Dans l'après-midi, Maximin essaie de discuter avec Mélanie qui est du même village que lui. Ils décident de revenir le lendemain au même endroit afin de garder le troupeau ensemble.
"Ménin, regarde voir, là, une clarté!"
Près de la petite source, sur l'un des bancs de pierre... un globe de feu.
"C'est comme si le soleil était tombé là".
Pourtant le soleil continue de briller dans un ciel sans nuages.
Maximin accourt en criant: "Où est-elle? Où est-elle?"[cette clarté]
Mélanie tend le doigt vers le fond du ravin où ils ont dormi.
Maximin s'arrête près d'elle, figé de crainte, et lui dit :
"Garde ton bâton, va ! Moi, je garde le mien et je lui donne un bon coup s' il nous fait quelque chose".
La clarté bouge, remue, tournoie sur elle-même.
Les mots manquent aux deux enfants pour signifier l'impression de vie qui rayonne de ce globe de feu.
Une femme y apparaît, assise, la tête dans les mains, les coudes sur les genoux, dans une attitude de profonde tristesse.
"Avancez, mes enfants, n'ayez pas peur !
Je suis ici pour vous conter une grande nouvelle."
Alors, ils descendent vers elle et la regardent. Elle ne cesse de pleurer. "On aurait dit une maman battue par ses enfants qui se serait sauvée dans la montagne pour pleurer". La belle dame est grande et toute de lumière. Elle est vêtue comme les femmes de la région : longue robe, grand tablier à la taille, fichu croisé et noué dans le dos, bonnet de paysanne. Des roses couronnent sa tête, bordent son fichu et ornent ses chaussures.
A son front la lumière étincelle comme un diadème. Sur ses épaules pèse une lourde chaîne. Une chaîne plus fine retient sur sa poitrine un crucifix éblouissant, avec d'un côté un marteau, de l'autre des tenailles.
La Belle Dame parle aux deux bergers. Ils disent : " Elle a pleuré tout le temps qu'elle nous a parlé".
Ensemble, ou séparément, les deux enfants redisent les mêmes paroles. Et cela, quels que soient leurs interlocuteurs: pèlerins ou simples curieux, notables ou ecclésiastiques, enquêteurs ou journalistes. Voici ce qui leur est transmis :
"Nous l'écoutions, nous ne pensions à rien".
La Vierge Marie : "Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forçée de laisser aller le bras de mon Fils. Il est si fort et si pesant que je me puis le maintenir."
"Depuis le temps que je souffre pour vous !
Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je suis chargée de le prier sans cesse, pour vous autres, vous n'en faites pas cas. Vous aurez beau prier, beau faire, jamais vous ne pourrez récompenser la peine que j'ai prise pour vous."
"Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me l'accorder ! C'est ça qui appesantit tant le bras de mon fils.
Et aussi, ceux qui mènent les charrettes ne savent pas jurer sans mettre le nom de mon fils au milieu. Ce sont les deux choses qui appesantissent tant le bras de mon fils.
Si la récolte se gâte ce n'est rien que pour vous autres. Je vous l'avais fait voir l'an passé par les pommes de terre: et vous n'en avez pas fait cas ! Au contraire, quand vous en trouviez de gâtées, vous juriez, et vous y mettiez le nom de mon fils au milieu. Elles vont continuer, et cette année, pour la Noël, il n'y en aura plus."
Le mot "pommes de terre" intrigue Mélanie. En patois, on dit "là truffa". Et le mot "pommes" n'évoque pour elle que le fruit du pommier. Elle se tourne donc vers Maximin pour lui demander une explication. Mais la dame la prévient :
"Vous ne comprenez pas, mes enfants ?
Je m'en vais vous le dire autrement."
"Si la recolta se gasta nei rien qué per vous aoutres. Vous laiéou fa véire l'an passa per là truffà..." etc...
"Si ava de bla, foou pas lou semena..
Si vous avez du blé, il ne faut pas le semer. Tout ce que vous sèmerez, les bêtes le mangeront, et ce qui viendra tombera en poussière quand vous le battrez."
"Si ils se convertissent, les pierres et les rochers deviendront des monceaux de blé
et les pommes de terre seront ensemencées par les terres.
Faites-vous bien votre prière, mes petits ?"
Les deux enfants répondent : "Pas guère Madame".
"Ah! mes petits, il faut bien la faire, soir et matin,
ne diriez-vous qu'un Pater et un Ave Maria (un Notre père et un Je vous salue) quand vous ne pourrez pas mieux faire.
Et quand vous pourrez mieux faire, dites-en davantage."
"L'été, il ne va que quelques femmes un peu âgées à la messe. Les autres travaillent le dimanche tout l'été. L'hiver, quand ils ne savent que faire, ils ne vont à la messe que pour se moquer de la religion. Le carême, ils vont à la boucherie, comme les chiens.
N'avez-vous jamais vu du blé gâté, mes petits ?"
"Non, madame" répondent-ils.
