• Notre-Dame de Nanteuil (Nanteuil)

     

     

     

    Notre-Dame de Nanteuil

    (Nanteuil)

     

     

     A nos regards s'offre, en première ligne, l'antique église de Nanteuil, près Montrichard.

    Le culte de la sainte Vierge en ce lieu, s'il en faut croire la tradition répandue dans le pays, remonte jusqu'aux premiers temps de l'établissement du christianisme dans ces contrées.

    Alors une statue de Marie ayant été découverte parmi le feuillage d'un grand chêne, on la retira pour la placer sur le bord d'une fontaine voisine où l'on pouvait plus facilement la voir et l'honorer, mais, dit la légende, la statue étant revenue d'elle-même au lieu où on l'avait trouvée, on lui éleva une chapelle à double étage dans l'emplacement même du chêne.

    Le premier étage s'appelait la chapelle basse ; le second étage, qui contenait la branche où reposait la statue, était la chapelle propre du pèlerinage ; et ces deux chapelles superposées étaient placées à l'angle extérieur du bas de l'église de Nanteuil, avec laquelle la chapelle supérieure communiquait par un escalier.

    Quoi qu'il en soit de cette légende, le premier document écrit que nous ayons sur l'église de Nanteuil se trouve dans l'histoire manuscrite de l'abbaye de Pontlevoy, laquelle nous fait connaître que l'église et le prieuré de Nanteuil appartenaient à cette abbaye dès les premières années du douzième siècle, et suppose qu'ils lui furent donnés, en 1110, par Hugues de Chaumont, seigneur de Montrichard, rentré en possession du fief de Nanteuil dont s'étaient emparés les comtes d'Anjou.

    Tout porte à croire que l'antique sanctuaire ayant souffert des ravages de la guerre, on le fit restaurer et peut-être reconstruire en partie à cette époque : car le chœur avec l'abside, les bras de la croix et leurs chapelles latérales, portent tous les caractères de l'architecture du commencement du douzième siècle ; et le reste de l'édifice, les murs de la nef avec leurs fenêtres à lancettes et la voûte la plus rapprochée du centre, révèlent le style des âges suivants.

    On en attribue la construction à Philippe-Auguste, qui voulut par là témoigner sa reconnaissance à Marie pour un double bienfait : le premier, c'était qu'elle lui avait obtenu une pluie abondante pour désaltérer son armée qui se mourait de soif ; le second, ce fut la victoire sur le roi d'Angleterre et la prise de Montrichard. En effet, la seconde colonnette qui soutient la voûte du côté droit, porte la face de ce monarque, et les autres colonnes les figures des principaux chefs de son armée.

    Inspirés par la même foi en Marie que Philippe-Auguste, le seigneur de Montrichard et son épouse firent don à cette église, en 1218, d'une de leurs terres, avec tous les droits qui s'y rattachaient, ne se réservant sur ces biens que le haut domaine.

    En 1461, Louis XI, après avoir annexé à la couronne le territoire de Nanteuil, où il venait souvent en pèlerinage depuis Plessis-les-Tours, fit bâtir d'abord le grand portail en y plaçant ses armes unies à celles de Charlotte de Savoie sa femme ; puis les trois premières voûtes de la nef, une des retombées de la voûte centrale, une petite chapelle latérale à gauche du chœur, et enfin la chapelle entière où se vénérait l'antique statue.

    La dévotion des rois et des seigneurs pour la Vierge de Nanteuil était partagée par les fidèles ; de toutes parts on y venait en pèlerinage, surtout le lundi de la Pentecôte ; ce qui donna naissance à une foire renommée qui s'y établit ce jour-là dès avant le quatorzième siècle, et au nom historique de Pré des Pèlerins, que porte encore aujourd'hui la vaste prairie voisine de l'église, ainsi appelée parce que les pieux voyageurs avaient droit d'y faire paître leurs montures.

    Les habitants de Tours se distinguaient entre tous par leur dévotion pour ce sanctuaire ; et les registres des dépenses municipales de la ville pour l'année 1470 nous en offrent un naïf et touchant témoignage : « Item, y est-il dit, pour avoir fait faire un cierge du poids de soixante livres de cire, et pour avoir été icelui présenté à Notre-Dame de Nanteuil pour la santé et convalescence de M. le sénéchal de Touraine. »

    Neuf ans auparavant, le 26 mai 1461, Guillaume d'Harcourt, seigneur de Montrichard, avait fait mieux encore : il avait fondé une rente de huit louis pour entretenir à perpétuité une lampe devant la célèbre statue, à laquelle, dit l'auteur qui raconte ce fait, tout le pays a une dévotion particulière.

    Les guerres de religion et les troubles de la Ligue qui désolèrent le seizième siècle n'empêchèrent point les pèlerins du Blésois, de la Touraine et du Berri de se rendre à Nanteuil. Malgré les bouleversements politiques, l'affluence ne discontinua pas, et souvent même, dans les calamités publiques, les paroisses entières s'y rendaient et faisaient le vœu d'y revenir tous les ans.

