• Montpellier : Notre-Dame des tables

     
     

     

    Montpellier

    Notre-Dame des tables

     

     

    Montpellier : Notre-Dame des tables

     

    L'origine de la dévotion à Notre-Dame des Tables et de son sanctuaire

     

    La dévotion à Notre-Dame des Tables a été, dans tous les temps, à Montpellier, le caractère spécial du Culte rendu à la Vierge Marie.

    L’inauguration en a été faite dès la fondation même de la Cité.

    On la reconnaît dans la pensée qui, la première, vint heureusement inspirer, à cette occasion, l’érection d’une Chapelle en l’honneur de Notre-Dame.

    Les circonstances remarquables qui ont amené et accompagné cet évènement, sont le point de départ de notre récit. Exposons d’abord la situation, telle que peut nous la laisser voir l’obscurité de ces temps éloignés.

    Deux simples villages, bien distincts, existaient encore au VIIIe siècle sur la colline entièrement occupée aujourd’hui par la ville de Montpellier. Ce dernier nom, devenu illustre à tant de titres, était celui de l’un des deux villages. Montpellier était situé sur les hauteurs de la Valfère et dans les quartiers de la cité appelés aujourd’hui Saint Firmin. Là était l’église paroissiale, dont ce Saint était le patron.

    Montpellieret était le nom donné à l’agglomération qui formait le second village.

    Placé à distance du premier, celui-ci occupait l’autre extrémité de la colline, du côté de la Citadelle.

    L’église paroissiale, dédiée à S. Denis, était bâtie à l’endroit même du Bastion Nord-Est des fortifications.

    Le souvenir de ce quartier et de l’antique village est encore consacré par la dénomination récemment donnée à la rue qui y conduit, en passant devant le Musée.

     

    Des déplacements de populations, occasionnés par des évènements politiques et par d’autres causes, vinrent, vers cette époque et plus tard, successivement occuper l’espace laissé entre ces deux villages.

    Les plus considérables ont eu lieu dans les parages environnants.

    Deux principaux centres y ont disparu pour accroître celui de Montpellier.

    Maguelone et Substantion ont perdu tour-à-tour leur existence et leur nom de ville, pour donner à notre population l’importance et le titre de cité. Nous devons rappeler quelques traits de leur antique physionomie.

    Bâtie sur les bords du Lez, cette dernière ville était située à peu de distance au-dessus du village actuel de Castelnau. Nulle trace n’en reste sur les lieux, et l’histoire seule en a gardé le souvenir. Substantion était cependant renommé par la noblesse de ses comtes, qui groupaient autour d’eux les familles les plus riches de la contrée.

    Maguelone, de son côté, n’était pas seulement florissante par l’étendue de son commerce et par la commodité de son port. Le siège épiscopal, qu’elle possédait dès les temps les plus reculés, et la résidence de ses évêques, lui donnaient un incontestable relief.

    Les épouvantables calamités dont cette ville fut atteinte au temps dont nous parlons, ni ses décroissements successifs, n’ont pu de longtemps la priver de ce précieux avantage.

    La translation définitive du siège de Maguelone à Montpellier ne s’est effectuée, on le sait, que vers le milieu du XVIe siècle, en l’année 1556.

    Mais c’est le démantellement et la première destruction de cette ville, sous Charles-Martel, qui nous amène à notre sujet. Nous devons en exposer les circonstances et les résultats.

     

    Le Mahométisme, à cette époque, était devenu partout triomphant. Il n’avait pas seulement envahi l’Espagne ; les plus belles provinces de France avaient ressenti ses ravages. Nos riches contrées du Midi n’avaient point été épargnées.

    L'île de Maguelone était devenue le repaire et le boulevard des infidèles musulmans. Rien, autour d’eux, ne pouvait être en sûreté. Leur attitude toujours menaçante et leurs irruptions continuelles tenaient tout en échec.

    En cet état de choses, l’antique ville ne pouvait espérer le salut, ni du souvenir de ses splendeurs passées, ni de l’incontestable utilité com merciale qu’elle offrait encore pour l’avenir. L’entière démolition en fut résolue, et Charles Martel victorieux n’hésita point à l’opérer. Ce n’était pas assez de malheurs pour les habitants de Maguelone d’avoir longtemps gémi sous l’infame joug des Sarrasins : au moment même où ce joug fut brisé, contraints de quitter leur patrie, ils virent ajouter à leurs maux toutes les rigueurs de l’exil et de l’émigration. 

    Voici le sort réservé par la Providence à ces insulaires proscrits.

    Substantion ouvrit ses portes aux émigrants les plus riches et les plus aisés. Ils y furent attirés par l’espoir d’y trouver leur sûreté personnelle et le confortable de la vie ; mais ceux qui s’y rendirent ne furent que le petit nombre.

    La masse du peuple tourna ses regards sur d’autres points. Montpellier offrait des avantages particuliers aux industriels ou aux travailleurs. Le large espace qui le séparait de Montpellieret leur parut favorable, et il fixa leur choix. L’histoire, du moins, en insinue les motifs, et il est facile de les présumer : c’était l’espoir de se procurer un travail plus certain et des habitations moins dispendieuses. Assurément les nouveaux colons ne se doutaient point, en bâtissant ces modestes demeures, qu’elles seraient un jour le Centre brillant d’une des plus belles Cités.

     

    Telle est donc la première forme de ville donnée à Montpellier. De nouvelles recrues arrivèrent bientôt pour grossir le nombre des émigrants de Maguelone. C’étaient des Espagnols descendus par bandes du haut des Pyrénées, où ils avaient été, à leur tour, se réfugier pour se soustraire également à la violence des Maures qui avaient envahi leur pays. Nous n’avons pas à faire remarquer que ce mélange de population, dans la première fondation de la ville, a dû laisser à celle-ci un cachet particulier, et qu’en y entrant pour sa part, l’élément espagnol, ainsi qu’on l'a justement observé, a dû laisser des traces dans les habitudes et le langage de ses habitants. Il est un fait qui nous intéresse davantage : c’est la construction, au milieu de ces circonstances diverses, de la Chapelle primitive de Notre-Dame et le Premier Acte de ce Culte particulier, dont nous entreprenons de tracer l'histoire.

    Ces prodigieux accroissements de population, effectués en moins d'un siècle, devaient attirer l’attention des seigneurs du lieu, les comtes de Substantion.

    Leur bienveillante sollicitude s’applique surtout à adoucir le sort de ces malheureux réfugiés.

    Les consolations de la foi étaient le plus puissant remède à de si grands maux.

    Dans leurs longues et cruelles épreuves, ces infortunés n’avaient souffert que pour la sainte cause : ils étaient en droit de réclamer du Ciel les secours que les hommes ne peuvent donner.

    Pour satisfaire à de si légitimes besoins, on eut la pensée d'ériger, au milieu de la nouvelle population, une Chapelle en l’honneur de la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu.

