• Notre-Dame de Chartres page4

     

     

    Notre-Dame de Chartres

    page 4

     

     

    CHAPITRE SIXIÈME.

    Des pèlerins de Notre-Dame de Chartres.

    S'il fallait en croire certains historiens de la cathédrale, de nombreux pèlerins seraient venus, même avant la naissance de Marie, visiter la statue que les Druides lui avaient élevée à Chartres, et cette dévotion aurait été encouragée par des miracles sans nombre.

    Parmi les miracles infinis qui se firent alors, dit Vincent Sablon, les chroniques ne nous parlent que de celui qui s'opéra en la personne du fils du roi de ce temps-là.

    Ce fils étant tombé dans un puits, dont on le retira mort, Geoffroi, son père, roi de Montléri, fort triste et éploré, sur la connaissance qu'il avait des miracles que faisait cette Vierge qui devait enfanter, alla dans sa grotte la prier instamment qu'il lui plût rappeler son fils à la vie.

    La sainte Vierge lui accorda sa prière et ressuscita son fils.

    Le père, pour remercier la sainte Vierge d'une si grande faveur, lui fit des présents magnifiques.

    Ce grand miracle augmenta infiniment la dévotion dans tous les cœurs : tout le monde accourut en foule dans cette sainte grotte, et on ne vit de tous côtés que des gens venir rendre leurs hommages à une si auguste bienfaitrice. »

    Il va sans dire que l'on ne peut guère ajouter foi à ce récit de nos vieilles chroniques. Mais ce qui paraît plus certain, c'est que peu de temps après la mort et l'assomption de la très-sainte Vierge, les fidèles du pays chartrain se rendaient à Chartres pour honorer la Mère de Dieu dans son image jadis érigée par les Druides.

    Aucun monument des premiers siècles n'en parle, il est vrai ; mais cela ne doit guère étonner, puisque les divers incendies de l'église et les ravages des Normands ont détruit tous les documents qui auraient pu nous renseigner.

    Cependant nous possédons quelques faits qui prouvent qu'au 6e et au 7e siècle le pèlerinage était connu au loin.

    C'est ainsi que saint Eman, originaire de la Cappadoce, n'est venu se fixer à Chartres, en 527, que pour servir la Mère de Dieu, honorée dans la cathédrale.

    A l'ombre du sanctuaire, derrière le cloître, il bâtit un petit ermitage qui fut plus tard transformé en chapelle.

    —Voici un autre fait raconté par Frédégaire, écrivain contemporain. En 625, un certain Godin, fils du maire du palais de Neustrie, fut accusé de complot contre la vie du roi Clotaire. Il offrit de se purger par serment, à la mode des Francs, dans les principaux sanctuaires de l'empire. Le roi accepta, mais à la condition que Chamnult et Waldebert, fidèles de Clotaire, veilleraient à sa garde. Godin avait déjà visité les basiliques de Saint-Denis et de Saint-Médard de Soissons ; ses compagnons de route lui conseillèrent, pour donner plus de force à son serment, de se rendre à Saint-Aignan d'Orléans et à Saint-Martin de Tours, en passant par Notre-Dame de Chartres, Ainsi le pèlerinage de Chartres était, au septième siècle, compté parmi les plus célèbres.

    Au huitième siècle la célébrité de l'église de Chartres nous est manifestée par plusieurs faits historiques.

    Sous la première race de nos rois, elle fut dotée par eux d'une grande partie de la forêt Équaline ou Yveline (la forêt de Rambouillet).

    Au mois de septembre 768, Pepin-le-Bref confirma cette donation.

    En 771, Carloman ajouta à ce don les métairies de Faveroles et de Néron. Par son diplôme du mois de décembre 794, Charlemagne, si dévot envers la très-sainte Vierge, consacre d'une manière plus authentique les donations de son frère.

    — En 834, l'empereur Louis le Débonnaire, et, en 840, le roi Lothaire se trouvaient à Chartres ; ils voulurent sans doute alors rendre leurs hommages à Notre-Dame et la conjurer de bénir leurs armes, car ils se préparaient l'un et l'autre à faire la guerre.

    Quoique vénéré déjà depuis longtemps par toute la France, le sanctuaire de Notre-Dame de Chartres le fut encore plus quand, en 867, il devint possesseur du saint Vêtement, donné par Charles le Chauve. Alors on vit grossir chaque année la foule des pèlerins.

    En 889, le roi Eudes vint mettre son autorité précaire sous la puissante protection de la sainte Dame de Chartres. Il fut exaucé, car il mourut paisible possesseur de la couronne de France.

    En 911, Rollon chassé miraculeusement de devant Chartres, se montra plus traitable ; il fit la paix avec Charles-le-Simple, à la fin de cette même année ; « et ayant reçu le saint Sacrement de baptême, et en icclui pris le nom de Robert, eut une dévotion particulière à la Vierge de Chartres, qui contre la pensée d'icelui avait moyenne son salut. »

    Aussi lui fit-il des dons considérables, et grand nombre de seigneurs normands, à son exemple, s'empressèrent, de faire de généreuses donations au sanctuaire de Notre-Dame de Chartres. Plusieurs même y vinrent pour y recevoir le baptême, et reconnaître la puissance de Celle qui leur avait fait éprouver la force de son bras en les mettant en déroute dans une bataille à jamais célèbre dans nos annales.

    Si nous avançons d'un siècle, nous verrons tous les rois et les princes de l'Europe chrétienne se montrer à l'envi les généreux bienfaiteurs de Notre-Dame de Chartres, et mettre l'illustre Fulbert en état de lui construire une incomparable basilique.

    Quand la sainte grotte fut rétablie, on vit les flots de pèlerins accourir de tous les points de la France ; parmi eux se trouva le roi Robert, qui offrit à Notre-Dame un gros saphir, comme nous l'avons dit plus haut.

    — L'héritier de sa couronne, Henri Ier, son fils, hérita aussi de sa généreuse dévotion à Notre-Dame : à peine monté sur le trône, il se dirigea vers Chartres, et pour donner une marque de sa tendre piété, il fit exécuter à ses frais les voûtes de la cathédrale, comme nous l'apprend le nécrologe de Chartres.

    Le même siècle vit encore un autre pèlerin illustre de Notre-Dame : ce fut saint Gilduin , évêque élu de Dole, comme déjà nous l'avons dit.

    Le douzième siècle verra aux pieds de NotreDame de Chartres, trois Souverains Pontifes, deux de nos rois, un roi d'Angleterre, deux reines, et une foule de princes, de cardinaux, d'évêques, de seigneurs, avec le grand saint Bernard. Entrons dans les détails.

    Le pape Pascal y fit un voyage religieux en 1104, il y passa les fêtes de Pâques. Il y revint trois ans après. L'histoire est muette sur ce qu'il y fit.

    Bohémond de Tarante, prince d'Antioche, ayant obtenu la main de Constance, fille du roi Philippe 1er, choisit Chartres pour y célébrer son mariage, afin de le placer sous la douce tutelle de Notre-Dame. C'était en 1106.

    En 1118, Notre-Dame reçut les hommages de Louis le Gros, et de ses principaux officiers. On a vu plus haut que la dévotion envers la sainte Dame de Chartres désarma son courroux, près d'éclater contre la ville.

    Douze ans plus tard, Notre-Dame devait voir des pèlerins plus illustres encore. Le pontife romain Innocent II, chassé de son siège par l'antipape Anaclet, vint porter à la Consolatrice des affligés, ses tribulations et ses vœux pour la paix et l'union de l'Église. Le pape était accompagné de saint Bernard. Il officia pontificalement le jour de Noël dans la cathédrale.

    Peu de jours après, Henri, roi d'Angleterre, arriva à Chartres avec la plupart des évêques et des barons de ses États ; il se prosterna aux pieds d'Innocent, et il lui promit, en présence de Notre-Dame, une obéissance entière pour lui et pour ses sujets. C'était le 13 janvier 1151.

    Saint Bernard reparut devant Notre-Dame en 1147 ; il lui offrit l'hommage de ses ferventes prières et lui recommanda la croisade qu'il prêchait. Avec lui se trouvaient une foule d'évêques et de prélats, entre autres le célèbre Suger, abbé de Saint Denis. La parole de saint Bernard fut si efficace que la plupart des barons chartrains prirent la croix en présence de Notre-Dame. C'est là que le saint fut nommé généralissime de l'armée croisée ; mais son humilité refusa toujours ce dangereux honneur.

    Au mois d'avril 1163, on vit, pour la seconde fois dans le même siècle, le Souverain-Pontife chassé de Rome venir se mettre sous la protection de Notre-Dame. Alexandre III arriva à Chartres avec une suite nombreuse de cardinaux et de prélats. L'évêque, Robert le Breton, tout le clergé et tout le peuple allèrent au-devant du Souverain Pontife, et le conduisirent à la cathédrale avec des chants pieux et des acclamations de joie. Le pape se prosterna devant l'image vénérée de la Mère de Dieu, et y resta longtemps en prière. C'était un beau spectacle que de voir le vicaire de J.-C., le chef de l'Eglise, le prince auguste des pasteurs, accompagné de ses cardinaux, environné de princes, de seigneurs et d'une innombrable multitude accourue de toutes les villes et de tous les villages voisins, à genoux devant Notre-Dame de Chartres pour la supplier d'avoir pitié de l'Église alors divisée par le schisme d'un anti-pape et par les violences d'un empereur d'Allemagne.

