• Le mois de Marie de l'Immaculée conception 21 décembre

     
     

    Le mois de Marie de l'Immaculée conception

    21 décembre

     

    Le mois de Marie de l'Immaculée conception 21 décembre

     

    Source : Livre "Le mois de Marie de l'Immaculée conception" par A. Gratry

     

    XXIe MÉDITATION.

     
    Mère de miséricorde, priez pour nous !

    Mère de miséricorde, priez pour nous ; obtenez-nous la vertu de miséricorde, c'est-à-dire la pitié du cœur. II n'y a que le cœur pur qui soit capable de pitié. La miséricorde ne serait pas dans le monde sans votre cœur immaculé. Obtenez-nous la pureté de cœur poussée jusqu'à l'amour dans la pitié.

    Mère de miséricorde, quand vous tenez entre vos bras l'Enfant divin qui porte le monde surmonté de sa croix, vous regardez ce globe surchargé de douleurs, et vous dites : « Voici mon Fils qui essuiera les larmes de tous les yeux. »

    Jésus regarde aussi ce globe, et, dit le saint Évangile, il voit les peuples couchés dans les ténèbres et l'ombre de la mort, abattus, foulés aux pieds, et dispersés comme des brebis sans pasteur. Il voit et il embrasse toutes ces douleurs d'un seul regard, et il dit : « Je donnerai ma vie pour eux ; » et la Mère de miséricorde ajoute : « Je donnerai mon Fils pour eux. » « Je suis venu apporter un feu sur la terre, dit le Sauveur, et combien désiré-je qu'il s'allume ! » Ce feu est-il autre chose, ô Jésus, que le feu représenté par la piété catholique sur ces images où l'on voit le cœur de Marie, percé d'un glaive, appuyé au cœur de Jésus, couronné d'épines, et des deux cœurs sortent des flammes ? Ces flammes sont les flammes de l'amour ; ce sont les flammes de la pitié, de la pitié portée jusqu'à l'amour et jusqu'au besoin du martyre, à la vue des souffrances du monde.

    Mais nous, n'aurons-nous donc jamais une seule étincelle de ce feu ? La pitié cordiale, intelligente, agissante, efficace, enflammée, poussée jusqu'à l'oubli de soi, dévouée jusqu'à la mort et jusqu'au sang, cette céleste miséricorde, ô mon Dieu, sera-t-elle une vertu inconnue à tous les cœurs autres que ces deux cœurs ? Par le progrès de votre connaissance et de votre imitation, ô Marie, Mère de miséricorde, ce feu ne s'étendra-t-il pas pour consoler la terre ?

    O Marie, donnez à nos yeux, à notre esprit, à notre cœur, ce regard de Jésus sur le monde. Habituez-nous à regarder ce globe surmonté de la croix et porté par Jésus enfant dans les bras de sa Mère. Faites qu'au lieu d'arrêter nos regards dans la sphère de nos intérêts, dans les limites de nos personnes, nous apprenions à les étendre au monde entier. Ce monde est-il trop grand pour votre cœur, ô hommes, ce monde que Jésus, votre frère, homme aussi, porte d'une main ; ce monde que vos frères en Adam, les héros de la terre, ont trouvé trop petit pour leur gloire ? Voici que notre science est sur le point de couvrir notre terre d'un réseau électrique dans lequel tous les points du globe se toucheront, et par lequel deux hommes, d'un pôle à l'autre, se parleront comme s'ils se tenaient par la main ! Et vous croyez que, quand ces forces inférieures, que recèlent et transmettent les métaux, embrassent ainsi le monde entier, la force des cœurs, la force sainte que recèle et transmet l'âme humaine, sera moins étendue, et ne saura jamais embrasser toute la terre !

