• Notre-Dame des Remèdes (Espagne, Madrid)

     

     

     

    Notre-Dame des Remèdes

    (Espagne, Madrid)

     

     

     

     

    L'Image miraculeuse de Notre-Dame des Remèdes est une des plus célèbres de Madrid.

    Son origine, comme celle de presque toutes ces Images qui remontent à une haute antiquité, est entourée d'épais nuages.

    Si, au défaut de monument positif, on consulte la tradition, elle nous apprendra que cette Image, si vénérable par le culte qu'elle a reçu depuis tant de siècles, et les faveurs sans nombre dont elle a été l'instrument, commande aussi le respect par son origine et le nom du grand pontife dont elle fut le don précieux.

    La tradition en fait honneur à saint Grégoire, qui l'aurait envoyée dans des contrées lointaines, nouvellement gagnées à la foi de Jésus-Christ.

    On connaît le zèle de ce grand pape ; on sait que, ne pouvant travailler par lui-même, selon le plus ardent de ses vœux, à la conversion des Anglais, il fit partir pour la Grande-Bretagne, l'an 596, les religieux les plus fervents de son monastère, Augustin, Mellitus et quelques collaborateurs choisis avec soin ; qu'il les soutint par son courage, les dirigea par sa sagesse, et accomplit par leurs mains cette œuvre éclatante.

    Non content d'avoir attiré à la vraie foi les Anglais, il s'efforça de procurer le même bonheur aux habitants de la Hollande.

    Le moyen qu'il employait pour réussir dans ses saintes entreprises, était non-seulement d'envoyer des missionnaires, mais encore de fonder dans les pays où la foi avait été nouvellement portée, des abbayes et des monastères, afin que les religieux, par des instructions soutenues, la ferveur de leurs prières et l'autorité de leurs exemples, continuassent à cultiver les nouvelles plantations qui ornaient le jardin de l'Eglise.

    Pour donner à ces communautés le moyen de célébrer les saints offices avec un éclat qui en imposât à ces peuples encore demi-barbares, il les pourvut, dans sa sagesse, d'ornements sacrés, comme de calices, de croix, d'images de saints, de reliques et de tout ce qui était nécessaire au culte sacré, et en particulier d'Images de la Mère de Dieu.

    Telle fut, dit-on, l'origine d'un monastère élevé autrefois sur les bords de la Meuse, auprès d'un bourg nommé Ramua, où l'on vénérait une belle statue de la Vierge tenant son fils entre ses bras.

    Les miracles que la Reine du ciel opérait par cette Image, excitaient la dévotion des peuples voisins, qui l'invoquaient dans tous leurs besoins spirituels et temporels, et qui trouvaient toujours en celle que leur rendait comme présente cette dévote Image, une mère compatissante et une puissante protectrice, ainsi que l'attestaient les nombreux ex-voto suspendus dans son sanctuaire.

    D'après l'un des deux auteurs que nous prenons pour guides dans ce récit, cette statue aurait été envoyée directement par le pape saint Grégoire aux peuples de la Hollande ; selon l'autre, donnée d'abord par le saint Pontife aux missionnaires qu'il avait fait partir pour l'Angleterre, elle y serait restée jusqu'à l'époque désastreuse où l'hérésie infesta ce royaume. Elle aurait été alors portée en Hollande, où elle fut entourée d'hommages et de signes d'une véritable dévotion.

    Quoi qu'il en soit de l'origine de cette célèbre Image ; le culte dont elle était l'objet dans les Pays-Bas, eut un terme vers l'an 1579, époque où le Calvinisme et avec lui l'esprit d'indépendance prévalurent dans ces contrées.

    L'hérésie une fois admise, il fallait se soustraire à l'autorité des princes espagnols qui, si zélés de tout temps pour la conservation de la foi, n'auraient jamais pu souffrir les empiètements de l'erreur.

