternité. Mais de toute éternité l'amour du Verbe avait conçu la pensée de le sauver ; il offrit à son Père de payer lui-même la dette de sa créature déchue, le sacrifice fut accepté, et, dans la plénitude des temps, le ciel vit avec étonnement un Dieu uni, non à la nature angélique, mais à la nature humaine ; il vit une fille d'Adam porter dans ses flancs le Créateur des mondes ; il l'entendit le nommer son Fils ; les Vertus des cieux descendirent sur la terre et y adorèrent, dans l'extase du ravissement et de l'amour, leur Dieu devenu pauvre, petit et enfant.
En entrant dans le monde, le premier sentiment du cœur de ce Dieu anéanti fut un sentiment de dévouement et d'amour pour nous. Il dit à son Père : Mon Père, me voici; je viens pour accomplir votre volonté. C'est-à-dire, je viens pour sauver l'homme, pour être sa caution ; je prends sur moi toutes les peines qui lui sont dues. Jésus renonce aux honneurs, aux richesses, aux plaisirs dont il aurait pu jouir ; il embrasse une vie pauvre, humiliée, souffrante, lors même qu'une seule goutte de son sang, qu'une de ses larmes, un seul de ses soupirs eût suffi pour racheter des milliers de mondes, puisque la moindre de ses actions avait une valeur infinie ; il a voulu se consumer de travaux, être abreuvé de souffrances et d'humiliations, nous donner jusqu'à la dernière goutte de son sang ; car ce qui était suffisant à la justice du Père ne l'était pas à l'amour du Fils. L'amour ne dit jamais : C'est assez, il ne connaît pas de mesure, il ne croit jamais donner trop, et celui de Jésus n'a été satisfait qu'après s'être donné lui-même.
Voyez cet aimable Sauveur durant son séjour sur la terre : on voit qu'il est l'ami des hommes, qu'il les aime tendrement et qu'il veut en être aimé. Il ne parle que le langage de l'amour, ses paroles ne sont que l'expression de ses sentiments, ses actions sont des œuvres d'amour. Il parcourt les villes et les bourgades de la Judée, répandant partout des bienfaits. Ici, il instruit les ignorants ; là, il console les affligés, il guérit les malades, il ressuscite les morts. Il pardonne, il remet les péchés. On dirait qu'il ne peut couler une larme sans que cette larme tombe sur son cœur, qu'il ne peut entendre un gémissement sans que son âme en soit émue, qu'il ne peut être témoin d'une souffrance sans qu'aussitôt elle lui devienne personnelle ; il n'est heureux de sa puissance que parce qu'il s'en sert pour seconder son amour ; il a plus de compassion de nos douleurs qu'une mère n'en éprouve pour celles de son enfant.
Pendant le cours de la vie mortelle de cet adorable Sauveur, toutes ses pensées, ses paroles, ses actions se rapportent à nous et lui sont inspirées par l'amour qu'il nous porte. S'il prie, c'est de la grande affaire de notre salut qu'il traite avec son Père ; s'il nous recommande le saint exercice de la prière, c'est qu'il sait qu'elle est la parole de l'âme, l'expression des sentiments du cœur, l'entretien de la créature avec son Créateur. Pour exciter notre confiance, il veut que nous le nommions notre Père ; il s'engage à nous accorder tout ce que nous demanderons en son nom ; il s'efforce de nous faire comprendre, et par ses paroles et par ses promesses, que son cœur sera heureux d'exaucer nos vœux, qu'il ne saurait rien refuser à ceux qu'il aime, et, en nous recommandant de prier sans cesse, il nous apprend qu'il désire que nous pensions à lui aussi souvent qu'il pense à nous, c'est-à-dire toujours ; qu'il a autant de joie à s'entretenir avec nous qu'un père en a à s'entretenir avec un enfant chéri, qu'un ami avec son ami.
Jésus recommande sans cesse à ses disciples l'accomplissement du grand précepte de la charité : il veut qu'ils s'aiment entre eux, comme lui-même les a aimés ; qu'on les reconnaisse à leur mutuel amour, et que cet amour soit le caractère distinctif de ses enfants, le lien qui les unisse à lui, le sceau et le complément de toutes les vertus chrétiennes.
