• Saint Jean l'Aumônier, Patriarche d'Alexandrie († 636)

     
     
    Saint Jean l'Aumônier († 636)
    Patriarche d'Alexandrie
     
     
     Image illustrative de l'article Jean l'Aumônier

    Saint Jean l'Aumônier, de Titien (Église San Giovanni in Bragora, Venise, Italie)

     
     
     

    Jean l'Aumônier, Jean V d'Alexandrie ou Jean de Chypre, appelé aussi Jean le Miséricordieux, né dans la seconde moitié du VIe siècle et mort entre 616 et 621 sur l'île de Chypre, est patriarche d'Alexandrie de 610 à sa mort.

    Saint patron de la ville de Casarano, il est fêté le 11 janvier par l'Église catholique et le lendemain par l'Église orthodoxe.

    Biographie

    Entre 550 et 556, Jean naquit à Chypre près de Limassol où son père Épiphane était préfet.

    Il se maria, et devint lui-même père de famille de deux enfants, et fonctionnaire impérial.

    Se retrouvant assez vite privé des siens, veuf et seul, il commença une vie de solitaire se montrant sensible envers les nécessiteux.

    Il se fit de plus en plus connaître pour ses actes de charité et ses qualités spirituels lui valurent l'honneur des hommes.

    D'autre part, il était un proche de l'empereur Héraclius, et uni avec le cousin de ce dernier, le patrice Nicétas, par un lien de parenté ou de fraternité spirituelle. Lorsque le trône patriarcal d'Alexandrie devint vacant, Héraclius lui demanda d'aller occuper la charge.

    Il assuma dignement son service épiscopal, se préoccupant du bien-être moral et dogmatique de son troupeau. En tant que patriarche, il dénonça toutes les hérésies qui lui semblaient détruire l'âme, et lutta contre le monophysisme en chassant d'Alexandrie l'un de ses représentants Phyllonos d'Antioche.

    Son autre action importante concerna les pauvres de son diocèse. Son hagiographe Léontios raconte que dès le début de son patriarcat, Jean ordonna aux économes et au chef de la police de dresser une liste des pauvres qui avaient besoin d'une aide quotidienne, notamment pour signaler à l'opinion publique le fait que l'activité caritative serait l'une de ses priorités. Il en fut compté sept mille cinq cents. Jean les logea tous dans son palais patriarcal et la nourriture ne manqua jamais grâce aux prières et miracles de celui-ci.

    Lors de l'invasion de la Palestine par les Perses, de nombreux réfugiés vinrent se cacher à Alexandrie qui était alors la deuxième cité de l'Empire romain. Jean les accueillit chez lui avec une grande générosité. De même, il visita les hospices, soigna lui-même des blessés, créa plusieurs hôpitaux et fonda la première maternité pour que les femmes accouchent dignement.

    D'après la Légende dorée, il donna tout ce qu'il possédait aux pauvres, qu'il appelait ses « seigneurs ». Un riche, qui vit que Jean n'avait sur son lit plus que des guenilles, lui offrit une couverture très précieuse. Mais durant la nuit qui suivit, Jean ne put dormir en songeant à tous ses « seigneurs » qui auraient pu être couverts grâce à sa valeur, aussi le lendemain la vendit-il et distribua l'argent aux pauvres. Le riche le découvrit, et lui racheta une couverture, que Jean revendit aussitôt. Le riche racheta encore une couverture, en disant à Jean : « Nous verrons qui se lassera, toi de vendre, ou moi de racheter ».

    Quand arrivèrent à Alexandrie des populations qui avaient fui la Syrie occupée par les Perses, les blessés et malades furent accueillis, les autres réfugiés bénéficiant de distributions en faveur des pauvres.

    Jean aurait envoyé chez les Perses des hommes chargés de récupérer les prisonniers en échange d'argent. Il envoya également des moyens (or, blé, huile, vin, vêtements) en Palestine occupée par les Perses pour aider les chrétiens et les nonnes. Il apporta son soutien aux moines basiliens de Saint Lazare au Moyen-Orient. Il a également été le premier mécène de l'hôpital fondé par les marchands amalfitains à Jérusalem.



     Monument funéraire et retable de St Jean l'Aumônier

    Église San Giovanni in Bragora, Venise

    Par Didier Descouens — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=35692763


    Lorsque les Perses envahirent à son tour l'Égypte et menacèrent Alexandrie, voyant ses habitants commencer à fuir, Jean et Nicétas partir pour Constantinople afin de solliciter un envoi immédiat de troupes pour défendre la ville. Mais faisant une halte sur son île de naissance, il mourut soudainement dans sa ville d'Amathonte. La date estimée est 619 (entre 616 et 621).

    Postérité

    Après sa mort, il fut appelé Jean le Miséricordieux, et proclamé saint par les Églises catholique et orthodoxe. Ses reliques furent transportées d'Alexandrie à Venise en 1249, où son corps intact et quelques vêtements sont encore vénérés dans une chapelle à droite du chœur de l'église San Giovanni in Bragora.

    La vie de Jean l'Aumônier a été écrite dans deux hagiographies, celle de Jean Moschus et de Sophrone de Jérusalem qui ont fait un bref résumé de sa vie, perdu, et celle de l'évêque Léontios de Néapolis qui en a fait un récit plus important en 640. Léontios n'a pas connu personnellement Jean l'Aumônier, et les passages où il peut raconter l'avoir connu sont en fait des artifices littéraires, courants à l'époque.

    Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_l'Aum%C3%B4nier

     

     

    Saint Jean l’aumônier, patriarche d'Alexandrie, étant une nuit en oraison; vit auprès de lui une jeune personne d'une beauté extraordinaire qui portait sur la tête une couronne d'olives. A sa vue, il fut gravement saisi et il lui demanda qui elle était. Elle répondit :

     

    * Tiré des Vies des Pères du désert.