    Sous différents prétextes, tels qu'il n'en manque jamais à ceux qui sont résolus à rompre tout frein, quelques-unes des provinces des Pays-Bas se révoltèrent en 1581 contre Philippe H, roi d'Espagne, leur légitime souverain, et se rangèrent sous l'étendard du prince d'Orange.

    Celui-ci, plein de dépit et de colère par suite de la défaite qu'avait essuyée son frère Louis de Nassau, passa dans la Hollande et la Zélande, profanant les églises, brûlant les images du Sauveur et de sa sainte Mère, dévouant à la mort ceux qui professaient l'antique foi, les religieux surtout qui, plus opposés à ses erreurs que le simple peuple, avaient des droits particuliers à sa haine et aux emportements de sa fureur.

    Au nombre des monastères qu'il dévasta, fut l'abbaye des Bénédictins, où l'on honorait l'image de la Vierge, que la voix publique disait être un don du pape saint Grégoire-le-Grand, monastère dont nous avons déjà marqué la position sur la rive de la Meuse, près du bourg de Ramua.

    Or, il arriva que, dans le pillage ou la vente des ruines, une partie de la charpente et des boiseries tomba au pouvoir d'un hérétique qui habitait dans le voisinage ; celui-ci, sans s'en douter, devint possesseur de l'Image sainte qui avait été jetée pêle-mêle parmi les décombres de l'église.

    Ce Hollandais était un homme de probité, peu fortuné, et il avait coutume d'abriter dans sa maison tous ceux qui venaient y chercher asile, sans s'informer de quelle nation ou de quelle religion ils étaient : ce qui lui importait le plus, c'était de recevoir un bon salaire.

    Parmi ce flux d'étrangers qui prirent logis chez lui, se trouva un gentilhomme espagnol, nommé Jean de Leruela ou d'Origuela, originaire de Palomera, juridiction de Cuença, ville épiscopale de la Nouvelle-Castille, lequel ayant pris querelle avec un autre guerrier espagnol, l'avait blessé, et, d'après les lois militaires de sa nation, s'était mis dans le cas d'être condamné à mort, s'il n'eût cherché son salut dans la fuite. .

    Leruala séjourna donc quelque temps dans la maison du Hollandais, hors de la portée de ceux qui auraient pu l'inquiéter.

    Un jour d'hiver, où le froid se faisait sentir avec plus de rigueur qu'à l'ordinaire, il prie son hôte de faire bon feu et de brûler, non-seulement du charbon, selon l'usage du pays, mais encore du bois, s'engageant à le payer convenablement.

    Celui-ci répond qu'il est bien en état de le satisfaire avec les ruines d'un monastère du voisinage, démoli par ordre du prince d'Orange ; et aussitôt il fait apporter de vieux débris et les met au feu.

    Ils commençaient à s'enflammer quand l'Espagnol s'aperçoit que, parmi ces pièces de bois, se trouve une statue de la Vierge, assez petite, mais gracieuse, avec un enfant Jésus entre ses bras.

    Son âme catholique est percée de douleur en voyant l'indigne traitement fait à l'Image du Sauveur et de sa sainte Mère, et il s'approche du feu pour l'en retirer.

    L'hérétique s'y oppose, prétextant avec un ton d'ironie que lui inspire son erreur, que le bois est à lui, qu'il l'a payé de son argent, qu'il l'a mis au feu pour l'utilité commune, afin que tous ses voyageurs se chauffent ; qu'il prétend bien que toutes ces pièces se consument et qu'il ne tient pas plus à l'une qu'à l'autre.

    Vouloir l'emporter de force eût été se compromettre avec l'hérétique et s'exposer à se faire reconnaître.

    L'Espagnol essaie donc d'un autre moyen qui, moins dangereux, est plus propre à lui assurer la possession de l'Image.