Sur le point de quitter la vie, le cœur de Jésus est comme partagé entre l'amour qu'il porte à son Père et celui qu'il a pour nous. Il va retourner au ciel, et il ne peut se décider à abandonner la terre. C'est alors que sa sagesse et sa charité s'unissent pour inventer ce mystère sublime qui le rend à la fois citoyen du ciel et habitant de la terre. Avant d'aller à la mort, il institue ce sacrement adorable qu'on peut appeler, à si juste titre, le sacrement de son cœur, le sacrement de son amour. Il ne veut pas que, parmi la foule innombrable des générations humaines que la suite des siècles doit voir naître, aucun homme puisse envier le bonheur de ceux qui vécurent avec lui. Il nous appelle tous au festin qu'il a préparé ; il veut pouvoir presser tous ses enfants contre son cœur et réchauffer chacun d'eux sous les embrassements de sa tendre charité. Tous sont appelés, nul n'est exclu ; il ne fait aucune distinction de rang, de condition, de fortune ; tous ses enfants sont égaux à ses yeux, tous sont également aimés. Devant lui toute différence, toute inégalité disparaît, excepté celle de la vertu. Il veut que le petit vienne s'asseoir à côté du grand à la table d'amour ; l'aliment qu'il donne aux riches est le même que celui qu'il donne aux pauvres. S'il a quelques faveurs de choix, s'il fait quelques grâces privilégiées, ce n'est pas à ceux que le monde encense et favorise ; il les réserve souvent pour l'âme innocente et pure, pour le petit et l'humble de cœur, pour celui enfin qui vient à lui avec plus de pureté et d'amour.
Caché sous les voiles épais de l'Eucharistie, le Dieu d'amour y continue cependant parmi nous sa mission de miséricorde et de charité. Il ne descend dans nos cœurs qu'en nous comblant de bienfaits. Il soutient le faible, il console l'affligé, il rend le repos à l'âme troublée et craintive, il guérit le cœur brisé, il abrite dans son cœur celui dont la vertu chancelle. Il rassure le mourant et fait luire à ses yeux éteints les premiers rayons de ce jour éternel, les premières splendeurs de cette immortalité glorieuse, dont il lui donne les prémices et le gage en se donnant à lui. Enfin, il est pour l'homme la manne mystérieuse qui le nourrit dans le désert de la vie, la colonne de lumière qui éclaire sa route et dirige ses pas vers l'éternelle patrie, le rayon de miel qui adoucit toutes les amertumes et fait naître la joie du sein de ses douleurs.
Voyez maintenant cet adorable Sauveur étendu sur l'autel de son sacrifice : affaibli, épuisé de sang, tourmenté par les plus atroces douleurs, les angoisses de la mort, les déchirements de l'agonie ne peuvent lui faire oublier ceux qu'il aime. Il nous a tout donné ; ses veines sont épuisées du sang qu'il a versé pour nous, mais il lui reste une Mère, et le cœur de cette Mère désolée et chérie est son seul bien, son plus cher trésor ; son amour va nous le léguer encore : il veut que Marie soit aussi notre mère, qu'elle nous aime comme elle l'aima; alors, tournant vers elle ses yeux déjà couverts des ombres de la mort, il lui dit en montrant saint Jean, qui nous représentait tous au pied de la croix : Voilà votre fils. Et cette parole puissante, qui donnait le genre humain pour enfant à Marie, lui donna en même temps un cœur de mère pour cette immense famille ; son amour pour nous naquit au pied de la croix ; il fut une extension de celui de Jésus : le cœur du Fils et celui de la Mère n'en firent plus qu'un pour nous aimer.
Peu d'instants après, la voix mourante du Sauveur se faisait encore entendre ; du haut de sa croix il s'écriait : J'ai soif. Ce n'était pas de la soif naturelle que Jésus voulait se plaindre, mais, par ces simples et touchantes paroles, il a voulu nous faire comprendre que son cœur a soif de notre amour, afin que chaque voyageur de la vie puisse, en passant sur le Calvaire, lui offrir cette eau dont il est altéré, comme une aumône au Dieu que l'amour a dépouillé de tout, à ce Dieu qui souffre pour son amour, qui n'est pauvre que pour l'enrichir, et qui lui rendra les trésors de l'éternité en échange de cette eau dont il l'aura désaltéré.
