• Notre-Dame de Pontoise

     

     

     

    Notre-Dame de Pontoise

     

     

     

    Outre ces monuments élevés à la gloire de Marie, le diocèse de Versailles a aussi ses lieux de pèlerinage. Un des plus célèbres est Notre-Dame de Pontoise, et en voici l'origine.

    A une époque indéterminée, mais antérieure au treizième siècle, pendant les guerres sanglantes qui désolaient la France, un pieux jeune homme, brûlant du zèle de raviver dans les cœurs la dévotion à Marie, se sentit inspiré, dit un vieux manuscrit, de faire une statue de la Mère de Dieu, pour l'offrir à la vénération publique ; et aussitôt il alla se mettre à l'œuvre dans une carrière à Blangis, près d'Abbeville.

    La statue une fois terminée, on la transporta à Pontoise.

    Mais là il lui fallait un sanctuaire où l'on pût convoquer les peuples à venir prier la Reine du ciel devant son image.

    Pour y pourvoir, on s'adressa aux religieux de l'abbaye Saint-Martin, qui avaient sous leur juridiction le territoire où avait été provisoirement déposée la statue.

    Ces religieux autorisèrent en ce lieu la construction d'une chapelle, et en confièrent le service ainsi que le soin des âmes du quartier a un prêtre nommé par eux.

    L'archevêque de Rouen vint lui-même, en 1226, dédier ce sanctuaire a la sainte Trinité, sous l'invocation de Marie ; et aussitôt les populations commencèrent à y venir en pèlerinage : saint Louis lui-même, attiré par la dévotion générale qui se portait vers ce nouveau sanctuaire, y vint mêler ses ferventes prières à celles de ses sujets.

    Mais bientôt la piété des fidèles ne se contenta pas d'une chapelle si modeste et si peu digne, à leur avis, de la Mère de Dieu.

    Aidés sans doute par les libéralités du saint roi, ils élevèrent, sur le même emplacement, une magnifique église, que l'archevêque de Rouen érigea ensuite en église paroissiale, au mois de juillet 1249, confirmant ainsi l'érection stipulée peu auparavant par les religieux de l'abbaye Saint-Martin ; et, chose remarquable, on plaça en dehors, au-dessus du portail principal, la statue vénérée, afin que les pieux pèlerins pussent la voir et la prier la nuit comme le jour.

    On vit alors accourir en foule à la nouvelle église les infirmes, les estropiés, les malades, et, dans la suite, les grands du monde, les rois, les princes et les princesses.

    En 1369, Charles V y vint en pèlerinage, se plaça, lui et le Dauphin son fils, qui l'accompagnait, sous la protection de la sainte Vierge, en présence d'une nombreuse assemblée de fidèles, fit à l'église de riches présents, et offrit devant la statue de la Mère de Dieu cinq cierges qui y brûlèrent pendant trois jours, et huit autres destinés à y être allumés en diverses fêtes.

    A son exemple, la reine de Bourbon et la princesse Isabelle, la reine Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, la reine Marie, épouse de Charles VII, les enfants de France, le grand échanson Raoul Boutin, plusieurs autres éminents personnages, beaucoup de fidèles de toutes les classes, firent le pèlerinage de Notre-Dame de Pontoise, et apportèrent à l'envi, les uns des ornements pour le culte ou des vases sacrés, les autres des dons divers.

    L'église ne jouit pas longtemps de ces richesses.

    Vers 1431, les Anglais, maîtres d'une partie de la France sous le règne malheureux de Charles VI, dépouillèrent Notre-Dame de tous les trésors qu'y avait accumulés la piété des princes et des peuples, et détruisirent l'église elle-même : la précieuse statue échappa seule à leurs dévastations.

    Mais douze ans plus tard, honteux de leur forfait et pressés par le remords, ils voulurent rendre à Marie une église plus belle que celle dont ils l'avaient dépossédée. Déjà ils avaient bâti le chœur, la nef et la tour, lorsque Charles VII, dont Jeanne d'Arc venait de relever la puissance, tomba sur eux et les chassa brusquement de Pontoise.

    Les Français se hâtèrent d'achever ce que leurs ennemis avaient commencé ; et tel fut le résultat amené par les événements, qu'en travaillant pour Dieu ils se trouvèrent avoir travaillé pour eux-mêmes.

    Car, quelques années après, cette même église leur servit de forteresse contre les Anglais revenus pour reprendre Pontoise : de là, comme d'une tour inexpugnable, ils résistèrent à tous les assauts de l'ennemi, le forcèrent à lever honteusement le siège ; et l'an 1484, on put faire en paix la dédicace solennelle de Notre-Dame.

    Parmi toutes ces alternatives de prospérité et d'épreuve, la vénération des peuples pour Notre-Dame de Pontoise allait toujours croissant.

    Le saint-siège, informé des guérisons, des conversions et des grâces diverses qu'on y obtenait, désigna, par une bulle du 19 janvier 1550, cette église comme l'unique station du jubilé de cette même année pour toute la province de Rouen ; ce qui y amena tant de pèlerins que le seul jour du 8 septembre, fête de la Nativité de la sainte Vierge, on en compta plus de cent mille. Henri III, de son côté, ordonna, par lettres patentes, d'employer à l'embellissement de l'église tout l'excédant des revenus affectés au service de la riche et célèbre confrérie des clercs qui y était établie depuis des siècles.

    Ne pouvant supporter cette vénération unanime, un protestant fanatique osa, dans la nuit du 29 septembre 1576, abattre d'un coup de bâton la tête de l'enfant Jésus que Marie portait entre ses bras, et alla la jeter dans la rivière de l'Oise, en passant le pont qui se trouve au sortir de la ville.

