• Notre-Dame de Chartres

     

     

    Notre-Dame de Chartres

     

     

     

    En France, la plupart des anciennes églises dédiées à l'auguste Mère de Dieu sont devenues des lieux de pèlerinage. Mais l'église la plus anciennement célèbre, sous ce rapport, est sans contredit l'église de Notre-Dame de Chartres.

    Déjà, même avant la naissance du christianisme, elle était un lieu de pieuse réunion pour les Druides qui, éclairés par une révélation primitive répandue dans l'univers entier, honoraient la Vierge qui devait enfanter, « virgincm parituram».

    Chartres, disait M. Olier, cette sainte et dévote église, première dévotion du monde pour son antiquité, puisqu'elle a été érigée par Prophétie.

    Les nombreux miracles qu'en tous temps la puissante intercession de cette Vierge Mère a opérés dans cette église, démontrent qu'elle a voulu y être honorée d'une manière spéciale. C'est ce que disait déjà, en 1226, Guillaume-le-Breton :

    Qnam quasi postpositis specialiter omnibus unam,

    Virgo beata docet Christ i se mater amare:

    Innumerabilibus signis gratoque favore;

    Carnoti Dominant se dignam saepe vocare.

     

    Le bon Rouillard a exercé sa muse sur ces vers latins, et les a traduits en rythmes françaises :

    La Vierge a bien monstre qu'elle aimoit cette église,

    Comme si elle avoit tout autre arrière mise ;

    Car cet extrême amour s'est assez reconnu,

    Par maint et maint miracle, en icelle advenu ;

    Voires qu'elle a daigné, afin qu'on l'y réclame,

    De Chartres s'appeller elle-mesme la dame.

    La ville de Chartres est la ville de Marie par excellence ; nulle part ailleurs la Mère de Dieu et des hommes n'a tant multiplié ses miracles, ses faveurs et ses grâces. Mais aussi nulle autre ville n'a tant multiplié les monuments de sa piété et de sa reconnaissance envers cette tendre Mère : à peine peut-on faire quelques pas dans la cité et dans ses alentours, sans y retrouver, sous mille formes, le nom Marie : Carnotum ubi omnia Mariant sortant, a dit un vieux géographe chrétien.

    Parmi ces monuments brille au-dessus de tous, l'incomparable basilique, lieu du célèbre pèlerinage ; elle est le plus prodigieux chef-d'œuvre des divins artistes du moyen âge ; c'est là qu'ils ont épuisé toutes leurs industries ; c'est là qu'ils ont payé le plus riche tribut d'amour à l'auguste Reine des cieux.

    Les innombrables pèlerins que la sainte Dame de Chartres voyait accourir chaque année dans son temple, lui offraient leurs hommages ou devant son image placée dans la crypte et appelée Notre-Dame-sous-terre, ou devant la châsse qui contenait un de ses vêtements, ou devant les statues connues sous les noms vulgaires de la Vierge noire du Pilier, Notre-Dame de la belle Verrière, Notre-Dame blanche, Notre-Dame bleue.

    Ces divers objets matériels de la dévotion des pèlerins fourniront l'objet des quatre chapitres suivants.

    CHAPITRE DEUXIÈME.

    De la statue druidique de la Mère de Dieu, appelée vulgairement Notre-dame-sous-terre.

     

     

    D'après la tradition constante de l'église de Chartres, l'emplacement actuel de la cathédrale était, cent ans avant l'ère chrétienne, un lieu consacré à la Vierge Mère.

    Là se trouvait un bocage sacré et une grotte où les Druides, prêtres des anciens Gaulois, élevèrent une statue avec cette célèbre inscription : Virgini Paiutur, à la Vierge qui doit enfanter ; ils attendaient de cette Vierge le salut moral et intellectuel du genre humain.

    Le bon Rouillant, dans sa Parthénie, raconte naïvement le cérémonial qu'il imagine avoir été observé pour l'érection de cette statue prophétique.

    « Estans donc les Druides arrivez à ce dernier centenaire, qui debvoit immédiatement précéder la naissance de ce fils de la Vierge par eux tant attendu ; centenaire expressément désigné par sept ou huict livres tirez des archives de l'église de Chartres, lesquels comme en chose de très grande importance, j'ai fidèlement conféré les uns aux autres, et m'y suis arresté, les trouvant tout conformes. Iceux Druides, se voians ser monds (avertis) par la révolution du nouvel an, à faire leurs cérémonies accoustumées pour la récolte du gui, qui, mesmes d'après les profanes, estoit la figure du Messie.