    Telle est donc l’humble origine du SANCTUAIRE, plus tard si renommé, de NOTRE-DAME DES TABLES.

    La cause de cette fondation, on le voit, est fort simple. Elle n'offre aucune des circonstances qui distinguent la plupart des fondations du même genre, par des visions ou des apparitions surnaturelles, ou par d’antiques et pieuses Légendes.

    Le fait dont il s’agit ne sort pas de l’ordre naturel, et il se prouve historiquement.

    Des malheurs et des besoins réels, d’une part ; une sincère compassion, de l’autre, pour les soulager ; de communs sentiments de foi et de confiance à la Vierge, Consolatrice des affligés : voilà ce qui le constitue.

    C’est sur ce fondement solide que reposent à la fois et l’Édifice matériel en l’honneur de la Vierge Marie, et le Culte particulier pratiqué dans son enceinte.

    Nous devons anticiper un instant sur ce qui doit faire le sujet de la deuxième partie de cet ouvrage, et marquer ici, pour le début, quelques-unes des particularités de ce premier établissement. 

    L’emplacement choisi pour la construction de la Chapelle Primitive fut ; le même qu’elle a constamment occupé depuis et jusqu’à la fin du siècle dernier.

    Il n’est plus connu aujourd’hui que sous le nom vulgaire de Place-Neuve ou Marché aux colonnes.

    La tradition de la Ville est telle et n’a pas varié sur ce point ; elle est d’accord avec l’historien Gariel, de qui nous tenons les autres détails.

    Peu importe, au surplus, ainsi que l’assurent certains auteurs, qu’un temple de Vesta ait occupé ce même lieu aux temps druidiques, et que la Chapelle de la Vierge Marie n’ait été bâtie sur ces ruines que pour constater avec plus d’éclat le triomphe du Christianisme au milieu de nous. Les frais de construction furent faits par la générosité des nobles comtes de Substantion, à qui le sol appartenait, et le pieux évêque de Maguelone, Ricuin Ier, s’en réserve la bénédiction. 

    L’intéressante cérémonie peut être rapportée à l’année 817.

    Une circonstance remarquable dut la rendre de plus en plus touchante. Le saint évêque qui la présidait se trouvait sous le coup des mêmes malheurs qui avaient frappé, à Maguelone, les nouveaux habitants de Montpellier. La proscription et l’exil forcé l’avaient atteint dans la personne de ses derniers prédécesseurs sur son propre siège, qui se trouvait ainsi, depuis quelque temps, transféré de fait à Substantion.

    Il était beau de voir, en cette conjoncture, le Pasteur et les Ouailles ainsi rapprochés implorant ensemble les secours du Ciel et lui confiant leurs peines présentes et leurs préoccupations d’avenir !

    Tel fut le spectacle attendrissant présenté à la piété par l’Église de Notre-Dame dès le jour de sa première inauguration.

    Il était d’ailleurs digne des destinées d’un prélat dont nos Annales ont signalé l’éclatant mérite, d’ouvrir ainsi aux générations à venir une source de bénédictions et de grâces qui devait être si féconde.

     

    Les miracles de Notre-Dame des tables, à leur point de vue général. Leur authenticité. Certitude et variété des témoignages en leur faveur.

    La population Montpellieraise accueillit avec reconnaissance l’inappréciable bienfait de ses Seigneurs et se montra digne de leur piété.

    De nombreux et éclatants Prodiges ne tardèrent pas à justifier, d’ailleurs, la tendre et sincère dévotion dont fut entourée tout d’abord l’Auguste Chapelle.

    Ainsi la bien-aimée Patronne se plaisait-elle à inaugurer, en quelque sorte, son nouveau séjour au milieu de nous, et à consacrer la royale résidence que Montpellier venait de lui offrir.

    Il est essentiel d’établir ici ce Fait des Miracles par des documents qui ne puissent être contestés.

    Cette démonstration est le principal fondement sur lequel reposent la légitimité et l’antiquité de cette dévotion à Notre-Dame des Tables.

    Elle sert encore à en rehausser le prix et la valeur, et en demeure ainsi le perpétuel encouragement.

    Là, au reste, se bornent la portée et le principal effet de ces Prodiges que nous avons à constater. Ils ne peuvent avoir l’importance des Miracles de l’Évangile et de beaucoup d’autres, spécialement destinés à défendre la divinité de la religion contre les incrédules. Ceux dont il s’agit ont été principalement accordés à la simplicité de la foi, pour la consolation des fidèles, ou pour la glorification du Culte et du Sanctuaire de Marie dans la Cité.

     

    La première preuve en faveur des Miracles de Notre-Dame des Tables peut être prise des habitudes mêmes du langage. Dans son sens le plus universellement accepté, le nom seul de NOTRE-DAME DES TABLES porte avec lui le souvenir et l’idée de MIRACLES.

    Telle est l’impression généralement produite, au milieu de nous, parmi les fidèles, comme fruit de première éducation. La locution est devenue comme proverbiale, en ce sens, pour exprimer, sur le fait des Miracles, une tradition populaire parfaitement établie. Nommer Notre-Dame des Tables, c’est réveiller l’idée de Miracles opérés. Ces deux souvenirs ne se séparent pas.

    Mais cette tradition, au surplus, n’est pas sans fondement ; elle repose sur des documents et des témoignages qui peuvent supporter les épreuves d’une rigoureuse critique. Il en est qui sont pris dans la localité : de pieuses et antiques légendes, les archives de la Ville et son histoire même en fournissent un grand nombre. D’autres nous viennent du dehors et des pays lointains, où s’est répandue la célébrité des Miracles de notre Sanctuaire. Nous devons les produire, suivant cet ordre, les uns et les autres.

    Documents authentiques, pris dans les Actes ou dans l'histoire de la ville de Montpellier, en preuve des Miracles de Notre-Dame des Tables.

    Une seule citation devrait suffire ici et tenir lieu de tout document pour établir la certitude des Miracles dont nous parlons : c’est le fait de l’Institution de la Fête sous le titre même des Miracles de Notre-Dame des Tables, et celui de sa Célébration Annuelle, sans interruption, depuis tout-à-l’heure sept siècles.

    La garantie offerte par une telle institution pour certifier la vérité des Faits Miraculeux dont elle est l’objet, laisse-t-elle rien à désirer ? Les deux Autorités Ecclésiastique et Civile, on le sait, ont concouru à établir la Fête ; l’une et l’autre ont également contribué, dans la longue série des siècles, à la solenniser toutes les années ; nous en fournirons plus tard la preuve.

    Une pareille intervention n’offre-belle pas tous les caractères exigés pour la constatation des faits ? Ni la lumière, ni la véracité, ni la compétence ne manquent à de tels témoins, jugeant de faits accomplis sous leurs yeux, dans leur propre pays, et les transmettant à la postérité par le sacré canal de la religion elle-même.