     

    214

     

     « Je suis la miséricorde qui ai fait descendre du ciel le Fils de Dieu : prenez-moi pour épouse et vous vous en trouverez bien. » Il comprit donc que l’olive était le symbole de la miséricorde, et dès ce jour, il devint si miséricordieux, qu'il fut surnommé Eleimon, c'est-à-dire l’aumôniers Or, il appelait toujours les pauvres ses seigneurs, et c'est de là que les hospitaliers ont coutume jusqu'aujourd'hui de nommer les pauvres leurs seigneurs. Il convoqua donc torrs ses serviteurs et leur dit : « Allez parcourir la ville, et prenez par écrit le nom de tous mes seigneurs jusqu'au dernier. » Et comme ils ne comprenaient pas, il ajouta

    « Ceux que vous appelez pauvres et mendiants, je les proclame seigneurs et auxiliaires, car ce sont eux qui pourront véritablement nous aider et nous donner: le royaume du ciel. » Dans le but de porter les hommes à pratiquer l’aumône, il avait coutume de raconter que les pauvres, une fois, en se réchauffant au soleil, se mirent à parler entre eux de ceux qui leur faisaient l’aumône, louant les bons et méprisant les méchants. Il y avait donc un receveur des impôts, nommé Pierre, qui était fort riche et jouissait d'une grande autorité, mais d'une dureté extrême envers les Pauvres, car il repoussait avec une excessive indignation ceux qui s'approchaient de sa maison. Or, comme il s'était trouvé que pas un d'eux n'avait reçu l’aumône chez lui, il y en eut un qui dit : « Que voulez-vous me donner, si moi-même aujourd'hui, je reçois une aumône de ses mains ? » Et après en avoir fait le pari entre eux, il vint à la maison de Pierre demander l’aumône. Or, celui-ci, rentrant chez soi, vit le pauvre (215) à sa porte, au moment qu'un de ses serviteurs apportait dans sa maison des pains de première qualité : le riche, ne trouvant pas de pierre, saisit un pain et le jeta sur-le pauvre avec fureur ; celui-ci s'en saisit aussitôt, et revint trouver ses compagnons en leur montrant l’aumône qu'il avait reçue de la main du receveur. Deux jours après, celui-ci fut pris d'une maladie mortelle, et il se vit conduit au jugement. Or, il y avait des Maures qui pesaient ses mauvaises actions dans le plateau d'une balance ; du côté de l’autre plateau, se trouvaient debout d'autres personnes habillées de blanc pleines de tristesse de ce qu'elles ne savaient où trouver :quoi que ce soit à mettre en contre-poids. Alors l’une d'elles dit: « Vraiment nous n'avons rien qu'un pain de fleur de farine qu'il a donné par force à J.-C. il y à deux jours. » Quand ils l’eurent mis dans la balance, il lui sembla que l’équilibre s'établissait et elles lui dirent : « Ajoute, à ce pain de froment, autrement les Maures t'emporteront. » A son réveil, Pierre se trouva délivré et dit : « Ha ! si un seul pain' que j'ai jeté par colère,  m’a tant valu, quel avantage retirer en donnant tous ses biens aux indigents! » Un jour donc que, revêtu de vêtements de grand,prix, il allait dans la rue, un homme qui avait fait naufrage lui demanda quelque habillement. Tout aussitôt il se dépouilla de son vêtement précieux et le lui donna. Le naufragé le prit et alla le vendre. Or, en rentrant cirez lui, le receveur, qui vit son vêtement suspendu à sa place, fut saisi de tristesse, au point de ne vouloir pas prendre de nourriture : « C'est, dit-il, parée que je n'ai pas été digne que ce pauvre eût eu un souvenir (216) de moi. » Mais pendant son sommeil, il vit un personnage plus brillant que le soleil, avec une croix sur la tète, portant sur lui le vêtement qu'il avait donné au pauvre, lui disant : « Qu'as-tu à pleurer, Pierre ? » Celui-ci lui ayant raconté- la cause de sa tristesse, le personnage ajouta. « Reconnais-tu ceci ? » « Oui, Seigneur, répondit-il. » Et le Seigneur lui dit : « Je l’ai porté depuis que tu me l’as donné; et je te remercie de ta bonne volonté, parce que j'étais gelé de froid et tu m’as revêtu. » Etant donc revenu à lui, il commença à faire du bien aux pauvres : « Vive le Seigneur ! disait-il, je ne mourrai point que je ne sois devenu l’un d'eux. » Il donna donc tout ce qu'il possédait aux pauvres, fit venir son notaire et lui dit: « Je veux te confier un secret ; que si tu le divulgues, ou si tu ne consens pas à ce que je te vais dire, je te vendrai aux barbares. » Et en lui donnant dix livres d'or, il ajouta : « Va à la ville sainte, achète-toi des marchandises, vends-moi à quelque chrétien et puis distribue le prix aux pauvres. » Or, comme le notaire s'y refusait, il ajouta : «Si tu ne  m’obéis pas, je te vendrai aux barbares. » Alors celui-ci l’emmena, comme il avait été dit, le couvrit de haillons, le vendit comme un de ses esclaves, et donna aux pauvres trente pièces de monnaie, prix de son marché. Or, Pierre s'acquittait des plus vils emplois, en sorte qu'il était l’objet du mépris général. Les autres esclaves le battaient à chaque instant, et on en était venu à le traiter de fou. Mais le Seigneur lui apparaissait souvent et le consolait en lui montrant ses vêtements et les trente deniers. Cependant l’empereur et tout le monde étaient (217) dans la douleur d'avoir perdu un homme si recommandable, quand plusieurs de ses voisins, qui passèrent par Constantinople pour aller visiter les saints lieux, furent invités à table par son maître. Ils se disaient les uns aux autres à l’oreille : « Comme cet esclave ressemble au seigneur Pierre le receveur, » et l’un. d'eux dit aux autres qui l’examinaient avec curiosité: « Vraiment, c'est bien le seigneur Pierre, je vais me lever et le saisir. » Pierre s'en étant avisé, s'enfuit en cachette. Or, le portier était sourd et muet, et un signe devenait nécessaire pour qu'il ouvrît la porte; Pierre lui demanda, non par signes, mais de vive voix, de. lui ouvrir. A l’instant, le portier recouvre l’ouïe et la parole, et ouvre en lui répondant ; puis il rentre aussitôt dans la maison et dit à tous ceux qui étaient émerveillés de l’entendre : « Celui qui faisait la cuisine est sorti et a pris la fuite : mais prenez garde; c'est un serviteur de Dieu ; car lorsqu'il  m’a dit