    Voici venir une reine de France, Isabelle de Hainaut, pour rendre ses hommages à la souveraine du Ciel.

    Nous laissons la parole à Pintard : « La Reyne Isabelle de Hainault, femme de Philippe-Auguste, vint en dévotion à Chartres pour satisfaire à un vœu qu'elle avoit fait. S'estant rendue dans l'église aux pieds de l'Image de la sainte Vierge, elle sentit remuer l'enfant quelle portoit, et dont elle accoucha le 5 septembre 1187, qui fut le Roy Louis VIII. Quelques manuscrits portent qu'à l'instant, en présence de la Reyne, quatre lampes de l'église s'allumèrent d'elles-mêmes. » Un poète contemporain, Guillaume-Ie-Breton, a célébré ce miracle dans sa Philippide ; il parle à Louis VIII, qui venait de monter sur le trône :

    Hœc Deus Helisabelh signo patefecit aperto,
    Cum sacrum portarct adbnc te pondus in alvo.
    Quœ Carnotensi Domina?, dum snpplicat, et te
    Ejus in ecclesia preeibus commendat eidem,
    Sensit ubi primum sancto te ventre moveri,
    Cœlitus accensas in eadem quatuor hora
    Ignis corripuit nulle accondente lucernas.

    « Voici, dit le bon Rouillard, voici en français, ce que signifient les vers latins préalléguez :

    De ta vertu future, Hélisabelh la mère,
    Te portant en ses flancs eut un signe prospère,
    Quand priant à gunoux devant le sainct autel
    De la Dame chartraine, ainçois Roine du Ciel,
    Et qu'invoquant pour toi cette bonne Maistresse
    Elle te ressentit tressaillir d'allégresse,
    Et vid un feu d'en iiaull sur quatre lamperons,
    Te présagir l'éclair de tes nobles fleurons.

    Une autre princesse, Blanche, fille du roi de Navarre et femme du comte souverain de Champagne, ne tarda pas d'imiter la dévotion de la reine de France envers Notre-Dame de Chartres.

    Au mois de juin 1194, un prince de l'Église, le cardinal Mélior, légat du pape Célestin, vint recommander sa difficile légation à la glorieuse Dame de Chartres. Il n'était pas encore sorti de la ville, lorsque tout à coup un incendie se déclara et consuma la basilique de Notre-Dame élevée par Fulbert. Nous avons vu ailleurs ce que l'illustre cardinal fit pour encourager le clergé et le peuple à reconstruire un autre sanctuaire à la Reine du ciel.

    Si le douzième siècle vit accourir à Chartres tant de pèlerins et de personnages illustres par leur haute position dans l'Église et dans l'Etat, le treizième amena à Notre-Dame de non moins illustres et de bien plus nombreux adorateurs. Car la sainte Vierge multiplia ses miracles à cette époque ; c'est alors que l'on vit les morts ressusciter, les malades guérir, les sourds entendre, les muets parler, les aveugles voir, les boiteux se redresser ; car Notre-Dame donnait assistance à tous ceux qui l'invoquaient à Chartres :

    Les sors oir, les mux parler,
    Les orbz voair, les tors aler,

    Car à tous ceulsdonnoit aie
    Qui la requeroient a Chartres.

    La renommée de ces miracles se répandit non-seulement dans toutes les provinces de France, mais encore dans toute l'Europe ; aussi vit-on arriver des pèlerins de toutes parts, du fond de l'Italie, de l'Espagne, de l'Angleterre, de l'Allemagne.

    Pendant la construction de la splendide cathédrale que nous admirons encore, il y avait tant de pèlerins par voies et par chemins que c'était merveille ; chaque nuit ils veillaient dans l'église ; ils étaient si nombreux qu'ils ne pouvaient y tenir tous ; la plus grande partie était même obligée de se tenir dans le cloître. Tout était si rempli de pèlerins et de pèlerines que les chanoines se rendant à Malincs ne pouvoient traverser le cloître. De tous les pays d'alentour les cures, suivis de tous leurs paroissiens, venaient en procession, demeuraient une nuit à Chartres et veillaient dans le cloître ou dans l'église ; ils chantaient à haute voix les louanges de Dieu et de Notre-Dame. » Voilà ce que nous apprend un chanoine contemporain de cet admirable clan, de ce saint empressement à honorer la Reine du ciel par un pèlerinage à Chartres. C'est à cette époque surtout que les fidèles, dans leur foi naïve et forte, goûtaient le charme des pèlerinages, qu'ils en savouraient la gracieuse et suave impression et qu'ils en recueillaient les fruits abondants et salutaires. Nos aïeux aimaient à entreprendre ces saints voyages, frappante image du grand pèlerinage du temps à l'éternité. C'étaient leurs fêtes les plus belles et leurs joies les plus pures.

    Ces nombreux pèlerins du 13e siècle ne venaient pas à Chartres les mains vides : ils aimaient tendrement la Reine des cieux ; et quand on aime, on se plaît à enrichir l'objet aimé.

     

    Lors vinrent gens de toutes parts

    Qui en charrettes et en chars,

    Grans dons a l'église aporloient,

    Qui à l'œuvre mestier avoient;

    Froment aporloient les uns,

    Les autres aveine, orge; les uns

    Fer et plomb extrait de minières,

    Les autres vins blancs et vermaus (rouges),

    Les autres anneaux d'or etfermaus (colliers et agrafes).

    D'autre part revenoient gens

    Qui offraient joyaux d'argent,

    Hennas, coupes, vessellemente (vaisselle);

    Et l'on metloit le tout en vente,

    De tout ce l'on tiroit deniers,

    Qui se donnoient aux ouvriers

    Dont il y avoit grant plente (abondance) (1).

    Ce ne fut pas seulement le peuple qui s'ébranla pour servir et enrichir Notre-Dame de Chartres ; les rois, les princes, les guerriers illustres, les grands de la terre vinrent à la suite du peuple. En effet, parmi ses dévots et généreux serviteurs de ce temps-là, on compte Philippe-Auguste, Louis VIII, saint Louis et Philippe le Hardi, rois de France ; saint Ferdinand, roi de Castille, Richard Cœur-de-Lion, roi d'Angleterre ; les reines Blanche de Castille, Marguerite de Provence et Jeanne de Dammartin ; la B. Isabelle de France, sœur de saint Louis et fondatrice de l'abbaye de Longchamp ; Philippe de France, comte de Boulogne et oncle de saint Louis, sa femme la comtesse Maltant, et sa fille Jeanne, comtesse de Chartres ; Pierre de Courlcnay, petit-fils du roi Louis le Gros, couronné empereur de Constantinople en 1220, et Raoul de Courtenay, Gervais, comte de Chateauneuf, son frère ; Bauchard de Marly, des barons de Montmorency ; Henri Clément, seigneur du Mez, dit le Petit-Maréchal, un des braves capitaines de Philippe-Auguste ; le cardinal Etienne, archevêque de Cantorbéry, et une multitude d'autres seigneurs et prélats. Tous voulurent que le sanctuaire de Notre-Dame de Chartres fût le plus riche et le plus auguste de l'univers.

    Non-seulement Richard-Cœur-de-Lion fit des libéralités pour subvenir à la construction du sanctuaire de Notre-Dame ; il y ajouta encore un acte de dévotion et d'humilité, qui étonne dans un prince aussi orgueilleux ; mais à cette époque les âmes les plus altières aimaient à s'abaisser devant Notre-Dame.

    Voici comment la chose est racontée par le Poème des miracles :

    « Quand le roi Richard eut entendu raconter les miracles de Notre-Dame de Chartres, il eut pour son sanctuaire une très grande révérence ; il fit favorable réception aux quêteurs de Chartres et leur donna plein pouvoir de prêcher et de quêter dans son royaume, bien qu'il fût alors en guerre avec le roi de France, Philippe-Auguste. Par humilité et dévotion, il voulut pendant un jour porter sur ses épaules royales la châsse aux saintes reliques que les quêteurs avaient prise avec eux.

    Nous avons dit ailleurs que le roi Philippe Auguste voulut,en 1210, faire le voyage de Chartres pour y vénérer Notre-Dame ; c'est alors qu'il passa sous la sainte Châsse.

    L'illustre Blanche de Castille, mère de saint Louis, se fit un devoir et une consolation de venir souvent passer plusieurs heures en oraison devant l'Image de Notre-Dame. Dans un de ses pieux voyages, elle assista à la première messe conventuelle qui fut chantée au couvent des Jacobins de Chartres ; c'était le jour de la Fête-Dieu 1231.

    Saint Louis, le plus grand de nos rois, marcha sur les traces de sa mère dans celte noble carrière de dévotion et de piété envers Notre-Dame de Chartres et son auguste sanctuaire : il fit élever à ses frais le splendide porche septentrional ; il donna de nombreuses verrières, il y fonda deux autels, celui des Anges et celui des Vierges, et voulut qu'on y célébrât chaque jour le saint sacrifice à son intention.

