• Notre-Dame de Béthléem (Ferrières)

     

     

     

    Notre-Dame de Béthléem

    (Ferrières en Gatinais)

     

     

     

    C'est qu'en effet la ville de Ferrières est pleine des plus glorieux souvenirs.

    Elle possède des titres de haute noblesse et des droits sacrés a la vénération des peuples.

    Son premier sanctuaire est celui de Notre-Dame de Bethléem.

    Ce lieu de pèlerinage, un des plus fréquentés du diocèse, en est peut-être en même temps le plus ancien.

    Plusieurs historiens en font remonter l'origine jusqu'aux temps apostoliques, à l'époque où saint Savinien et saint Potentien évangélisèrent le Senonais.

    Saint Savinien, disent-ils, éleva un petit oratoire à la Mère de Dieu, convoqua pour sa consécration tous ceux qu'il avait gagnés à l'Evangile ; et, à cette occasion, un prodige insigne vint confirmer dans la foi ces nouveaux chrétiens.

    C'était la nuit de Noël, et on allait commencer le saint sacrifice, lorsque tout à coup une vive lumière remplit le sanctuaire ; la sainte Vierge apparaît, portant l'enfant Jésus dans ses bras, accompagnée de saint Joseph ; et les Anges, s'associant à cette glorieuse apparition, entonnent comme autrefois le Gloria in excelsis.

    Saisi d'un saint enthousiasme, Savinien s'écrie : « C'est vraiment ici Bethléem. »

    Et depuis lors jusqu'à nos jours ce nom est toujours resté au sanctuaire.

    La tradition de ce fait miraculeux s'est conservée à travers les siècles.

    Il est raconté par Loup, abbé de Ferrières, qui écrivait en 850, et par plusieurs autres historiens.

    II est mentionné formellement dans une bulle de Grégoire XV, et cité dans une charte de Clovis que rapporte dom Morin.

    On comprend tout le retentissement que dut avoir un pareil prodige.

    De toutes les parties de la Gaule devenue chrétienne, les peuples accoururent pour prier dans le sanctuaire de Bethléem.

    Lorsque, vers l'an 434, Attila pénétra dans le pays avec ses hordes barbares, il livra aux flammes ce lieu vénéré, et plus de trois cent soixante personnes y périrent, ou ensevelies sous les débris de l'édifice, ou massacrées par le fer.

    Mais la piété des peuples releva bientôt de ses ruines le religieux sanctuaire, imparfaite ment d'abord, parce qu'elle ne pouvait mieux faire, plus magnifiquement ensuite, dès qu'elle le put ; et en 481, Notre-Dame de Bethléhem entra dans une ère nouvelle de prospérité.

    Clovis, quoique encore païen, entendant raconter tant de merveilles de ce sanctuaire, eut la curiosité de le visiter.

    Les ermites qui en étaient les gardiens le reçurent avec le plus grand honneur ; et le prince, touché de ce bon accueil, se montra bienveillant envers eux jusqu'à contribuer de sa royale munificence à la reconstruction et à l'embellissement du religieux édifice.

    D'un autre côté, Clotilde, jeune encore, y venait chaque année en pèlerinage, et les ermites, admirant sa foi et sa piété, osèrent parler à Clovis de la vertueuse et belle chrétienne ; ils lui en firent un si grand éloge que le roi païen voulut la connaître ; le regard du fier Sicambre eut bientôt découvert sous le voile de sa modestie le trésor des douces vertus qui la distinguaient.

    Il résolut de l'épouser, et bientôt la sainteté de Clotilde vint embellir le trône de France.

    Après son mariage, Clotilde voua à la sainte Vierge son second fils Clodomir, vint prier pour lui à Notre-Dame de Bethléhem lorsqu'elle le vit dangereusement malade ; et sa guérison obtenue, elle l'y fit baptiser au pied de l'autel avec la permission de Clovis, encore païen.

    La reconnaissance de la reine et du roi lorsqu'il fut devenu chrétien se traduisit bientôt en nombreux bienfaits, et entre autres par la construction d'une vaste église tout près du sanctuaire de Bethléem, laquelle, sous le vocable de saint Pierre et de saint Paul, devint l'église des religieux.

    Ce n'est pas sans doute l'église qu'on voit aujourd'hui ; le temps et les guerres l'ont plusieurs fois ruinée ; mais la religion l'a autant de fois relevée.

    Sous Clotaire II, Notre-Dame de Bethléem ne fut pas moins favorisée.

    Le prince y vint lui-même en pèlerinage.

    Adalbert, seigneur d'Étampes, restaura l'église ainsi que le monastère des ermites, endommagé sur plusieurs points par les guerres.