    Mais pourquoi ne pas voir les choses de plus près, par un autre côté du moins qui les rende plus claires ou plus reconnaissables à certains esprits prévenus ? La portée des institutions religieuses et des saintes cérémonies n’est pas toujours comprise, il faut l’avouer, et la prévention, plus d’une fois, empêche d’en apprécier le vrai sens et toute la valeur.

    Les Miracles de Notre-Dame des Tables ont pour eux des preuves qui dominent ces préventions.

    Ces preuves se trouvent matériellement écrites dans les Registres publics de la Ville ; elles méritent de notre part une attention particulière .

    Voici, en effet, ce qu’on lit dans le Thalamus, antique et précieux registre déposé aux archives. Nous reproduisons le texte dans le vieux style, pour lui laisser tout le caractère de vérité et d’authenticité :

     

    « En l’an MCC mens I, et mes d’aost, fes Madona San Maria de Montpellier las vertutz. »

    Une autre version manuscrite du même registre indique la date par le chiffre suivant, et porte les mots qui l’accompagnent :

    « En l’an MCLXXX IX (sic) foron fatz los miracles de Nostre Dona de Taulas. »

    Cette diversité de versions, ainsi répétées dans le fameux registre, ne sert, on le voit, qu’à confirmer la vérité des faits. C’est cette dernière sans doute qui a donné lieu à Gariel de traduire en ces termes :

    « L’an 1189, en aoust, furent faicts les miracles de Nostre Dame de Tables. »

    Telle fut, en effet, la grande et mémorable époque des Miracles dont nous établissons le fait, et il ne peut y avoir la-dessus le moindre doute. Mais il est d’autres documents, aussi certains et aussi précieux, qui viendraient, au besoin, constater encore que cette époque n’a pas été la seule. On les reconnaîtra dans les divers titres que nous aurons à produire plus tard à l’appui des Miracles pris séparément, et dans le Livre spécial dont il sera encore parlé, à ce sujet, au chapitre qui va suivre. Rappelons seulement, sur le même objet, un trait historique beaucoup plus ancien et qui remonte à l’origine même du Sanctuaire. C’est Gariel qui le rapporte : il est du plus piquant intérêt pour nous.

    L’auguste temple de Marie subsistait à peine à Montpellier. Peu d’années après sa fondation, arriva une de ces révolutions qui n’épargnent pas les têtes couronnées, et qui plus d’une fois ont atteint la personne même du Chef suprême de l’Église. Elle avait éclaté à Rome, et amené dans nos parages le pape Jean VIII. C’était en l’année 878. Le Souverain Pontife avait dû fuir de sa capitale pour se soustraire à la révolte et aux poursuites de ses propres sujets. C’est vers la France qu’il avait dirigé ses pas, et, dans notre voisinage, la ville d’Arles le recevait au moment même de la tenue d’un Concile. L’évêque de Maguelone, le pieux Abbon, faisait partie de cette assemblée.

    L’occasion parut des plus favorables au digne prélat d’attirer dans son diocèse le Vicaire de Jésus-Christ. Ville à peine formée, Montpellier, aux premiers jours de son existence, devait être le principal but de cette visite. N’offrait-elle pas, pour en déterminer la réalisation, les plus intéressants et les plus plausibles motifs ? Il n’était bruit, dans toute la contrée, que des Miracles récemment opérés par la Sainte-Vierge dans le Sanctuaire que cette Ville lui avait dédié. Pénétré de cette pensée, le saint évêque crut ne pas devoir exposer auprès du Souverain Pontife d’autres raisons pour appuyer la demande formulée d’une telle faveur.

    La pieuse tentative de l’évêque de Maguelone n’eut pas, il est vrai, le succès qu’il s’en était promis. Malgré de si vifs et de si légitimes désirs, la Tiare Romaine ne vint point mêler l’éclat de ses rayons, selon l’expression de notre historien, à l’illustration d’ailleurs si radieuse du Temple de la divine Vierge. Mais ce trait d’histoire n’en est pas moins resté un des plus antiques monuments du fait des Miracles de Notre-Dame. Arrivons de suite aux témoignages qui nous viennent des pays étrangers, pour en confirmer de plus en plus la vérité.

    Témoignages étrangers, nouvelles preuves des mêmes Miracles.

    La Providence semble avoir voulu réserver ce genre de preuves aux nombreux Prodiges qui font la gloire de notre Sanctuaire. Les attestations que nous avons à consigner ici, ne constituent pas seulement l’étendue de la renommée qu’ils avaient acquise ; elles signalent aussi le degré de confiance dont ils étaient honorés. Nous nous bornerons à invoquer sur ces points deux principales autorités.

    Le plus connu de tous ces témoignages est peut-être celui du moine d’Heisterbach, Césaire, au commencement du XIIIe siècle.

    Il n’est pas seulement mentionné dans la Préface de l'0ffice Propre des Miracles de Notre-Dame des Tables ; il se trouve encore rapporté et mis en quelque sorte officiellement en évidence dans la légende de ce même office, au 2° nocturne. Le précieux document ne pouvait échapper à l’auteur de l’Histoire de la Commune de Montpellier. Cet historien en a même produit le texte tout au long ; nous nous permettons de le lui emprunter pour donner ici à ce passage sa place la plus naturelle. En voici la traduction :

     

    "Il est à Montpellier, dit le document, une église dédiée à Sainte Marie, où les guérisons sont si nombreuses et si éclatantes, que les médecins, malgré les ressources de leur célèbre École, y renvoient la multitude des pauvres malades. Allez à l’Église de Notre-Dame, leur disent-ils, offrez à la Vierge un cierge allumé, et vous serez guéris. Que ce soit ironiquement et par jalousie que quelques-uns parlent ainsi, toujours est-il que les pauvres malades qui recourent à elle en reviennent guéris. »

    Ce religieux était de l’ordre de Cîteaux. Quelle que soit son autorité d’écrivain, son assertion ne prouve pas seulement le fait des Miracles, mais le bruit de leur renommée dans les pays les plus éloignés. C’est près de Bonn, en Allemagne, qu’était le monastère qu’il habitait. Qu’importe, d’ailleurs, l’ironie et le désir de se débarrasser de l’importunité des pauvres, attribué par l’auteur à quelques-uns des hommes de la science ? La miraculeuse intervention de la Mère de Dieu, dans ces fréquentes guérisons, n’en reste pas moins constatée, et l’honneur de son Sanctuaire dûment proclamé.