    Ce grand roi parut plus d'une fois à Chartres : en 1255 , il s'y trouvait avec le roi d'Angleterre et une foule de grands seigneurs.

    Le 17 octobre 1200, il assistait à la dédicace solennelle du temple que sa royale munificence avait doté de tant de richesses artistiques. A cette occasion il voulut demander et obtint du pape Alexandre lV des indulgences pour les fidèles et les pèlerins qui visiteraient le saint temple, depuis le jour anniversaire de sa consécration jusqu'à la fête de Noël. Le bref pontifical se lit dans la Gallia Christiana.

    Un frère du grand et saint roi, Alphonse de France, comte de Toulouse et de Poitiers, fit également acte de généreuse piété envers Notre-Dame ; il fonda dans la cathédrale l'autel de saint Thibaut et le dota de vingt livres de rente annuelle.

    Les premières années du 14° siècle virent aux pieds de la sainte Dame de Chartres, le roi Philippe-le-Bel, encore tout couvert de la poussière et du sang des combats de Mons-en-Pevèle. Ce valeureux prince ne regarda pas comme indigne de son courage de venir courber la tête devant Marie, et de lui rendre grâces de la victoire qu'il venait de remporter sur les ennemis de la France.

    Comme gage de sa reconnaissance, il lui offrit les armes et les vêtements qu'il portait à cette journée mémorable. C'était l'accomplissement d'un vœu fait sur le champ de bataille.

    Avant de quitter le sanctuaire de Marie, le monarque participa au sacrement du corps et du sang adorable de J.-C., et il fonda un service solennel sous le nom de Notre-Dame-des Victoires, à célébrer chaque année le 17 août, anniversaire de ce glorieux succès.

    « Et pour une perpétuelle mémoire, dit Rouillard, tous les ans, le jour de la dite solemnité, la coutume est de pendre au poulpitre du costé de la nef, toutes les dictes armes par lui offertes à l'église :  savoir son casque couronné et doré, sa cuirasse, sa jacque de maille, sa cotte d'armes de velours violet cramoisy, semée de fleurs de lis d'or, trois devant, trois derrière, sa camisole qu'il mettoit soubs ses armes, qui est cottonnée et de satin incarnat, ses gantelets, son espée avec le pendant et la ceincture, ses brassars et cuissars. » Le service a été supprimé par la fatale révolution de 1793.

    Le roi Charles-le-Bel vint deux fois en pèlerinage à Notre-Dame de Chartres ; une première fois, avec le roi son père en 1304 ; il n'avait alors que dix ans, et il y laissa le petit ornement de guerre qu'il portait à la journée de Mons-en-Pevèle. II y reparut vingt ans plus tard pour mettre sa couronne et son règne sous le glorieux patronage de Notre-Dame.

    En 1328, le roi Philippe de Valois, après sa fameuse victoire Cassel, vint rendre ses actions de grâces à Notre-Dame de Chartres ; il était accompagné d'une suite nombreuse d'officiers et de grands seigneurs. Il fit ses dévotions devant l'Image de la Mère de Dieu, non sans laisser des marques abondantes de sa libéralité.

    — L'année suivante, le roi très chrétien avec tous les princes de sa cour, se retrouva aux pieds de Notre-Dame, et approcha avec piété du banquet divin.

    — En même temps il assista au mariage de Jean, duc de Bretagne, avec Jeanne, fille du duc de Savoie, mariage que les jeunes époux avaient voulu contracter sous les heureux auspices de la sainte Dame de Chartres. Celui qui a dit cette belle parole, que si la justice et la bonne foi étaient bannies du reste de la terre, elles devraient encore trouver un asile dans le cœur des rois, le roi Jean hérita de la filiale piété de son père pour Notre-Dame de Chartres. Il vint trois fois lui offrir l'hommage de ses prières et de ses libéralités : ses pieux voyages eurent lieu en 1351, 1356 et 1301. Son dernier pèlerinage, qu'il voulut faire à pied, le bâton du pèlerin à la main, avait pour objet de remercier la sainte Mère de Dieu de son heureuse délivrance de la captivité d'Angleterre. Il y laissa alors son bourdon de pèlerin, qui servit depuis de bâton cantoral dans l'église de Chartres.

    L'inventaire de 1682 le décrit en ces termes : « Un bâton de Brésil (haut de 5 pieds 3 pouces), virole d'argent en plusieurs endroits ; au haut une grosse fleur de lis en vermeil. C'est le bourdon que le roi Jean portait en ses pèlerinages. » — Dans ses lettres patentes, données devant Notre-Dame, au mois d'août 1356, il dit que l'église de Chartres a été fondée depuis fort longtemps, savoir du vivant même de la bienheureuse Vierge Marie ; comme il est écrit dans les anciens livres de la dite église ; cette glorieuse Vierge a même choisi cette église pour sa demeure spéciale, comme il a été révélé par maints miracles. »

    Nous avons déjà raconté le pieux pèlerinage que firent à Notre-Dame de Chartres Edouard, roi d'Angleterre, et son fils le prince de Galles ; ils étaient accompagnés des principaux officiers de l'armée anglaise. Le roi et la plupart de ses officiers s'assirent à la table des anges, et passèrent sous la sainte Châsse, le 8 mai 1360.

    En 1366 et en 1367 eurent lieu les pèlerinages du roi Charles V. Ce prince si sage, si admirable dans sa piété, les fit pieds nus, demandant à Dieu et à Notre-Dame de veiller sur son royaume. Il fut exaucé, puisqu'il eut le bonheur de réparer les grandes calamités des règnes précédents. Parmi les dons précieux qu'il fit à Notre-Dame de Chartres, on admira surtout un camée antique, comme nous l'avons dit plus haut. — Nous avons encore ses lettres patentes, données en l'église de Chartres, au mois de juillet 1367 ; en voici la teneur :

    Nous, Charles, estans venus en l'église de Chartres, estnns dévotement devant l'image de Nostre-Dame. Considérans les beaux, grands et notables miracles, que nostre Seigneur Dieu faict de jour en jour en ladicte église, à l'honneur de la glorieuse Vierge Marie ; et aussi pour la très grande et très espéciale dévotion que toujours avons eue et avons à icelle et à ladicte église ; et que nous avons ferme espérance que, par ses prières cl intercession, l'estât de Nous n et de nostre Royaume, soit et demeure doresen:> vant en greigneur paix et prospérité. — Avons offert humblement et dévotement donné et octroïé libéralement, de nostre propre mouvement et par la teneur des présentes, offrons, donnons et octroyons à la glorieuse Vierge Marie, de grâce spéciale et certaine science, de nostre authorité et pleine puissance roiale, que désormais les dicts Doien, Chanoines et Chapitre, ressortissent directement, pour toutes leurs causes en nostre Parlement, etc. »

    Avant de continuer ma course dans l'histoire des pèlerins illustres de Notre-Dame, je veux transcrire ici quelques lignes de Rouillard qui ont trait à mon sujet : «Ce lion roi Charles, dit-il, porta tant de dévotion à l'église de Chartres qu'il fonda trois obits solennels en icclle, lesquels on y voit encore célébrer de présent, par chascun an, et mec telle recommandation de sa sainclc mémoire, qu'encorcs que plusieurs autres rois y en aient pareillement fondé, qui se disent aussi à leurs jours ordinaires : si est-ce que ceux dudit Charles portent spécialement le tiltre d'obits du Roi, comme si autre que lui n'y en avoit fondé. »

    Les frères du roi Charles V, Louis, duc d'Anjou, Jean, duc de Berri, et Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et tige de la nouvelle maison souveraine de ce nom, doivent aussi cire comptés parmi les dévots et généreux pèlerins de Notre-Dame de Chartres. Le duc de Berri surtout se montra son plus dévoué vassal ; chaque année le voyait dans l'auguste sanctuaire de Chartres, qu'il enrichit de ses pieuses offrandes. L'inventaire de 1682 en mentionne quelques-unes : « 1°Une vierge d'or ayant un grand manteau émaillé de bleu et à cause cela nommée Notre-Dame-Bleue donnée en 1404 — 2° Un grand reliquaire d'or ovale, posé sur le haut d'une colonne de vermeil, semée de fleurs de lis, soutenu par deux anges à genoux sur une grande base à 8 pans, aussi de vermeil. Ily a, entre autres reliques, du bois de la vraie Croix. Hauteur de tout le reliquaire, 23 pouces. L'or de l'ovale et du tableau de la vraie Croix estimé 800 livres ; l'ovale et la colonne estimés 200 écus sol. Les anges et la base dorés pèsent 27 marcs 6 onces. Au-dessous de l'ovale est un rubis d'un très-grand prix, dans un châton d'or. Estimé en 1562, par ordre du roi, à 80 écus. Ce beau reliquaire fut donné par le bon duc Jean de Berry en 140C. — 5° Un reliquaire de vermeil doré (hauteur 13 pouces), contenant un morceau d'une ceinture de la sainte Vierge, un morceau d'une côte de saint Louis ; une petite boite d'or où l'on voit du lait de la Vierge, naturel mais caillé et séché ; un pouce de la main droite de saint Louis de Marseille, archevêque de Toulouse, cousin de saint Louis, donné en 1410 par le duc de Berry, qui l'avoit eu du roi de Sicile, son neveu. — 4° Un grand tableau en broderie, de 13 pieds de longueur sur 8 de hauteur, représentant l'Assomption de la sainte Vierge ; au bas, d'un côté, est le roi avec deux de ses fils, Charles et Louis d'Anjou ; et, de l'autre côté, la reine Bonne de Luxembourg, sa femme, accompagnée de deux de ses filles. L'ouvrage est une broderie extrêmement relevée ; les vêtements sont d'or nué, enrichis de pierreries et de perles. Les carnations sont d'un point refendu plus fin que le satin. Le duc de Berry en fit présent en 1406, pour servir de retable au grand autel. Il a coûté 10,000 écus. »