    Il emploie la douceur et les bons procédés ; il prie le Hollandais de lui laisser tirer du feu la statue, s'offrant de le dédommager avantageusement : il fait si bien auprès de cet homme intéressé, que, pour quelques charges de bois qu'il lui promet, il en obtient la permission de soustraire aux flammes et de s'approprier un objet qu'il regarde comme un trésor au-dessus de tout prix.

    Aussitôt il se précipite vers le foyer et en retire l'Image de la Mère de miséricorde.

    Il examine avec attention si elle a été endommagée par le feu, et il reconnaît avec étonnement qu'une statue qui, par sa matière, devait être sur-le-champ la proie des flammes, après avoir été plus de demi-heure au milieu du foyer, en sortait toute entière chaude et humide comme un bois qui va s'enflammer : seulement le visage parait avoir été noirci par la fumée, et sur le côté gauche du front on remarque une petite tumeur, comme si l'Image eût été de chair.

    L'historien des sanctuaires célèbres de la Vierge en Espagne, qui écrivait en 1726, assure que, de son temps, on voyait encore ce signe.

    Les hérétiques qui logeaient dans la même maison étant sortis, Jean de Leruela se jette à genoux devant la divine Mère, la remercie de ce qu'elle a daigné se servir de lui, comme d'un instrument providentiel, pour accomplir une action si religieuse : le cœur plein d'une tendre dévotion et les yeux baignés de larmes, il promet par un vœu formel que, si Dieu lui accorde, par l'intercession de Marie , de rentrer heureusement en Espagne, il remettra la sainte Image, sa conquête, entre les mains des religieux de la Merci, pour qu'ils la placent dans quelqu'une de leurs églises, où elle reçoive un culte public.

    Ensuite il l'enveloppe d'un linge et l'arrange avec soin. La statue lui porta bonheur.

    Pendant plus de deux mois qu'il passa encore dans ce pays, Leruela vécut en observateur fidèle des commandements de Dieu et de l'Eglise ; et, comme il l'avoua lui-même depuis en diverses rencontres, il se crut redevable à la sainte Image d'avoir échappé à plusieurs dangers où il fut de perdre & vie et l'honneur, et il trouva auprès d'elle sa consolation dans toutes ses afflictions et ses ennuis.

    La protection du ciel s'étendait avec ses faveurs sur ceux-là même qui avaient des relations avec lui : plusieurs d'entre eux étant des hommes sans retenue, habitués à la vie et à la licence des camps, en liant amitié avec Leruela, se sentaient le cœur changé, et ne savaient comment expliquer les impulsions violentes de la grâce qui les excitaient à réformer leur vie.

    Cependant un vaisseau flamand étant sur le point de ramener en Espagne l'archevêque de Santiago en Galice, qui était passé dans les Pays-Bas par ordre du roi catholique, Leruela crut l'occasion favorable pour retourner dans sa patrie, et il en profita.

    Le vent fut d'abord tel qu'on pouvait le désirer et la navigation heureuse. Mais voilà que, dès le second jour, ils sont surpris par une si furieuse tempête qu'ils se voient sur le point d'être engloutis dans les abimes de l'Océan ; de sorte que se regardant comme perdus, passagers et gens de l'équipage confessaient hautement leurs péchés et demandaient à Dieu miséricorde.

    Au milieu de la confusion générale, notre gentilhomme ne montrait ni crainte ni surprise, mais le chapelet en main, et se tenant ferme sur ses pieds autant que le permettait le mouvement du navire, il se promenait tranquillement au milieu de l'équipage consterné.

    L'archevêque qui, dans l'ardeur de son zèle, allait de côté et d'autre, confessant, encourageant ou consolant ses tristes compagnons de voyage, étonné de ce calme extraordinaire, lui adresse des reproches, disant que c'est une sorte de témérité de montrer une telle indifférence au milieu d'une si épouvantable tempête.