    Heureusement le maître du pont, qui, tous les soirs, tendait un filet à travers l'arche principale, pour recueillir les objets jetés ou tombés dans la rivière, retrouva le lendemain matin cette tête précieuse.

    La population émue vint la chercher en procession ; on la porta en triomphe jusqu'à l'église Notre-Dame, et on la replaça sur le buste du divin Enfant, devant le portail extérieur, comme auparavant, à la grande joie des principaux habitants, qui craignaient que, pour prévenir le retour de pareilles profanations, on ne renfermât dans l'intérieur de l'église la statue de la Mère et de l'Enfant.

    C'était là, en effet, l'avis de plusieurs ; mais l'archevêque de Rouen et l'évêque de Paris, qui se trouvaient alors à Pontoise, décidèrent le contraire, se fondant sur la dénomination de Porte du Ciel donnée à la sainte Vierge et sur une ordonnance de saint Charles, qui voulait qu'à l'entrée de toutes les églises la Mère de miséricorde, tenant entre ses bras son divin Fils, se présentât aux regards des fidèles, pour raviver leur confiance et leur amour.

    A quelque temps de là, en 1580, une horrible épidémie, qui fit en un seul jour à Paris plus de trente mille victimes, ayant jeté l'effroi dans toute la France, on accourut en procession des endroits circonvoisins à Notre-Dame de Pontoise, la grande consolatrice des affligés.

    Un jour, ce fut la ville de Senlis venue en masse ; un autre jour, ce furent des bourgades des environs de Meaux ; une fois même, on compta jusqu'à soixante processions rassemblées aux pieds de la Vierge miraculeuse.

    Excités par ces beaux exemples, les habitants de Pontoise voulurent à leur tour aller en pèlerinage à Notre-Dame de Mantes, distante de sept lieues ; et dans l'année 1584, ils accomplirent cette pieuse résolution avec une solennité non pareille.

    On partit à quatre heures du matin, au nombre de six à sept mille personnes revêtues d'un grand linceul blanc, tenant d'une main une croix, et de l'autre un cierge allumé.

     

    En tête, marchaient quatre cents hommes, précédés d'une bannière de satin blanc et d'un chœur de musiciens, qui, chantant les litanies de la sainte Vierge avec autant d'âme que d'harmonie, électrisaient toute cette multitude, laquelle faisait à son tour retentir les airs de ses religieux accents.

    Après eux, venaient deux mille femmes ou jeunes filles, chantant des hymnes et des cantiques à la sainte Vierge ; puis, trois mille hommes ou jeunes gens, suivis de diverses communautés religieuses.

    Apparaissait ensuite le Saint-Sacrement, porté par des prêtres revêtus de riches ornements, entouré de quatre cents torches ou flambeaux, et de tout le clergé de la ville et des environs, chantant pieusement des hymnes sacrées. On n'arriva que le soir à Mantes, dans un pieux recueillement, après une journée toute consacrée à la prière.

    Le lendemain, le cortège se rendit à l'église ; on y assista à la messe et à la prédication qui la suivit. Enfin, grand nombre communièrent. La cérémonie finie, on reprit le chemin de Pontoise et l'on revint dans le même ordre, avec la même édification pour tous ceux qui en furent témoins.

    Cinq ans s'étaient à peine écoulés depuis cette grande manifestation religieuse, que le duc de Mayenne, chef de la Ligue, qui avait une garnison à Pontoise, y fut attaqué par une armée de trente mille hommes, sous les ordres de Henri III, du roi de Navarre, du duc d'Épernon et du maréchal de Biron : alors, les assiégés s'étant retranchés dans l'église de Notre-Dame, on battit cette église en brèche de tous côtés, jusqu'à ce qu'elle s'affaissât sur elle-même ; et du magnifique sanctuaire de Marie on ne laissa qu'un monceau de ruines.

    Cependant, cette fois-ci encore, la statue miraculeuse échappa à la destruction et fut transportée à l'abbaye Saint-Martin.

    La ville ne se consola de cette perte que par les progrès toujours croissants de sa célèbre confrérie, dite la Confrérie aux clercs, Sodalitium clericorum. Fondée par Réginald de Oléio, elle ne fut d'abord composée que d'ecclésiastiques qui se réunissaient à certains jours pour s'occuper en commun des moyens de faire aimer de plus en plus la sainte Vierge et pour assigner à chacun des membres un acte de piété ou de charité qu'il s'engageait à accomplir d'une séance à l'autre.

    Plus tard, elle reçut dans son sein des laïques, hommes et femmes, et modifia en conséquence ses règlements, qui furent approuvés l'an 1284 par l'archevêque de Rouen.

    A dater de cette époque, cette association, si obscure dans son origine, prit de merveilleux accroissements.

    Plusieurs rois s'y firent inscrire, ce qui la fit surnommer la Confrérie royale ; et à la suite des rois, les plus illustres personnages, tels que Jeanne de Bourbon, épouse de Charles V, avec ses trois fils, Charles d'Autun et de Vienne, Louis d'Anjou, et Philippe de Bourgogne, la princesse Élisabeth de Bavière, Olivier de Clisson, connétable de France, Milon de Dormans, évêque de Beauvais, chancelier de France, trois archevêques de Rouen, vingtsept grands vicaires de Pontoise, des évêques de Senlis, des abbés de Saint-Denis en France et autres lieux, des abbesses de Maubuisson et de Poissy, plusieurs chanoines et doyens, plusieurs conseillers et présidents au parlement de Paris.

    Avec le développement du personnel, la ferveur des membres et les bonnes œuvres de la confrérie prirent un nouvel accroissement.