     

    Mais il y a plus que l’autorité modeste d’un simple moine qui vient déposer en faveur de nos prodiges : les Miracles de Notre-Dame des Tables, ont eu leur retentissement jusque sur les marches du Siège Apostolique. De cette suprême hauteur, le Souverain Pontife est venu en quelque sorte les confirmer ; voici le fait :

    Il s’agissait de la solennelle consécration de l’Église de Notre-Dame, dont nous donnerons les détails en lieu convenable. C’était en l’année 1250, sous le pape Grégoire IX. De concert avec les Consuls et le peuple de Montpellier, l’évêque de Maguelone, Bernard de Mezoa, avait cherché à intéresser le Saint-Père à cette importante cérémonie. On était encore sous l’impression des Miracles extraordinaires dont nous avons parlé, et qui avaient signalé la fin du siècle précédent ; aussi ne chercha-t-on pas à faire valoir d’autres motifs auprès du Pape dans la supplique qui lui fut adressée à cet effet. De son côté, le Souverain Pontife en parut vivement ému, et il se rendit aux instances qui lui étaient faites et à ces unanimes désirs. Dans sa lettre d’invitation aux nombreux prélats appelés à la cérémonie, il cherche surtout à les déterminer par ces puissantes considérations. Il faut voir le Bref adressé à cette occasion aux archevêques de Narbonne, d’Arles et d’Aix, et à leurs suffragants, c’est-à-dire à trois grandes provinces du Midi. Nous n’en prendrons ici qu’un passage remarquable qui a trait à notre sujet ; on trouvera la pièce en entier, telle que Gariel l’a transmise, à l’article des Consécrations, qui fait partie du présent ouvrage.

     

    « C’est à cause des MIRACLES NOMBREUX, dit le Saint-Père, que la toute-puissante miséricorde de Dieu ne cesse d’opérer dans cette ÉGLISE DÉDIÉE A NOTRE-DAME, où la dévotion à la divine Vierge attire constamment l’affluence du peuple chrétien. »

    Il est un autre document où le même pontife s’exprime sur le même sujet d’une manière plus explicite encore. C’est dans un nouveau Bref adressé directement, peu de temps après, au Prieur de l’Église Notre-Dame.

    Il s’agissait d’une concession d’Indulgences réclamée par le pieux pasteur. Les Miracles de Notre-Dame avaient été invoqués sans nul doute, dans la demande qui la provoquait, pour intéresser le Saint-Père et pour le porter à ouvrir le trésor de l’Église. Les voici encore comme motifs de concession dans la réponse ; ils ne pouvaient être mentionnés en des termes plus affectueux :

     

    « C’est en vue du respect qui est dû à la glorieuse Vierge Marie, et de ce Temple bâti en son honneur, ainsi qu’il est partout reconnu ; c’est aussi à cause des Miracles, fréquemment obtenus de Dieu par les mérites de cette divine Vierge ; c’est enfin pour reconnaître et encourager la touchante dévotion envers elle de tout le peuple de Montpellier, qui ne se lasse point de les lui demander, d’après le témoignage qui nous en a été rendu par nos bien-aimés fils les Consuls de ladite ville. Ainsi s’exprime le Pontife suprême.

    Telles sont donc les preuves qui établissent, à leur point de vue général, la certitude des Miracles de Notre-Dame des Tables. Serions-nous réduits à ce simple aperçu d’ensemble, et tout-à fait privés de souvenirs particuliers, manquerions-nous de tout détail de faits miraculeux, l’appui qu’elles fournissent suffirait à notre dévotion. Quelles bases plus solides serait-on en droit d’exiger pour la rassurer ? Le nombre, la variété, l’autorité des témoignages et des documents pris sur les lieux, ou venus de dehors, sont en leur faveur un argument des plus complets. Les solennelles affirmations sur le même objet de l’archevêque de Narbonne, et ces Actes d’autorité publique (publicis Diplomatibus), mentionnés encore dans la légende de l’office déjà cité, ou dans l’histoire du pays, ne sauraient rien ajouter à l’imposante gravité des paroles du Pontife romain.

    Sous une telle garantie, il n’est pas besoin d’autres preuves. NOTRE SANCTUAIRE désormais est à l’abri de toutes les attaques. A l’exemple du spoliateur sacrilège du temple de Jérusalem, les plus impies sont forcés de reconnaître là un Lieu sacré où s’est vraiment manifestée la toute-puissance de Dieu, par l’intervention incontestable de la divine Mère. A ce titre, la confiance ne peut manquer aux véritables adorateurs du Très Haut et aux humbles et dévoués serviteurs de la Vierge Marie. Bétons-nous toutefois d’arriver aux détails des Miracles, dont le souvenir s’est conservé ; ils sont pour nous d’un plus grand intérêt, et ne doivent pas peu ajouter à notre confiance.

     

     Détails des miracles  de Notre-Dame des tables conservés par l'histoire. Livre du consulat. Vierge miraculeuse ou la noire. Cessation de divers fléaux. Guérisons surnaturelles. Naissance de S. Roch. Le roi Jacques 1er.

    Malgré la certitude et tout l’éclat des MIRACLES DE NOTRE-DAME DES TABLES, peu de détails, il faut le dire, nous en sont connus. Ce n’est pas que de sages précautions n’aient été prises par nos Pères pour nous les transmettre. Il devait en être ainsi par honneur pour la bien-aimée Patronne et en reconnaissance de ses bienfaits. Ce souvenir était aussi un des plus précieux héritages de leur foi, dont ils ne pouvaient nous priver.

    Un Registre particulier était constamment ouvert dans ce but au Consulat de la ville, et l’autorité publique avait soin elle-même d’y inscrire les Miracles de Notre-Dame, à mesure qu’ils étaient opérés. Voici la naïve description de ce livre. Son authenticité ne peut faire doute ; elle corrobore puissamment, à son tour, celle des Miracles mêmes. L’existence en est constatée comme faisant partie d’un Inventaire de nos Archives légalement dressé. Gariel le cite en ces termes :

     

    « Dans un vieux Inventaire, dit-il, des joyaux de la chapelle du Consulat, se trouvent ces mots :

    "Item un Livre de Pergamin, couvert de passes, en cinq boutons de leton. Dins logual livre sont escrits los Miracles de Nostre Dame de Tables. »

    Une découverte plus récente vient ajouter à ce témoignage de Gariel en faveur de ce précieux document. Les Publications de la Société d’archéologie parlent elles-mêmes de ce livre fameux, à l’occasion de sa reliure. Elle est attribuée, comme œuvre d’art, à un clerc de Montpellier nommé Jean Terondel. Le prix donné pour ce travail indique l’importance et l’intérêt qu’on y attachait : il est porté à une livre et dix sols tournois, qui était alors une somme de certaine valeur. On y comprenait toutefois une autre reliure. Voici, au surplus, le texte même de cette citation, à la date de l’année 1472 : 

    « A Mossen Johan Terondel capelan de Montpellier la somma de una lieura et dels sols tur. per son trebail et pena que a agut en reliar et reparar lo libre dels Miracles de la gloriosa Vierges Maria Nostra Dona de Taulas de Montpellier. »

    C’est à la déplorable perte de ce document que nous devons l’extrême pénurie où nous sommes de Faits Miraculeux.