    Leruela lui répond avec la même paix : « Monseigneur, je suis si calme et si tranquille, parce que je me tiens pour assuré que, quelle que soit la fureur des vents et de la mer, nos vies et nos biens ne périront pas.

    Il n'est pas nécessaire d'alléger de plus en plus le vaisseau, comme on le fait, ni de continuer à jeter à l'eau les marchandises, parce que nous voyageons sous une sûre garde. 

    Et le prélat demandant quel est le fondement d'une telle assurance : « Elle est fondée, dit le gentilhomme, sur ce que je sens auprès de moi le port que nous cherchons, et l'ancre la plus ferme de notre espérance. »

    En disant ces mots, il tire de sa retraite et il découvre la statue de la Vierge.

    A cette vue, l'archevêque, pénétré d'un respect religieux, rend à l'Image de profonds hommages, et la confiance remplaçant la crainte dans son âme, il la prend entre ses mains, l'élève dans les airs et, ne doutant pas que les démons ne soient pour quelque chose dans la tempête qui bouleverse les flots, il leur commande d'obéir au pouvoir de la Reine du ciel, les menace en son nom, et leur enjoint de par la sainte Image de prendre la fuite sans inquiéter davantage ses serviteurs.

    Au même instant l'agitation cesse, le ciel reprend sa sérénité, les vents se calment, et le vaisseau suit heureusement sa course jusqu'au port de la Corogne, ville maritime d'Espagne, en Galice, où les passagers débarquent.

    De ce lieu, Leruela se hâte de se rendre à Santiago ou à Saint-Jacques de Compostelle et de visiter les reliques qu'on y vénère ; et en cela, il acquiesçait aux désirs de l'archevêque, jaloux de posséder plus longtemps dans son diocèse une Image qui lui inspirait une sensible dévotion, tant à cause du prodige de protection qu'il avait reçu sur mer par son moyen, que par ce que le gentilhomme lui avait raconté des faveurs singulières accordées à lui et à ses amis.

    Leruela fait une neuvaine dans la célèbre église de Saint-Jacques, rendant grâce à Dieu de tous les bienfaits dont il l'a comblé, et avouant qu'il regarde comme le plus grand de tous les bonheurs de posséder la sainte Image.

    Il prie l'Archevêque de vouloir bien la faire toucher à toutes les reliques de ce fameux sanctuaire, comme pour la consacrer de plus en plus par leur contact ; ce qu'il obtient et ce qui est à ses yeux une si grande faveur, qu'il en fait dresser un acte authentique.

    Cette Image ne tarda pas à être pour lui une nouvelle source de bénédictions.

    Travaillé de certaines inquiétudes et peines intérieures, il invoque avec confiance la Reine des cieux, et à l'approche de la sainte Image, son chagrin s'évanouit, il recouvre la paix et une grande sérénité intérieure.

    Ne sachant sous quel nom elle avait été invoquée dans le sanctuaire de Ramua", il cherchait le titre qui, résumant les effets de son pouvoir, serait le plus propre à la désigner dans la suite.

    L'archevêque dissipa tous ses doutes à cet égard en lui disant que puisque la clémence toute puissante de Marie daignait se manifester par cette Image en en faisant comme un remède à toute espèce de nécessités, il n'y avait qu'à l'appeler Notre-Dame des Remèdes, et c'est en effet sous ce nom qu'elle est devenue célèbre depuis.

    La neuvaine terminée, le gentilhomme prend congé du prélat et se dirige vers Cuença, résolu d'accomplir le vœu qu'il a fait en Flandre, de remettre la statue aux Pères de la Merci, afin qu'elle reçoive dans une de leurs églises, des honneurs convenables.

    Arrivé dans cette ville, il communique son dessein à quelques personnes de sa famille et de sa connaissance ; et voilà que ceux qu'il croyait devoir y applaudir et en presser le plus l'exécution, l'en détournent sous différents prétextes qui, sous le voile de la gloire de Dieu, cachent des vues de consolation personnelle, ou même d'intérêt particulier.