    Lors en l'assemblée d'iceux, tous revestus de leurs chappes blanches, à leur manière accoustumée, en la présence de Priscus, pour lors roi de Chartres, des Princes, Seigneurs et Estats de la province chartraine ; leur souverain Pontife qui venoit à ce hault degré par voie d'électron, après avoir faict le sacrifice du pain et du vin, selon leur coustume ordinaire, et prié le Dieu du ciel que le sacrifice qu'il offroit fust salutaire à tout le peuple chartrain ;

    Leur remonstra que le souffle divin duquel il se sentoit esmeu, lui donnoit tout ensemble et ostoit la parole ; que le cœur lui battoit d'une véhémente secousse, et se trouvoit épris d'une allégresse extraordinaire, aiant à leur annoncer que, par la révolution du nouveau siècle, il présageoit approcher la Vierge prédicte par les Prophètes, par les Sibylles et sages Chaldéens; Vierge qui ramèneroit l'aage d'or, et produiront celui qui estoit l'attente et l'espoir des Gentils.

    0 ciel ! pourquoi ton mouvement agile est-il plus lent et plus tardif que mes vœux ?

    A la mienne volonté que tu rompisses , à la

    mienne volonté que tu crevasses, que de toi

    promptement sortist le Juste, et que la terre

    germast le Sauveur de nous tous ! Que si ma

    vieillesse chenue, et jà proche de sa fosse, ne me

    promet de voir ce bonheur en mes jours, à tout

    le moins, ô Déité suprême, je te rends grâce

    d'avoir inspiré tout nostre sacré collége, d'anti

    ciper le temps de sa venue, et au millieu de cette

    grotte (il la monstroit au doigt), près de ce puits

    fouillé de nostre ordonnance , ériger l'autel et

    consacrer cette image, par nous faicte à la

    Vierge qui doibt enfanter ce Messie. Vous, Princes et Seigneurs, qui estes icy présens, et qui

    en nos escholes avez été imbeus de ce Mystère,

    l'avez-vous pas à gré ? et ne donnez-vous pas à

    ce sainct décret de nostre collége , vostre commun suffrage ?

    Ainsi parla ce vieillard et souverain Pontife,

    roulant un fleuve de pleurs sur sa barbe vcnerable. Incontinent se lève un frémissement par tout le corps des Druides, et leur joie fit assez paroistre qu'ils persévéroient au statut par eux faict. Le roi Priscus, Princes, Seigneurs et Etats là convoquez, y tesmoignèrent aussi de leur part une singulière et extrême dévotion.

    Adonc fust eslevé l'autel dans la grotte désignée, et l'Image de la Vierge tenant un enfant entre ses bras colloquée dessus avec grands applaudissements. Lors le souverain Pontife des Druides, reprenant la parole et tenant le pousseau (coin) de l'autel : Je le dédie, dict-il, en l'honneur de la Vierge qui enfantera, et ordonne H que désormais y soient faictes prières solennelles. 0 Vierge jà née au ciel, si le zèle de nostre piété t'avance cet honneur, ains [avant) que tu sois engendrée sur la terre, anticipe aussi sur nous l'effect du salut, que nous attendons de ton heureux et saint enfantement. Toute l'assistance correspondit à ce vœu et à l'instant finit l'assemblée. »

    Que faut-il penser de cette antique et constante tradition de l'église de Chartres, tradition conservée dans sa liturgie, dans ses archives, dans son histoire ? Peut-on y ajouter foi comme à un fait historique ? ou bien doit-on la regarder comme une fausse légende ?

    Nous l'avouons sans crainte, la tradition de l'église chartraine nous paraît solidement appuyée sur les monuments de l'antiquité.

    En cela nous ne suivons pas seulement le trop crédule Rouillant, mais l'unanimité des hommes de savoir et d'érudition qui ont écrit sur les origines de la cathédrale de Chartres, Boustrais, Souchet, Mareschaulx, Le Tunais, Etienne Pintard, Challine, Duparc, Sablon, Doyen, M. Gilbert, M. Aubert, etc.

    Remarquons d'abord qu'il n'est pas étonnant de voir que les Druides ont connu le mystère d'une Vierge qui devait enfanter le Rédempteur du genre humain, car tous les peuples ont eu cette connaissance.

    Partout on en trouve quelques vestiges, quelques souvenirs plus ou moins altérés par les superstitions du paganisme ; on la trouve chez les Romains, les Grecs, les Égyptiens, les Perses, les Arabes, les Chinois, les Japonais, les Siamois, les Américains. C'est ce qu'a surabondamment prouvé le savant Drach, rabbin converti, dans sa troisième lettre à ses anciens coreligionnaires.