Après sa mort Jésus permit encore que le fer d'une lance vînt déchirer son sein et ouvrir son cœur, afin que son amour nous fût montré à découvert, que nous pussions aller puiser à pleines mains dans ce trésor inépuisable tous les biens qui nous manqueraient, et que ce cœur blessé devînt notre asile, notre refuge dans les maux qui nous font gémir, dans les périls qui nous environnent.
Pourrions-nous refuser de rendre amour pour amour au Dieu qui nous a tant aimés ? Nous sommes sensibles à la plus légère preuve de tendresse ; un seul bienfait nous touche et suffit pour gagner notre cœur. Jésus serait-il le seul pour lequel nous n'éprouverions ni amour ni reconnaissance ? Nous aimons les créatures ; pourtant nous ne trouvons dans leur affection que vide, inconstance, déceptions. Nous appuyons nos cœurs sur des roseaux qui les déchirent en se brisant, et nous ne trouvons dans ces fragiles amitiés, sur lesquelles nous fondions nos espérances de bonheur, que des chagrins amers, des douleurs poignantes, et souvent des remords. Ah ! désormais aimons sans partage l'ami qui nous a tout donné ; c'est trop peu d'un cœur pour aimer Jésus ; ne le partageons donc pas, ce faible cœur, entre la créature et lui ; aimons Jésus sans partage, et faisons sur la terre l'apprentissage de cet amour qui doit faire notre bonheur éternel. Ainsi soit-il.
PRÉPARATION À LA COMMUNION
Pour le premier vendredi d'avril.
Disparaissez, souvenirs de la terre, pensées frivoles, préoccupations de la vie et du monde, vaines affections des créatures ; laissez-moi me recueillir en paix ; ne troublez plus le silence de mon âme. Il me faut en cet instant toutes les pensées de mon esprit pour méditer la grandeur du bienfait qui va m être accordé ; il me faut surtout toute la place de mon cœur pour l'hôte divin qui va venir à moi, toute l'étendue, toute la vivacité de mes affections pour répondre à l'amour qui abaisse un Dieu jusqu'à mon néant.
Quelle est cette voix qui s'est fait entendre à moi ? C'est la voix du Créateur des mondes, du Dieu des éternités, qui retentit au fond de mon âme. Elle m'appelle, cette voix ; elle me dit de préparer mon cœur, d'en bannir la crainte, et de l'ouvrir entièrement à la confiance et à l'amour ; car le Dieu saint et puissant qui vient à moi y vient dans un esprit de charité et de miséricorde.
Ah ! l'attrait qui m'attire à vous, Dieu d'amour, Dieu si bon de l'Eucharistie, est bien vif et bien tendre ! Devant vous, ô Jésus, l'amour succède à la crainte ; mon cœur ne tremble plus, il n'a de force que pour aimer. Pourtant, Seigneur, je confesse, à la face du ciel et de la terre, ma triple indignité ; mais plus je sens ma petitesse et ma misère, plus j'éprouve de reconnaissance et d'amour pour le Dieu qui s'abaisse jusqu'à moi, et qui oublie sa sainteté, sa grandeur, pour venir habiter la demeure si indigne et si pauvre de mon cœur.
Je le sais, Seigneur, un abîme appelle un autre abîme : l'abîme de mon néant appelle celui de votre être divin ; l'abîme de ma faiblesse appelle celui de votre force ; l'abîme de ma petitesse, de mon impuissance et de ma froideur attire celui de votre grandeur, de votre puissance et de votre charité. Ah ! venez, ô mon Jésus, venez exercer sur moi la plénitude de vos miséricordes ; venez verser sur mon pauvre cœur la surabondance d'amour qui embrase le vôtre. Mon âme est altérée de la soif de la justice ; elle a soif surtout de cet amour divin qui est la justice parfaite, la sainteté consommée. Laissez-la, Seigneur, laissez-la, cette pauvre âme, se désaltérer et étancher sa soif à ces sources d'eaux vives qui coulent de votre cœur et jaillissent jusqu'à la vie éternelle ; laissez-la boire à longs traits de cette eau pure qui donne la vie et ôte pour toujours la soif des jouissances terrestres, des eaux empoisonnées du vice. Mon cœur est bien froid, ô aimable Sauveur, il est insensible et glacé ; vos bienfaits n'ont pas encore amolli sa dureté, ni votre tendresse fondu la glace qui l'environne. Souffrez, Seigneur, qu'il s'approche de vous, qui êtes un feu consumant, pour être échauffé par les flammes divines qui s'échappent de cette fournaise d'amour. Qu'il se fonde devant vous, ô mon Dieu, ce cœur insensible et ingrat, comme la cire se fond à l'ardeur d'un grand feu ; qu'il vous aime enfin ; qu'il n'ait plus de sensibilité que pour vous ; qu'il répare par la vivacité de ses affections les trop longues années qu'il a vécu sans vous aimer !