    Enfin à cette époque fut fondée définitivement l'abbaye de Ferrières, cette abbaye fameuse qu'illustrèrent dans les âges suivants tant de vertus et de talents, qui compta dans ses écoles des milliers d'élèves, qui fut longtemps une pépinière d'évêques, qui n'eut de rivale que la grande école de Tours, qui enfin, aussi riche en durée qu'en illustrations, subsista jusqu'en 1793.

    Sous Dagobert, même protection fut continuée au pieux sanctuaire.

    Ce monarque y fonda une messe qui devait être dite à perpétuité sur l'autel de Notre-Dame, et qui fut appelée la messe royale.

    De plus, sur sa demande, le pape Grégoire II accorda a l'abbaye le privilège de porter les armes de Saint-Pierre de Rome et plusieurs autres faveurs signalées, qui furent dans la suite confirmées par Paul I, Eugène II, Alexandre III et Urbain III.

    Charlemagne, qui avait eu pour précepteur le célèbre Alcuin, abbé de Ferrières, se montra également généreux pour Notre-Dame de Bethléem, et ses successeurs sur le trône imitèrent son exemple.

    A la fin du douzième siècle, les religieux, aidés par de si puissants protecteurs, firent reconstruire leur église ainsi que la belle flèche octogone, haute de cent cinquante pieds, qui la surmontait, et qui tomba en 1837.

    Ce magnifique monument terminé, ils invitèrent Alexandre III à venir le consacrer lui-même.

    Ce pape, une des plus grandes figures historiques du douzième siècle, estimant qu'un sanctuaire si célèbre dans le monde chrétien était digne d'un tel honneur, se rendit de sa personne à Ferrières.

    Il fit la cérémonie le 29 septembre 1163, et il puisa dans ce saint asile un adoucissement aux maux dont fut traversé son pontificat.

    Après trois siècles de prospérité et de gloire, Notre-Dame de Bethléem vit encore arriver de nouveaux jours de deuil.

    Sous le règne de Charles VII, les Anglais, maîtres de tout le pays, vinrent ravager Ferrières, brûlèrent l'église, dont ils ne laissèrent debout que la flèche.

    Mais le Ciel ne laissa pas ce crime impuni.

    Selon une légende traditionnelle, le soldat anglais qui avait mis le feu au lieu saint se sentit tout à coup dévoré jusqu'au fond des entrailles comme par un feu mystérieux dont rien ne pouvait éteindre les ardeurs ; et dans l'excès de sa douleur, il alla se précipiter dans un puits voisin.

    En 1607, un prieur du monastère, voulant constater le fait, fit sonder le fond de ce puits, et on y trouva des ossements humains.

     

    L'église de Notre-Dame de Bethléem, tant de fois renversée et tant de fois reconstruite, sortit de nouveau de ses ruines en 1460, grâce à la piété généreuse de dom Blanchefort, abbé de Ferrières.

    Ce saint religieux, que ses éminentes vertus et surtout sa charité pour les pauvres rendaient vénérable dans toute la contrée, aimait tant la sainte Vierge, que, quand il se sentit près de mourir, il se fit porter au pied de son autel et y rendit le dernier soupir.

    On l'y enterra, et on lui éleva un tombeau richement sculpté ; mais l'église et le tombeau furent pillés, profanés par les protestants au seizième siècle ; et les révolutionnaires de 93 en achevèrent la dégradation jusqu'à ne laisser debout que les murs de l'église ; encore même les mirent-ils dans un état de délabrement qui en compromettait la solidité.

    Après la révolution, cette église fut conservée comme annexe de l'église paroissiale de Saint-Pierre ; mais elle n'en demeura pas moins pour les fidèles l'église de prédilection ; et, lorsqu'en 1837 sa belle flèche s'affaissa tout à coup sur ses bases dégradées et écrasa l'église de sou énorme poids, toute la ville demanda avec instance, non la reconstruction de ce gigantesque et monumental clocher qui s'élevait à cent cinquante pieds au-dessus des combles de l'église ; hélas ! les ressources du pays n'y eussent pas suffi, mais au moins la restauration du sanctuaire où tant de générations étaient venues prier.

    Le digne pasteur, M. l'abbé Champion, partageant le religieux enthousiasme de ses paroissiens, ouvrit une souscription volontaire.

    Prompts à répondre à cet appel, les riches donnèrent de leur argent, les fermiers offrirent leurs chevaux et leurs voitures pour tous les charrois nécessaires ;. le pauvre, qui n'avait que ses bras, donna de son temps, et l'on vit dans un même jour jusqu'à soixante-dix ouvriers, tous animés du même zèle, du même sublime désintéressement, travailler avec ardeur à cette œuvre de restauration.