    Dans son inépuisable générosité envers Notre-Dame le prince lui donna encore d'autres riches et précieux joyaux. « Le Chapitre lui en fit un remerciement solennel, l'assura de son affection pour lui, et de la fondation faite en sa faveur, d'une messe solennelle à dire au grand autel, le lendemain de la saint André, tant qu'il vivrait ; » avec ordonnance, qu'après son trépas, elle serait convertie en obit annuel, selon qu'il appert par le registre capitulaire du mercredi 18 aoust » 1406. »

    Le roi Charles VI suivit les nobles traces de son père et de ses oncles : comme eux il fut un dévoué serviteur de la sainte Dame de Chartres. Il n'oublia jamais que, dans sa première enfance, il avait été guéri par elle ; déjà la maladie l'avait mis près des portes de la mort, lorsque le roi son père le consacra à Notre-Dame de Chartres ; il fut presque instantanément rendu à la santé. Aussi vint-il souvent, avant sa longue et déplorable folie, visiter sa libératrice. Ce fut par une humble piété envers elle, qu'il voulut, en 1394, accompagner le nouvel évêque de Chartres et assister à son intronisation solennelle.

    Le quinzième siècle manifesta aussi sa piété à l'égard de la divine Dame de Chartres. Ses premières années virent réunis devant Elle le roi et la reine de France, le dauphin et la dauphine, les ducs de Bourgogne, de Bourbon et de Berry, le jeune duc d'Orléans et son frère le comte des Vertus, le cardinal de Bar, l'archevêque de Sens, avec une foule d'autres prélats et seigneurs français ; le 3 mars 1409 fut témoin de ce solennel hommage rendu à Marie. — Ces princes et ces personnages distingués se trouvaient à Chartres pour la réconciliation des deux familles royales de Bourgogne et d'Orléans.

    Parmi les milliers de pèlerins du 8 septembre 1412, on remarqua l'évêque de Tréguier, et le duc de Bretagne, entouré de ses chevaliers, chambellans, chapellains, gens et officiers. »

    Le plus dévot et le plus généreux pèlerin du 15e siècle fut un prince français, tige de la branche royale de Bourbon-Vendôme, dont est issu Henri IV. « S'étant trouvé en grands périls de sa vie à la guerre, et ensuite dans une rude prison de neuf ou dix mois, dont il échappa par une protection visible de la sainte dame de Chartres, à laquelle il s'étoit voué, vint, avec un appareil pieusement magnifique, lui rendre ses actions de grâces et s'acquitter de son voeu. Il y arriva le mercredi, 31 mai 1443 , veille de l'Ascencion ; ayant rencontré la procession des Rogations à la porte des Epars, il mit pied à terre, lui et toute sa suite, qui étoit composée de plus de cent chevaliers et écuyers, et convoya ladite procession jusqu'à la cathédrale, où il entendit tout l'office du jour.

    « Le lendemain, à l'issue de Matines, pour satisfaire au vœu qu'il avait fait, il s'en alla pieds nus jusqu'à l'église, s'agenouilIa sur les degrés de la porte royale, tenant en main un grand cierge pesant cinquante livres ; là il déclara, devant les chanoines et le peuple assemblé, de quelle manière, par l'intercession de la sainte Vierge, il avait été délivré des périls de sa vie et dégagé de sa prison. En même temps il supplia l'assistance de vouloir lui aider à remercier dignement ladite glorieuse Vierge Marie. S'étant relevé, il se rendit devant l'image de Notre-Dame, et déclara solennellement que désormais il était devenu et devenait, de sa personne, homme de la dite glorieuse Vierge Marie et de sa dite église. Alors les chanoines chantèrent l'hymne 0 quam gloriosa ; et le comte de Vendôme offrit le gros cierge qu'il portent, et cent autres petits cierges que tenaient les chevaliers et écuyers de sa suite. Puis s'étant rendu dans la chambre capitulaire, il raconta aux chanoines comment son frère, Jacques le Bourbon, fondit tout-à-coup sur le Vendômois avec une nombreuse armée et le fit prisonnier ; comment sous les menaces de mort il avoit fait abandon de ses biens et héritages ; comment il fut délivré miraculeusement de prison et remis en possession de ses biens, après avoir fait un vœu à Notre-Dame de Chartres.

    « Ce vœu consistait à faire un voyage de dévotion à Chartres et à y faire ériger une chapelle (c'est la chapelle qui est appelée la Chapelle de Vendôme). Le comte exécuta son vœu, fit de riches offrandes au sanctuaire de Notre-Dame, fonda cinq services solennels à dire le lendemain des cinq fêtes de la glorieuse Vierge Marie, c'est à savoir de l'Assomption, de la Nativité, de la Conception, de la Purification, et de l'Annonciation de Notre-Dame ; pour lequel service il assigna 65 livres tournois de rente perpétuelle ; et en outre, une messe solennelle chacun an, en l'honneur de la sainte Vierge, pendant sa vie, laquelle serait convertie en un obit annuel après sa mort. »

    Lorsqu'en 1418 la ville de Chartres tomba au pouvoir des Anglais, Notre-Dame leur inspira une généreuse piété ; ils lui firent de riches offrandes, parmi lesquelles on distinguait surtout un magnifique ostensoir en or massif.

    C'est de cet ostensoir que parle Rouillard, quand il dit : « Il se voit au thrésor de Nostre-Dame, partie avec joie, partie avec tristesse, une pièce d'excellente orfevrerie, qui sert à porter le Corps de Nostre Seigneur, laquelle est toute d'or massif, enrichie de force pierreries, jadis donnée par les Anglois, lorsqu'ils occupoient Chartres. Pour cette cause, ai-je dit, qu'elle se void partie avec joie, puisqu'au moins quelque ennemis qu'ils fussent, ils tenoient la droite religion. Et partie avec tristesse, pour ce que lors ils grevoient la dicte ville ; qu'aussi de présent s'estant aliénez de la foi de leurs pères, et ayant voulu aholir la révérence due au dit saint Sacrement, leurs dits pères, s'ils revenoient au monde, les désadvoueroient à fils. Malheureuse engeance ! » Que Dieu, si tu en es digne, te remette en la voie ; ou viens à Chartres rougir de honte voiant, un don faietpar tes devanciers. »

    Voici venir en pèlerinage l'archevêque de Tours, qui laisse le reliquaire des trois Marie ; l'amiral de Grasville, qui donne un magnifique calice en vermeil ; et le cardinal Perrault, qui offre un riche reliquaire de vermeil contenant les précieux restes de sainte Amplonie.

    Le roi Louis XI, généreux émule de la dévotion de ses ancêtres pour Notre-Dame de Chartres, vint la visiter en 1462, en 1467, en 1477 et en 1479.

    Chaque fois il participa aux saints mystères, passa de longues heures devant l'image de la Mère de Dieu, et lui fit de riches offrandes.

    Il fonda dans la cathédrale un obit annuel et une messe quotidienne pour le repos de son âme. — Il est vrai que les pèlerinages de ce prince n'eurent pas toujours la religion pour motif, et qu'il se servit quelquefois du prétexte de ces voyages de dévotion, pour exécuter, chemin faisant, au moyen de son escorte militaire, les coups injustes et audacieux de sa politique. Mais ses pèlerinages de Chartres furent vraiment des voyages de dévotion, et personne n'eut alors sujet de dire : On ne vit jamais un tel pèlerin.

    Le roi Charles VIII, qui était si bon qu'il n'était pas possible de voir meilleure créature, hérita de la dévotion de son père envers Notre-Dame de Chartres ; il lui offrit ses hommages en 1485.

    La reine-duchesse, Anne de Bretagne, vint plusieurs fois prier longuement devant l'image de Notre-Dame. Elle laissa plus d'un gage de sa pieuse libéralité. C'est elle qui donna la magnifique ceinture qui entourait la sainte Châsse. Dans son pèlerinage de 1510, elle voulut donner une cloche. Pendant qu'elle faisait ses dévotions, la reine fut ravie de la voix d'un jeune enfant de chœur du Chapitre, nommé Le Febvre. Elle le demanda à MM. du Chapitre qui l'accordèrent ; et, en les remerciant, elle leur dit : Messieurs, vous m'avez donné une petite voix, et moi je veux vous en donner une grosse. Ce qu'elle fit en leur donnant la cloche qui s'est toujours depuis appelée de son nom. »

    Le bon roi Louis Xll, père du peuple, vint le 16 janvier 1502, faire ses dévotions à Notre-Dame de Chartres. Il fut reçu avec une pompe inusitée. Georges d'Amboise, archevêque de Rouen, légat du Saint-Siége et premier ministre du roi, l'accompagnait, ainsi qu'une foule de prélats et de seigneurs.