Je ne vous demande pas, Seigneur, les douceurs et les consolations de votre amour ; je suis indigne de ces chastes délices, de ces divines caresses, de ces grâces de choix, dont vous vous plaisez à favoriser quelques âmes d'élite, et qui sont la récompense de leur vertu et de leur fidélité. Non, non, je ne leur envie point ces saints transports, ces jouissances enivrantes qui leur font oublier la terre et leur donnent-ici bas un avant goût du ciel. C'est là, je le sais, le pain des enfants ; heureuse si je puis obtenir les miettes qui tombent de leurs tables ! Ce que je vous supplie de me donner, Seigneur, c'est votre amour ; cet amour généreux et constant, qui grandit dans les sacrifices et les privations ; cet amour pur, qui craint de vous déplaire, qui ne veut que vous, qui n'aspire qu'à vous, qui se détache de tout, même de vos dons, pour s'unir plus étroitement à vous seul. Venez, Seigneur, l'enseigner à mon cœur, cet amour qui a été la source du courage des martyrs, du zèle des confesseurs, de la pureté des vierges, des austérités des pénitents. C'est lui qui a peuplé les solitudes et les déserts de ces anges mortels que le ciel enviait à la terre ; c'est lui qui inspire le mépris du monde à ces âmes pures qui vont au fond des cloîtres perdre le souvenir de l'univers entier, s'oublier elles-mêmes pour ne se souvenir que de vous. C'est cet amour qui inspire encore tous les jours tant de sublimes dévouements, tant de charité ; qui fait croître jusqu'au milieu du monde des vertus dont l'héroïsme est tout à la fois la gloire de votre religion et la condamnation de vos ennemis. Oh ! venez, Jésus, venez me donner ces divines leçons que vous aimez à faire entendre au cœur que vous visitez ; venez déposer dans mon âme la précieuse étincelle de ce feu mystérieux qui brûle sans consumer, qui éclaire, purifie, et, semblable aux rayons bienfaisants du soleil, fait éclore partout des fleurs et mûrir des fruits, mais de ces fleurs qui ne se flétrissent pas au souffle de l'aquilon, et de ces fruits qui se conservent pour l'éternité.
Et vous, ô Marie, mère du bel amour ; siège de la sagesse éternelle, premier tabernacle de mon Dieu, fleur précieuse qui avez pendant quelques années embaumé notre terre de votre doux parfum, vous que la main du Seigneur a transplantée dans le ciel, notre reine et notre avocate, voyez mon indigence et soyez-en touchée. Jésus, votre Jésus vient à moi, il s'avance ; mon cœur voudrait l'aimer, et il reste froid ; je n'ai à lui offrir que des désirs stériles et une volonté impuissante. Ah ! prêtez-moi votre cœur pour voler à sa rencontre, ou recevez-moi dans cet asile sacré, et que vos brûlants transports, votre amour de mère, présentés pour moi à ce Fils que vous avez tant aimé, soient comme un vêtement précieux qui cache la nudité et la pauvreté de mon âme, et me fasse trouver grâce à ses yeux.
Ainsi soit-il.
ACTION DE GRÂCES.
Recueillez-vous, puissances de mon âme ; étonne-toi, ô ma faible raison ! Et toi, mon cœur, livre-toi tout entier au transport de la reconnaissance et du plus tendre amour ; car ton Dieu, oubliant ta bassesse, ta profonde misère, t'a choisi pour son tabernacle ; Jésus habite en toi ! il est en toi ! il vit en toi !...