    « Ouvre, te dis je, » tout à coup de sa bouche est sortie une flamme qui a touché ma langue et mes oreilles et à l’instant j'ai recouvré l’ouïe et la parole. » Tous sortirent pour courir après lui, mais il était trop tard pour pouvoir le trouver. Alors les gens de la maison firent pénitence d'avoir traité si indignement un homme si recommandable.

    Un moine, nommé Vitalis, voulut éprouver si saint Jean se laissait influencer par les mauvais propos et s'il se scandalisait facilement. Il alla donc dans la ville et inscrivit sur une liste toutes les femmes de mauvaise vie. Or, il entrait chez elles successivement et disait à chacune : « Donnez-moi cette nuit et ne forniquez (218) pas. » Pour lui, à peine entré, il se retirait dans.,un coin, se mettait à genoux, passait toute la nuit en oraison, et priait pour la femme; le matin, il sortait en recommandant à chacune,de ne révéler cela à qui que ce fût. Cependant, une d'elles dévoila sa manière d'agir, mais aussitôt, à la prière du vieillard, elle fut tourmentée, par le démon. Tous lui dirent: « Tu as reçu de Dieu ce que tu méritais pour avoir menti, car c'est pour forniquer que ce scélérat entre chez toi, ce n'est pas pour un autre motif. » Lorsque le soir était venu, Vitalis disait à tous ceux qui voulaient l’entendre : « Je veux  m’en aller, car telle femme  m’attend. » Beaucoup de personnes lui faisaient un crime de sa conduite, mais il leur répondait: « N'ai-je pas un corps comme tout le inonde? Est-ce que Dieu se fâcherait seulement contre les moines ? Et eux aussi, ils sont véritablement des hommes comme les autres. » Quelques-uns lui disaient: « Révérend Père, prenez une femme, et changez d'habit, afin de ne point scandaliser le monde. » Alors il feignait d'être en colère et répondait : « Mais vraiment, je n'ai que faire de vous écouter ; allez-vous-en. Que celui qui veut se scandaliser, se scandalise et qu'il se brise le front contre la muraille. Dieu vous a donc établis mes juges ? Allez, et mêlez-vous de vos affaires ; vous ne répondrez pas pour moi. » Or il disait cela tout haut. Et lorsqu'on s'en plaignit a saint Jean, Dieu lui endurcit le cœur pour n'ajouter pas foi à ces récits. Mais Vitalis priait Dieu, qu'après sa mort, ses actions fussent révélées à quelqu'un, afin qu'elles ne fussent pas, imputées à péché à ceux qui s'en scandalisaient. (219) Or, il amena beaucoup de ces femmes à se convertir et il en plaça plusieurs dans un monastère. Un matin qu'il sortait de chez une d'entre elles, il se rencontra avec quelqu'un qui entrait pour forniquer avec elle, et qui lui donna un soufflet en disant: « Scélérat, quand te corrigeras-tu de tes infâmes désordres? » Et il répondit: « Crois-moi, je te rendrai un tel soufflet que je ferai rassembler tout Alexandrie. » Et voici que presque aussitôt le diable; sous la forme d'un Maure, lui donne un soufflet en disant : « C'est le soufflet que t'adresse l’abbé Vitalis: » A l’instant, il est tourmenté par le démon, au point qu'à ses cris tout le monde accourait ; cependant, il fit pénitence et fut délivré à la prière de Vitalis. Quand cet homme de Dieu fut arrivé à l’article de la mort, il laissa ces mots par écrit : « Ne jugez pas avant le temps. » Or, quand toutes les femmes déclarèrent comment il agissait, tous louaient Dieu, avec saint Jean qui disait le premier : « J'aurais reçu moi-même le soufflet que cet autre a reçu. »

    Un pauvre, en habit de pèlerin, vint demander l’aumône à saint Jean, qui appela son trésorier et lui dit: « Donnez-lui six pièces. » A peine le pèlerin les eut-il reçues qu'il s'en alla, changea d'habits et vint encore une fois demander l’aumône à l’évêque. Celui-ci dit à son trésorier qu'il manda : « Donnez-lui six pièces d'or. » Et quand il les lui eut données et que le pauvre fut éloigné, son trésorier lui dit : « Comme vous  m’en avez prié Père, cet homme, après avoir changé d'habits, a reçu aujourd'hui double aumône.» Or, le bienheureux Jean fit comme s'il n'en savait rien. (220) Une troisième fois, le pèlerin changea encore d'habit, vint trouver saint Jean et lui demanda l’aumône. Alors le trésorier toucha le saint pour lui faire signe que. c'était encore le même. Jean répondit : « Allez lui donner douze pièces, de peur que ce ne soit mon Seigneur J.-C. qui veut  m’éprouver et savoir s'il se fatiguera plutôt de demander que moi de donner. » Une fois un seigneur voulait employer eh achat de marchandises une somme d'argent appartenant à l’Eglise, et le saint n'y voulait absolument pas consentir, dans l’intention de la donner aux pauvres. Après bien des contestations, ils se quittèrent irrités l’un contre l’autre. La neuvième heure étant arrivée, le patriarche envoya dire à ce seigneur par son archiprêtre : « Seigneur, le soleil vase coucher. » En entendant cela, celui-ci, ému jusqu'aux larmes, vint le trouver pour lui faire ses excuses.