    On vit les confrères s'édifier mutuellement, pourvoir à l'éducation des enfants pauvres, fonder un hôpital pour loger et nourrir les indigents dispenser des aumônes à ceux qu'on ne pouvait y recevoir, et faire des grands biens que possédait la confrérie le plus noble usage.

    Quatre prévôts, dont deux laïques et deux ecclésiastiques, avaient la haute direction de l'œuvre, et étaient élus de trois en trois ans, ainsi que le trésorier.

    Dotée d'ornements, de vases sacrés et de tout ce qui est nécessaire pour le culte, ayant en outre un doyen avec huit chapelains, sans compter les prêtres que la piété attirait à l'église Notre-Dame, un diacre, un sous-diacre, un clerc, un bedeau et un organiste, la confrérie faisait chanter deux grand'messes par jour, dire soixante messes basses par semaine, et acquitter chaque année quatorze cents messes de fondation.

     

    A sa fête principale, qui se célébrait le dimanche dans l'octave de l'Assomption, elle faisait une procession des plus solennelles, où les rois de France faisaient porter leur cierge, tantôt par quelque gentilhomme de la cour, tantôt par le lieutenant général, qui venait offrir les dons du prince.

    En 1652, Louis XIV se trouvant a Pontoise, la reine sa mère y assista, portant son cierge, soutenue par deux écuyers et suivie de ses dames d'honneur.

     

    Depuis la destruction de l'église Notre-Dame, la confrérie tint d'abord ses assemblées dans l'église des Cordeliers, puis les transféra dans une grande salle convertie en chapelle ; et enfin la paix ayant été rendue à la France par l'avènement de Henri IV au trône, on mit aussitôt la main à l'œuvre pour élever un nouveau temple à Notre-Dame sur l'emplacement même du magnifique sanctuaire que la guerre avait détruit; mais malheureusement toutes les calamités qu'on venait de traverser ne permirent pas d'élever un édifice égal à l'ancien ; on ne put construire que la petite église qui existe encore de nos jours et qui se compose d'une grande nef voûtée en bois, de deux latéraux voûtés en pierre, d'une grande sacristie à droite du chœur, et, à gauche, d'une belle chapelle des anciens seigneurs de Marcouville.

    Le 16 avril 1599, on en fit la dédicace.

    On y transporta, au milieu des acclamations de la joie publique, la statue, qui, depuis dix ans, était à l'abbaye Saint-Martin, et on la plaça dans une petite chapelle bâtie à l'angle sud-est de l'église, au niveau du sol extérieur.

    Alors Notre-Dame avait pour curé Charles de Bouves, un de ces prêtres que dévore le feu sacré, qui réveillent les populations endormies, et répandent tout autour d'eux la vie chrétienne.

    Dévoué de toute son âme à Marie, à laquelle il se proclamait redevable de toutes les grâces qu'il avait reçues, soit dans l'ordre de son salut, soit dans l'ordre de son ministère, il saisit l'occasion de la restauration de son église pour réchauffer la dévotion de son peuple, que la disparition de la sainte statue avait un peu refroidie.

    Il prêcha avec chaleur l'amour de la sainte Vierge, rétablit les pratiques anciennes en son honneur, et convoqua tous les fidèles à la récitation du rosaire, qu'il mit en usage et qui produisit les plus heureux fruits.

    Ses successeurs, parmi lesquels brilla d'un vif éclat de sainteté Pierre Accarie, fils de la bienheureuse Marie de l'Incarnation, travaillèrent dans le même sens, ne négligeant rien pour faire aimer la sainte Vierge de leurs pieux paroissiens.

    Un obstacle seulement contrariait leur zèle: l'église était pauvre et incapable de se procurer des cloches pour appeler les fidèles aux exercices de la confrérie.

    Ils portèrent au saint-siège l'expression de leur douleur ; et Clément VIII, prenant en considération l'antique célébrité de ce sanctuaire, ainsi que toutes les calamités qu'il avait subies, statua qu'au grand jubilé de 1600, comme l'avait prescrit Jules III pour celui de 1550, Notre-Dame serait l'unique station où tout le diocèse devrait se rendre pour gagner l'indulgence plénière.

    La chose en effet se fit ainsi, et l'on recueillit des pèlerins assez d'offrandes pour élever la tour qui existe aujourd'hui et acheter des cloches.

    Cependant ce ne fut là que le moindre fruit de ce grand concours. Les peuples, en reprenant le chemin de Notre-Dame, se sentirent attirés à y revenir souvent, comme aux anciens jours ; bientôt l'affluence des pieux visiteurs recommença plus nombreuse que jamais, et Marie, qui ne se laisse point vaincre en amour, répondit à cette confiance par des prodiges tels que n'en avait jamais vu ce béni sanctuaire.

    Le 18 juillet 1630, un enfant mort dans le sein de sa mère est apporté à ses pieds. C'était un dimanche, au moment où allaient commencer les vêpres, et en présence d'une multitude rassemblée ; on prie avec foi : ô prodige ! l'enfant ouvre les yeux à la lumière, le voilà ressuscité. On le baptise au milieu des acclamations de la reconnaissance publique.

    Un procès-verbal de ce grand événement est dressé aussitôt et signé par une multitude de témoins.

    Un mois et quelques jours après, c'était le mardi 27 août, on apporte devant la statue une autre enfant, également morte avant de naître. L'intercession de Marie la rappelle de même à la vie et laisse le temps de la baptiser.

    Le mardi 24 septembre et le vendredi 4 décembre, même miracle opéré devant plus de trois mille personnes, parmi lesquelles se trouvaient le célèbre André Duval, premier professeur de Sorbonne, et Jacques Charton, grand pénitencier de Paris ; et, sur l'avis de ces deux hommes éminents, le procès-verbal de ces faits fut envoyé à l'archevêque de Rouen, qui, après avoir soumis la chose à un sévère examen, ordonna un Te Deum d'actions de grâces dans l'église Notre-Dame.