    Dans sa perplexité Leruela a recours au Seigneur avec une vive confiance, lui demandant par l'intercession de la Vierge sainte, la grâce de connaître sa divine volonté.

    Une telle prière ne pouvait manquer d'être exaucée.

    Il demeure convaincu par des touches intérieures de la grâce ou par d'autres voies, que Dieu exige de lui l'entière exécution de son vœu.

    Sans attendre donc qu'un plus long délai lui suscite de nouveaux obstacles, il se rend au couvent que les Pères de la Merci possèdent à Cuença, et, sacrifiant au devoir ses affections les plus intimes, il remet au commandeur l'Image chérie et, avec elle, dit l'historien espagnol, la moitié de son cœur.

    Afin de lui assurer toute la vénération qu'elle mérite, il accompagne ce don de la relation de ce qui est arrivé en Hollande et dans le cours de la traversée.

    Le commandeur reçoit l'Image avec reconnaissance et la place, sans en parler à aucune personne du dehors, sur un des autels collatéraux.

    Mais l'aimable Providence qui avait destiné la statue de Notre-Dame des Remèdes à être une source de bénédictions pour son peuple, inspira bientôt aux fidèles qui avoisinaient l'église et même à plusieurs de ceux qui en étaient éloignés une dévotion spéciale pour elle.

    Marie récompensait leur foi par des faveurs signalées, et la gloire de l'Image qu'elle avait choisie pour en faire l'instrument de ses miséricordes, croissait de jour en jour.

    Or, il arriva que dans ce temps où l'Image acquérait ainsi de la célébrité, le Père Jean de Goverrubias, provincial de Castille, vint faire la visite de cette maison, et, ayant appris comment et à quelle fin elle avait été donnée à son Ordre, il voulut la voir et la vénérer.

    Prosterné devant elle, il lui rend ses hommages et au sortir de la prière il réunit la communauté.

    Comme s'il eût puisé dos lumières plus étendues, et qu'il eût vu dans l'oraison les choses de plus haut que ceux qui ne consultaient que le bien particulier de leur maison, il représente aux Pères que, pour remplir parfaitement l'intention du donateur, il semblait nécessaire de placer l'Image là où elle était assurée de recevoir plus d'honneur ; que ce n'était probablement pas le monastère de Cuença, ville qui renfermait si peu d'habitants ; que dans sa pensée ce but serait pleinement atteint dans le monastère que l'Ordre avait à Madrid, ville dans laquelle la présence des rois catholiques, le concours d'une infinité de personnages illustres, l'affluence du peuple, donneraient au culte de la sainte Image la splendeur convenable ; que de plus le nombre de prêtres qui résidaient dans le monastère, les mettrait plus en état de satisfaire la dévotion des fidèles : que cependant il ne prétendait pas, sur sa seule manière de voir, leur imposer un si grand sacrifice, qu'il fallait consulter Dieu et envisager le plus grand bien ; qu'en conséquence on dirait le lendemain la messe du Saint-Esprit à l'autel qui avoisinait l'Image, qu'ensuite la communauté se rendrait au chapitre, qu'on mettrait aux voix s'il convenait de la transporter à Madrid ou s'il était mieux de la laisser à Cuença, et que le parti qui réunirait le plus de suffrages serait regardé comme le plus conforme à la volonté divine.

    Tout se fit comme le Provincial l'avait proposé, et, ce qui dut paraître une espèce de prodige, l'avis unanime des religieux fut pour la translation.

    Sans perdre de temps, dès la nuit suivante, la statue fut confiée à deux Pères qui prirent le chemin de la capitale.

    Cependant, les habitants de Cuença s'apercevant de la disparition de l'Image, manifestaient leur douleur, surtout ceux qui avaient pour elle une dévotion particulière.

    On leur parla avec tant de prudence et de douceur qu'on réussit à les calmer.