    Son neveu avait reçu une grave injure d'un marchand et s'en plaignait avec larmes au patriarche sans pouvoir se consoler. Le patriarche répondit : « Et comment avoir eu l’audace de te contredire et d'avoir ouvert la bouche contre toi ? Crois, mon fils, à mon indignité, crois que je lui ferai telle chose que tout Alexandrie en sera étonnée. » En entendant ces paroles, le, neveu fut consolé dans la pensée que son oncle ferait fouetter durement ,le marchand. Jean, le voyant consolé, le serra contre son coeur en disant : Mon fils, si tu es vraiment le neveu de mon humilité, apprête-toi à être flagellé et à souffrir les insultes des hommes. La vraie parenté n'est pas dans le sang ni. la chair, mais elle se reconnaît à la force du (221) caractère. » A l’instant, le neveu envoya chez le marchand et le tint quitte de toute amende et compensation. Cette bonne oeuvre excita l’admiration générale et-on comprit ce qu'avait dit le saint: « Je ferai de lui telle chose que tout Alexandrie en sera étonnée. » Le patriarche apprit que, après le couronnement de l’empereur, c'était la coutume que les ouvriers en monuments prissent quatre ou cinq petits morceaux de marbre de différente couleur et vinssent trouver l’empereur en lui demandant de quel marbre ou de quel métal Sa Majesté voulait qu'on fît son monument funéraire. Saint Jean imita cette coutume et commanda de lui construire son tombeau, mais il voulut qu'il restât inachevé jusqu'à sa mort; et il donna commission à ceux qui l’approchaient dans les grandes cérémonies, des jours de fête de lui dire : « Seigneur, votre tombeau n'est as terminé, faites-le achever, car vous ne savez pas à quelle heure doit venir le larron. »

    Ayant remarqué que le bienheureux Jean n'avait que vils lambeaux pour lit, parce qu'il s'était dépouillé pour les, pauvres, un homme riche acheta une couverture de grand prix et la- lui envoya. Comme il s'en était couvert la nuit, il ne put jamais dormir en pensant que trois cents de ses seigneurs pourraient se couvrir avec le prix qu'avait coûté cette courtepointe. Il passa la nuit entière à se lamenter en disant : « Combien de gens qui n'ont pas soupé, combien de gens percés par la pluie sur la place publique, combien dont les dents claquent de froid, se sont couchés pour dormir aujourd'hui, et toi, tu dévores les gros poissons, tu te reposes dans un beau lit avec tous tes (222) péchés ; et tu te réchauffes sous une couverture de trente-six pièces d'argent ! Le pécheur Jean ne s'en couvrira plus une autre fois ! » Et, dès le matin, il la fit vendre et en donna l’argent aux pauvres. Le riche l’ayant su, acheta la même couverture une seconde fois, et la donna au bienheureux Jean avec prière de ne plus la vendre à l’avenir et de la garder pour son usage. Mais celui-ci la fit vendre de nouveau et en donna le prix à ses seigneurs. Le riche alla encore une fois la racheter, la porta chez le bienheureux Jean et lui, dit avec l’expression du bonheur: « Nous verrons qui se lassera, vous de la vendre, ou moi de la racheter. » Il s'en tirait agréablement avec le riche en disant que fon peut, avec l’intention de faire l’aumône, dépouiller les riches de cette manière, et ne pas pécher. C'est gagner deux fois : la première en sauvant leurs âmes, la seconde en leur procurant par là une large récompense. Pour exciter à faire l’aumône, il avait la coutume de raconter que saint Sérapion venait de donner son manteau à un pauvre quand il s'en présenta un autre qui gelait de froid ; il lui donna encore sa tunique, puis il s'assit tout nu en tenant le livre de l’Evangile. Quelqu'un lui demanda : « Père, qui donc vous a dépouillé? » « Voici, dit-il en montrant l’Évangile, celui qui  m’a dépouillé. » Ailleurs, il vit' un autre pauvre, vendit l’Evangéliaire même et en donna le prix au pauvre. Comme on lui demandait où il en aurait un autre, il répondit : « Voilà ce que commande l’Évangile : « Allez; vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres ». J'avais l’Évangile lui-même, je l’ai vendu, ainsi qu'il le recommandait. »