    Là se trouvait, dans un ordre convenable, la longue liste des opérations merveilleuses de la divine Vierge. Les mille faveurs journellement accordées, pour le soulagement de l'esprit ou du cœur, aux individus ou aux familles, n’y avaient sans doute pas leur place. Naturellement, elles sont toujours restées secrètes. Mais parmi les nombreux Miracles qui avaient mérité d’être publiquement consignés, nous aurions surtout remarqué dans ce Catalogue officiel ceux de la fin du XIIe siècle, dont on ne trouve nul détail autre part, ni d’autre constatation que celle de la Grande Fête à laquelle ils ont donné lieu.

     

    Hâtons-nous de raconter, comme juste dédommagement d’une si malheureuse perte, ceux qui ont échappé à l’incendie dont ce livre a été la proie, et que l’histoire a conservés.

    En tête de tous les détails, nous reproduisons ici un extrait d’un livre peu connu, imprimé à Munich, il y a deux siècles, sous le nom d’Atlas Marianus, Atlas de Marie.

    Cet emprunt nous offre le résumé succinct des Miracles attribués à Notre-Dame des Tables, dans l’histoire même de la localité.

    C’est un glorieux témoignage en leur faveur, que cette proclamation solennelle dans un pays lointain et dans un livre destiné à la glorification de la Vierge Marie dans l’univers entier.

    Voici le document communiqué à l’auteur du livre, le P. Guillaume Gumppemberg, par un de ses confrères, de résidence à Montpellier, le P. Bonnefoy, de la Société de Jésus.

    La Vierge Noire,
    Statue miraculeuse de Notre-Dame des Tables.

    L’auteur débute par la description de l’Antique Statue de la Vierge des Tables, objet particulier, dit-il, de la vénération publique à Montpellier, et à laquelle de Nombreux Miracles étaient attribués. 

    En reproduisant assise, telle que le moyen-âge nous l’offre, l’Image gravée de la divine Mère, il ne laisse pas de nous la dépeindre, dans son écrit, debout et soutenant de son bras Jésus Enfant. L’auteur ne dit rien de l’origine que lui attribuait une vieille tradition recueillie par Gariel, et mentionnée par M. Germain dans son Histoire de la Commune de Montpellier. La statue primitive, selon cette croyance, aurait été apportée du Ciel par les Anges, et nous serait venue de Terre-Sainte, lors des Croisades, par l’intermédiaire des Guillems.

    Toutefois, continue le P. Gumppemberg, « pour préserver le précieux objet des altérations que les temps pouvaient à la longue lui faire subir, la statue plus tard fut recouverte d’une  riche enveloppe d’argent, qui lui donna les proportions de grandeur humaine en lui laissant extérieurement ses premières formes. Longtemps enfermée de la sorte, elle était dérobée à tous les regards : mais elle dut subir le sort du Temple qui l’abritait ; elle périt malheureusement, avec les précieux monuments que l’antiquité avait entassés en ce saint lieu, sous les coups destructeurs et par le feu de l’hérésie de Calvin, ennemie forcenée de la bonne Mère. » 

    Telle était donc l’antique Madone. L’auteur entre aussitôt dans les détails des Faits Miraculeux. Nous traduisons.

    « Deux exemples, dit-il, font particulièrement ressortir le pouvoir surnaturel de cette Vierge : ce sont deux Miracles opérés sur les deux principaux éléments, l’eau et le feu. »

    Un premier Miracle : Cessation du fléau de la sécheresse.

    «En l’année treize cent treize, à dater de l’époque du divin enfantement de Marie, la campagne de Montpellier se trouvait désolée par une longue sècheresse. Les produits de la terre étaient tous flétris, et telle était la violence des chaleurs qu’on croyait voir des flammes sortir de ses entrailles. La famine ou la peste, suite ordinaire de cette première calamité, semblaient être aux portes menaçant la population effrayée. Ce premier sentiment de crainte l’amena aux pieds de la Mère de grâce, Marie. L’auguste Patronne fut du moins invoquée à ce titre particulier, pour obtenir, par sa toute puissante entremise, l’eau nécessaire aux champs et à la récolte, ainsi qu’à la santé des hommes. Voici comment se firent ces solennelles supplications : 

    "Les travailleurs et la religieuse population des campagnes furent convoqués par ordre des consuls de la ville. L’église de Saint-Firmin était le lieu indiqué pour la réunion : tous s’y rendirent, clergé et peuple, avec affluence. La procession fut organisée aussitôt; elle se dirigea sur l'église de la divine Vierge, Notre-Dame des Tables. D’humbles supplications, de ferventes prières sont surabondamment adressées à L’ANTIQUE MAJESTÉ. Ainsi appelait-on, dans le langage du pays, l’ancienne statue de la Vierge-Mère, dont nous avons parlé. Prenant ensuite le saint objet en cérémonie, ils le portent avec autant de pompe que de respect sur la rive du Lez, qui arrose la campagne voisine. Oh ! le touchant spectacle offert par leur naïve piété ! Que la délicatesse de nos temps modernes n’y trouve rien de blessant ! Un rite tout particulier leur est suggéré par leur ingénieuse confiance : de leurs mains, ils plongent la statue dans l’eau de la rivière. La nombreuse et longue procession n’avait pas d’autre but ; une fois cet acte accompli, ils retournèrent dans la ville dans le même ordre qu’ils étaient allés, tout inondés de joie. 

    Cette satisfaction n’était que le pressentiment de ce qui allait arriver. Il est facile de comprendre le symbolisme qu’ils attachaient à ce contact de la statue avec le liquide élément ; et ce culte insolite, ce genre singulier d’honneur, ne parut nullement déplaire, au surplus, à la Sainte Vierge. A peine étaient-ils de retour, et la statue vénérée était à peine aussi remise dans son église et sur son trône accoutumé, la pluie demandée tomba du ciel en abondance. Peu d’heures de prières et d’attente leur avaient suffi pour être exaucés. Ainsi rafraîchie, la campagne reprit sa vie et ses verdoyantes couleurs ; la peste et la famine furent également écartées pour longtemps de la ville. »

    Autre Miracle attribué à Notre-Dame : Cessation du fléau de la peste.

    « L’année treize cent quarante-huit fut signalée par une affreuse peste, qui étendit ses ravages. Cette pratique est encore observée en d'autres lieux, et sur l’univers entier. Montpellier ne fut point épargné. Telle était la mortalité dans la ville, que, pendant les trois mois de mai, juin et juillet, on évaluait à trente par jour le nombre des victimes. La violence du fléau ne s’arrêtait point, et le nouveau deuil de chaque jour venait ajouter à la consternation générale. Aussi cette époque néfaste a-t-elle retenu le nom d’Année de la Mortalité, qui lui fut donné comme son cachet propre. Elle n'en tourna pas moins à la glorification de notre auguste Mère.

      La Vierge des Tables ne put être oubliée au milieu de si grandes calamités. Voici l’hommage et le rite particulier qu’inspira aux consuls de la ville leur tendre et industrieuse dévotion pour elle.

    Ils environnèrent d’un cierge bénit, comme d’une immense ceinture, les murs de la ville atteinte du fléau.