    A peine avait-on rempli ce pieux devoir, qu'un autre enfant mort est apporté aux pieds de la sainte statue. C'était le samedi 14 décembre, à huit heures du matin. On prie ; Marie semble ne pas vouloir exaucer la demande ; on persévère dans la prière, et le dimanche, à six heures du matin, l'enfant est ressuscité et baptisé.

    Informé de ces prodiges, un riche bourgeois de Paris vient recommander à Notre-Dame le succès d'un procès important, et fait vœu de bâtir, s'il est exaucé, un portique devant l'image miraculeuse. Il gagne en effet son procès, accomplit son vœu, et donne de plus a l'église une magnifique croix en or.

    Ainsi s'écoula l'année 1630, qui n'avait encore jamais eu d'égale en prodiges dans les annales de Notre-Dame.

    L'année suivante, 1631, ne fut guère moins remarquable.

    Pendant les premiers mois de cette année, trois enfants morts dans les mêmes conditions que les précédents furent rappelés à la vie au pied de l'autel de Notre-Dame ; et la sensation profonde qu'avaient produite ces nouveaux miracles s'accrut encore par la présence du père Lefébure, qui arriva à Pontoise au mois d'avril suivant.

    Ce religieux cordelier avait été ressuscité de la même manière le 8 avril 1580, c'est-à-dire cinquante et un ans auparavant ; et jaloux de témoigner sa reconnaissance à la Mère de Dieu, il prêcha pendant plusieurs jours sur la puissance et la bonté de sa céleste bienfaitrice, se présentant lui-même comme preuve vivante de ses discours, puisqu'il lui était redevable de l'existence ; et on ne saurait dire l'effet prodigieux que produisit un tel orateur aux accents pathétiques, à l'âme brûlante de reconnaissance et d'amour.

    A quelques années de là, en 1640, une maladie contagieuse qui ravagea plusieurs villes de France frappa surtout Pontoise, au point qu'il ne restait plus qu'une centaine d'habitants ; les autres ou avaient pris la fuite, ou avaient succombé au fléau.

    Dans cette extrémité, on se rassembla pour aviser aux moyens de conjurer un si épouvantable désastre ; et tous se rencontrèrent dans une commune pensée : « Faisons un vœu à Notre-Dame. »

    On délibéra, et l'on promit de placer sur chaque porte principale de la ville une grande statue en pierre de la sainte Vierge, tenant l'enfant Jésus dans ses bras, de faire une procession solennelle à l'église Notre-Dame, de lui donner une statue d'argent du prix de six cents livres, de faire brûler tous les ans trois flambeaux de cire aux fêtes de la Nativité et de l'Immaculée Conception, et enfin de s'abstenir de chair la veille de cette dernière fête.

    L'archidiacre de Pontoise fut chargé de formuler ce vœu, et il le fit dans un langage où respire la dévotion la plus éclairée et la plus confiante envers Marie.

    « Très-sainte et très-auguste Mère de Dieu, dit-il, » le refuge assuré de tous les siècles, animés de cette douce confiance que c'est par le sein de votre maternité que coulent avec abondance les fleuves de la miséricorde divine pour le soulagement des misères humaines, et que cette source inépuisable de bonté que vous avez toujours fait couler de siècle en siècle pour la consolation de tous les misérables ne nous sera pas fermée, maintenant que nous sommes affligés par une effroyable mortalité, nous avons recours à vous sous les auspices et le bon plaisir du Verbe incarné dans vos chastes entrailles ; nous vous offrons nos âmes et nos vœux, à vous l'autel de la puissance et de la miséricorde, à vous en qui s'est épanchée toute la plénitude de la divinité et de la grâce ; et nous vous promettons, par vœu solennel, de faire brûler tous les ans en l'honneur de votre virginale et royale maternité, aux jours de la fête de votre Nativité et de votre Immaculée Conception, trois flambeaux de cire qui seront portés processionnellement à l'église dédiée à Dieu sous votre auguste nom. Nous vous promettons encore de nous interdire l'usage de la viande la veille de votre Immaculée Conception.

    Et afin que l'on sache dans les siècles à venir, ô très chaste et divine Vierge, que le vœu que nous faisons pour être délivrés par votre intercession du mal contagieux qui nous afflige n'a pas été vain, nous vous promettons encore une image d'argent du prix de six cents livres, qui servira à publier vos bienfaits et notre reconnaissance.

    Et pour faire savoir à tout le monde que cette ville vous est pleinement consacrée, et se place sous votre protection, nous mettrons sur chacune de ses portes votre image, de telle sorte que tous les étrangers qui viendront ici apprendront, par ce monument durable de notre servitude et de notre obéissance, que cette ville s'est enchaînée par son vœu au trône de votre souveraineté, dont elle veut toujours dépendre.

    Délivrez-nous donc, ô charitable libératrice, ô vous à qui l'on ne peut penser sans ressentir une ineffable suavité, vous dont le nom ne peut être prononcé sans attirer une effusion de grâce, délivrez-nous de cette calamité et de toute autre qui trouble le culte de votre Fils... Recevez-nous, ô divine Princesse, comme vos fidèles vassaux ; prenez-nous sous votre sauvegarde comme vos enfants et permettez que la ville de Pontoise, par ce vœu solennel et un nouveau droit d'adoption, se dise de votre famille et de votre domaine. »

    Ce vœu accepté de tous les cœurs et acclamé par toutes les voix, on s'occupa aussitôt à l'exécuter. On plaça sur chaque porte de la ville la statue votée, et au-dessous l'inscription suivante, conforme à l'esprit et au goût de l'époque :

    Je suis ce que j'étais, et je n'étais pas ce que je suis. Maintenant je suis l'un et l'autre, Vierge et Mère de Dieu sans atteinte à ma virginité.