    223

    Le bienheureux Jean fit donner cinq deniers à un mendiant qui, indigné de n'avoir pas reçu davantage, se mit à dire du mal de lui et à l’insulter en sa présence. Les gens du saint, témoins de cette scène, voulurent se jeter sur le mendiant et le maltraiter; le bienheureux Jean s'y opposa absolument. « Laissez, dit-il, mes frères, laissez-le me maudire. Voici que j'ai soixante ans pendant lesquels j'ai outragé J.-C. par mes oeuvres, et je ne pourrais pas supporter une injure de cet homme! » Il fit apporter sa bourse devant lui pour lui laisser prendre ce qu'il voulait. Après la lecture de l’Évangile, le peuple sortait de l’église, et restait dehors à dire des paroles oiseuses ; une fois, après l’évangile, le Patriarche sortit et s'assit au milieu de la foule. Tout le monde,en fut surpris: « Mes enfants, dit-il alors, où sont les brebis, là est le pasteur, ou bien entrez donc et j'entrerai avec vous, ou bien demeurez ici et j'y resterai aussi. » Il fit cela une ou deux fois, et il apprit ainsi au peuple à rester dans l’église. Un jeune, homme avait enlevé une religieuse et les clercs blâmaient cette action devant le bienheureux Jean, en disant qu'il méritait d'être excommunié parce qu'il perdait deux âmes, la sienne et celle de la religieuse. Le bienheureux Jean les calma en disant : « Ce n'est pas cela, mes enfants, ce n'est pas cela. Permettez que je vous montre que vous commettez, vous, deux péchés ; le premier, en allant contre le précepte du Seigneur qui dit : « Ne jugez point et vous  ne serez pas jugés» : le second, parce que vous n'êtes pas certains s'ils continuent de pécher encore aujourd'hui et s'ils ne se repentent point. » Le bienheureux (224) Jean, dans ses prières et dans ses extases, fut entendu en discussion avec Dieu et disant ces paroles : « Oui, oui, bon Jésus, nous verrons qui l’emportera de moi qui donnerai ou de vous qui me fournissez de quoi donner. » Saisi par la fièvre et se voyant près de mourir, il dit : « Je vous remercié, ô mon Dieu, d'avoir exaucé ma misère qui priait votre bonté qu'on ne trouvât qu'une seule obole à ma mort. Je veux qu'on la donne aux pauvres. » On plaça son corps vénérable dans un sépulcre où avaient été inhumés les corps de deux évêques, et ces corps se reculèrent miraculeusement pour laisser la place du milieu d'eux au bienheureux Jean. Quelques jours avant sa mort, une femme, qui avait commis un péché énorme, n'osait s'en confesser à personne : saint Jean lui dit qu'au moins, elle l’écrivît (car elle savait écrire), lui apportât le pli scellé, et qu'il prierait pour elle. Elle y consentit, et après avoir écrit son péché, elle le scella avec soin et le remit à saint Jean. Mais peu de jours après, saint Jean tomba malade et passa au Seigneur. Aussitôt que la femme apprit sa mort, elle se crut déshonorée et perdue, dans la conviction qu'il avait confié son écrit à quelqu'un et qu'il était passé entre les mains d'un tiers. Elle va au tombeau de saint Jean et là elle répand un torrent de larmes en criant: « Hélas! Hélas ! en pensant éviter la confusion, je suis devenue une confusion à l’esprit de tous.» Or, comme elle pleurait très amèrement et qu'elle priait saint Jean de lui- indiquer où il avait déposé son écrit, voilà que saint Jean sortit en habits pontificaux de, son cercueil, ayant à ses côtés les deux évêques qui reposaient avec lui, et qui (225) dit à la femme: « Pourquoi nous importuner de la sorte et pourquoi ne pas nous laisser en repos moi et les saints qui sont avec moi ? Voici que nos ornements sont tout mouillés de tes larmes. » Et il lui remit son écrit scellé comme il était précédemment, en lui disant : « Vois ce sceau, ouvre ton écrit et lis. » En l’ouvrant, elle trouva son péché entièrement effacé ; et elle lut ces mots écrits à la place : « A cause de Jean, mon serviteur, ton péché est effacé. » Ainsi elle remercia beaucoup Dieu; et le bienheureux Jean rentra dans son tombeau avec les autres évêques. Il mourut environ vers l’an du Seigneur 605, au temps de l’empereur Phocas.

    Source : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/voragine/tome01/030.htm

    En savoir plus : http://magnificat.ca/cal/fran/04-09.htm

    La légende dorée : Saint Jean l'aumônier

    I. Jean, patriarche d’Alexandrie, une nuit qu’il était en prière, vit une jeune fille merveilleusement belle qui se tenait debout près de lui et qui avait sur la tête une couronne d’olivier. Jean, stupéfait, lui demanda qui elle était, et la jeune fille lui répondit : « Je suis la miséricorde, c’est moi qui ai amené sur la terre le Fils de Dieu. Prends-moi pour femme et tu t’en trouveras bien ! » Et en effet, Jean devint depuis lors si miséricordieux qu’il fut appelé « Eleymon », c’est-à-dire l’aumônier. Il avait l’habitude d’appeler les pauvres « ses maîtres » ; et c’est à son exemple que les hospitaliers donnent aux pauvres le titre de « seigneurs ». Un jour, ayant rassemblé ses serviteurs, il leur dit : « Allez par toute la ville, et dressez-moi une liste de tous mes seigneurs. » Et comme on ne comprenait pas ce qu’il voulait dire, il reprit : « Ceux que vous appelez indigents et mendiants, je les appelle, moi, nos maîtres et seigneurs. Ce sont eux, en effet, qui, seuls, peuvent nous donner le royaume des cieux. » Et pour exhorter les fidèles à l’aumône, il avait l’habitude de leur raconter l’histoire que voici :