    La mystique offrande n’avait pas moins de deux mille cannes de longueur. Pour compléter le vœu , elle fut enlevée et portée dans l’église de Notre-Dame des Tables. Là, convenablement disposée en rouleau sur un cylindre, elle brûle jusqu’à extinction, nuit et jour, devant son autel. Mais on ne tarda pas à  s’apercevoir que le fléau diminuait dans la cité à mesure que le cierge brûlait. En face de la mystérieuse flamme allumée par la confiance à Notre-Dame, la flamme pestilentielle ne pouvait plus tenir : on la vit bientôt abattue et complètement éteinte. »

    Un troisième Miracle ajouté aux deux précédents : Grande tempête conjurée.

    « Le malheureux siècle, poursuit encore notre intéressant narrateur, que celui qui vit tant de fléaux ! Peu d’années s’étaient écoulées depuis l’évènement qui vient d’être raconté. On était au mois de septembre, en 1558. D’horribles nuages amoncelés parurent sur la ville, lançant les éclairs et la foudre, et menaçant de tout engloutir.

    A une pluie torrentielle se trouvait mêlée une grêle d’une grosseur énorme, et la tempête était à son plus haut degré. On vit des arbres mis en pièces, des maisons fortement secouées ou renversées, des animaux détruits ou dispersés. Un seul remède était possible à de si grands maux : les consuls de la ville y eurent recours, selon leur coutume.

    La vraie piété a des ressources innombrables, et varie ses modes suivant les circonstances.

    Cette fois, les pieux magistrats eurent l’heureuse idée de déposer tout simplement aux pieds de Notre-Dame, dans son Temple des Tables, les Clefs de la ville terrassée, comme pour lui en remettre le sort. Le moment était pressant ; il fallait se hâter. Il était bien juste, ajoutaient-ils dans leurs ferventes supplications, qu’elle usât de son droit de propriétaire et qu’elle conservât elle-même ce qui lui appartenait depuis longtemps ; que, d’ailleurs, souveraine Maîtresse et Reine des Cieux, elle démontrât sa puissance sur le ciel même. Tels étaient l’hommage et la prière des consuls. 

    "L'effet ne se fit pas attendre. De si vifs sentiments avaient pénétré à travers l’épaisseur des nuages jusqu’au trône de la divine Mère et touché son cœur au haut des cieux. La tempête fut apaisée tout-à-coup et le ciel fut serein. » « Les démons déchaînés, ajoute une ancienne légende, prirent la fuite à l’aspect de la Noire. »

    Ces précieux détails, empruntés à un livre étranger, sont parfaitement en rapport, nous l’avons remarqué, avec ceux que constate l’histoire de la localité. Loin d’être des faits isolés et le résultat passager de quelque circonstance extraordi naire, ces Prodiges, au contraire, ont été mille fois renouvelés à Montpellier. La guérison des maladies, la cessation et l’éloignement de divers fléaux, d’abondantes bénédictions sur les fruits de la terre et sur les campagnes, sont signalés comme des bienfaits journaliers de la divine Mère, soit par le Thalamus, soit par l’Office même de l’Église. Les faits que nous allons ajouter viennent à l’appui de cette assertion. 

    Naissance miraculeuse de S. Roch attribuée à Notre-Dame des Tables.

    Le temps et le lieu de la naissance de l’illustre Saint de la cité sont connus de tous.

    C’est à quelques pas seulement du sanctuaire vénéré, et presque sous les murs de l’église de Notre-Dame des Tables, que se trouvait sa maison paternelle.

    La tradition générale de la Ville, et le fameux Puits qui attire la foule toutes les années au jour de sa fête, ne laissent pas de doute à ce sujet.

    Ne sait-on pas d’ailleurs que l’époque où le Saint vint au monde, vers la fin du XIIIe siècle, était une des plus glorieuses de l’Église de Notre-Dame, et que la vive foi de nos pères et la confiance universelle attiraient habituellement à ses pieds et la population de la ville et les étrangers ? 

    Il n’y a donc qu’à rapprocher de ces circonstances ce que les historiens de S. Roch ont écrit sur sa naissance même, pour y reconnaître, à n’en pas douter, l’intervention miraculeuse de la Vierge de Montpellier.

    Ils s’accordent tous à regarder l’évènement comme Miraculeux, et à l’attribuer à la confiance toute particulière de ses parents pour la Sainte-Vierge. L’un d’eux va jusqu’à formuler dans la bouche de Libérie, mère du Saint, la prière adressée dans ce but à Marie, dans son Temple même, et la réponse qu’elle en obtint. Tous ces détails sont consignés dans les Bollandistes, et ce dernier est de Diédo, auteur de la vie du Saint.

    En présence de telles assertions peut-on méconnaître, soit notre Vierge miraculeuse, soit l’Église de Notre-Dame des Tables ? Il n’y a pas deux partis à prendre : ou il faut retrancher de la vie de S. Roch cette circonstance qui le fait Enfant de Miracle ; ou, si on lui en conserve l’honneur, c’est à Notre-Dame des Tables qu’il appartient.

     

    Une autre naissance miraculeuse : celle du Roi d‘Aragon Jacques 1er

    La ville de Montpellier, on le sait, a donné naissance à ce glorieux prince. Il vint au monde en l’année 1208.

    Cet évènement fut accompagné de circonstances qui l’ont justement fait attribuer à l’intervention miraculeuse de Notre-Dame des Tables.

    Nous nous abstiendrons toutefois de les raconter ici dans leurs détails. Ce n’est pas le lieu de relever, ni le stratagème singulier employé envers le roi Pierre II pour le rapprocher de la reine son auguste épouse, ni la garde faite autour du palais, ni les autres particularités qu’on peut lire dans l’historien Buter ou dans l’Histoire de Montpellier par D’Aigrefeuille. Il nous suffit d’adopter sur ce point l’appréciation de ces divers auteurs, qui reconnaissent du surnaturel et du miraculeux dans ce fait vraiment extraordinaire.

    Le Miracle, au reste, était préparé auprès de la divine Vierge par les prières et les vœux ardents, soit de la pieuse reine Marie, mère de ce prince, soit des Consuls de Montpellier et de tout le peuple qui y contribuèrent publiquement.

    Les paroles de Gariel, à ce sujet, viennent au surplus corroborer parfaitement cette pieuse opinion. Il assure, d’après des actes authentiques, qu’en reconnaissance et par suite de l’heureux accomplissement de ce vœu général, l’Image de Notre-Dame des Tables, dite la Magestat antique, fut solennellement portée, en cette occasion, sous un Pavillon de damas blanc.

    Il n’est pas hors de propos, ni sans intérêt, d'ajouter un document des plus curieux, qui fait suite naturellement à ce qui vient d’être raconté. C’est un extrait des Mémoires de ce même roi Jacques, écrits de sa main, pour rappeler d’autres circonstances de sa naissance et la part que la Vierge des Tables y avait encore prise. Il s’agit surtout de son nom de Jacques, et de l’ingénieuse manière dont il lui fut donné.