    Après cette première partie du vœu, on s'occupa à préparer le reste ; mais comme on voulait y déployer toute la solennité possible, ces préparatifs demandèrent un long temps, pendant lequel l'épidémie diminua sensiblement ; ceux qui s'étaient enfuis rentrèrent dans leurs foyers, et au jour fixé pour la procession, il y vint plus de douze mille étrangers.

    Le programme de cette procession, qui nous a été conservé, est un monument curieux du symbolisme que les peuples d'alors savaient développer dans leurs fêtes religieuses, des inspirations fécondes que produisait leur amour pour la sainte Vierge, et surtout de la place honorable qu'occupaient dans la cérémonie toutes les professions utiles à la société, même celles que nous réputons les plus viles.

    Heureux temps où toutes les professions étaient honorées, où chacun, content de son état s'attachait à l'honorer lui-même par une conduite sans reproche, où la religion, enfin, lien commun entre toutes les professions, les faisait marcher toutes dans une parfaite entente vers un même but, le bien social et religieux !

    Deux sergents de ville ouvraient la marche, accompagnés de deux prêtres en surplis sonnant deux clochettes devant la bannière de la sainte Vierge, qui marchait en tête de la procession. Venaient ensuite, à l'ombre de cet étendard, vingt et une corporations d'arts et métiers, représentées chacune par quatre hommes dont un, revêtu d'une belle aube blanche, portait un tableau emblématique ; l'autre portait en avant une devise appropriée au tableau ; et les deux autres, un flambeau à la main, à côté du tableau, récitaient dévotement le chapelet.

    Au premier rang étaient les savetiers. Ils avaient pour tableau emblématique Marie dans un parterre émaillé de fleurs, et, sur un plan plus élevé, une main sortant d'un nuage lumineux et tenant deux sandales que la Vierge semblait regarder. La devise était cette parole du Cantique : O Fille du Prince, que vos démarches sont gracieuses dans ces chaussures !

    Venaient ensuite les paveurs avec une sorte de carte géographique représentant d'abord un chemin pavé qui conduisait à la gloire céleste, qu'on apercevait dans le lointain, puis la sainte Vierge qui marchait par cette voie sacrée et montrait du doigt la gloire comme but du voyage ; et on lisait pour devise : Heureux ceux qui gardent mes voies.

    Suivaient les vignerons, dont l'un, portant sur la tête un chapeau de fleurs, tenait entre les mains, par les deux bouts, un bâton auquel était suspendue une magnifique grappe de raisin. Devant lui un autre vigneron portait attachée à une petite baguette et ingénieusement enjolivée, cette devise : Elle a planté une vigne du fruit de ses mains.

    Puis arrivaient les jardiniers, dont l'un portait une petite gerbe de plantes odoriférantes, surmontée d'une branche de laurier ornée de Heurs ; et devant lui, un autre portait l'écriteau : Les fleurs se sont épanouies sur notre terre.

    Les tisserands venaient ensuite, et un d'eux portait, étendue sur une hampe bifurquée, une aube de la plus fine toile de Hollande, bordée de dentelles. La devise était cette parole des Proverbes : Elle a recherché la laine et le lin.

    Les serruriers avaient pour emblème une grande clef dorée ; et pour devise : J'ai les clefs de la mort et du tombeau.

    Les cordonniers, qui les suivaient, portaient deux escarpins blancs avec cordons de soie, et la même devise que les savetiers. Venaient ensuite les pâtissiers, portant un pain bénit dans une serviette blanche ornée de banderoles, et ayant pour devise :  Pain sans levain ; les vanniers, portant une corbeille d'osier remplie de fleurs avec la devise : Elle fleurira comme la fleur du champ ; les mariniers, portant un petit navire pavoisé de couleurs blanches et chargé de vivres, avec l'écriteau : C'est un navire qui apporte son pain de loin ; les mégissiers, portant au haut d'une hampe bifurquée une toison parfaitement blanche, avec la devise : Toison de Gédéon couverte de rosée. Les menuisiers portaient un sceptre de bois doré, avec cet écriteau : Le sceptre des rois ; les potiers, un beau vase doré sur un riche plateau, avec cette devise : Vase admirable , œuvre du Très-Haut ; les bouchers, un petit agneau dans un bassin d'argent, et lié par les pieds d'un taffetas rouge, avec cet écriteau : Je vous montrerai l'épouse qui a l'Agneau pour époux. Les tailleurs portaient un manteau impérial, fond d'argent, semé de lis, avec cette devise : Les gardiens des murailles m'ont ôté mon manteau ; les tonneliers, un baril rouge à cercles d'or, avec cette devise : Vos mamelles sont remplies d'un lait meilleur que le vin ; le tout reposant sur une serviette blanche. Les architectes portaient le plan de la ville, avec la devise : La cité du juste est fidèle ; les marchands de soie, un voile de taffetas de Chine suspendu au haut d'une hampe, avec la devise : Je m'abriterai à l'ombre de vos ailes. Les épiciers portaient une cassolette de parfums avec cette devise : Nous courrons à votre suite à l'odeur de vos parfums ; les drapiers, une magnifique robe d'écarlate bordée de crépines d'or, et suspendue au haut d'une hampe bifurquée, avec cette devise : Elle se revêt de laine et de pourpre. Enfin, les arbalétriers portaient un arc, une flèche et un carquois bien rempli, avec cet écriteau : Il m'a considérée comme une flèche d'élite et m'a renfermée dans son carquois.