    Au dix-septième siècle, même affluence ; et, parmi les nombreux pèlerins, on compte un des plus saints prêtres de cette époque, M. Olier, curé de SaintSulpice.

    Enfin, au dix-huitième siècle, le bienheureux Joseph Labre vint y passer quinze jours, et la haute idée qu'il y laissa de sa sainteté est encore vivante dans le pays.

    Malheureusement, par une mésintelligence entre le curé de Nanteuil et le prieur de l'abbaye, dom François de Croisy, qui se renvoyaient l'un à l'autre les frais d'entretien et de réparation, l'église tomba dans un tel état de délabrement qu'on fut obligé de faire les offices dans la chapelle du château, et que le titre d'église paroissiale fut transporté à Sainte-Croix, que Louis XV venait de bâtir.

    Cependant la dévotion au sanctuaire de Nanteuil ne se ralentit point : M. de Laboullaye, écuyer vétéran de la maison du roi, fit faire un grand vitrail au-dessus de la porte d'entrée ; et en 1790, depuis le 30 mai jusqu'au 8 septembre, il y vint en procession jusqu'à vingt-six paroisses, dont les noms se lisent encore aujourd'hui dans les archives de Montrichard.

    Le pèlerinage de Saint-Aignan fut un des plus remarquables ; cette paroisse était venue demander la cessation d'une longue sécheresse qui désolait le pays ; elle s'en retourna, pleine de reconnaissance, sous une pluie abondante qui accompagna les pèlerins jusqu'au retour et qui rendit la fertilité à leurs campagnes ; mais ce fut là aussi le dernier pèlerinage avant la fermeture des églises par la révolution de 93.

    Cette époque désastreuse fut annoncée par les traits attristés de la figure de Notre-Dame de Nanteuil et par les larmes qui coulèrent de ses paupières. Plusieurs, qui refusèrent d'y croire, vinrent examiner le fait de leurs propres yeux, et furent obligés d'en convenir. Les révolutionnaires n'en tirèrent d'autre conséquence qu'une haine plus passionnée pour la Vierge miraculeuse ; ils dévastèrent entièrement son église, brisant les autels et les tabernacles, lacérant les tableaux, pillant tout ce qu'ils espéraient vendre à leur profit et brûlant tout le reste.

    Après ces exploits de Vandales, ils passèrent une corde au cou de la statue vénérée et la firent tomber violemment à leurs pieds, où elle se brisa.

    La tête, séparée du tronc, roula dans la poussière ; et une femme l'ayant outrageusement repoussée du pied, en fut bientôt punie par une mort accompagnée des plus cruelles souffrances.

    Une autre femme, plus digne de son sexe, recueillit religieusement ce pieux débris ; et, à la réouverture des églises, un artiste y ayant adapté un corps en place de celui qui avait été brisé, on remit la nouvelle statue au lieu où était l'ancienne.

    Les pèlerinages alors recommencèrent comme autrefois. Châteauvieux et Saint-Aignan reprirent l'usage de leur procession annuelle, et des guérisons miraculeuses furent souvent la récompense de la foi des populations.

    On cite en particulier la faveur obtenue par une femme de Saint-Aignan, qui, après avoir par trois fois apporté à Nanteuil sur ses épaules son fils, qu'une chute avait mis, depuis l'âge de cinq ans, dans l'impossibilité de marcher, eut la consolation de le voir recouvrer subitement l'usage de ses jambes, dans la chapelle même du pèlerinage, où il laissa ses béquilles, qu'on y voit encore aujourd'hui.

    A la vue de ces miracles, les peuples conçurent la bonne pensée de réparer les dégâts faits à ce pieux sanctuaire par la révolution ; chacun voulut y contribuer selon ses ressources ; et le conseil général, ainsi que le gouvernement, étant venu en aide à la charité privée, la restauration fut complète, sauf le grand portail ou la façade occidentale, qu'on se borna à consolider, faute de moyens pour mieux faire.

    On peut donc encore aujourd'hui admirer ce beau monument du moyen âge.

    L'église, parfaitement orientée, forme une croix latine avec une seule nef, qui n'est que la prolongation d'un de ses côtés ; dans l'abside, plus élevée de deux marches que le chœur, s'ouvrent, au-dessus d'un cordon à dents arrondies, sept fenêtres à plein cintre, séparées entre elles par une svelte colonnette flanquée de bordures à dents de scie, têtes de clous, découpures à facettes et petites roses à quatre feuilles.

    De leurs chapiteaux taillés en feuillages indigènes, partent deux tores qui se courbent en plein cintre pour encadrer les fenêtres et relier les colonnettes entre elles ; une voûte à pans sans nervure forme le demi-dôme qui couronne le sanctuaire.

    De chaque côté, une haute colonne à demi engagée, et que surmonte un chapiteau de feuillages entrelacés de feuilles aquatiques chargées d'animaux aux poses grotesques, supporte un intrados ogival et sépare l'abside du chœur rectangulaire dont les murs latéraux s'inclinent, l'un vers l'autre, pour former la voûte.