    Les Druides avaient bien certainement cette connaissance générale provenant d'une révélation primitive.

    Mais en outre ils pouvaient connaître le mystère d'une Vierge Mère par la prophétie d'Isaïe, qui a dit : Virgo concipiet et pariet filium ; une vierge concevra et enfantera un fils (VII, 9).

    Ils le pouvaient encore connaître par une révélation divine et positive qui leur aurait été faite directement. Les Pères de l'Eglise pensent en effet que Dieu a révélé aux Gentils la venue de son Fils, comme nous le savons très-certainement de Balaam, dont la prophétie était répandue partout, et comme nous l'apprenons aussi par l'exemple des Mages et des Sibylles. C'est ce que pensent beaucoup de théologiens modernes, d'après saint Thomas. D'ailleurs l'Eglise romaine autorise cette opinion dans sa liturgie, puisque dans la prose Dies irœ elle invoque le témoignage des Sibylles, lesquelles sans doute n'ont pas été plus favorisées que les Druides, gaulois ou germains.

    Mais Chartres n'est pas le seul endroit qui ait vu élever une statue à la Vierge Mère.

    D'autres villes ont eu des statues druidiques, et cela confirme singulièrement la tradition chartraine. Guibert, abbé de Nogent-sous-Coucy, l'un des hommes les plus savants du XIIe siècle, rapporte que l'église de son abbaye avait été bâtie sur l'emplacement d'un bocage sacré, où les Druides sacrifiaient à la Mère future de Dieu qui devait naître : Matrifutures Dei nascituri. Maintenant encore, dit le savant Souchet, on lit au-dessus de l'autel dans l'église de Nogent : Ara Virginis pariturœ.

    De Chasseneux, président du Parlement de Provence, en son savant Commentaire sur les coutumes de Bourgogne, affirme que trois églises bourguignones conservaient la même tradition, et l'ont consacrée en plaçant cette inscription sur l'autel principal : Ara Virginis pariturœ.

    Châlons-sur-Marne a conservé aussi le souvenir d'une Vierge druidique. Voici ce que tout le monde a pu lire dans les journaux de septembre 1833 : « On vient de découvrir dans une maison, place du Grail, à Châlons, à huit pieds de profondeur, trente squelettes humains, une médaille de l'empereur Adrien, des fragments de chapiteaux à volutes, la tête d'un jeune enfant, le buste d'une jeune fille, etc. Suivant la tradition populaire, fortifiée par le témoignage de l'histoire locale, il y avait, non loin de cet endroit, sous Claude et Néron, une chapelle souterraine consacrée parles Druides à la Vierge des sectateurs d'Hésus. Là ces prêtres gaulois se rendaient en grande pompe le premier jour du mois, pour y faire des oblations et réciter des vers autour d'un autel sur lequel était élevée la statue d'une jeune fille tenant un enfant entre ses bras. Au bas était cette inscription en lettres d'or : Virgini Paritcrje Druides. On doit penser que ces fragments d'architecture et ces sculptures, d'un style antérieur à celui de toutes nos églises, tout à fait étranger à celui des Romains et dont la pierre est d'une nature qu'on ne retrouve plus dans les carrières des environs, pas même dans les constructions des plus anciens édifices de Châlons, doivent remonter au temps du druidisme. »

    Si les guerres des Romains et les invasions des barbares n'avaient pas tout détruit et bouleversé dans l'Europe centrale, on trouverait, dans une foule de localités, des vestiges du culte rendu à une Vierge Mère par les Druides ; car, d'après un savant du XVIIe siècle, qui s'est beaucoup attaché à l'étude des antiquités druidiques, ces prêtres gaulois et germains élevaient dans le secret de leurs sanctuaires des statues à Isis, c'est-à-dire, à la Vierge de laquelle devait naître un fils, savoir le libérateur du genre humain : Hinc Druidœ statuas in intimis penetralibus erexerunt Isidi seu Virgini, hanc dedicantes, ex quâ filius illic proditurus erat, nempè generis humant Redemptor. Dans les Gaules, comme en Egypte, Isis était représentée assise avec son fils Horus ou Hésus qu'elle tenait sur ses genoux. Les statuettes en bronze qui la figurent ainsi, se trouvent assez fréquemment au milieu des ruines gallo-romaines.