    Seize ans plus tard , le 19 novembre 1518 , on vit à Chartres le roi François Ier, la reine Claude et la reine-mère, Louise de Savoie. Sa première visite fut pour Notre-Dame ; il y fit ses dévotions avec toute sa cour ; il se rendit ensuite à l'hôtel de ville.

    En février 1520, le cardinal de Bourbon, alors évêque du Mans, entreprit le pèlerinage de Chartres, pour se recommander, lui et son troupeau, à la sainte Mère de Dieu et des hommes. Il eut la dévotion d'y célébrer pontilicalement. « Monsieur » le cardinal de Bourbon, par permission expresse desdoiens, chanoines et Chapitre, célébra la grand messe en habit pontifical, assisté de deux diacres, deux soubs-diacres, et quatre chanoines tenans chœur, presens les doien et Chapitre, qui de leur ordonnance se tinrent debout , la face tournée vers le grand autel, quand ledit sieur Cardinal leur bailla sa bénédiction. »

    En 1531, la reine Aliénore ou Eléonore visita Notre-Dame avec une suite nombreuse, y fit ses dévotions et assista deux jours de suite aux offices. Une autre reine, Mario de Lorraine, épouse de Jacques IV, roi d'Ecosse, vint se mettre sous la gracieuse et puissante protection de la sainte Dame de Chartres, en 1537.

    Vingt ans plus tard, un généreux évèque vint rendre ses hommages à Notre-Dame, et lui faire de riches offrandes. L'inventaire de 1682 mentionne surtout un tableau ayant 13 pieds de long sur 7 à 8 pieds de haut, représentant l'histoire de la passion et de la résurrection de J.-C. Cet ouvrage est admirable et d'un dessin beaucoup plus moderne que celui du roi Jean. Il est d'or nué en broderie mêlé de différents points ; les contours et le bord des draperies sont enrichis de perles fines ; il y en a trois extraordinairement grosses, qui forment la tête des clous avec lesquels le Sauveur est attaché sur la croix. Le cadre qui est d'architecture faite de point traîné, est aussi rempli de perles. Il fut donné, le 12 avril 1556, par M. François Bohier, évêque de Saint-Malo, chanoine et prévôt de Normandie en l'église de Chartres. »

    En 1550, Henri II, conduit par une sincère dévotion envers Notre-Dame, se rendit à Chartres pour lui rendre grâces des succès que ses armes avaient obtenus contre les ennemis de la France ; et son pèlerinage est un des plus mémorables par la pompe qui l'accompagna. Le roi avait été précédé de ses jeunes enfants, François, dauphin , Charles, duc d'Orléans, et Elisabeth de France ; de Marie Stuart, alors âgée de 8 ans et plus tard reine infortunée d'Ecosse. Henri arriva le 17 novembre avec les cardinaux de Lorraine et de Chàtillon, le duc de Guise, et une foule de prélats et de grands seigneurs français. Il fit son entrée par la porte Drouaise, marchant à pied, sous un dais, suivant les rues Muret et le vieux marché aux chevaux ; toutes les maisons étaient tendues de tapisseries jusqu'à la cathédrale, où il fut reçu par l'évêque Louis Guillard et tous les chanoines revêtus de chapes précieuses. Quelques heures après le roi, on vit arriver la reine Catherine de Médicis, la princesse Marguerite de France, la duchesse de Guise, la fameuse Diane de Poitiers, et un grand nombre d'autres dames de la cour. Tous se montrèrent heureux de déployer une filiale dévotion envers la Vierge pure, qui aime à s'appeler la Dame de Chartres.

    Plus tard, le 14 août 1559, Notre-Dame vit à ses pieds Antoine de Bourbon, roi de Navarre, qui hélas ! se fit, quelques années après, le chef des Huguenots. Le roi y passa la fête de l'Assomption ; comme il assistait à la grand'messe de la cathédrale, le seigneur de Maintenon présenta, selon un antique usage, un épervier à l'offrande ; les chanoines en firent présent au roi, qui le reçut , dit Souchet, avec de grands témoignages de satisfaction. »

    Au mois de juillet 1562, la piété amena devant l'auguste Image de Marie, le roi Charles IX et les ducs d'Orléans et d'Angoulème. Le 6 janvier 1565, Charles revint à Chartres et y résida pendant trois semaines, donnant chaque jour des marques de sa dévotion envers Notre-Dame. Deux ans après, le roi fit un troisième pèlerinage à Chartres. Ce fut pendant son séjour en cette ville qu'il publia l'édit portant que désormais l'année commencerait le 1er janvier, et non plus à Pâques, comme par le passé.

    L'année 1568 vit des Français conduits par le prince de Condé se diriger vers Chartres, non plus comme de pieux pèlerins, mais comme des ennemis ; non plus la prière sur les lèvres, mais les armes à la main ; non plus pour offrir des dons solennels, mais pour enlever, s'ils le peuvent, les riches présentsdu passé. Mais la puissante Dame de Chartres brisa leurs sacrilèges cohortes ; ils comprirent alors

    Qu'altaquer la Vierge Mère,
    Que dans ce lieu on révère,
    C'est braver le Tout-puissant.

    Le 24 octobre 1577, on admira à Chartres la piété de deux reines de France, Catherine de Médicis et Louise de Vaudemont ; elle passèrent plusieurs heures en oraison devant l'image de Marie ; leur brillant cortège fut heureux d'imiter leur filiale dévotion envers la sainte Dame de Chartres.

    Aucun règne peut-être ne fut plus agité que celui de Henri III ; durant 25 ans qu'il occupa le trône, il ne vit guère briller un seul jour serein. C'est là sans doute ce qui multiplia ses pèlerinages à Notre-Dame, envers qui il était animé du plus tendre amour : il vint dix-huit fois faire ses dévotions dans le sanctuaire de Chartres. Nous ne raconterons ici que son pèlerinage de 1582 et celui de 1584 ; voici comment Chevard parle du premier :

    « La reine de France, pour accomplir un vœu qu'elle avoit fait à la Vierge de Chartres, arriva en cette ville le 1er février. Elle étoit partie de Paris, à pied, dès le 26 janvier, avec plusieurs seigneurs et dames de la cour.

    « Le roi, animé de la même dévotion, la suivit aussi à pied, et arriva le même jour sur les sept heures du soir, accompagné du cardinal de Guise, des dues de Joyeuse, d'Aumale, de Mercœur, et autres princes et seigneurs.

    « Le lendemain, jour de la Purification, toute la cour assista à la grand'messe dans l'église cathédrale, où le roi et la reine communièrent par les mains de l'évêque de Chartres. Le roi alla à l'offerte, et s'y tenant à genoux, fit présenter par les dues d'Aumale et de Mercœur un calice d'argent doré, un vase d'argent en forme d'horloge, une croix d'émeraudes enchassée d'or et garnie de perles avec un tableau d'ambre gris, représentant la Vierge couronnée d'or et de perles, tenant son fils sur ses genoux, et dont les visages et mains étaient d'ivoire.  »

    C'est encore à Chevard que nous empruntons le récit du pèlerinage de 1584 :

    Le Roi Henri III, qui avait institue lu confrérie des Pénitents au commencement de l'année 1583, arriva à Chartres le 13 mars 1584, accompagné de plusieurs princes, cardinaux et seigneurs de la cour, tous de la même confrérie, revêtus comme lui d'habits blanes en forme de saes, et d'un capuchon de même étoffe, qui leur enveloppoit la tête, et n'ayant que de petites ouvertures pour les yeux et la bouche. Ils portoient chacun un grand chapelet et un fouet de cordes nouées à la ceinture. Ces illustres pénitents partis de Paris le 6, marchant presque tous à pieds nus, arrivèrent le 13 au soir.

    On avoit dressé un autel dans un des faubourgs de la ville, au bas de la croix du cimetière de Saint-Barthélemi. Cet autel étoit paré de reliques et de cierges allumés ; toute la place étoit garnie de siéges couverts d'étoffes blanches. La procession qui s'éloit reposée à Nogent-le-Phaye, fit une station devant cet autel, où le clergé de la ville, en chapes, vint la recevoir : de là chacun marcha en bon ordre dans les rues toutes tapissées depuis le cimetière jusqu'à l'église cathédrale. Douze Minimes marchoient les premiers, quatre Capucins les suivoient : les Chantres de la confrérie vêtus comme les pénitents, avec une petite croix attachée sur leur habit, précédoient ces religieux.Un pénitent, nu-pieds, portoit une grande croix. D'autres chantres ou musiciens tenoient le milieu de la procession, et chantoient les litanies. Les pénitents en grand nombre les suivoient en répondant ora pro nobis. L'évêque, en habits pontificaux, fut, à la tète de son Chapitre, les recevoir à la principale porte de l'église. Tous en entrant dans l'église se prosternèrent jusqu'à terre pour recevoir la bénédiction du prélat. Ils entrèrent ensuite, deux à deux, dans le chœur, où ils chantèrent vêpres et les complies, après avoir posé leur croix sur le maitre-autel.