    A Madrid, au contraire, la renommée de ce nouveau gage de miséricorde qu'on recevait de la Reine des Cieux ne tarda pas à se répandre et avec elle la joie la plus légitime.

    La circonstance était des plus favorables ; les PP. de la Merci venaient de bâtir une église et un monastère.

    La sainte Image prit donc possession de la nouvelle demeure qu'elle devait rendre une source de grâce et de faveurs célestes, au commencement du mois d'août de l'année 1593, et elle fut placée dans une chapelle à la droite du maître-autel, où elle reçut les témoignages de la vénération publique, jusqu'à ce que, quelques années après, l'éclat des prodiges que la Vierge sainte opérait par son moyen, fit songer à lui construire un nouveau sanctuaire.

    Le R. don Pierre de Oûa, Provincial de Castille, et ensuite évêque de Gaëtte, en posa les fondements.

    L'édifice fut achevé en 1601, et la translation eut lieu le 8 septembre de cette année, avec une magnificence extraordinaire, le roi catholique Philippe III ayant bien voulu s'y trouver en personne.

    A cette translation, la Vierge sainte donna des preuves éclatantes de son pouvoir, et depuis elle n'a cessé de récompenser, par des faveurs nouvelles, la dévotion et la générosité des fidèles ; au point que ce sanctuaire de Marie est devenu un des plus célèbres de Madrid, toute sorte de personnes venant y réclamer la protection de la Reine du ciel, et comme on sait qu'on trouve, auprès de son Image, remède à toute espèce de maux, chacun lui expose avec confiance ses infortunes, ses nécessités spirituelles ou temporelles, et il en obtient, selon les desseins de Dieu et le degré de sa ferveur, la délivrance, l'allégement, ou ce qui vaut quelquefois mieux, dans l'intérêt du salut, la patience et le secret de profiter de-ces-afflictions passagères pour mériter des consolations et des joies qui n'auront point de terme.

    De tant de prodiges de bonté opérés par Notre-Dame des Remèdes, nous ne citerons que le suivant. Il eut lieu à Cuença, où la statue passa d'abord quelques années, comme nous l'avons dit.

    Parmi les personnes qui avaient conçu une grande dévotion pour la sainte Image, se trouvait une femme âgée qui avait recueilli chez elle sa petite fille, enfant encore jeune, orpheline de père et de mère.

    L'enfant tomba dangereusement malade, et les médecins désespéraient de sa guérison.

    La grand'mère qui lui avait voué, avec toute son affection, les soins les plus tendres, désolée de se trouver sans espérance du côté des hommes et de l'art, se rend au couvent de la Merci, et prie le supérieur de lui permettre de prendre chez elle Notre-Dame des Remèdes, parce qu'elle a une entière confiance qu'aussitôt que la statue entrera dans sa maison, sa petite fille recouvrera la santé.

    Le supérieur ne se rend pas à sa prière, ne croyant pas qu'il soit dans l'ordre de tirer d'une église une Image exposée à la vénération publique, pour la déposer dans une maison particulière.

    La bonne femme retourne chez elle profondément affligée de cette réponse ; et, pour comble d'infortune, elle trouve l'orpheline dans un état si critique, qu'on s'occupait plus de ses funérailles que de sa guérison.

    Son affliction s'accroît à proportion du danger : mais, sans se laisser abattre, elle se rend, dans un transport de ferveur, à l'église de la Merci, et se prosternant devant la sainte Image, elle prie avec la plus tendre effusion de cœur, sans qu'on fasse une attention particulière à elle, tant on est accoutumé à lui voir invoquer en ce lieu avec larmes et soupirs le pouvoir de Marie.

    Ceux qui n'avaient point des faveurs aussi pressantes à solliciter, s'étant retirés, elle saisit le moment où elle n'est vue de personne, enlève de dessus l'autel la statue, et, la cachant dans le bas de sa mante, elle l'emporte chez elle.