    « Aussitôt que je fus né, dit-il, ma mère m’envoya offrir à Dieu dans l’église de Notre-Dame, et j’y entrai dans le temps qu’on chantait le Te Deum de Matines. On m’apporta de là dans la chapelle de Saint-Firmin, et j’y arrivai lorsqu’on chantait le Benedictus. Ma mère prit ces rencontres pour d’heureux pronostics, qui lui firent beaucoup de plaisir. Elle fit faire douze cierges d’un égal poids et d’une égale grosseur, fit mettre à chacun le nom d’un des douze Apôtres, les fit allumer en même temps dans l’église de Notre-Dame, et promit à Dieu de me donner, au baptême, le nom de l’Apôtre dont le cierge brûlerait plus longtemps.

      Il restait encore trois travers de doigt à celui de S. Jacques, tandis que tous les autres étaient déjà consumés, et cela fit qu’on me donna le nom du saint Apôtre. » 

    Guérison miraculeuse du même Prince.

    Les plus signalées faveurs de Notre-Dame semblent avoir été réservées à l’illustre monarque. Sa naissance, dont nous venons de parler, lui a fait donner par Gariel la glorieuse qualification de vrai Enfant de Notre-Dame des Tables. La délivrance miraculeuse d’une maladie où tout était désespéré la lui a méritée à nouveau titre ; voici le fait :

    En 1274 , le prince revenait de Lyon, après une entrevue dont l’avait honoré le pape Grégoire X, lors du concile général tenu dans cette ville. A peine arrivé à Montpellier, l’illustre preux du moyen-âge s’y trouve atteint d’une maladie si dangereuse, selon D’Aigrefeuille et Buter, que les secours des médecins restèrent sans effet. 

    L’enfant de Notre-Dame, en cette grave circonstance, se montra fidèle aux principes de sa première éducation. Ni ses succès, ni ses revers au milieu d’une vie agitée par les exploits guerriers, n’avaient pu en effacer la trace. Sa confiance à l’auguste Patronne se trouva redoublée, et il l’invoqua de toute la puissance de sa foi.

    Laissons raconter à l’historien D’Aigrefeuille l’effet de sa prière : « Il en obtint, dit-il, une prompte guérison, dans le temps qu’on l’espérait le moins. Il en voulut marquer publiquement sa reconnaissance dans un Grand Tableau, qu’il ordonna de placer dans l’église de Notre-Dame des Tables, où on le voyait encore dans le temps des premières guerres de religion. »

    Le naïf langage de Gariel rend encore mieux ce que ce trait offre de touchant. Voici comment il s’exprime, à ce sujet, dans son livre De l’Église et des Miracles de Notre-Dame des Tables :

    « Ce prince fut si malade, à Montpellier, qu’il fallut un miracle de Notre-Dame des Tables pour le préserver de la mort. Comme tout le monde pleurait pour une si grande perte, elle lui apparut telle qu’elle était lorsque le saint ange Gabriel vint lui annoncer que Dieu l’avait choisie pour être la Mère de notre benin Rédempteur, et, le tour chant doucement par la joue où il sentait le plus grand effort de sa douleur, elle chassé son mal, lui rendit sa première santé et à Montpellier toutes ses joies . »

     

     

    Résumé des Miracles de Notre-Dame, relatés dans l'histoire du moyen-âge.

    Nous avons plusieurs fois mentionné le livre de Gariel, spécialement intitulé : De l’Église et des Miracles de Notre-Dame des Tables.

    Ce titre seul indique les recherches du pieux chanoine pour arriver à la connaissance des faits miraculeux. Malgré l’intérêt qu’ils inspirent et le désir que nous avons de les voir multipliés, nous ne pourrions suivre l’auteur dans ses longs détails, ni nous placer à tous ses points de vue. Nous devons toutefois mettre ici un résumé succinct de son travail, la simple énumération des Mira cles par lui recueillis. Ils y sont comptés jusqu’au nombre de dix-sept. En voici le court aperçu : 

    1° Une grande tempête élevée sur les flots de la mer, aux environs de Montpellier, miraculeusement apaisée par l’intervention de la divine Vierge. Le même roi, Jacques 1er, est encore l’objet de cette faveur, qui sauve à la fois et la vie du prince et la flotte qu’il commandait. L’évènement est à la date de 1269.

    2° L’intervention réitérée des secours de la divine Vierge au retour des diverses calamités de sècheresse, d’orage, de peste, à des intervalles divers. On l’a reconnue, à des signes non équivoques, aux années 1574, 1584, 1591, 1592, 1406, 1408, 1446, etc.

    3° Châtiments exemplaires surnaturellement infligés aux impies profanateurs de son auguste Temple. Sont signalés comme tels, en l’année 1417, une femme, Catherine de Tales, fameuse à cette époque par ses impiétés ; en 1485 , un étudiant en droit qui n’est point nommé ; et plus tard, pendant les ravages de l’hérésie, les cinq démolisseurs de la grande Tour, dont il sera parlé, qui périrent sous ses décombres.

    4° D’éclatantes guérisons, renouvelées sur divers personnages : tels sont, en 1527, l’orfèvre Raymond Cogat, ou, selon d’autres, Simon Renaut, généreux bienfaiteur de l’Église de Notre-Dame, dont il sera parlé en son lieu ; le Maréchal de France Louis Césarée, fondateur de la chapelle du Saint-Sauveur ; et la dévote femme, nommée Gaujouse, veuve de Pierre de l’Estang, fondatrice de la chapelle des Saints-Innocents, en souvenir, ainsi que les précédents, de la guérison miraculeuse dont chacun d’eux avait été l’objet.

    5° La délivrance de l’évêque Guittard de Halte, constamment attribuée par le prélat lui-même à la protection signalée de Notre-Dame, dont il prenait si hardiment les intérêts dans la mêlée des calvinistes, lors de la prise de possession de l’église de la Vierge des Tables. Nous aurons à revenir sur ce fait et sur plusieurs des précédents.

    Deux autres Miracles postérieurs.

    Le premier de ces deux miracles sur lesquels nous aimons à nous arrêter plus spécialement, se rattache à une des époques de démolition de l’église de Notre-Dame par les calvinistes, qui n’ont pu en ignorer et qui ne l’ont pas contesté. Il est rapporté par Gariel et confirmé par D’Aigrefeuille et Sainte-Marthe. Le voici avec ses circonstances.

     

    La parole miraculeusement rendue à un Muet.

    C’était en l’année 1581 et au 15 avril, selon Gariel. Un jeune enfant du peuple, âgé de douze ans, était employé aux démolitions du saint édifice de Notre-Dame. Le pauvre manœuvre était privé de l’usage de la parole, et cette infirmité avait été constatée en lui dès l’âge de deux ans. Un jour donc que jouant avec d’autres pauvres enfants dans les masures de la désolée église de Notre-Dame des Tables, et remuant des pierres pour les transporter d’un lieu à l’autre, il se sentit touché d’un grand désir de contempler une image de la Mère de Dieu, qui s’était encore conservée contre tant de fureurs sur la muraille. » C’est Gariel qui raconte.