    Certes, voilà bien des témoignages en faveur de l'usage prophétique des Druides. Or s'ils élevaient des statues à la Vierge Mère dans leurs sanctuaires les plus célèbres, ils n'ont pu ne point en élever à Chartres, car là se convoquait le collège des Druides ; là se faisaient les initiations ; là se formaient les médecins, les devins et les bardes ; là se cueillait le gui du chêne ; là s'élisait chaque année le chef suprême de la Religion. Le territoire chartrain était pour eux une terre sacrée ; tous venaient y chercher des inspirations ; tous s'inclinaient devant ses oracles.

    Nous le répétons, d'après une tradition constante, le lieu consacré à la réunion générale des Druides gaulois était l'emplacement actuel de la cathédrale ; et c'est là qu'ils érigèrent leur statue à la Vierge qui devait enfanter, Virgini pariturœ.

    Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on invoque l'antiquité en faveur de la tradition chartraine ; voici comment s'exprime la chronique manuscrite de l'église de Chartres ; elle a été écrite au XIVe siècle :

    « Dans les écrits de nos ancêtres, dans nos antiques chartres, comme chez nos écrivains modernes, on trouve que l'église de Chartres fut, avant la naissance de la Vierge Marie, fondée en l'honneur de cette Vierge qui devoit enfanter. »

    La même tradition est consignée dans les lettres de grâce et de pardon données à Loches en l'an 1432 par le roi Charles VII ; ce prince accorde ces lettres  en pitié et en faveur de la dite église de Chartres, laquelle est la plus ancienne église de son royaume fondée par prophétie en honneur de la glorieuse Vierge Marie par avant l'incarnation de nostre Seigneur Jésus-Christ, et en laquelle icelle glorieuse Vierge fu aourée en son vivant.

    Quand, vers l'an 48 de l'ère chrétienne, saint Savinien et saint Potentien envoyés à Sens par saint Pierre, passèrent à Chartres, ils furent bien étonnés de trouver la statue prophétique.

    Ils s'empressèrent d'annoncer que cette Vierge et son divin Enfant étaient venus.

    Les Druides et les Chartrains crurent à leur parole et se firent baptiser.

    La grotte druidique servit d'abord de temple à ces premiers chrétiens, et la statue de Marie continua à y être honorée.

    «Cependant saint Potentian qui s'estoit trouvé saisi d'un merveilleux esbahissement, entrant dans ladicte grotte, d'y voir un autel dédié, et une image consacrée à la Vierge qui enfanterait, ne s'oublia de faire le debvoir de dédier ladicte grotte pour église, ensemble de bénir l'autel et l'image, à qui durant les brouillas du paganisme ces peuples avoient porté tant de respect et de vénération. »

    Cette statue druidique bénite par saint Potentien a-t-elle échappé à la destruction générale, lorsqu'arrivèrent les persécutions ordonnées par les empereurs romains ? Nous l'ignorons.

    Et si elle ne fut pas détruite à cette époque, que devint-elle lors des ravages causés par Hunald en 743, et par les Normands en 858, et par Richard en 963 ? Nous l'ignorons encore : l'histoire est muette sur ce point.

    Mais ce qui nous paraît certain, c'est que si la statue druidique de la Mère de Dieu a pu traverser intacte les dix premiers siècles chrétiens, elle fut anéantie par le terrible incendie du 7 septembre 1020, sous l'épiscopat du célèbre Fulbert.

    Aucun monument écrit ne constate cette destruction, il est vrai ; mais les caractères archéologiques de la statue qui fut brûlée en 1793, prouvent que cette statue ne remontait pas au-delà des premières années du onzième siècle.

    Les archéologues pourront en juger par les gravures exactes qui ont été publiées depuis quelques années. Ils admettront tous que cette pose et ces draperies rappellent parfaitement les caractères des statues du XIe siècle, qui sont parvenues jusqu'à nous. Aussi seront-ils convaincus, comme nous, que la statue a été sculptée sous l'évêque Fulbert, et placée par lui dans la crypte vers la fin de l'année 1022.

    Nous savons bien que tous les historiens de l'église de Chartres prétendent que la statue de Notre-Dame-sous-terre, brûlée en 1793, était la même statue jadis élevée par les Druides.

    Mais ils se sont évidemment trompés. C'est ce qui n'a pas échappé au judicieux Souchet :

    « Quoi qu'il en soit, dit-il, je tiens que c'est une erreur popuIaire que l'image qui est à l'autel principal de la grotte qui est soubz l'église de Chartres, est une de celles que les Druides honoraient es Gaules, laquelle est d'une sculpture plus récente, quoique le bois duquel elle est faiete paroisse fort antique, pour être tout piqué et vermoulu, ne pouvant avoir résisté à tant de centaines d'un nées sans plus grande altération, sinon par un très-grand miracle.