    Les bras de la croix, qui reproduisent la construction du chœur et contiennent plusieurs chapelles très-curieuses, se terminent carrément par un mur percé d'une longue et étroite fenêtre.

    Les quatre piliers qui supportent la voûte centrale avec la tour quadrangulaire et relient entre elles toutes les parties de l'édifice, sont habilement dissimulés sous des faisceaux de demi-colonnes et colonnettes séparées par des arêtes saillantes. De leurs larges chapiteaux, profondément fouillés en riches feuillages, sortent autant de nervures qui vont se joindre carrément au sommet de la voûte.

    La nef unique comprend quatre travées, dans chacune desquelles s'ouvre une fenêtre à lancettes de chaque côté. Les clefs de la voûte offrent des anges portant des banderoles, la couronne royale et les armes de France.

    La chapelle du pèlerinage, œuvre du quinzième siècle, a aussi son intérêt. Sa façade septentrionale est un pignon flanqué de deux contre-forts placés d'angle et surmontés de riches clochetons, aujourd'hui mutilés. De côté, s'ouvre un riche portail au cintre surbaissé , dont la voussure est garnie de trois rangs de feuilles de vigne, séparés par des moulures bien détachées ; et l'ogive en accolade qui le surmonte s'introduit à son sommet dans la courbure d'un cordon qui, régnant sur toute la largeur et entourant les contre-forts, fait, à distances inégales, deux retraits à angle droit, dont l'un porte les armes de France surmontées de la couronne royale et soutenues par deux anges, et les autres les armes de Louis XI avec le heaume de chevalier. A droite de ce beau portail, s'ouvre, plus haut, une grande croisée flamboyante, bordée de délicates arcatures et accompagnée de deux petites ogives abaissées garnies d'arceaux trilobés. De chaque côté, une console ornée des armes du roi et de la reine Charlotte de Savoie, porte un ange agenouillé sous un dais devant la statue de la Vierge. Ce riche portail donne entrée à une chapelle d'où l'on monte, par un escalier de vingt-cinq degrés, à la chapelle supérieure, objet de la dévotion des pèlerins.

    Ce sanctuaire, éclairé par la grande ogive flamboyante de la façade et par trois autres petites ouvertures, se divise en deux voûtes hardiment construites dans le sens de la longueur.

    Un dais élevé en clocheton au-dessus de l'autel monte jusqu'à la voûte et couronne la niche où est placée la statue vénérée.

    Les retombées de la voûte sont soutenues à une petite hauteur par trois consoles, dont l'une représente le Courage sous la figure d'un chevalier combattant un dragon ; l'autre la Peur, sous la forme d'un homme bardé de fer qui s'enfuit ; la troisième un ange portant les armes de France.

    Deux petites portes ménagées de chaque côté permettent de sortir de la chapelle par deux escaliers extérieurs, nécessaires à la circulation des visiteurs aux jours de fête.

    Telle est la belle église de Nanteuil.

    La reine Amélie l'enrichit encore d'un groupe de Notre-Dame des Sept Douleurs, plus tard Napoléon III d'un beau tableau, et l'impératrice Eugénie d'un riche ornement.

    Jaloux de contribuer, à sa manière, à la gloire de ce sanctuaire, Pie IX y accorda la faveur d'un autel privilégié, puis une indulgence plénière pour les fêtes de la Pentecôte, de l'Immaculée Conception, de la Nativité, de l'Annonciation, de la Purification et de l'Assomption de la sainte Vierge, ou un des jours de l'octave de ces fêtes ; enfin la célèbre indulgence de la Portioncule pour le second jour d'août.

    Encouragé par tant de faveurs spirituelles, le nombre des pèlerins va croissant chaque année.

    En 1857, on en a compté jusqu'à vingt mille ; le seul lundi de la Pentecôte, qui est la grande fête de Nanteuil, il y en eut jusqu'à quatre mille deux cents.

    Les mères aiment à apporter leurs enfants aux pieds de Notre-Dame de Nanteuil pour lui en confier la garde ; tous aiment à venir lui dire leurs besoins, à illuminer de guirlandes de cierges les deux côtés de l'autel, à prier à la fontaine voisine, à boire et emporter de son eau, qu'ils estiment un remède dans les maladies.

    A tout ce que nous venons de dire de Notre-Dame de Nanteuil, nous n'avons qu'un mot à ajouter pour faire connaître une maison voisine, bien digne du lieu où Marie est tant honorée : œuvre du quinzième siècle, elle porte à son angle la Salutation angélique, sculptée sur des montants en bois ; à une de ses faces, la sainte Vierge d'un côté, l'ange Gabriel de l'autre, et, entre eux deux, un vase d'où sort un lis. Au-dessous, sont d'un côté sainte Anne, apprenant à lire à la sainte Vierge, et un prophète tenant un rouleau à demi déployé ; de l'autre, dix anges qui semblent chanter en s'accompagnant de divers instruments.

    Source : Livre "Notre-Dame de France ou Histoire du culte de la Sainte Vierge en ..., Volume 1" par André Jean Marie Hamon