    Après ces diverses corporations, suivaient deux bedeaux avec leur robe et leur baguette, le porte-croix accompagné de deux acolytes portant les chandeliers, neuf rangs d'enfants de seize à dix-huit ans, divisés par six, dont le premier rang revêtu d'aubes, portait des cierges allumés, le second un roseau auquel étaient attachées des prophéties ; le premier du troisième rang tenait en main une branche de cèdre avec cette inscription : Je me suis élevée comme un cèdre sur le Liban ; le second un cyprès, avec la devise : Comme le cyprès sur la montagne de Sion. Le quatrième rang portait des cierges allumés ; le premier du cinquième rang l'inscription : Miroir de justice ; le second la devise : Trône de la sagesse. Le premier du sixième rang tenait un miroir enchâssé sur un pied, et le second un trône fait en papier peint. Le septième rang portait des cierges allumés ; le premier du huitième cet écriteau : J'ai été élevée comme le cèdre en Cadès ; et le second : Comme la rose plantée en Jéricho. Le premier du neuvième rang portait une palme, et le second un rosier.

    Venait ensuite un chœur de musique, chantant, en faux bourdon, les litanies de la sainte Vierge ; et, après ce chœur, douze autres rangs, le premier portant des cierges allumés ; le premier du second rang l'écriteau : Vase d'honneur ; le second : Tour d'ivoire. Le premier du troisième rang tenait un vase de fleurs, et le second une tour crénelée. Le quatrième rang portait la devise : Comme un bel olivier au milieu de la plaine ; le cinquième l'inscription : J'ai grandi comme le platane sur le bord des eaux. Le premier du sixième rang avait une branche d'olivier, et le second une palme ; le septième rang des cierges allumés ; le premier du huitième l'inscription : J'ai porté des fruits comme la vigne  ; et le second : Comme le lis parmi les épines. Le premier du neuvième rang portait une vigne chargée de raisins, et le second un lis entre des épines. Le dixième rang portait des cierges allumés ; le premier du onzième, la devise : Arche d'alliance; le second : Fontaine scellée. Le premier du douzième rang portait une arche en forme de châsse, et le second une fontaine coulante.

    Venaient ensuite les religieux capucins, mathurins, cordeliers, le clergé de toutes les paroisses en chapes, marchant avec une grande modestie, à égale distance les uns des autres, précédé de la croix paroissiale, et ayant entre ses rangs les reliques de chaque paroisse, avec un chœur de musique ; puis deux enfants, portant, l'un, un laurier orné de fleurs avec l'inscription : Soutenez-moi parle parfum des fleurs ; l'autre, une branche d'arbre chargée d'oranges et de pommes, avec la devise : Entourez-moi de fruits odoriférants.

    Alors apparaissait l'effigie de Notre-Dame, portée par quatre prêtres en dalmatiques, précédée du diacre et du sous-diacre, qui l'encensaient continuellement, suivie du célébrant en chape qui tenait un cierge à la main, entourée de six enfants portant des flambeaux allumés, et de six membres de la confrérie en aubes, tenant des torches.

    Après l'officiant, venait le magistrat de la cité, portant un cierge, précédé de six sergents avec leurs baguettes et des deux messagers de la ville en costume, leur bâton à la main, accompagné des deux échevins et du syndic, tenant chacun un flambeau, suivi enfin des messieurs de la ville, portant aussi un flambeau allumé, puis de divers corps de musique, et de plus de douze mille étrangers accourus pour prendre part à la solennité.

    Quand on fut arrivé devant l'image miraculeuse, on déposa à ses pieds la statue d'argent qu'on avait vouée, les trois flambeaux et divers présents offerts par la piété des fidèles.

    Marie ne tarda pas à montrer combien elle était sensible a ces hommages, et six semaines ne s'étaient pas écoulées, que déjà le fléau avait entièrement disparu ; de telle sorte que le premier dimanche de novembre, on fit une procession solennelle du saint-sacrement pour remercier Dieu de l'heureuse délivrance obtenue par la médiation de sa sainte Mère.

    Le succès des prières adressées à Marie attira à Pontoise les paroisses environnantes, qui vinrent processionnellement solliciter la protection de la céleste libératrice.

    Houilles, paroisse du diocèse de Paris, était alors ravagé par une épidémie terrible ; les habitants firent vœu de venir en procession à Notre-Dame de Pontoise, et de lui offrir un cierge du poids de vingt livres ; le fléau cessa aussitôt ses ravages, et la procession qui devait venir demander la délivrance, vint remercier Marie de la grâce obtenue.

    Six ans plus tard, en 1646, une sécheresse prolongée ayant fait craindre une famine dans tout le pays, Pontoise recourut à sa divine protectrice, et fit, le jour de l'Assomption, une procession générale avec toutes les paroisses environnantes à l'église Notre-Dame. Encore ici les prières furent exaucées ; la pluie vint féconder la terre, et la récolte fut des plus abondantes.

    Le 25 mars 1650, nous voyons Louis XIV renouveler aux pieds de Notre-Dame le vœu de Louis XIII, qui plaçait sa personne et son royaume sous le patronage de la Mère de Dieu.

    L'année suivante, nous voyons Anne d'Autriche y venir elle-même en pèlerinage et suivre en personne la procession de la ville à Notre-Dame.

    Le 24 août 1662, les carmélites de Pontoise, pour remercier Marie de la fondation du premier couvent du Carmel réformé, qui avait eu lieu à pareil jour un siècle auparavant, font don à l'église Notre-Dame d'une belle cloche et d'une brillante couronne pour la sainte Vierge, ainsi que d'une robe plus magnifique encore, et d'une couronne de perles enrichie de pierres précieuses pour l'enfant Jésus.