    Un jour, des mendiants se chauffaient au soleil, et s’amusaient à comparer le mérite des riches de la ville, louant les bons et blâmant les méchants. Vint à passer par là un receveur d’impôts nommé Pierre, homme riche et puissant, mais sans pitié pour les pauvres, et qui faisait chasser brutalement ceux qui mendiaient à sa porte. Les mendiants se trouvèrent d’accord pour constater que pas un d’entre eux n’avait jamais reçu de lui une aumône. Alors l’un d’entre eux dit à ses compagnons : « Voulez-vous gager avec moi que, aujourd’hui même, je me ferai donner une aumône par lui ? » La  gageure fut tenue, et le mendiant, s’avançant vers Pierre, lui demanda l’aumône. Or le receveur marchait accompagné d’un esclave qui portait des pains de seigle dans un panier ; et, dans sa colère, ne trouvant pas de caillou sous la main, il prit un pain dans le panier et le lança sur le mendiant. Celui-ci saisit le pain, et courut montrer à ses compagnons l’aumône qu’il avait reçue. Deux jours après, Pierre tomba malade et eut une vision. Il se vit comparaissant devant le tribunal suprême, et, sur l’un des plateaux de la balance, des diables tout noirs déposaient ses péchés, tandis que de l’autre côté se tenaient tristement des anges vêtus de blanc, ne trouvant rien à mettre pour faire contre-poids. Et l’un de ces anges dit : « En vérité nous n’avons rien à mettre sur ce plateau, si ce n’est un pain de seigle qu’il a donné au Christ il y a deux jours, et encore malgré lui ! » Et les anges mirent ce pain sur le plateau, et Pierre vit qu’il faisait contrepoids à tous ses péchés. Et les anges lui dirent : « Ajoute quelque chose à ce pain de seigle, si tu ne veux pas tomber entre les mains de tous ces méchants diables ! » Alors Pierre, s’éveillant, dit : « En vérité, si un seul pain de seigle, jeté par colère à un pauvre, m’a été d’un tel profit, combien davantage me profitera de donner tous mes biens aux pauvres ! » Donc, le jour suivant, comme il allait dans la rue, vêtu de son meilleur manteau, et qu’un naufragé lui demandait de quoi se couvrir, il se dépouilla de son manteau précieux et le lui donna ; mais le naufragé, aussitôt, courut le vendre à un brocanteur. Et Pierre, en voyant son manteau à l’étalage du brocanteur, s’affligea fort, se disant : « Je ne suis pas digne, même, qu’un mendiant garde rien en souvenir de moi ! » Mais la nuit suivante, il vit en rêve un inconnu qui brillait plus que le soleil, et qui avait une croix sur sa tête ; et il vit que cet inconnu portait sur ses épaules le manteau que lui, Pierre, avait donné au naufragé. Et l’inconnu lui dit : « De quoi t’affliges-tu ? » Pierre lui raconta alors la cause de sa peine. Et l’inconnu, qui était Jésus, lui dit : « Reconnais-tu ce manteau ? » Et lui : « Oui, Seigneur ! » Et le Seigneur : « Je m’en  revêts parce que tu me l’as donné ! J’avais froid et tu m’as couvert. Merci de ta bonne volonté ! » Alors Pierre, se réveillant, commença à bénir les pauvres, et dit : « Vive Dieu, je ne mourrai pas avant d’être devenu l’un d’entre eux ! » Il donna donc aux pauvres tout ce qu’il avait. Puis, appelant son notaire, il lui dit : « Emmène-moi à Jérusalem et vends-moi comme esclave à quelque chrétien, après quoi tu distribueras aux pauvres le prix de la vente ! » Et comme le notaire s’y refusait, Pierre lui dit : « Fais ce que je te demande, et voici de l’argent pour te récompenser ! Mais si tu ne le fais pas, c’est moi qui te vendrai aux barbares. » Alors le notaire le revêtit de haillons, le conduisit à Jérusalem, et le vendit à un argentier, moyennant trente pièces d’or qu’il distribua aux pauvres. Et Pierre, devenu esclave, se chargeait spontanément des tâches les plus viles, au point que les autres esclaves eux-mêmes se moquaient de lui, le battaient, et le méprisaient comme un fou. Mais le Seigneur lui apparaissait souvent, et le consolait en lui montrant les vêtements et tous les autres dons qu’il avait reçus de lui. Cependant, à Constantinople, qui était la patrie de Pierre, l’empereur et les citoyens déploraient sa disparition. Or, un jour, des habitants de Constantinople, venus à Jérusalem pour visiter les lieux sacrés, furent invités à dîner chez le maître de Pierre ; et ils se dirent à l’oreille : « Combien cet esclave que voici ressemble au noble Pierre, le receveur d’impôts ! » Et l’un d’eux, l’ayant bien observé, dit : « En vérité, c’est le seigneur Pierre lui-même ! Je vais aller à lui et je le ramènerai de force à Constantinople ! » Aussitôt l’esclave, se voyant découvert, s’enfuit. Le portier de la maison était sourd et muet ; mais Pierre, dès qu’il fut arrivé près de la porte, lui parla afin qu’il lui ouvrît. Et aussitôt le sourd-muet retrouva l’ouïe et la parole. Il ouvrit à Pierre, puis, abordant les autres esclaves, il leur dit : « L’esclave qui faisait la cuisine vient de s’enfuir ; mais c’était sans doute un esclave de Dieu et non de notre maître, car lorsqu’il m’a ordonné de lui ouvrir la porte, une flamme a jailli de sa bouche qui, touchant ma bouche et mes  oreilles, m’a aussitôt rendu la parole et l’ouïe. » Et tous, sortant de la maison, se mirent à la recherche du fugitif, mais sans pouvoir le retrouver. Sur quoi ils firent tous pénitence d’avoir traité avec mépris un homme de Dieu.

    II. Un moine nommé Vital eut l’idée d’éprouver saint Jean, pour voir si cet homme, d’ailleurs parfait, se laissait persuader par les on-dit, et était facilement accessible au scandale. Il se rendit donc à Alexandrie et se fit donner la liste de toutes les courtisanes. Puis, entrant chez elles tour à tour, il leur disait : « Donne-moi cette nuit, et, en échange de l’argent que je t’offrirai, consens à t’abstenir jusqu’à demain de toute fornication ! » Et il passait toutes les nuits chez ces courtisanes, mais agenouillé dans un coin de la chambre et priant pour elles ; et, le matin, il s’en allait en leur défendant de révéler ce qu’il avait fait. Il y eut cependant une de ces femmes qui divulgua la chose : et, en punition, un démon s’empara d’elle. Et tous lui disaient : « Tu n’as que ce que tu mérites, menteuse ! car ce mauvais moine est allé chez toi pour forniquer, et non pour autre chose ! » Et, tous les soirs, le moine Vital disait à ceux qui l’entouraient : « Il faut maintenant que je m’en aille, parce que telle ou telle courtisane m’attend ! » Et à ceux qui lui faisaient des reproches, il répondait : « N’ai-je pas un corps, comme tout le monde ? Et les moines ne sont-ils pas des hommes comme les autres ? » Alors on lui disait : « Défroque-toi plutôt, l’abbé, et prend une femme chez toi, afin de ne pas scandaliser les autres ! » Mais Vital, feignant la colère, leur répondait : « Laissez-moi tranquille, vous m’ennuyez ! Dieu vous a-t-il constitués mes juges ? Occupez-vous donc de vous-mêmes ! Personne ne vous demandera de rendre compte de moi ! » Il criait cela très haut, pour que le bruit en revînt à saint Jean ; et l’on pense bien que celui-ci ne fut pas longtemps à connaître le scandale de la ville. Mais, avec l’aide de Dieu, il sut endurcir son cœur au point de ne prêter aucune créance à tout ce que l’on disait de Vital.