Alors elle s'adresse à Maximin :
"Mais toi, mon petit, tu dois bien en avoir vu, une fois, vers le Coin, avec ton papa. Le maître du champ dit à ton papa d'aller voir son blé gâté. Vous y êtes allés. Il prit deux, trois épis dans sa main, les frotta, et tout tomba en poussière. En vous en retournant quand vous n'étiez plus qu'à une demi-heure loin de Corps, ton papa te donna un morceau de pain en te disant: "Tiens, mon petit, mange encore du pain cette année, que ne je sais pas qui va en manger l'an que vient si le blé continue comme ça".
Maximin répond :
"C'est bien vrai, Madame, je m'en souviens maintenant, tout à l'heure, je ne m'en souvenais pas". Et la Belle Dame de conclure non en patois, mais en français :
"Eh bien, mes enfants, vous le ferez passer à tout mon peuple."
Le jugement de l'église
Le 19 septembre 1851, Mgr. Philibert de Bruillard, évêque de Grenoble, publie enfin son "mandement doctrinal".
En voici le passage essentiel:
"Nous jugeons que l'apparition de la Sainte Vierge à deux bergers, le 19 septembre 1846, sur une montagne de la chaîne des Alpes, située dans la paroisse de La Salette, de l'archiprêtré de Corps, porte en elle-même tous les caractères de la vérité, et que les fidèles sont fondés à la croire indubitable et certaine".
Le retentissement de ce mandement est considérable.
De nombreux évêques le font lire dans les paroisses de leurs diocèses.
La presses s'en empare.
Traduit en plusieurs langues, il paraît notamment dans l'Osservatore Romano du 4 juin 1852.
Les lettres de félicitations affluent à l'évêché de Grenoble.
L'expérience et le sens pastoral de Philibert de Bruillard ne s'arrêtent pas là. Le 1er mai 1852, il publie un nouveau mandement annonçant la construction d'un sanctuaire sur la montagne de La Salette et la création d'un corps de missionnaires diocésains qu'il nomme "les Missionnaires de Notre Dame de La Salette". Mais il ajoute : "La Sainte Vierge a apparu à La Salette pour l'univers entier, qui peut en douter ?"
L'avenir allait confirmer et dépasser ces attentes. Le relais étant assuré, on peut dire que Maximin et Mélanie ont rempli leur mission.
Le 19 septembre 1855, Mgr. Ginoulhiac, nouvel évêque de Grenoble, résumait ainsi la situation : "La mission des bergers est finie, celle de l'Église commence".
Mélanie Calvat naquit à Corps (Isère), le 7 novembre 1831. Elle est la 4ème d'une famille de 10 enfants.
Son père, Pierre Calvat, est un homme respecté des gens du pays. Mais le travail manquant dans le village, il devait s'absenter souvent pour trouver ailleurs de quoi subvenir aux besoins de la famille.
Sa mère, Julie Barnaud, frivole et négligente de ses devoirs au sein du foyer, aurait voulu entraîner sa fille encore bébé aux danses et divertissements du village. Mais Dieu avait prédisposé cette enfant à une aversion innée pour toutes les vanités mondaines; les cris et les larmes de Mélanie forçaient sa mère à la ramener à la maison. Sa mère se mit à détester sa fille et la chassa de la maison à plusieurs reprises, la pauvre errante trouva sa consolation en Jésus, caché sous les traits d'un aimable enfant Se nommant son frère; Celui-ci Se fit son compagnon dans la solitude des champs et des forêts, la dirigeant jusqu'aux sommets de la vie mystique.
Dès que l'enfant fut en âge, sa mère l'envoyait en service comme bergère chez divers maîtres des régions avoisinantes. Ce fut ainsi qu'elle se trouva sur la montagne de La Salette, en compagnie de Maximin Giraud, où la Reine du ciel leur apparut en pleurs, le 19 septembre 1846. Elle confia aux deux jeunes bergers un message public; puis à Maximin seul, un secret; ensuite à Mélanie un message qu'elle pourrait publier en 1858, ainsi que la Règle qui devait être pratiquée par les futurs fils et filles de l'Ordre de la Mère de Dieu. En même temps elle contemplait dans une vision prophétique la vie et les œuvres de ces nouveaux Apôtres.