    Cette antique statue représentait Marie assise sur une espèce de fauteuil, de faldistorium assez grossier ; sa tête portait une couronne fort simple ; dans son giron elle tenait son divin Fils, lequel bénissait de la main droite. Ses vêtements étaient la tunique et la chasuble antique ; cette chasuble devait-elle rappeler que Marie est la Vierge-prêtre, Virgo sacerdos, comme l'appellent les saints docteurs ? C'est probable.

    Pintard a décrit très-exactement la Vierge de la crypte ; voici ce qu'il dit :  Dans la chapelle spécialement érigée en son honneur, la vénérable image qui s'y voit élevée dans une niche au-dessus de l'autel, est faite de bois qui paraist être du poirier que le long  temps a rendu de couleur enfumée. La Vierge est dans une chaise, tenant son fils assis sur ses genoux, qui, de la main droite, donne la bénédiction, et de la gauche porte le globe du monde. Il a la tète nue et les cheveux fort courts. La robe qui lui couvre le corps est toute close et replissée par la ceinture ; son visage, ses mains et ses pieds qui sont découverts , sont de couleur d'ébeine grise luisante. La Vierge est revêtue, par dessus sa robe, d'un manteau à l'antique, en forme de dalmatique (chasuble), qui se retroussant sur les bras, semble arrondie par le devant sur les genoux jusqu'où elle descend ; le voile qui lui couvre la tête porte sur ses deux épaules, d'où il se rejette sur le dos. Son visage est extrêmement bien fait et bien proportionné, en ovale, de couleur noire luisante ; sa couronne est toute simple, garnie par le haut de fleurons en forme de feuilles d'ache ; la chaise est à quatre piliers, dont les deux de derrière ont 25 pouces de hauteur, sur un pied de largeur, comprise la chaise ; elle est creuse par le derrière comme si c'était une écorce d'arbre, de trois pouces d'épaisseur, travaillée en sculpture. La statue a 28 pouces et 9 lignes de hauteur. »

    Le visage de la statue était noir ; Sablon va nous en dire naïvement la raison : « Elle étoit noire ou mauresque, comme le sont presque toutes les images qui la représentent dans la ville de Chartres, et l'on croit que les Druides l'ont ainsi dépeinte, parce qu'elle était d'un pays plus exposé au soleil que le nôtre.

    II va sans dire que l'explication du bon Vincent Sablon ne repose sur rien. Si la plupart des statues de la très-sainte Vierge sculptées et peintes au moyen âge, ont le visage noir, c'est pour faire allusion à ce passage des Cantiques que l'Eglise met sur les lèvres de Marie : Nigra sum sed formosa ; je suis noire, mais belle cependant aux yeux du Roi.

    La statue de Notre-Dame fut placée par Fulbert à l'endroit même, dit Félibien, où les Druides faisaient leurs assemblées, et où ils élevèrent la figure qu'ils dédièrent à une Vierge qui devoit enfanter.

    Dans la première moitié du XIIe siècle, la Vierge de la crypte devint plus célèbre que jamais dans tout le pays.

    La maladie qu'on nommait le feu sacré ou le mal des ardents affligeait alors la France ; ceux qui en étaient atteints, étaient comme brûlés par cette cruelle maladie. Les remèdes de la médecine étaient impuissants contre elle.

    C'est alors que les malades vinrent implorer l'intercession de la Mère de Dieu ; l'évêque leur conseilla de faire une neuvaine de prières en l'honneur de celle que l'Eglise appelle la santé des malades, salus infirmer uni.

    Leur confiance ne fut pus vaine ; la plupart furent guéris ; c'était en 1130.

    A dater de cette époque, les ardents se rendirent en foule à Chartres pour y trouver guérison.

    Le poème des miracles constate ce fait : « On vient en la grotte de Chartres, dit-il, là où la Dame fait finir le mal en neuf jours. »

    En la grote à Chartres venir,
    La ou la dame fet fenir
    Dedenz IX jorz la maladie
    Ou soit à mort ou soit à vie.

    Ailleurs Jehan le Marchant nous apprend qu'il y

    Avoit de malades grand presse

    Qui en l'église demoroient

    A Chartres, et qui se gesoient

    Parmi l'église les aies (les bas-côtés)

    Et en litières et eu les

    Chacun garison et aie (assistance)

    Atendoit de sa maladie

    Mais ce n'étaient pas seulement les ardents qui se rendaient en foule devant l'autel de Notre-Dame sous-terre ; c'était une immense multitude de toute condition.