    En moins d'une année, Notre-Dame de Bethléem sortit de ses ruines ; et les fidèles, réunis de nouveau dans son enceinte, purent y continuer les prières et les chants des anciens âges.

    On y admire, a gauche du grand autel, le tombeau de dom Morin, qui fut l'architecte des deux chapelles latérales, ainsi que le retable du grand autel et les décorations du sanctuaire, qui sont attribués à la munificence de Marie de Médicis.

    Mais ce qui mérite bien plus l'attention et le respect, c'est la Vierge noire, échappée aux dévastations des Anglais, aux profanations des protestants, à l'impiété des révolutionnaires, placée maintenant dans la chapelle latérale, a gauche du sanctuaire ; Vierge séculaire et miraculeuse, aux pieds de laquelle de nombreux pèlerins, entre autres les habitants de Montargis, viennent prier encore aujourd'hui avec une confiance que justifie et encourage le souvenir des grâces obtenues dans la succession des siècles.

     

     

     

    La dévotion à ce religieux sanctuaire inspira dès le temps des rois mérovingiens une institution pieuse, connue sous le nom de Confrérie royale de Notre-Dame.

    Clovis, mû par un sentiment de reconnaissance envers la Mère de Dieu pour toutes les grâces qu'il en avait reçues, sollicita l'établissement de cette confrérie, et voulut être le premier inscrit sur le registre des confrères.

    De nombreux associés s'empressèrent de se faire inscrire à la suite du roi, et la confrérie dura des siècles.

    Cependant le temps, qui use tout, la mina peu a peu, elle tomba ; et elle n'existait plus qu'à l'état de souvenir, lorsque Louis XIII, informé par dom Morin, religieux de Ferrières, de l'existence de l'antique confrérie, ordonna qu'elle fût rétablie et en fit approuver les règlements par Grégoire XV, dont la bulle reçut son exécution le 8 septembre 1622, fête de la Nativité de la sainte Vierge.

    Le juge royal de Montargis chargé d'apporter et de promulguer cette bulle, ne se contenta pas de remplir sèchement et officiellement sa mission ; partageant les sentiments pieux du monarque, il vint processionnellement à Ferrières, accompagné d'un grand concours de fidèles, et en son nom comme en celui de la ville de Montargis, il fit hommage d'une magnifique lampe a Notre-Dame de Bethléem.

    La ville de Paris, non moins zélée, fit demander par ses prévôts et échevins, le 18 février 1625, que ses armes fussent placées au-dessous de celles du roi dans le sanctuaire de Marie.

    La confrérie ainsi renouvelée prit tout à coup un grand accroissement.

    Plusieurs princes et princesses s'y firent inscrire, entre autres le prince de Condé, la princesse Marie, fille de la duchesse de Nemours, le duc de Bellegarde, la maréchale de la Châtre, toute la maison de Montigny, plusieurs archevêques, plusieurs évêques et autres membres éminents du clergé.

    Chaque jour de l'année, on célébrait une messe et un salut après les vêpres pour le roi et tous les confrères ; de plus, tous les lundis, on disait une messe basse pour les confrères défunts ; et le jour de la Nativité de la sainte Vierge, on solennisait avec la plus grande pompe la fête principale de la confrérie.

    Ce n'était pas seulement cette pieuse association qui attirait les fidèles à Notre-Dame de Bethléem ; c'étaient encore les nombreuses indulgences qu'y avait accordées Grégoire XV, à cinq époques principales de l'année, savoir : au dimanche avant l'Ascension, aux fêtes de Pâques, de la Pentecôte, de saint Paul et de saint Michel.

    On ne pouvait compter les pèlerins qu'amenait ces jours-là a Ferrières le désir de gagner les indulgences.

    Mais, hélas ! de toutes ces pieuses pratiques, de toutes ces antiques fondations, il ne reste plus que le pèlerinage du lundi de la Pentecôte ; alors on fait une procession solennelle ; on porte en grande pompe les saintes reliques échappées aux différentes dévastations de Notre-Dame de Bethléem et de l'église de l'abbaye de Ferrières, et les pèlerins y sont nombreux.

    Fasse le Ciel que la ville de Ferrières, n'étant plus aujourd'hui, grâce au chemin de fer, qu'à quelques heures de la capitale, voie bientôt un meilleur avenir, et que ces antiquités si glorieuses, ces ruines heureusement devenues la propriété de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, soient consolées et voient briller encore quelques rayons de la beauté de leurs anciens jours!