L'Apparition vint bouleverser le mode de vie de celle qui avait passé ses quatorze premières années dans la retraite, loin du monde. La mission de Mélanie fut des plus pénibles. En transmettant les reproches et les volontés du Ciel, l'héroïque messagère se condamna pour la vie aux constantes et vindicatives persécutions d'un certain clergé, trop imbu de lui-même pour recevoir, par l'intermédiaire de cet humble instrument, les remontrances de la Vierge et répondre à Ses désirs. Calomniée, méprisée, méconnue, Mélanie, sans fléchir, travailla néanmoins jusqu'à la fin de sa vie à la formation de l'Ordre des Apôtres. Plusieurs tentatives de fondation, rapidement réduites à néant par un Épiscopat hostile, nous ont valu cependant une précieuse correspondance dans laquelle la Bergère expose, avec une sublime simplicité, l'esprit que la Vierge Marie veut voir régner chez les nouveaux Apôtres.Les persécutions condamnèrent Mélanie à une vie errante pour laquelle elle fut, de surcroît, taxée d'inconstance. Partout où elle passa, elle laissa le parfum exquis de toutes les vertus, se distinguant surtout dans la pratique de l'humilité et de l'amour de la croix. Pour préparer la venue des Apôtres des Derniers Temps, Dieu ne pouvait susciter une âme plus crucifiée, plus oublieuse d'elle-même. La Servante de Dieu écrit : «C'est à l'école du Calvaire que l'on apprend la rare science de l'amour des souffrances et du vrai anéantissement de soi.»
Son adolescence a été difficile. Dans les trois années qui suivent celle de l'Apparition, il perd son demi frère Jean-François, sa belle-mère Marie Court et son père le charron Giraud. Il est mis sous la tutelle du frère de sa mère : l'oncle Templier, un homme rude et calculateur. Il ne fréquente pas beaucoup l'école qui n'est pas obligatoire. La Sœur Sainte Thècle qui veille sur lui l'appelle "le mouvement perpétuel."
Quelques partisans d'un soi-disant fils de Louis XVI, veulent l'utiliser à des fins politiques. Maximin les mystifie avec des balivernes. Contre les conseils du curé de Corps et outrepassant l'interdiction de l'évêque de Grenoble, ils emmènent l'adolescent à Ars. Celui-ci n'aime pas leur compagnie mais apprécie l'occasion de voir du pays. Ils sont reçus par l'imprévisible abbé Raymond, qui dit que les évènements de La Salette sont de la supercherie et que les voyants sont des menteurs.
Durant la matinée du 25 septembre 1850, le curé d'Ars rencontre 2 fois Maximin, dans la sacristie puis au confessional, mais sans confession. Qu'a pu ranconter l'adolescent exaspéré ? Le résultat est que durant des années le saint curé ne cessera de douter et de souffrir.
Après le mandement du 19 septembre 1851, il renverra ses interlocuteurs au jugement de l'évêque responsable. Il mettra plusieurs années avant d'y acquiescer lui-même, et de retrouver la paix.
Quant à Maximin, tout en affirmant qu'il ne s'est jamais démenti il aura bien du mal à justifier son comportement. Il suffit d'énumérer les lieux où il est passé pour réaliser à quel point le jeune homme a été trimballé. Du petit séminaire de Grenoble ( Le Rondeau) à la Grande Chartreuse, de la cure de Seyssin à Rome. De Dax et Aire-sur-Adour au Vésinet, puis au collège de Tonnerre, à Petit Juy en Josas près de Versailles et à Paris. Séminariste, aide dans un hospice, étudiant en médecine, ratant son baccalauréat, il travaille dans une pharmacie, s'engage comme zouave pontifical, résilie son contrat au bout de 6 mois et retourne à paris. Le jounal "La Vie Parisienne" ayant attaqué La Salette et les deux voyants, Maximin porte plainte et obtient un rectificatif.
En 1866, il publie un opuscule "Ma profession de foi sur l'apparition de Notre Dame de La Salette". Durant cette période, M. et Mme Jourdain, un couple tout dévoué à son service, lui assure un semblant de stabilité et paie ses dettes au risque de se ruiner.
Maximin accepte alors d'être l'associé d'un marchand de liqueurs qui utilise sa notoriété pour augmenter ses ventes.
En 1870, il est mobilisé au Fort Barrau à Grenoble. Enfin il rejoint Corps où les époux Jourdain viennent le retrouver. Tous trois vivent pauvrement, aidés par les Pères du Sanctuaire avec l'accord de l'évêché.
En novembre 1874, Maximin monte au pèlerinage de La Salette. Devant un auditoire particulièrement attentif et ému, il refait le récit de l'Apparition comme au premier jour. Ce sera la dernière fois.
Le 2 février 1875, il se rend aussi pour la dernière fois à l'église paroissiale.
Le soir du 1er mars 1875, Maximin se confesse, reçoit la sainte communion et boit un peu d'eau de La Salette pour avaler l'hostie. Cinq minutes plus tard, il meurt. Il n'a pas encore 40 ans. Sa dépouille repose au cimetière de Corps mais son coeur est dans la basilique de La Salette près de la console de l'orgue. C'était sa dernière volonté, pour marquer son attachement à l'Apparition:
"Je crois fermement, même au prix de mon sang, à la célèbre Apparition de la Très Sainte Vierge sur la Sainte Montagne de La Salette, le 19 septembre 1846, Apparition que j'ai défendue par paroles, par écrits et par souffrances. Dans ces sentiments, je donne mon coeur à Notre Dame de La Salette."
Après sa mort, il fut béatifié.
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