    Là ils offraient à Marie leurs hommages et leurs prières ; là le riche déposait son or, et le pauvre son obole ; là se voyaient les innombrables ex-voto, éloquents et muets témoignages de la gratitude des pèlerins ; là chaque ornement avait sa signification et parlait d'une infirmité guérie, d'un malheur éloigné, d'une affliction consolée, d'une victoire remportée, d'un enfant conservé à sa mère, d'une tentation vaincue, d'une grâce obtenue.

    C'est devant cette sainte et vénérable statue de Notre-Dame qu'eurent lieu la plupart des miracles que le Seigneur opéra au commencement du 13e siècle, pour exciter la pieuse libéralité des fidèles en faveur de la cathédrale de Chartres, qui se construisait alors ; ces miracles se firent à la prière de la Reine du ciel, qui voulait posséder à Chartres un temple sans pareil dans le monde, comme nous le dit Jehan le Marchant, en son naïf langage :

    La haute Dame glorieuse.

    Qui vouloit avoir merveilleuse

    Eglise et haute et longue et lée {large)

    Si que sa per (pareille) ne fut trouvée,

    Son doux fils pria doucement

    Que miracles apertement

    En son église à Chartres fit,

    Que tout le peuple le vit,

    Si que de toutes parts venissent

    Gens qui offrandes tant fissent,

    Que achevée fut son église

    Qui estoit à faire emprise (entreprise).

    Le Roi des rois, le tout-puissant

    Fut à sa mère obéissant;

    Doucement oit (écouta) ses prières,

    Miracles de maintes manières

    Fit pour sa mère apertement.

    Douze lampes, dont deux étaient d'or pur, brûlaient constamment devant l'image de Notre-Dame sous-terre ; et la piété des pèlerins apportait chaque jour des cierges nombreux dont la lumière mystérieuse éclairait la crypte. La plus ancienne fondation de cierge que nous connaissions, remonte à l'an 1134.

    On sait qu'alors la ville de Chartres fut presque toute détruite par un violent incendie ; la cathédrale échappa seule aux flammes.

    Pour en remercier la très-sainte Vierge, à qui l'évêque Geoffroi attribua cette miraculeuse préservation, et aussi pour éloigner de nouveaux malheurs, le pieux prélat constitua deux cierges qui brûleraient jour et nuit devant l'autel de la très-sacrée Vierge de sous terre.

    Un grand nombre de messes avaient été fondées à cet autel, à cause de la grande vénération qu'on y portait.

    Rouillard nous apprend que le Roi Louis onze auroit fondé en icelle grotte un obit par chascun an, et une messe basse à dire chasque jour devant l'image de Notre-Dame soubs Terre, et assigna la fondation de la dicte messe sur la ferme du greffe du Bailliage de Chartres, qui estoit lors au domaine du comté, sçavoir en l'an 1487. »

    La crypte, œuvre de Fulbert, où se trouvait la statue druidique, avait treize chapelles ; la plus remarquable était celle de Notre-Dame sous-terre ; elle se trouvait sous le latéral gauche du chœur, à la hauteur de la chapelle actuelle de la Viergenoire du Pilier. Les rois et les princes, hôtes assidus de la sainte grotte, se plurent à l'embellir par les présents de leur généreuse piété. « Elle est riche et ornée autant que chapelle au monde, disait Sablon en 1697. Toutes ses murailles sont revêtues de marbre, et son balustre est de même matière ; ce n'est que jaspe et peinture à l'entour de l'autel, et le lieu où le peuple se met pour prier la sainte Vierge est ornée de belles peintures qui couvrent haut et bas toutes les murailles et même la voûte. » Ces peintures murales existent encore ; les autres richesses ont disparu.

    Cette sainte statue, vénérée par tant de milliers de pieux pèlerins et illustrée par tant de miracles, n'obtint point grâce devant les démolisseurs de 1793.

    Déjà trois ans auparavant, l'autorité ecclésiastique avait été obligée de fermer la crypte et d'y interdire le culte à cause des désordres sacrilèges qui s'y commirent pendant la messe de minuit de Noël, en 1790.

    Au mois de juillet suivant, l'évêque constitutionnel Bonnet, à la prière du peuple chartrain si dévot à sa bonne Notre-Dame, fit placer l'antique statue de la crypte dans l'église haute, sur la colonne qui servait de support à la Vierge-noire du Pilier , laquelle fut jetée parmi les débris des chapelles, dans un coin obscur de la crypte.