Je crois, Seigneur, oui, je crois à la grandeur de votre amour, à l'excès de mon bonheur. Mais que dis-je, je crois ? Ah ! la foi ne m'est plus nécessaire ; je sens mon Dieu, je le vois au fond de mon cœur ; les nuages qui le voilaient à mes yeux s'évanouissent ; mon âme découvre sa grandeur, sa majesté, sa gloire ! Il m'ouvre tous les trésors de son cœur ; sa voix me parle, il me révèle tous les secrets de son amour. C'est maintenant que je puis m'écrier : J'ai trouvé celui que j'aime, et je ne le laisserai point aller !
C'est bien maintenant encore que je puis dire : Mon bien-aimé est tout à moi, et je suis toute à lui. Oui, vous êtes tout à moi, ô Jésus, Dieu de l'Eucharistie ; votre corps, votre sang, votre âme, votre divinité sont à moi ; votre cœur surtout est mon bien, ma propriété, mon trésor. Il m'appartient, ce cœur qui m'a tant aimée, qui m'aime tant encore ; ce cœur dont toutes les pensées, les sentiments, les affections ont été pour moi ; ce cœur qui a tant soupiré, tant gémi, tant souffert pour mon salut ; ce cœur qui m'a comblée de tant de bienfaits, qui m'a accordé tant de grâces, qui a battu trente-trois années pour moi, qui m'a donné ses mérites, son sang, sa vie, qui s'est donné lui-même, il est à moi. Ah ! mon âme ne peut suffire à l'abondance des sentiments qui se pressent en elle ; elle est trop faible pour supporter tant de bonheur, trop petite, trop étroite pour contenir le torrent d'amour dont elle est inondée. Aussi, mon Dieu, elle reste muette, elle s'anéantit devant vous ; elle ne peut que s'écrier, dans sa reconnaissance et son ravissement : C'est assez, Seigneur, c'est assez de bonheur ; ou montrez-vous moins aimable, ou agrandissez mes facultés aimantes, étendez la capacité de mon amour, car il veut vous aimer plus, et il ne peut vous donner davantage.
Puisque vous êtes tout à moi, ô aimable Sauveur, je veux être toute à vous. Je veux que mon esprit ne soit occupé que de vos grandeurs ; que ma mémoire ne soit remplie que du souvenir de vos bienfaits ; que ma volonté se perde et s'anéantisse dans la vôtre ; que mon cœur surtout ne brûle que du feu de votre amour, et qu'il se consume sans cesse des saintes ardeurs de la charité. Je veux enfin ne penser qu'à vous, n'agir que pour vous, n'aspirer qu'après vous, n'aimer plus que vous, être à vous entièrement, sans réserve, sans partage, et pour toujours. Je veux tout cela, ô mon Jésus, je le veux sincèrement, et pourtant je tremble au souvenir de ma faiblesse et de mon inconstance. Tant de fois déjà, mon Dieu, je vous ai juré en vain un éternel amour ! tant de fois je vous ai fait inutilement hommage de mon cœur ! Une triste expérience ne m'a que trop appris quel cas je devais faire de mes résolutions les plus sin cères et en apparence les plus solides. Vous le savez, Seigneur, mes promesses ont été semblables à ces fleurs passagères qui s'épanouissent le matin aux premiers rayons du soleil, et qui, avant le coucher de cet astre, ont déjà perdu leur éclat et leur fraîcheur. Je ne suis constante que dans mon inconstance et ma fragilité ; comme ces feuilles desséchées que le vent d'automne balaie et entraîne loin de l'arbre qui les a vues naître, ainsi le moindre souffle d'orage suffit pour m'éloigner de vous et me faire oublier mes serments. Oh ! quand donc luira-t-il pour moi, Seigneur, ce jour si beau de l'éternité, ce jour où commencera l'éternel amour ? Quand donc mon âme, dégagée de son enveloppe mortelle, pourra-t-elle quitter ce monde où vous êtes si peu connu, si peu aimé, où tant d'ennemis se liguent contre elle, où tant de dangers l'environnent, où tant d'épines la déchirent et la blessent ? Ne viendra-t-il jamais, ce moment fortuné où, sur les ruines de sa prison de boue, elle entonnera l'hymne de l'immortalité et de l'amour, où elle s'élancera vers les cieux pour se perdre, se fixer en vous, qui êtes son principe et sa fin ?