    Et celui-ci, tout en continuant son manège, priait  Dieu que, après sa mort, le vrai sens de sa conduite pût être révélé à saint Jean et aux autres hommes. Il y eut une foule de courtisanes qui, grâce à lui, se convertirent et se vouèrent à la vie religieuse. Mais un matin, comme il sortait de chez l’une d’elles, il rencontra quelqu’un qui se rendait chez elle pour forniquer ; et cet homme donna au moine un soufflet, en disant : « Misérable, ne te corrigeras-tu donc jamais de ton immondice ! » Et Vital : « Mon ami je te revaudrai ce soufflet ! » Et en effet, quelques heures plus tard, voici qu’un diable, sous la forme d’un nègre, applique sur la joue de cet homme un terrible soufflet, en lui disant : « Reçois ce soufflet de la part de l’abbé Vital ! » Et ce diable s’empara de lui et le tourmenta si fort que la foule s’amassait à ses cris. Mais Vital, voyant son repentir, pria pour lui et obtint qu’il fût délivré. Puis, sentant approcher la mort, ce bon moine laissa un papier où était écrit : « Gardez-vous de juger personne trop tôt ! » Et, quand il fut mort, toutes les courtisanes révélèrent la pureté de sa conduite et tous, dans Alexandrie, glorifiaient Dieu à cette occasion, mais surtout saint Jean, qui disait : « Combien j’aurais voulu mériter de recevoir, à la place de Vital, le soufflet qu’il a reçu ! »

    III. Un pauvre vint à Jean en habit de pèlerin et lui demanda l’aumône. Jean dit à son économe : « Donne-lui six pièces d’argent ! » L’homme s’en alla alors changer d’habit et revint demander l’aumône au patriarche. Et celui-ci dit à son économe : « Donne-lui six pièces d’or ! » L’économe les lui donna, mais, quand le mendiant fut parti, il dit à Jean : « Père, cet homme est venu deux fois aujourd’hui sous des habits différents, et deux fois a reçu l’aumône ! » Mais saint Jean feignit de ne pas l’avoir reconnu. Et le mendiant, ayant changé d’habit une troisième fois, revint de nouveau lui demander l’aumône ; alors l’économe fit signe à saint Jean que c’était le même mendiant. Mais saint Jean lui répondit : « Va et donne-lui douze pièces d’or ; car qui sait si ce n’est pas mon Seigneur Jésus-Christ qui veut me tenter, pour voir qui se fatiguera le premier, lui de demander ou moi de donner ? »  

    IV. Un jour le patrice voulut employer à des achats une somme qui appartenait à l’église, et que le patriarche voulait faire distribuer aux pauvres. Les deux hommes discutèrent longtemps, et se séparèrent fâchés l’un contre l’autre. Mais, à l’approche de la neuvième heure, saint Jean fit dire au patrice par son archiprêtre : « Seigneur, le soleil va bientôt se coucher ! » Et le patrice, entendant ces paroles, fondit en larmes, et courut demander pardon à saint Jean.

    V. Un neveu de saint Jean avait été insulté par un boutiquier et était venu se plaindre à son oncle. Celui-ci lui répondit : « Comment est-ce possible que quelqu’un ait osé te contredire et ouvrir la bouche contre toi ? Mon fils, fie-toi à moi : je ferai aujourd’hui quelque chose dont la ville entière sera étonnée ! » Ce qu’entendant, le jeune homme fut consolé, croyant que son oncle allait faire fouetter l’impertinent. Mais saint Jean, le voyant consolé, lui dit : « Mon fils, si tu es vraiment le neveu de Mon Humilité, prépare-toi à recevoir le fouet en présence de tous ! Car la vraie parenté ne vient pas de la chair et du sang, mais se reconnaît à la vertu de l’âme. » Et il envoya chercher le boutiquier, et l’affranchit de tout tribut. Et tous comprirent ce qu’il avait voulu dire en annonçant qu’il ferait quelque chose dont la ville entière serait étonnée.

    VI. Apprenant que, dès qu’un empereur était couronné, on commençait à lui construire un tombeau de marbre et de métal, saint Jean se fit construire, lui aussi, un tombeau ; mais il ordonna qu’on le laissât inachevé, et que tous les jours, pendant qu’il officierait à la tête de son clergé, on vînt lui dire : « Hâte-toi de faire achever ta tombe, car tu ne sais pas à quelle heure la mort viendra te prendre ! »

    VII. Un homme riche fût peiné de voir que saint Jean couchait dans des draps grossiers ; et il lui fit don d’une couverture de grand prix. Mais le saint, ayant mis cette couverture sur son lit, ne put dormir de toute la nuit, tant le tourmentait la pensée que trois cents de ses « seigneurs » auraient eu de quoi se couvrir avec le prix de  cette couverture. Et il se disait en pleurant : « Combien d’hommes se sont couchés cette nuit sans avoir dîné, combien d’hommes sont exposés à la pluie, sur les places, et claquent des dents, au froid de la nuit ! Et toi, après avoir mangé d’excellents poissons, tu t’es couché avec tous tes péchés dans un lit, sous une couverture qui vaut trente-six deniers ! Non, non, le misérable Jean ne se couvrira plus de cette façon-là ! » Et, dès que le jour parut, le saint fit vendre la couverture, et en donna le prix aux pauvres. Et le riche, à cette nouvelle, acheta une seconde couverture et la donna au saint, le priant, cette fois, de la garder pour lui. Le saint prit la couverture, mais aussitôt la fit vendre, et en fit distribuer le prix aux pauvres. Le riche la racheta, la rapporta au saint et lui dit : « Nous verrons qui se fatiguera le premier, toi de revendre ou moi de racheter ! » Et le saint se complaisait à vendanger ainsi le riche, disant que ce n’était point pécher, mais bien agir, de dépouiller des riches avec l’intention de donner aux pauvres.