    La statue druidique demeura sur sa colonne jusqu'à la terreur de 1793. Alors la cathédrale, dédiée à la Vierge immaculée, fut transformée en temple de la déesse Raison ; l'installation de cette impure divinité eut lieu le 20 décembre 1793 ; et ce fut à cette occasion qu'un révolutionnaire impie arracha la vénérable statue de son pilier, et la jeta violemment sur le pavé.

    La tête détachée du tronc roula aux pieds des nombreux témoins de cette odieuse profanation.

    Malheureusement on ne s'arrêta point là ; les débris furent recueillis par ordre du conventionnel Sergent et sacrilègement brûlés devant la porte royale, avec une partie du riche mobilier de l'antique basilique.

    En rendant compte de ces hauts faits. Sergent est obligé de rendre hommage à l'heureuse influence que le culte inspirateur de Marie a toujours exercée sur les arts : « Il me semble, dit-il dans son rapport du 24 décembre 1793, que la dévotion que les prêtres avaient su inspirer pour cette Vierge magotine, que nous avons fait brûler décadi dernier, ait appelé et animé tous les artistes les plus célèbres de ce temps-là pour construire l'église. »

    On pourrait facilement rétablir, dans sa forme primitive, cette statue miraculeuse, victime du fanatisme révolutionnaire, puisqu'on en possède plusieurs dessins authentiques.

    C'est une restauration digne du savant et pieux prélat qui gouverne aujourd'hui l'église de Chartres. Peut-être suffirait-elle pour raviver l'amour des bons villageois de la Beauce, du Thimerais et du Perche, jadis enfants si fidèles et vassaux si dévoués de l'auguste et sainte Dame de Chartres.

    Ce qui précède, était écrit depuis plusieurs semaines, lorsque nous avons trouve, dans le Journal de Chartres, numéro du 4 mars 1855, la lettre suivante ; nous la reproduisons, parce qu'elle est de nature à intéresser vivement les pèlerins de Notre-Dame.

     

    « M. le rédacteur, Il y a quelques semaines, une lettre pastorale de notre pieux évêque nous annonçait, pour le mois de mai prochain, la faveur d'un Jubilé particulier, et le couronnement solennel de Notre-Dame de Chartres, au nom du souverain Pontife. Cette nouvelle aussi heureuse qu'inattendue nous a cause la joie la plus vive, et nous avons tressailli à la pensée de la fête magnifique qui doit célébrer le triomphe de notre auguste patronne. Mais un autre événement va, ce nous semble, exciter au plus haut degré l'enthousiasme de la population chartraine. Inspiré par son zèle ardent pour la gloire de Marie, notre bien-aimé Pontife a conçu le pieux dessein de rendre bientôt à la dévotion des peuples une des chapelles de l'église de souterraine de Notre-Dame de Chartres, en attendant la restauration complète de ce monument, le plus vénérable qui ait été consacré à la Mère de Dieu. Cette pensée nous a paru si belle et si capable d'exciter l'intérêt non-seulement de nos compatriotes, mais de toutes les personnes chrétiennes, que nous n'avons pu garder pour nous le sentiment de joie qu'elle nous a fait éprouver.»

    Chartres va donc recueillir enfin ces précieux et touchants souvenirs tristement ensevelis, depuis plus d'un demi-siècle, dans la poussière de cette grotte abandonnée. Nous pourrons enfin renouer la chaîne des temps, et suivre de nouveau la foule des pieux pèlerins qui accouraient autrefois de tous les points du monde pour vénérer la statue antique de la Bonne Notre-Dame sous-terre, que les Druides eux-mêmes avaient érigée en ce lieu et qu'ils honoraient d'un culte prophétique.

    Sans doute, nous n'avons pas l'espérance de voir sitôt briller dans ce sanctuaire le marbre et le jaspe qui ornaient autrefois son autel, ni les douze lampes de bronze doré brûlant nuit et jour devant l'image de l'illustre Madone.

    Mais qu'est-il besoin de ces richesses que des temps plus heureux pouvaient offrir comme ex-voto de reconnaissance ? La prière, si souvent l'expression de la tristesse et de la douleur, aimera ces murailles nues, ce pavage, cet autel simple que nos offrandes vont y replacer, ces demi-jours qui invitent si bien à répandre son âme devant celle qui en est la consolatrice.