    « Le lendemain ils se placèrent dans les basses stalles du chœur, et y firent le service comme des religieux ; pendant l'office ils se confessèrent chacun à son tour derrière le grand autel ; sexte étant achevé, l'évêque dit une messe basse, après laquelle le fameux docteur Rose, évêque de Senlis, fit la prédication. Ensuite les pénitents retournèrent au chœur pour y chanter none. Ils s'y rendirent encore après le diner, pour y réciter quelques prières et visiter les saintes reliques. Cela fait, ayant repris leur croix, ils reçurent, comme en entrant, la bénédiction de l'évêque, prosternés et la face contre terre. »

    La reine de Navarre ne fut pas moins dévote que Henri III à la sainte Dame de Chartres. « Marguerite, reine de Navarre, désirant pareillement signaler sa dévotion, dit encore Chevard, vint en pèlerinage, et resta à Chartres depuis le 15 août 1583 jusqu'au jour de la Purification de l'année suivante,

    Six mois auparavant, le célèbre duc de Guisele-Balafré était venu se prosterner devant Notre-Dame, et lui offrir deux petits enfants d'argent, en action de grâces de deux fils qu'il avait obtenus par son intercession.

    Les dix années suivantes virent les pèlerinages de la reine-mère, du duc et de la duchesse de Joyeuse, du duc de Montpensier, du chancelier de Chiverni, du cardinal de Guise, du cardinal de Joyeuse, du cardinal de Bourbon, du légat du Saint-Siége, et d'une foule d'autres prélats et grands seigneurs.

    L'exemple des grands du siècle enflamma le peuple d'amour et de dévotion envers Notre-Dame ; les habitants de tous les pays voisins vinrent à l'envi lui offrir leurs pieux hommages, en se rendant processionnellement devant son image vénérée. La plus célèbre de ces processions est celle du pays de Dreux ; voici en quels termes la raconte Chevard :

    Le 28 décembre 1583, les habitants de la ville de Dreux et de trente-six paroisses circonvoisines, au nombre de quinze à seize mille personnes, toutes vêtues de blanc, vinrent en procession depuis Dreux jusqu'à Chartres. Les hommes étaient couverts d'une casaque de toile blanche descendant jusqu'à mi-jambes, avec des chapeaux garnis de pareille toile plissée. Les femmes aussi vêtues de blanc, portaient sur la tête une cape blanche en forme de voile. Tous portaient en main une croix de bois blanc de la longueur d'un pied, au bas de laquelle étoit attaché un chandelier garni d'un cierge de cire blanche : quelques uns portaient des torches. Chacun marchoit en rang et sans confusion, et chaque paroisse séparément : la croix précédait les prêtres ; les gentilshommes suivaient avec leurs familles : les paysans, leurs femmes et enfants marchaient après. La principale paroisse de Dreux tenoit le dernier rang ; les deux confréries de cette paroisse, chacune avec une bannière de damas blanc, étoient à la tête ; le clergé suivait avec la croix, accompagnant le Saint-Sacrement, porté par l'archidiacre de Dreux sous un dais de damas blanc, lequel étoit soutenu par quatre principaux habitants de la même ville. Tous les ecclésiastiques étoient vêtus d'ornements blancs. La marche étoit fermée par une compagnie d'hommes ayant chacun une torche ardente à la main.

    Cette procession, qu'on a nommée la Procession blanche, était partie de Dreux après la grand'messe, célébrée dans l'église de Saint-Pierre, à deux heures du matin ; elle vint se reposer au Péage qui se trouve à mi-chemin, d'où elle continua jusqu'à Chartres. Le clergé de cette ville, prévenu de son arrivée, alla, revêtu de chapes, la recevoir hors de la ville ; l'ayant jointe, il la conduisit dans le même ordre, passant par la porte Drouais, le long des rues de la Brèche, de Saint André, de la Corroirie, des Ecuyers, Cendreuse et des Changes, toutes tendues de draps blancs jusqu'à l'entrée de l'église Notre-Dame, où l'évêque en habits pontificaux, reçut le Saint-Sacrement des mains de l'archidiacre qui l'avait apporté de Dreux, et l'exposa dans le chœur où l'on récita des prières analogues à la cérémonie.

    Cependant les pèlerins arrivant successivement, finissaient dans l'église les hymnes, les cantiques qu'ils avoient chantés le long du chemin. La plus grande partie d'entre eux passa la nuit dans l'église à prier devant l'image de la sainte Vierge.

    Le lendemain, dès trois heures du matin, l'évêque, officiant à tout le service, fit faire après les matines la procession autour de l'église haute et basse, y porta la Saint-Sacrement, y chanta la messe ; et, après le sermon, il reporta le Saint Sacrement jusqu'à la porte principale de l'église, et le remit entre les mains de l'archidiacre de Dreux, qui s'en retourna avec les pèlerins dans le même ordre et par le même chemin qu'ils avaient tenu à leur arrivée. » Il faut avouer que les chrétiens de nos jours ont quelque peu dégénéré de leurs religieux ancêtres : ils ne connaissent plus celte ferveur et cet amour dans le service de Dieu et de sa sainte Mère.

    Voici maintenant d'autres dévots serviteurs de la sainte Dame de Chartres. Le 1er janvier 1393 , les chevaliers du Saint-Esprit vinrent lui rendre leurs hommages ; ils assistèrent tous à l'office solennel célébré pontificalement par l'évêque de Chartres. Parmi ces illustres chevaliers se trouvaient le cardinal de Bourbon, l'archevêque de Bourges, le chancelier de Chiverny, le duc de Nevers, le maréchal de Biron, le brave Crillon, Souvré, Chemerault, d'O, de Sourdis, d'Entragues, etc.

    L'année suivante vit le sanctuaire de Notre-Dame devenir le théâtre d'un des grands événements de notre histoire. Henri IV, de ses sujets le vainqueur et le père, y reçut la consécration royale des mains de l'évêque Nicolas de Thou. « Le protestantisme, qui s'était flatté d'envahir le royaume et de monter sur le trône, vint ainsi se briser aux pieds de la Vierge de Chartres, comme le paganisme y avait expiré par la défaite des Normands et la conversion d'Hasting et de Rollon ; comme y avait échoué encore, par suite du miracle et du traité de Bretigni, l'invasion des Anglais, qui nous eussent infailliblement doté, deux siècles plus tard, de leur schisme et de leur hérésie : malheur plus déplorable encore que la perte de noire nationalité. » Ainsi la glorieuse Dame de Chartres dissipa toutes les calamités qui menacèrent la foi de la France catholique.

    Henri IV se montra toute sa vie le dévot et généreux serviteur de la Vierge de Chartres. Cette dévotion envers Marie était-elle due à sa mère, Jeanne d'Albert ? On sait qu'en mettant au monde son enfant, cette mère huguenote chanta un air des montagnes de Béarn ; c'était la chanson qui commence par ces mots : Notre-Dame du bout du pont, aidez-moi à cette heure.

    La dernière année du 16° siècle vit un illustre pèlerin. Mgr. François de Sourdis, cardinal-archevêque de Bordeaux, vint à Chartres pour mettre son sacerdoce et son épiscopat sous la puissante protection de Notre-Dame. — En 1602, le brave maréchal d'Ornano vint aussi en pèlerinage, et laissa pour gage de sa généreuse dévotion un beau calice en argent pesant 12 marcs et demi. — En 1008, la reconnaissance amena devant Notre-Dame la duchesse Marie de Luxembourg : par l'intercession de la Vierge de Chartres, elle avait obtenu la guérison de sa fille, la duchesse de Vendôme.

    Nous voici arrivés au règne de Louis XIII, qui consacra la France à la Reine du ciel. Notre-Dame de Chartres vit souvent à ses pieds ce religieux monarque. Le 11 septembre 1611, il y vint avec sa mère, Marie de Médicis, pour placer sous le puissant patronage de la Vierge sa personne, sa couronne et son royaume. L'évêque Hurault reçut le jeune roi avec toute la pompe due à la majesté royale. Louis XIII revint plusieurs fois en pèlerinage à Notre-Dame de Chartres, et toujours il laissa des marques de sa pieuse munificence ; ainsi, lors de son pèlerinage de 1623, il fit don d'un magnifique ornement en velours cramoisi, richement brodé en argent; dans le pèlerinage de 1637, il donna deux grands chandeliers d'argent pesant 80 mares chacun, avec une rente annuelle de 500 livres, pour y entretenir des cierges de cire blanche.

    La reine Anne d'Autriche fut l'émule de son royal époux dans sa dévotion à Notre-Dame ; on la vit bien souvent prosternée aux pieds de la Vierge druidique. C'est là que cette pieuse reine, après 22 ans de stérilité, obtint un fils pour Louis XIII et un dauphin pour la France ; cet enfant du miracle fut Louis-le-Grand ! Lors de son pèlerinage de 1621, Anne d'Autriche, pour plaire à la Reine de la modestie, se dépouilla de tout l'éclat des riches vêtements, et prit, avec toutes les dames de sa suite, des robes simples et communes. A la vue du sanctuaire de Chartres, elle tomba à genoux, et resta longtemps en prières. C'est alors qu'elle fit présent d'une lampe d'or,qui fut suspendue, jusqu'en 1793, devant le trésor où était renfermée la sainte Châsse.