    Il y a sur la terre un peuple dont les chefs, en tout temps, regardent le globe entier. Ils l'étudient et le méditent ; ils cherchent ce qu'on y peut prendre et quels sont les plus courts chemins qui peuvent lui tout amener. Et quand un point du monde a été découvert, qui recèle une richesse quelconque, ils y sont, et ils épuisent ce point du monde pour grossir le trésor central où ils ont attaché leur cœur. O mon Dieu, n'y aura-t-il pas d'autres contemplateurs du globe, soit au sein de ce peuple même, soit ailleurs, qui sauront aussi l'étudier, le méditer, pour connaître ce qu'il y faut porter, pour savoir ce qui manque à chaque peuple, à chaque homme, s'il se peut, et par quelle voie et quel chemin on peut porter à tous la lumière et la vie ?

    Voici, Mère de miséricorde, ce globe devant mes yeux. Dirigez mon regard, montrez-moi ce qu'il y faut voir ; apprenez-moi, je vous prie, à méditer le monde.

    Et d'abord je vois ce qu'a vu le Sauveur, les hommes couchés dans les ténèbres et l'ombre de la mort. Ces ténèbres enveloppent les trois quarts du globe : les peuples chrétiens ne forment que la cinquième partie de la population totale de notre terre. Et pourtant les peuples chrétiens sont les maîtres du monde. Leurs sciences, leurs arts, les miracles de leurs découvertes, la discipline de leurs démarches, la vigueur de leurs sociétés leur donnent la force de changer la face du monde quand ils voudront. Ils n'ont plus qu'à vouloir. En attendant, le reste du genre humain se décompose dans des vices sans nom, dans les douleurs, les abaissements, les dénuements, les épouvantables misères, les inexprimables horreurs de la vie barbare et sauvage. Le meurtre perpétuel des nouveau-nés, l'esclavage de la femme, l'universelle impudicité sans nul frein, l'ivresse jusqu'à l'empoisonnement des races, la paresse jusqu'à la mort, et la rage animale qui déchire, la rage et la faim réunies pour pousser l'homme à dévorer la chair de l'homme, tels sont les traits saillants de ce tableau.

    Si je regarde maintenant les peuples chrétiens, ce qui m'étonne d'abord, c'est de les voir assister à l'effrayant spectacle du monde souffrant sans s'émouvoir assez, et sans chercher, comme le dit la sainte Écriture, à ordonner le monde entier dans la justice et l'équité. Mais c'est qu'eux-mêmes, ô mon Dieu, sont bien loin d'être dans votre lumière pleine.

    La lumière descend bien sur eux, mais où sont ceux qui la reçoivent ? Le peu qu'ils en reçoivent par le dehors les rend maîtres et guides du genre humain ; mais que ces guides eux-mêmes sont aveugles ! Ils appliquent surtout la lumière au bien de leur corps, à la domination physique du globe, et développent la face extérieure de la science, les arts qui domptent la matière. Leurs faibles vertus relatives sont surtout des vertus terrestres ; ce ne sont pas des vertus éternelles ; et la lumière surnaturelle, la vôtre, ô Jésus-Christ, cette lumière éternelle qui doit guérir la nature humaine et l'élever plus haut, a déjà guéri quelques plaies, mais n'a pas grandement élevé l'ensemble qui lui résiste trop encore. Même parmi ceux qui se croient vôtres, ô Jésus-Christ, chacun dispose surtout de son peu de lumière et de vertu pour son bien propre. On ne sort pas de soi pour vous servir ; on ne regarde que sa sphère étroite ; on ne voit pas le monde, et sa misère, et votre croix. La vertu de miséricorde, la pitié amoureuse ne s'enflamme pas dans les cœurs renfermés. On voit d'un œil trop sec, autour de soi, les misères de l'âme et du corps. Loin de penser, par amour pour les hommes et par amour pour vous, à vous soumettre le monde entier, qui pense à vous soumettre seulement sa ville ou sa maison ?

    Loin de chercher sur tous les points du globe ce qui manque à chacun, on ne se tourmente point à guérir les souffrances qui importunent les yeux. On oublie que la loi ancienne avait dit : « Tu ne souffriras pas, ô Israël, qu'il y ait dans ton sein un seul mendiant ni un seul indigent. » Ou bien, si l'on y pense, on croit que Dieu l'a dit aux Juifs, mais ne l'a pas dit aux chrétiens.