    D'ailleurs n'est-ce pas une richesse réelle que ces attachants souvenirs d'un autre âge qui réveillent dans notre mémoire tant de faits touchants ou glorieux accomplis dans nos murs, qui nous reportent au berceau de notre foi, et à l'origine du culte si suave de la mère de Dieu, qui nous rappellent tant de Saints, tant d'illustres personnages dont le bonheur était de venir prier dans le silence de cette crypte vénérable ?

    C'est là, c'est dans cette grotte, dont le rétablissement si heureusement projeté fait battre notre cœur, que fut exposée, pendant tant de siècles, la Vierge des Druides, appelée depuis la Vierge aux Miracles ; c'est là qu'eut lieu, par les ordres du gouverneur Quirinus, le massacre d'une foule de martyrs qu'on a surnommés les Saints Forts ; c'est là que le roi Priscus, n'ayant point d'enfants, fit héritière et suzeraine de sa seigneurie de Chartres celle qui, à dater de ce jour, ne porta plus que le nom de Notre-Dame ; c'est là que le grand Fulbert, en reconnaissance de la guérison d'un mal affreux qui le consumait, résolut de célébrer chaque année la fête de la Nativité de la sainte Vierge, avec une pompe inconnue jusqu'alors ; c'est là que plus tard le vénérable M. Olier, fondateur de la congrégation de Saint-Sulpice, vint déposer les clefs de son premier séminaire et offrir tous ses enfants à Marie dans ce sanctuaire qu'ils aiment tant à visiter ; c'est là que vinrent s'agenouiller tour à tour et Philippe 1er, roi de France, que saint Yves venait de sacrer dans l'église haute, et le pape Innocent II, et saint Bernard , et saint Louis au retour de la Terre-Sainte, et Henri IV, qui, après avoir reçu l'onction royale dans notre célébre basilique, voulut descendre au pied de cet autel vénéré pour proclamer solennellement que c'était à la Vierge de Chartres, plutôt qu'à son épée, qu'il devait son royaume ; enfin, c'est là que Anne d'Autriche obtint d'avoir un fils qui devait s'appeler Louis-le-Grand, et que Louis XIII reçut cette inspiration sublime de vouer à la Reine des cieux son trône et sa personne.

     

    Mais il nous est impossible de tout dire dans l'espace trop resserré d'une lettre. Il faudrait raconter tant de faveurs miraculeuses obtenues dans cette grotte célèbre, et l'affluence inouïe des pèlerins, et les touchantes cérémonies qui s'y passèrent, et cette gracieuse fondation d'un de nos rois qui voulut que, chaque samedi, les jeunes enfants de la Maîtrise descendissent dans la crypte chanter à l'autel de la sainte Vierge, pour lui et pour sa famille, un salut du Saint-Sacrement.

     

    Voilà le sanctuaire auguste que notre vénéré Pontife veut tirer enfinde l'oubli, et rendre au plus tôt à sa destination pieuse. Où trouver une circonstance plus favorable à l'exécution d'une si sainte entreprise que l'époque du jubilé de Notre-Dame de Chartres et de son couronnement solennel ? Mais il est bon de nous rappeler ici l'exemple de nos aïeux.

    Quand notre illustre Fulbert voulut bâtir sa cathédrale, dont cette crypte est un précieux reste, tous les princes chrétiens de l'Europe, les seigneurs, le clergé et le peuple s'empressèrent de lui venir en aide ; et, deux siècles plus tard, le légat du pape Célestin III retrouva partout la même ardeur lorsque, sur les débris fumants de cette église, il proposa d'élever le temple magnifique qui fait l'ornement et la gloire de notre vieille cité. Les enfants si nombreux et si dévoués de la Vierge immaculée montreraient-ils aujourd'hui moins de zèle pour l'honneur de leur mère ? Nous ne le croyons pas, et notre confiance ne sera pas trompée. Du reste il ne s'agit pas ici d'une œuvre gigantesque et qui demande des sommes considérables. Il suffit d'un peu de cœur et d'un léger sacrifice. Donnons et pour le couronnement de Notre-Dame de Chartres et pour la restauration de sa chapelle souterraine. Que le riche et le pauvre, que le prêtre et l'artisan apportent leur obole : ce sera l'obole de la bénédiction, parce que ce sera celle de la piété filiale, et nous avons l'expérience, nous habitants de Chartres, que, au jour de nos adversités, l'aumône versée avec amour pour la gloire de Marie nous est largement rendue.

    Agréez, etc.

    Un serviteur de Notre-Dame de Chartres. »

    Source : Livre "Manuel du pèlerin à Notre-Dame de Chartres" par Marcel-Joseph Bulteau

     

     

     


     

     

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