    Ces deux riches offrandes furent portées par une procession solennelle à laquelle prirent part, avec tout le clergé et les fidèles, la femme du chancelier Séguier et la comtesse de Guiche sa fille.

    Vers le même temps, la reconnaissance pour les grâces obtenues inspira à la Prieure de l'Hôtel-Dieu de Pontoise de léguer au sanctuaire vénéré une lampe du prix de trois cents livres ; à l'abbesse de Conflans, d'y apporter en pèlerinage de riches présents ; au procureur du roi, d'y offrir un calice en vermeil de grand prix. Et ce n'étaient pas seulement les particuliers qui avaient à remercier Notre-Dame des grâces obtenues ; les peuples entiers avaient à la bénir d'insignes bienfaits qu'ils en avaient reçus.

    La paroisse de Houilles, en proie une seconde fois à la contagion, fit vœu de venir en procession à Notre-Dame ; et le mal cessa tout à coup.

    Pierrelaye, ravagé par la fièvre putride, fit de même, et fut également délivré.

    L'année suivante, le 22 août 1692, Villiers-Adam, paroisse à quelques lieues de Pontoise, affligée d'une épidémie, fut guérie par le même moyen,et voua à perpétuité par un vœu solennel, une procession commémorative de la procession du 22 août,  jour, dit le vœu, que les malades à l'extrémité se sont mieux portés.

    En 1701, Auvers, autre paroisse voisine de Pontoise, fut également guérie du pourpre, qui causait une grande mortalité.

    En 1728, Saint-Ouen l'Aumône, envahi par une épidémie qui enleva en peu de temps un grand nombre de victimes, fit vœu d'aller en procession, pendant neuf années consécutives, à Notre-Dame de Pontoise, d'y faire célébrer une messe solennelle, et d'offrir à la sainte Vierge trois flambeaux du poids de six livres ; et la paroisse fut délivrée.

    Tous ces prodiges suscitèrent une dévotion plus vive encore et plus générale envers le sanctuaire auguste d'où partaient tant de traits de miséricorde, et portèrent un habitant de Pontoise à donner 3,633 livres de fer pour construire une grille entre le chœur et la nef ; un autre à léguer six grandes pièces de tapisserie pour orner les piliers de l'église ; mais en même temps ils irritèrent la rage de quelques impies, qui semblèrent vouloir s'en venger parle crime.

    Dans la nuit du dimanche 7 mars 1737, ils pénétrèrent dans l'église et y brisèrent le marbre commémoratif où était gravé en lettres d'or le vœu de la ville de Pontoise de 1638.

    On le remplaça, peu après, par un autre marbre ; et pour réparer la profanation, on fit une procession solennelle qui fut comme le prélude de la procession de l'année suivante, lorsqu'au 8 septembre 1738 eut lieu le renouvellement séculaire du vœu qui avait sauvé Pontoise de l'épidémie.

    Notre-Dame vit encore en 1742 la paroisse de Saint-Ouen l'Aumône, ravagée par le même fléau qui l'avait affligée quatorze ans auparavant, revenir comme la première fois trouver sa libératrice.

    Une procession solennelle fut sans résultat; puis on fit le vœu d'y venir pendant neuf années consécutives et de faire abstinence ce jour-là, d'y offrir trois cierges du poids de six livres et d'y faire célébrer une messe en l'honneur de la sainte Vierge ; et à peine le curé et les principaux habitants eurent-ils signé ce vœu, que la maladie, si cruelle et si intense jusqu'alors, cessa tout a coup de sévir.

    Tel est le dernier miracle dont l'histoire nous ait conservé le souvenir jusqu'au régime de la terreur.

    Alors, c'était le 30 avril 1791, en vertu d'un décret de l'Assemblée nationale du 3 juillet 1790, on posa les scellés sur les portes de l'église Notre-Dame comme sur toutes celles de la ville ; l'argenterie, les tableaux, les ornements du culte, le mobilier sacré, les statues, les bronzes, tout fut enlevé, et le sanctuaire si vénéré des siècles fut converti en un magasin à fourrages.

    Empressé de tirer parti de tout ce qu'il venait de piller, le gouvernement le mit en vente, et l'on vit alors un beau trait de dévouement religieux.

    Un simple artisan, dont le nom mérite d'être conservé, le nommé Debise, au risque de perdre le peu d'argent qu'il possédait et sa vie même, se porta comme acquéreur de la statue et d'une partie du mobilier qui avait servi au culte de Marie.

    Une concurrence outrée lui fut faite par l'impiété qui le raillait ; mais décidé à tous les sacrifices plutôt que de laisser profaner l'image vénérée, il enchérit sur son adversaire jusqu'à ce qu'on lui adjugeât la statue ; et il la plaça dans un endroit de son jardin, dont il fit une sorte de sanctuaire, où les fidèles venaient prier en secret pendant les mauvais jours de la révolution.

    Le comité révolutionnaire s'en émut, et par un décret du onzième jour du deuxième mois de l'an III de la République, il chargea ses agents de surveiller ces rassemblements, qu'il appelait des réunions fanatiques.

    Mais la sainte Vierge protégea si visiblement et sa statue, et Debise, et les fidèles qui venaient la prier, qu'il n'arriva aucun malheur.

    Le régime de la terreur passé, et l'église de Pontoise consacrée à saint Maclou rendue au culte, les habitants, désolés de ne point voir rouvrir le sanctuaire de Notre-Dame si cher à tous les cœurs catholiques, réclamèrent d'abord auprès du préfet du département.

    Celui-ci laissant leur demande sans réponse, ils s'adressèrent à la municipalité de Pontoise.