    Ce froid des cœurs, qui ne savent point concevoir les flammes venant du cœur de Jésus-Christ et du cœur de la Vierge, est la cause des retards du monde. O Mère de miséricorde, quand parviendrez-vous donc à échauffer ces cœurs, ces cœurs dans lesquels la flamme veut venir, mais ne vient pas ; ces cœurs les plus rapprochés du vôtre, après le cœur des Saints, ces cœurs les plus coupables de tous peut-être, parce qu'ils sont l'obstacle à l'effusion de la vie, et séparent le ciel, qui se donne, de la terre, qui voudrait recevoir ?

    Je ne vois presque, dans le spectacle du globe, que ces deux traits ; le reste est comme indifférent : il y a la masse du genre humain plongée dans les ténèbres, et il y a, au milieu de cette masse, le peuple chrétien, éclairé d'une lumière imparfaitement reçue. Quand la lumière augmentera jusqu'à la flamme, comme dans le cœur du Christ et de Marie, le feu que Jésus-Christ est venu apporter à la terre fera le tour du monde en un instant.

    Mère de miséricorde, je veux changer mon cœur. Si je ne puis changer le monde, je tâcherai du moins de me changer moi-même. Pour que la flamme s'allume en moi je regarderai souvent, avec Jésus et vous, la face du genre humain, sur ce globe surmonté de la croix.

    Quand je prierai, ce sera en présence de Jésus, de sa Mère, et du globe qu'ils regardent et portent.

    Très-décidé à ne plus croire que rien d'humain me puisse être étranger, je saurai qu'il y a une science historique nécessaire au chrétien : c'est celle qui s'enquiert de l'état actuel du globe. Je bénirai la Providence de ce que déjà cette science peut arriver au moindre enfant du peuple par l'œuvre simple et admirable de la Propagation de la Foi. J'étudierai cette science pour la répandre, et je m'efforcerai d'acquérir, de transmettre et de faire enseigner aux enfants la science du genre humain souffrant, et souffrant sous nos yeux, avant celle de la curieuse antiquité.

    De tout mon cœur et de toutes mes forces je propagerai la pitié, et j'invoquerai chaque jour votre nom, Mère de miséricorde ; je chercherai à le rendre glorieux. Je tiendrai mon cœur pur, afin que la flamme s'y allume, car la plus légère trace de feu terrestre éteint tout germe de flamme sacrée.

    Je chercherai à bien comprendre comment, s'il y avait jamais eu en vous trace de péché ou loyer de concupiscence, votre cœur ne serait pas, avec celui de Jésus-Christ, la source des flammes sacrées qui doivent tout purifier, et dont Jésus nous dit qu'il attend les progrès.

    Je m'unirai aussi de tout mon cœur à l'esprit de saint Vincent de Paul, esprit qui est en voie de nous ramener à la foi par la pitié.

    Je n'oublierai jamais cette saisissante leçon trop peu connue, renfermée dans la vie de saint Vincent de Paul, où l'on voit ce grand saint, tenté contre la foi pendant trois ans, vaincre cette tentation en se donnant aux pauvres, et revenir à la foi lumineuse en arrivant à cette pitié du cœur, à cette intelligence du pauvre, et à cette miséricorde amoureuse qui constitue son aimable et admirable esprit. En face de ce modèle encore si près de nous, si vivant parmi nous, je veux demander chaque jour, et demander à tous mes frères, à quoi sert le temps et la vie, si ce n'est à faire quelque bien ; à quoi sert la puissance, à quoi sert la richesse, si ce n'est à ouvrir les voies par où se répandent sur le monde la vérité et la pitié.

    Je m'efforcerai de comprendre ce qu'il y a d'insensibilité et d'inintelligence, de malice et de stupidité dans l'habitude où vivent les hommes de voir tant de ténèbres et de souffrances sans rien entreprendre de décisif ou de hardi pour la justice et pour la vérité ; devoir, sans être poussés à les suivre, Jésus-Christ, et les Saints, et les Apôtres, et quelques ouvriers de Dieu, marcher seuls, armés de la croix, pour combattre le mal et conquérir la terre à Dieu.