O vous, Vierge sainte, dont l'amour a été l'élément et la vie, vous qui, par la grandeur de votre charité, vous êtes élevée au dessus de toutes les filles de Sion, couvrez de votre protection maternelle l'étincelle du feu sacré que votre Jésus vient de déposer dans mon cœur ; attisez-la de votre souffle tout puissant ; prêtez à ma faiblesse l'appui de votre force ; soyez la caution, le garant des nouvelles promesses que je viens de faire à votre divin Fils. Je les dépose dans votre cœur immaculé, afin que dans cet asile sacré, bénies par vous, elles acquièrent chaque jour une stabilité qui les fasse servir à ma sanctification et à mon bonheur.
Ainsi soit-il.
VISITE AU SACRÉ CŒUR DE JÉSUS
Considéré comme ami.
Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais mes amis, disiez-vous autrefois à vos apôtres, ô aimable Jésus ! Cette parole si douce, si consolante, qui leur promettait un Dieu pour ami, ne fut pas dite pour eux seuls ; elle s'adresse à tous les hommes, aux petits comme aux grands, aux ignorants comme aux savants, aux pauvres comme aux riches ; elle s'adresse à moi. Tous nous pouvons aspirer à l'amitié de notre Dieu et prendre avec lui cette sainte familiarité qu'un ami prend avec son ami.
Mon âme tressaille d'allégresse à cette pensée. Jésus m'aime, il veut être mon ami, il m'offre son cœur, il me demande le mien, il me permet de l'aimer. Devant un tel amour, ma raison s'étonne et se tait, mon esprit a peine à comprendre cet excès de miséricorde et de générosité ; mais mon cœur le croit, il palpite de tendresse pour le Dieu qui s'abaisse pour l'élever, et, dans l'ardeur de sa reconnaissance, il réunit ses facultés aimantes pour s'élancer avec plus de force vers l'objet divin de son amour ; il se replie sur lui-même pour savourer en silence la douceur de ce mot : Jésus est à moi !
Un roi de la terre s'offenserait si un de ses sujets, placé dans une des classes les plus infimes de la société, osait se dire son ami, s'il lui disait : Je vous aime. Il honore ceux que la faveur approche de sa personne en les nommant ses favoris. Mais vous, mon Jésus, vous roi des siècles éternels, vous seul grand d'une grandeur que vous n'empruntez ni à l'éclat de la naissance, ni aux grandeurs, ni aux pompes du monde, mais que vous tenez de vous-même, non seulement vous ne rougissez pas de notre amour, mais vous le demandez, vous le sollicitez, et vous paraissez heureux et reconnaissant quand vous l'obtenez.
Pendant votre vie mortelle, votre cœur, ô Jésus, s'est montré sensible aux charmes de l'amitié ; vous aimiez Lazare, vous ne dédaigniez pas de le visiter, de vous asseoir à sa table, et, en vous voyant pleurer sa mort, les Juifs étonnés s'écriaient avec admiration : Voyez comme il l'aimait ! L'innocence et la pureté de Jean gagnèrent aussi votre cœur : parmi tous vos apôtres vous l'aimâtes d'un amour de préférence ; vous lui permîtes une sainte familiarité, vous lui découvrîtes les secrets de votre amour, et, le jour où cet amour allait se manifester au monde par l'institution du plus grand de tous les sacrements, vous voulûtes bien qu'il reposât sa tête sur votre sein, et, semblable à une tendre mère, vous sembliez l'endormir sur votre cœur, comme le plus aimé de vos enfants.
Aujourd'hui, Seigneur, vous avez encore des amis, et vous remplissez envers eux tous les devoirs de l'amitié ; vous ne vous contentez pas de leur faire part de tous vos biens, de les enrichir des trésors de vos mérites et de votre grâce, mais vous répondez à leur amour par la confiance ; vous semblez n'avoir plus de secrets pour eux ; votre sagesse les éclaire et dissipe les ténèbres de leur ignorance ; vous aimez à vous entretenir avec eux, à épancher pour ainsi dire votre cœur dans leurs cœurs, et, dans ces mystérieuses communications du Créateur avec sa créature, vous les enivrez de délices que le monde ne comprend pas ; quelquefois vous soulevez un coin du voile qui leur cache la splendeur de votre face et laissez tomber sur vos amis de la terre une goutte de ce torrent de félicités dont s'enivrent ceux que vous avez déjà couronnés dans le ciel.