    L'origine de cette église, disaient-ils dans leur lettre, qui est une confirmation de tout ce que nous avons raconté, remonte à une haute antiquité. Vous connaissez les nombreux miracles opérés dans ce sanctuaire ; vous savez tous les assauts qu'il a subis de la part des Anglais : après avoir survécu à tant de ravages de la part des étrangers, pourrait-il être détruit par des Français si intéressés à sa conservation ?

    C'est dans cette église que la ville de Pontoise et ses faubourgs ont prononcé le vœu solennel de 1638.

    Ce vœu s'y renouvelle d'année en année, et un grand nombre de paroisses voisines viennent aussi tous les ans y renouveler les engagements sacrés qu'elles ont contractés à diverses époques envers la Mère de Dieu, pour avoir été délivrées de maladies contagieuses par son intercession.

    Des lettres si pressantes ne furent pas écoutées, et Notre-Dame fut mise en vente pour être démolie.

    A cette nouvelle, l'alarme fut extrême ; des instances plus vives se firent entendre.

    Enfin le préfet céda, et le sanctuaire vénéré s'ouvrit à la piété des fidèles.

    Aussitôt Debise offre de rendre la statue avec les ornements qui l'accompagnaient, sans rien demander du prix que le tout lui avait coûté.

    On admire tant de dévouement et de sacrifice dans un homme qui d'ailleurs était pauvre ; mais on se fait un point d'honneur de ne pas l'accepter, et la ville prend une délibération touchante, par laquelle elle s'engage à lui fournir tous les ans, et après lui à sa femme, trois setiers de blé, valant soixante-douze francs, comme témoignage, dit la délibération, de la reconnaissance publique tant pour le don de la statue qui est devenue sa propriété et des autres ornements qui ont servi au culte de la sainte image, que pour tous les soins religieux et le dévouement qu'il a mis à leur conservation.

    Cet acte public terminé, on ne pensa plus qu'à transférer la statue, du jardin de Debise, à son ancien sanctuaire.

    Toute la ville était dans l'allégresse, et l'on employa huit jours a préparer cette pieuse cérémonie.

    Enfin le 4 octobre 1800, au milieu d'une foule immense accourue de tous les points de la ville, on fit le soir, aux flambeaux, la translation tant désirée, et le lendemain, au grand jour, la statue fut reposée à la place ancienne où elle avait reçu les hommages des siècles.

    En même temps, par un sentiment délicat, on fit à Debise le plaisir et l'honneur de lui confier le soin d'orner la sainte image aux jours de fête et de parer sa chapelle.

    Aussi heureux de cette mission qu'embarrassé des moyens de la remplir, puisque la révolution avait tout dévasté, Debise imagine un étrange moyen ; il va mettre à la loterie le peu d'argent qu'il avait : ô bonheur ! il gagne ; et triomphant de joie, il court acheter une croix avec quatre chandeliers, dont il fait présent à Notre-Dame.

    Tant de dévouement excite le zèle de la fabrique ; elle répare les dégâts faits dans le saint lieu par la révolution, remet tout dans la décence convenable, et bientôt on y célèbre les divins mystères.

    Ce jour heureux fut comme le commencement d'une ère nouvelle ; les pèlerinages à Notre-Dame recommencèrent.

    Pontoise reprit l'usage de ses deux processions annuelles, et les paroisses voisines leurs processions votives.

    Tout alla ainsi jusqu'au 8 septembre 1838 ; c'était le second renouvellement séculaire du vœu de 1638.

    Cette fête fut célébrée avec tout l'enthousiasme et toute la pompe possible, non-seulement parla population de Pontoise, mais par des masses compactes accourues de toutes les paroisses environnantes.

    A la suite d'une procession solennelle, les notables de la ville offrirent les trois flambeaux promis par le vœu ; et l'évêque de Versailles, prosterné aux pieds de la statue miraculeuse, renouvela ce même vœu, et consacra sa personne avec son diocèse a la Mère de Dieu.

    Deux ans ne s'étaient pas encore écoulés depuis cette éclatante manifestation de dévouement, que Marie se plut à montrer qu'elle était toujours puissante et bonne comme aux âges passés. 

    Le 9 mai 1840, un habitant de Houilles, nommé Picard, ayant apporté devant la statue vénérée le corps de son petit-fils, mort avant de naître, eut, après de ferventes prières et une longue attente, la consolation de voir cet enfant revenir à la vie et recevoir le saint baptême.

    Un procès-verbal en fut dressé par M. Cordier, curé de Notre-Dame, et toute la paroisse de Houilles fut témoin du fait.

    En 1849, le choléra qui avait épargné Pontoise en 1832, alors qu'il sévissait si cruellement dans les environs, ayant fait tout a coup invasion dans la ville et enlevé en peu de jours plus de cinquante personnes, on se rendit en procession solennelle à Notre-Dame.

    On pria avec ferveur ; et à dater de ce jour, non-seulement le fléau cessa de faire de nouvelles victimes, mais celles qu'il avait déjà atteintes furent bientôt guéries.

    Pontoise n'oublia point le bienfait reçu ; et l'année suivante, on célébra le jour anniversaire de cette merveilleuse délivrance par une magnifique procession d'actions de grâces à Notre-Dame.

    On fit mieux encore peu d'années après.

    Comme les trois statues établies sur les trois portes principales de la ville en vertu du vœu de 1632 avaient été abattues et détruites par la révolution, on les remplaça par trois statues en fonte, du poids de six cents livres chacune et de la hauteur de trois mètres et demi.

    Ainsi Pontoise est toujours demeuré fidèle au culte de Notre-Dame, et les paroisses circonvoisines imitant ce bel exemple, continuent aujourd'hui encore les traditions de leurs ancêtres.

    On en compte jusqu'à douze qui y viennent chaque année en pèlerinage ou procession, les unes par vœu perpétuel, les autres par vœu temporaire.