    Mais rien ne doit faire plus d'impression sur l'esprit du clergé français que l'exemple d'un homme qui, par les successeurs de sa science et de si piété, en est aujourd'hui devenu comme le père ; nous voulons parler de M. Olier, fondateur de la Société des prêtres de Saint-Sulpice : il fit plusieurs pèlerinages à Notre-Dame de Chartres. Voici comment ils sont racontés par le pieux et savant auteur de la Nouvelle vie de cet illustre personnage :

    « Après son retour de Rome, Dieu avait voulu éprouver M. Olier, non plus seulement par ceux de ses amis et de ses proches qui censuraient sa conduite, mais par lui-même. M. Olier s'approchait déjà tous les jours de la sainte Table, et même du tribunal de la pénitence, afin d'éviter jusqu'aux plus légères imperfections, lorsque Dieu, pour le purifier davantage encore, permit qu'il fût affligé de peines intérieures les plus accablantes... En vain pour calmer les peines de M. Olier, son confesseur employa-t-il tous les moyens sérieux qu'offre la foi aux justes éprouvés ; quelque soumission qu'il trouvât en lui, il ne put réussir à lui rendre le calme. Il fallait que la main qui avait envoyé le mal, en procurât elle-même le remède. Dieu inspira donc à M. Olier de recourir à la source où il avait trouvé sa guérison dans son voyage d'Italie, et pour le confirmer dans la persuasion où il était, que toutes les grâces qu'il devait recevoir, lui seraient données par les mains de la très-sainte Vierge, il lui inspira la pensée de faire un pèlerinage à Notre-Dame de Chartres, en grande vénération dans tout le royaume depuis un temps immémorial. M. Olier s'y rendit de Paris à pied, au milieu de l'hiver de 1641 , mais avec une dévotion si ardente et un tel succès qu'au moment même où il arriva dans l'église cathédrale, et avant d'avoir visité la chapelle souterraine où la Mère de Dieu était alors spécialement honorée, il se trouva entièrement délivré de toutes ses peines. Après avoir consacré quelques jours à la reconnaissance, en prolongeant devant la vénérable image de Marie les tendres effusions de son cœur, il revint à Paris plus affermi que jamais dans la résolution de vivre d'une manière toute apostolique. »

    M. Olier fil un autre pèlerinage en 1650. « Lorsque le nouveau bâtiment fut presque entièrement achevé (le séminaire de Saint-Sulpice), M. Olier, avant qu'on y logeât, eut la dévotion d'aller à Chartres, pour en offrir les clefs à la patronne de cette ville, comme à la Reine de l'établissement. Il célébra la sainte messe dans cette cathédrale, ayant sur lui les clefs du séminaire, et conjura la très-sainte Vierge de prendre possession d'une maison qui était son ouvrage, et de la bénir à jamais. Ce fut dans cette circonstance qu'il lui offrit, comme à l'Épouse du Père éternel, une robe précieuse, brodée en or et en soie, qu'on conserve dans le trésor de cette église ; et afin de perpétuer dans la maison la dévotion à Notre-Dame de Chartres, il voulut y attacher tout le séminaire par un lien particulier, et obtint à cet effet des lettres d'association du chapitre de la cathédrale. — Le pèlerinage que M. Olier fit à Notre-Dame de Chartres, après la construction du séminaire de Saint-Sulpice, ou peut-être l'association de prières qu'il forma entre le Chapitre et sa communauté, fut apparemment ce qui donna lieu à l'usage d'envoyer chaque année, pendant les vacances, deux séminaristes à Chartres. On lit dans la vie de M. Grignon de Montfort, que lorsqu'il faisait ses études au séminaire, il fut député, avec un autre séminariste très-fervent, au nom de la communauté, selon le pieux usage qui se pratique tous les ans dans cette maison, ajoute l'un de ses historiens. Cet usage n'a point été interrompu jusqu'à ce jour. Il est vrai qu'on ne députe personne en particulier à Notre-Dame de Chartres ; mais chaque année, plusieurs petites troupes de pèlerins s'y rendent à pied, n'y étant attirés que par leur tendre dévotion pour Marie, et le souvenir des exemples de M. Olier. » En effet, nous avons vu bien souvent ces petites troupes de séminaristes pèlerins prosternés, durant de longues heures, aux pied de la sainte et gracieuse Dame de Chartres ; et toujours nous avons admiré leur touchante piété.

    M. de Bretonvilliers, digne émule et digne successeur de M. Olier dans le gouvernement de la société de Saint-Sulpice, ne manqua pas de venir à son tour visiter la Vierge de Chartres. Et lorsqu'au loin, dans la plaine beauceronne, il aperçut le sanctuaire chartrain, il le salua à genoux, et, profondément incliné, il récita l'Ave Maria ; puis le regardant amoureusement il commença le Te Deum qu'il continua avec son compagnon de voyage. Arrivé à Chartres, il se rendit directement à la cathédrale, et passa plusieurs heures aux pieds de Notre-Dame.

    L'héritage de la piété envers Marie non plus que celui de la puissance ne faiblit presque jamais sur le trône de France. Louis XIV fut dévot à Notre-Dame de Chartres comme l'avaient été son père et sa mère : ce fut sous ses augustes auspices que le grand roi voulut commencer son règne. Le 24 mars 1648, il y vint en pèlerinage avec sa mère et son frère Philippe d'Orléans, et toute la cour. Tous montrèrent envers Notre-Dame l'affection la plus fervente et la piété la plus sincère. — En 1682, Louis revint à Chartres, accompagné de la reine, du duc et de la duchesse d'Orléans, ainsi que d'une foule de prélats et de grands seigneurs français ; ce pieux pèlerinage avait pour objet de remercier Notre-Dame de la naissance du duc de Bourgogne, lequel devint plus tard l'illustre élève de l'immortel Fénelon. Le monarque et sa brillante suite arrivèrent à Chartres le 21 septembre et y demeurèrent jusqu'au 24, passant chaque jour plusieurs heures devant la vénérable Image de Notre-Dame-sous-Terre. A chacun de ses pèlerinages, le puissant souverain laissa des marques de sa pieuse et royale munificence.

    Nous avons à clore le 17e siècle par le pèlerinage d'un célèbre avocat de Paris. Sablon nous dira quelle en fut l'occasion. « M. Didier, avocat au Parlement, demeurant à Paris, rue de Bièvre, paroisse de Saint-Etienne du Mont, étant sur la rivière avec plusieurs personnes, le bateau où ils étaient vint à se briser contre un pont, et à faire eau de toutes parts. M. Didier, dans ce pressant danger, se voua à Notre-Dame de Chartres, et vint heureusement à bord, en sorte que de, toute sa compagnie, il n'y eut que lui de sauvé. Pour ne pas demeurer ingrat envers la sainte Vierge, il vint à Chartres la remercier, et lui fit présent d'une d'une croix et de deux chandeliers d'argent. ..

    On connait les erreurs et les excès qu'enfanta le 18e siècle. L'impiété, en cherchant à renverser la foi, brisa tous les liens de la dépendance, et prépara au monde les scandales et les malheurs de la plus horrible révolution.

    Toutefois durant ce siècle indévot, Notre-Dame de Chartres ne fut pas privée entièrement des hommages de la piété ; le peuple de la Beauce et du Perche lui demeura fidèle vassal, et les grands de la terre parurent encore quelquefois devant son image vénérée.

    C'est ainsi que le 23 novembre 1723, le duc de Chartres, fils du régent, et la reine infante (jeune princesse d'Espagne amenée à Paris à l'âge de quatre ans et fiancée à Louis XV ; ensuite renvoyée en Espagne) vinrent à Chartres pour honorer Notre-Dame, et pour être parrain et marraine de deux cloches destinées à la cathédrale.

    Parmi les grands personnages qui formaient la suite de la jeune reine et du prince, on comptait le cardinal-archevêque de Cambrai Dubois, premier ministre, lequel fut parrain d'une troisième cloche.

    Quelques années après, en 1732, la pieuse reine Marie-Leczinska de Pologne, épouse de Louis XV, employant ses doigts habiles à travailler pour la décoration des autels de Marie, vint offrir à Notre-Dame de Chartres, quelques objets, œuvre de son aiguille.

    Le dauphin, père de Louis XVI, montra sa dévotion envers la sainte Dame de Chartres, en faisant vœu d'y venir en pèlerinage, s'il en obtenait le rétablissement de la santé de la dauphine. Il exécuta son vœu en mai 1756, avec sa vertueuse épouse : l'un et l'autre comblèrent la cathédrale de leurs riches présents.