    La mère de bonté eut pour agréable la confiance de sa servante affligée, puisque l'image n'eut pas plus tôt franchi le seuil de la porte, que la petite orpheline recouvra la santé et se leva du lit.

    Toutes les personnes qui étaient dans la maison, remarquèrent le prodige, et, sans en connaître encore la cause, en rendirent gloire à Dieu.

    La bonne femme, sachant bien à quoi s'en tenir là-dessus, et n'osant pas découvrir son pieux larcin, ouvre secrètement une armoire où elle recélait le linge, y dépose la statue et ferme à clef.

    Mais déjà les Religieux s'étaient aperçus de l'absence de l'Image ; ils avaient fait des recherches infructueuses, et dans leur inquiétude, ils prenaient des informations de toutes les personnes qui pouvaient leur donner quelque lumière.

    On leur rapporte qu'on a vu prier longtemps à ses pieds une femme qu'ils reconnaissent être celle à qui le supérieur a refusé la permission de l'emporter chez elle.

    Ces deux faits rapprochés font tomber leurs soupçons sur celle qui avait en effet enlevé la statue.

    Ils se rendent chez elle, et la trouvent transportée de joie pour la guérison de sa petite fille.

    Ils l'accusent d'avoir enlevé la Vierge.

    La bonne femme se trouble, et sans doute par suite de la frayeur qui la saisit au premier moment, ou parce qu'elle se fait illusion sur ce qu'elle a intention de rendre bientôt ce qu'elle a pris secrètement, elle nie le fait, mais sans persuader personne.

    On appelle les gens de la justice.

    Le corrégidor arrive, et la bonne femme qui, après tout, ne veut point retenir l'objet de sa pieuse fraude, avoue la vérité, et raconte tout ce qui s'est passé.

    Plein d'admiration pour la bonté de la Mère de miséricorde, et jaloux de lui en témoigner sa reconnaissance, le corrégidor prend la clef, la donne au commandeur de la Merci, qui se trouve avec les religieux : on ouvre l'armoire, on l'examine avec attention.

    Point de statue. Le corrégidor se croyant joué, s'indigne contre la femme, donne ordre de l'arrêter et de scruter toute la maison.

    Qu'on juge de l'étonnement et des appréhensions de celle-ci.

    Elle a beau confirmer avec simplicité tout ce qu'elle a dit ; elle n'eût pas réussi à se tirer d'embarras, si d'autres religieux ne fussent survenus bien à propos pour elle, et n'eussent prié le corrégidor de ne point molester cette bonne personne, puisque la statue se retrouvait placée sur son trône et sur son autel.

    Le magistrat et les Pères de la Merci se calment facilement, et, en présence d'une multitude de fidèles que le bruit du double prodige attirait déjà, on rend grâces à Dieu par le chant d'un Te Deum, qu'accompagnent bien des soupirs et bien des larmes, car c'est ainsi que se manifeste quelquefois la joie elle-même  

    Ce que nous avons rappelé jusqu'ici, représente le culte rendu autrefois à Notre-Dame des Remèdes.

    Les renseignements sur les temps présents que nous avions demandés pour compléter cette notice, sont loin de répondre à notre attente et surtout à nos désirs.

    On nous écrit que le couvent de Notre-Dame de la Merci, où se trouvait cette Image vénérée, a été démoli dans les troubles politiques qui ont ravi à la malheureuse Espagne ses trésors, son caractère national et presque sa foi ; que le local est devenu une place appelée le Progrès ; que néanmoins la statue n'a pas péri dans le commun naufrage, et qu'elle a été transférée à l'église de Saint-Thomas. Puissent encore les Espagnols trouver auprès d'elle le remède aux maux sans nombre que l'irréligion amène à sa suite !

    Source : Livre "Histoire des principaux sanctuaires de la mère de Dieu, Volume 2" par Firmin Pouget