    VIII. Voulant engager les fidèles à l’aumône, saint Jean leur racontait souvent l’histoire de saint Sérapion. Celui-ci, ayant donné son manteau à un pauvre, rencontra un autre pauvre, qui souffrait du froid. Il lui donna alors sa tunique, et resta tout nu, tenant en main l’Évangile. Alors un passant lui demanda : « Abbé, qui t’a dépouillé ? » Et l’abbé, montrant l’Évangile, répondit : « Voici celui qui m’a dépouillé ! » Mais, voyant ensuite un autre pauvre, il alla vendre son Évangile pour lui en donner le prix. Et comme on lui demandait ce qu’il avait fait de son Évangile, il répondit : « Cet Évangile me disait : vends ce que tu possèdes et donnes-en le prix aux pauvres ! Or je n’avais que lui ! Pour lui obéir, je l’ai vendu ! »

    IX. Un mendiant à qui saint Jean avait fait donner cinq deniers, se fâcha de n’avoir pas reçu davantage, et se mit à insulter publiquement le patriarche. Les serviteurs de celui-ci voulaient le chasser ; mais saint Jean le leur défendit en disant : « Laissez-le, frères, laissez-le me maudire ! J’ai pu, moi ; pendant soixante ans, insulter le Christ par mes péchés : de quel droit m’opposerais-je à  ce que cet homme m’insultât un moment ? » Et il fit apporter le petit sac où était son argent, et ordonna que le mendiant y prît autant qu’il voudrait.

    X. Le peuple ayant pris l’habitude de sortir de l’église, après l’évangile, pour aller bavarder vainement sur la place, le patriarche sortit un jour de l’église avec eux, après l’évangile, et s’assit au milieu d’eux sur la place. Et comme tous s’en étonnaient, il leur dit : « Mes chers enfants, la place du berger est au milieu de son troupeau. Ou bien donc vous rentrerez dans l’église et j’y rentrerai avec vous pour achever ma messe, ou bien vous resterez ici, et j’y resterai comme vous ! » Deux fois il fit de même, et ainsi il habitua le peuple à ne plus sortir de l’église pendant les offices.

    XI. Un jeune homme avait enlevé une nonne, et le clergé l’accusait devant saint Jean, demandant qu’il fût excommunié : car il avait perdu deux âmes, la sienne et celle de sa maîtresse. Mais saint Jean se refusait à rien faire contre lui, disant à son clergé : « Non, mes fils, pas du tout ! Et c’est vous qui, en ce moment, commettez deux péchés. Vous péchez d’abord en allant contre le précepte du Seigneur, qui a dit : Ne jugez pas, vous ne serez pas jugés ! Et puis, vous péchez aussi par présomption, car vous ignorez si ces deux malheureux continuent à pécher, ou si, au contraire, ils ne commencent pas déjà à se repentir. »

    XII. Souvent, pendant ses prières, le bienheureux saint Jean avait des extases où on l’entendait s’entretenir familièrement avec le Seigneur. Et quand, saisi de fièvre, il comprit qu’il allait mourir, il s’écria : « Je te remercie, mon Dieu, de ce que ta bonté ait exaucé le vœu de ma faiblesse, qui souhaitait de ne rien posséder en mourant qu’un seul drap de lit ! Et maintenant ce drap, va pouvoir, lui aussi, être donné aux pauvres ! » Après quoi il mourut, et son corps vénérable fut placé dans un tombeau où se trouvaient déjà les corps de deux évêques ; et voici que ces corps s’écartèrent miraculeusement, pour faire une place, au milieu d’eux, au bienheureux Jean.  

    XIII. Peu de jours avant sa mort, une pécheresse vint lui dire qu’elle avait commis de tels péchés qu’elle n’osait s’en confesser à personne. Le saint lui conseilla d’écrire sur un papier ses péchés, de cacheter le papier, et de le lui apporter, ajoutant qu’il prierait pour elle. Et la femme fit tout cela ; mais quand, quelques jours après, elle apprit la mort du saint, elle s’épouvanta à la pensée que sa confession pourrait tomber entre des mains étrangères. Elle se rendit donc au tombeau du saint, et supplia celui-ci de lui faire savoir où se trouvait son papier. Et voici que saint Jean sortit de son tombeau, en habit pontifical, s’appuyant sur l’épaule des deux évêques qui gisaient près de lui. Et il dit à la femme : « Pourquoi nous importunes-tu dans notre repos, moi et ces deux saints hommes qui me tiennent compagnie ? » Et il lui tendit son papier avec le cachet qu’elle y avait mis, disant : « Ouvre ton cachet, et lis ta confession ! » Mais elle, ayant brisé le cachet, vit que la liste de ses péchés avait été effacée, et remplacée par l’inscription suivante : « Je te remets tes péchés en considération de la prière de Jean, mon serviteur. » Et la femme rendit grâces à Dieu ; et saint Jean, avec ses deux compagnons, rentra dans son tombeau.

    Ce grand saint florissait vers l’an du Seigneur 605, sous le règne de l’empereur Phocas.

    Source : http://fr.wikisource.org/wiki/La_L%C3%A9gende_dor%C3%A9e/Saint_Jean_l%E2%80%99Aum%C3%B4nier