Oui, vous êtes, ô Jésus, le meilleur, le plus tendre, le plus constant des amis. Vous êtes la force, l'appui de ceux que vous aimez ; vous soutenez leur faiblesse, vous compatissez à leur infirmité, vous les secourez au jour du péril, vous êtes leur défenseur au moment du danger. Si l'affliction vient les frapper, si la douleur les oppresse, si la souffrance les fait gémir, vous accourez au premier cri de leur détresse ; votre amitié réclame le droit d'essuyer leurs premières larmes, d'être leur seul consolateur. Loin de vous rebuter du récit de leurs peines, de la longueur de leurs maux, vous aimez à les voir pleurer à vos pieds, à compter leurs soupirs ; mais c'est pour leur tenir compte de tout, et pour leur rendre un jour une mesure de joie proportionnée à celle de leur douleur.
Que de déceptions, d'inconstances, de légèretés dans les amitiés de la terre ! Qu'il y a peu d'amis vrais, sincères, dont la tendresse soit à l'abri du temps et des revers ! Qu'ils sont vains et fragiles, tous ces appuis humains sur lesquels on aime à reposer son cœur, à asseoir ses espérances ! Parmi ceux sur lesquels nous comptons, les uns n'ont pas la volonté de nous être utiles, les autres en ont le désir, mais ils n'en ont pas le pouvoir. Puis, elles sont mensongères et trompeuses, ces affections terrestres ; un rien suffit pour briser des liens qui paraissaient indissolubles ; elles sont égoïstes, intéressées ; on aime pour soi, pour son agrément ou son intérêt. L'homme heureux trouve de nombreux amis toujours empressés de s'associer à ses joies, de partager ses plaisirs et ses fêtes ; mais si l'adversité remplace le bonheur, les amis disparaissent, et il est rare qu'il en reste un seul dont le dévouement résiste à la vue des larmes, au spectacle de la douleur.
Il n'en est pas ainsi de vous, ô Jésus ; votre amitié est pure et désintéressée, elle est pleine de fidélité et de constance ; vous nous aimez pour nous, pour notre bonheur ; vous ne vous lassez ni de notre froideur, ni de notre dureté ; notre ingratitude même en peut ébranler votre constance. Vous supportez nos rebuts, nos dédains, avec une patience inaltérable ; si nous vous fermons nos cœurs, vous attendez avec bonté que nous soyons disposés à vous les rouvrir ; et lorsque nous revenons à vous, loin de nous repousser à votre tour, vous tendez les bras à l'ingrat qui vous a dédaigné, méconnu, vous le pressez sur votre cœur, vous oubliez ses offenses, et vous ne vous souvenez que de la joie que vous cause son retour.
Et quand la mort vient de sa main de fer briser les liens du sang et de la nature, quand vient à sonner la dernière heure de celui qui fut votre ami, vous êtes encore là, ô Jésus ; vous adoucissez à celui que vous aimez les douleurs de la maladie, les angoisses de l'agonie ; votre amour lui reste, alors que tous les autres lui font défaut et lui manquent à la fois ; vous le rassurez contre les frayeurs de la mort ; vous le soutenez dans ses derniers combats, lorsque son âme tremblante s'élance avec effroi dans ces régions inconnues qui s'ouvrent devant elle ; vous l'attendez au seuil de l'éternité ; c'est dans votre sein qu'elle va se perdre, c'est votre amour qui la reçoit et l'introduit dans les tabernacles éternels.
A vous donc, ami incomparable, à vous seul toute la tendresse, toutes les affections de mon cœur. Périssent pour moi ces amitiés mensongères qui m'ont rassasié de dégoûts, d'amertumes et d'ennuis ! C'est sur vous, oui, sur vous seul, ô Jésus, que je compte désormais ; c'est sur votre cœur que je veux m'appuyer pendant le pèlerinage de la vie ; c'est à lui que je confierai mes douleurs et mes peines, à lui que je demanderai aide et consolation dans le temps, de lui que j'espérerai gloire et bonheur pour l'éternité.
Ainsi soit-il.