    Les plaisirs empêchèrent sans doute Louis XV d'imiter les exemples de ses pieux ancêtres. Il alla souvent à Crécy-Couvé, chez la marquise de Pompadour ; mais il ne vint jamais à Chartres. Il eut pourtant la fantaisie d'en voir l'extrémité des clochers : lors d'une de ses visites à Crécy, il fit écrire à Mgr de Fleury que le Chapitre eut à illuminer les deux clochers dans la nuit du 6 au 7 juin 1754. Le registre capitulaire nous apprend que les chanoines s'empressèrent d'obtempérer à l'ordre du roi. Un journal rédigé à la suite de l'histoire manuscrite de Pintard, contient à ce sujet la relation suivante :

    "Le jeudy, 6 juin 1754, depuis les 11 heures 3/4 du soir jusqu'à minuit 1/4, on a tiré sur l'échafaud du clocher vieux 24 fusées, pour satisfaire le Roy qui avoit eu envie de découvrir les clochers du château de Crécy. On avoit aussy mis sur la croix du clocher neuf un fanal composé de cinq flambeaux réunis ensemble qui pesoient 19 livres. Mais il n'a point été vu de Crécy, non plus que quatre douzaines de terrines qu'on avoit mis aux fenêtres de l'horloge. » On a seulement vu et compté 22 fusées. »

    Le roi-martyr ne parut pas non plus devant la puissante et gracieuse Dame de Chartres : les tribulations de son règne en furent probablement la cause.

    Après la mort de ce saint et malheureux monarque, l'impiété et la licence régnèrent en France par la spoliation et le sacrilége, par la terreur et la mort ; les églises devinrent les victimes du vandalisme le plus sauvage ; le sanctuaire de Chartres fut spolié de ses vases sacrés, de ses magnifiques reliquaires, de ses richesses artistiques ; les fêtes décadaires y furent substituées aux cérémonies chrétiennes, et les orgies impures du culte de la déesse Raison aux saintes et purifiantes solennités consacrées à la Vierge immaculée. Ainsi finit le 18e siècle.

    Le 19e siècle qui sera un siècle de réparation envers l'église de Dieu, et qui verra proclamer le plus beau titre de gloire de la Reine des cieux, s'ouvre par le concordat et le rétablissement de la religion.

    Ce fut un beau jour pour le peuple de Chartres, quand il lui fut permis d'aller sans crainte prier la bonne sainte Vierge dans son sanctuaire favori.

    C'était en 1801.

    Marie, la Tutèle des Chartrains, ne tarda pas à rentrer en possession de son trône et de ses honneurs ; son image miraculeuse fut exposée à la vénération publique, et de toutes parts on vint lui rendre de respectueux hommages. Les pieux pèlerins revinrent implorer la sainte Dame de Chartres.

    Nous citerons rapidement les têtes couronnées et les personnages illustres qui ont visité le pieux sanctuaire de Notre-Dame de Chartres.

    Le 3 juin 1811, on y vit l'empereur Napoléon I et l'impératrice Marie-Louise. En entrant dans la cathédrale, dont l'architecture est si profondément chrétienne, l'empereur s'écria, dit-on : Un athée doit être mal à l'aise ici.

    Le 13 août 1814, le duc d'Angoulème parut dans le sanctuaire de Notre-Dame , et y entendit dévotement la sainte messe. Le mois de septembre 1815 y vit la pieuse duchesse d'Angoulème, qui s'y montra non moins généreuse par ses offrandes qu'admirable par sa tendre dévotion.

    En 1850, le roi et la reine de Naples, et la duchesse de Berry s'arrêtèrent dans une longue prière aux pieds de la Vierge de Chartres.

    Qu'il est beau de voir à côté des grands de la terre les savants du monde se recommander à Marie pour obtenir les lumières dont ils reconnaissent le besoin ! Tel fut le sentiment qui amena devant la dame de Chartres M. de Madrolles, M. l'abbé Faillon, le R. abbé de Solesmes, dom Guérange, M. Louis Veuillot, etc.

    Mgr de Forbin Janson, évêque de Nanci et de Toul, relevé par la triple auréole d'une noble naissance, de l'apostolat et de la persécution, fit le voyage de Chartres pour mettre sous le puissant patronage de Marie l'œuvre admirable de la Sainte-Enfance. Cinq ans plus tard, en 1849, Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, voulut aussi demander à la Vierge de Chartres qu'elle daignât bénir et protéger son épiscopat. Mais de tous les évêques contemporains, aucun ne s'est plus dévoué à Notre-Dame de Chartres, que Mgr Pie, évêque de Poitiers, la gloire de la terre de Chartres qui l'a vu naître. Nous avons déjà dit qu'une lampe ardente fut fondée par ce prélat, et que ses armes épiscopales portent la Vierge-Noire du Pilier.

    Maintenant nous voulons citer un passage de son admirable lettre pastorale à l'occasion de sa prise de possession :

    « 0 sainte église de Chartres, incomparable demeure de Marie, je vous aimai toujours comme l'enfant aime sa mère. Dès mon entrée en ce monde, je fus jeté dans votre sein ; à peine né, j'étais revêtu de vos livrées. Nourri, élevé à vos pieds, bien plus heureusement que Paul aux pieds de Gamaliel, le jour même de mon sacerdoce fut celui qui me rangea parmi les ministres de votre autel ; je n'ai jamais servi d'autre Eglise que vous. Comme l'enfant s'honore des vertus de sa mère, ainsi j'étais lier de toutes vos splendeurs ; j'étudiais, je rassemblais avec amour tous les monuments de votre gloire ; je respirais avec bonheur le parfum de vos traditions ; je baisais avec respect les traces non interrompues de science et de sainteté que les siècles passés me faisaient retrouver dans votre histoire. Vierge sainte, combien j'ai aimé la beauté de votre maison et le lieu de voire habitation favorite ! Comme il m'était doux de savoir que le siècle qui a construit cette basilique, c'est-à-dire le siècle le plus glorifié aujourd'hui par l'étude de l'art chrétien, l'avait lui-même appréciée comme son plus pur chef-d'œuvre : chef-d'œuvre en effet, chef-d'œuvre unique, s'il s'agit de la majesté des proportions, de la beauté de l'ensemble, de la mystérieuse composition des parties, et surtout de l'esprit de grâces et de prières qui plane sensiblement sous ces voûtes, et qui tombe, qui descend, avec une force et une douceur invincibles, sur quiconque a pénétré dans cette demeure du Dieu très-bon et très-grand, dans ce sanctuaire de la Reine du du Ciel et de la terre. Vous ne me quitterez point, ô vous, Image séculaire de Marie, assise sur un trône d'où vous répandez tant de faveurs : je veux toujours vous voir sur cette colonne couverte de tant de baisers et mouillée de tant de larmes. Je vous appartiens, ô sainte Dame a de Chartres : Unis sumego ; c'est pourquoi je vous emporte comme un sceau qui sera toujours placé sur mon cœur et sur toutes mes œuvres. Si tant d'autres avant moi, sortis de votre école ou de votre Chapitre pour être constitués princes sur tous les points du monde, ont toujours été fidèles à se souvenir de votre nom et de vos sacrés trésors, devenus l'objet du culte et de la vénération de tout l'Occident ; moi qui n'ai pas été seulement votre nourrisson, mais votre fils, j'ajouterai encore à la gratitude de mes devanciers, et je serai d'autant plus constant dans mon admiration et dans mon amour, que j'ai plus particulièrement expérimenté vos douceurs et sucé le lait de vos consolations. Ecclesiu car notettsis inter eomprovinciales et longe positas sicut est auctoritatis prœcipuœ, sic et erit opinio nis prœclarœ. Eam tantù profimdiù.i tenemur diligere, quanta profundius ab uheribus conso lationis ejns et blandimenta suscepinuts et fort menta. »

    Enfin, pour clore cette longue liste d'illustres pèlerins et de dévots serviteurs de la Vierge de Chartres, qui n'a pas été touché de voir presque chaque jour un vénérable prélat, Mgr Clausel de Montals, ornement et gloire de l'Église de France, se faire un bonheur de passer des heures entières en présence de l'image séculaire de Notre-Dame de Chartres, lui offrir le tribut de sa prière, et déposer aux pieds de cette tendre Mère ses craintes et ses espérances pour le troupeau qui lui était confié ? On l'y voit encore malgré ses 86 ans ; ne pourrait-il pas dire avec un de ses amis, le savant et pieux abbé Boyer : Je vis dans l'espérance que la sainte Vierge me donnera quelque gage, quelque témoignage de sa tendresse maternelle ?

    Il nous semble qu'en jetant un regard sur les siècles écoulés il est permis de dire qu'il n'y a guère en France de pèlerinage plus illustre que celui de Notre-Dame de Chartres, aians nos rois, dirai je avec llouillard, voulu rendre ce respect à cette sacrée Vierge de Chartres, de laquelle ils ont cru dépendre le salut de leur sceptre et couronne. 

     

    Source : Livre "Manuel du pèlerin à Notre-Dame de Chartres" par Marcel-Joseph Bulteau

     

     

     

     

     

     


     

     

    Chartres

    - Notre-Dame de Chartres

    - Notre-Dame de Chartres page2

    - Notre-Dame de Chartres page3

    - Notre-Dame de Chartres page4

    - Cathédrale Notre-Dame de Chartres

    - Cathédrale Notre-Dame de Chartres page2

    - Neuvaine à ND de Chartres

    - Litanies de ND de Chartres