    « Le pieux enfant, continue-il, trouva tant de douceur et de consolation à la regarder dans sa dévote représentation, que son cœur sembla s’ouvrir et se porter sur sa langue pour la saluer tendrement et innocemment, de la manière qu’il pouvait dans sa misère, à deux genoux et d’un œil pleurant.

     

    Pressé de plus en plus par le désir d’obtenir la grâce de parler comme tous les autres, il entre dans une chapelle qui était au-dessous du grand autel, où il continue ses prières et ses pleurs, selon l’inspiration qui le poussait. Mais surpris en ce noble état (sic), digne de toute admiration, par l’arrivée d’un de ses chefs, hérétique forcené et démolisseur de l’Église, il est maltraité et injurié. Il va donc, sur ses ordres et sous le coup de ses menaces, rejoindre vite ses compagnons et se remettre au travail avec eux.

    L’indigne traitement ne pouvait priver de l’effet de sa prière et de sa confiance l’intéressant Muet ; il sembla le hâter, au contraire, et dès le soir du même jour le Miracle fut obtenu.

    Dépourvu de toute ressource et compté sans doute parmi les orphelins, le jeune ouvrier allait tous les jours prendre asile à l’hospice et s’y nourrir du prix de son travail. C’est là qu’au moment du repos de la nuit, se rappelant ce qui s’était passé dans le jour, sa confiance à Notre-Dame et la dureté des traitements que sa dévotion pour elle lui avait attirés, il se sentit tout-à-coup rempli de la plus vive joie. Il commençait à peine sa prière du soir, et, au moment de former sur lui le signe de la croix, il vit apparaître un vieillard vénérable vêtu de blanc : on a cru reconnaître à cet aspect l’apôtre S. Pierre. Ce saint personnage fit entendre à l’infortuné des paroles d’encouragement, et, lui touchant doucement les lèvres au nom de Notre-Dame des Tables, lui donna l’usage de la langue et de la parole, dont il était privé.

     

    Le Seigneur de la Forest-Toiras. Protection signalée de Notre-Dame des Tables.

    Le Miracle de Notre-Dame opéré sur la personne du seigneur de la Forest-Toiras est un des plus connus. Le rapprochement de l’époque où il est arrivé, la distinction du personnage qui en est l’objet, les divers modes de constatation employés l’ont surtout rendu populaire. Les principales circonstances dont il a été accompagné ont été retracées tout d’abord dans un grand et beau Tableau, exposé longtemps aux regards du public, dans l’église même où il a eu lieu. Ce Tableau a été reproduit postérieurement avec tous ses détails dans une des gravures du Livre de l’Office imprimé à la fin du siècle dernier, et il se trouve ainsi répandu partout dans les familles ! .Chacun peut donc, par un simple aperçu,  se rendre compte de ce en quoi le Miracle a consisté. Voici, au surplus, l’inscription placée autrefois, en lettres d’or, au bas de cette intéressante Peinture, par les soins de M. de Toiras, pour circonstancier le fait avec plus de précision :
    L’AN MDCLIV ET LE DIX SEPTEMBRE,
    MESSIRE
    SIMON DE SAINT-BONNET, SEIGNEUR DE LA FOREST-TOIRAS,
    BARON DE CASTELNAU ET AUTRES PLACES,
    CONSEILLER DU ROI EN SES CONSEILS D’ÉTAT,
    MARÉCHAL DE CAMP DE SES ARMÉES, SÉNÉCHAL,
    GOUVERNEUR DE MONTPELLIER,
    AGÉ POUR LORS DE LXXVI ANS,
    FAISANT REBATIR
    LA PRÉSENTE ÉGLISE DE NOTRE-DAME DES TABLES
    ET REGARDANT LE TRAVAIL DES OUVRIERS,
    CHUT D’UN ÉCHAFAUD ÉLEVÉ AU PLUS HAUT D’iCELLE,
    A LA VOUTE DE LAQUELLE ON METTAIT LA CLEF,
    QUI FONDIT SUR LUI ;
    ET QUOIQUE ENSEVELI PARMI TANT DE RUINES,
    IL FUT TOUTEFOIS CONSERVE SAIN ET SAUF, SANS BLESSURES,
    PAR LA PROVIDENCE DE DIEU
    ET LA PROTECTION SPÉCIALE DE LA SAINTE-VIERGE MÈRE
    A LAQUELLE, EN RECONNAISSANCE DE CETTE GRACE,
    IL A DÉDIÉ ET ORNE CETTE CHAPELLE
    DANS LAQUELLE IL A ÉLU SA SÉPULTURE.

    A la suite de cette Inscription, on lisait encore les Distiques suivants, qui ne font qu’ajouter à l’expression de la reconnaissance :

    VIRGINI DEIPARÆ SERVATRICI.

    lSTAS DUM RENOVAT LAPSAS FORESTIUS ÆDES, LAPSUM SERVASTI NEMPË, MARIA, TIBI. ' HÆRETIGO CREDAS ITERUM JAGUISSE FURORI UT SIC NOBILIUS SURGERET ISTUD OPUS. AST SEMPER TECUM, ET PER TE SERVETU‘R OLYMPI SEDIBUS, BAS SECUM NUNG TIBI, VIRGO DICAT.

    POSUIT ANNO DNI. MDCLXIII.

    A LA VIERGE MÈRE DE DIEU POUR UNE
    PROTECTION SIGNALÉE.

    De La forest relevait les ruines de ce saint Édifice, quand, renversé lui-même, vous l’avez aussi relevé de sa chute, ô Marie, pour montrer avec plus d’éclat son dévouement pour vous.

    On dirait vraiment que le beau Temple n’a été exposé à la fureur de l’hérésie que pour paraître, dans sa reconstruction, plus noble et plus beau.

    Ainsi puisse celui qui vous l’a dédié, Vierge Sainte, ne jamais être séparé de vous ; par Vous aussi puisse-t-il être élevé au séjour glorieux du Ciel.

    Dédié en l’an de N. S. 1663.

     

    PREMIERS DÉVELOPPEMENTS DU CULTE DE NOTRE-DAME DES TABLES. — NOMBREUX ET REMARQUABLES EX-VOTO. — ORNEMENTS ET RICHESSE MOBILIAIRE DE L’ÉGLISE. — ANTIQUE STATUE D‘ARGENT. — RETABLE D'ARGENT, ETC.

     

    La légitimité du Culte spécial rendu à Notre-Dame des Tables est suffisamment démontrée par le nombre et l’authenticité des Miracles que nous venons de raconter. Nous devons maintenant entrer dans ses développements plus particuliers et le décrire sous les diverses formes qui le caractérisent. Commençons par les ex-voto, permanente expression de la reconnaissance et de la piété.

    On ne saurait se faire une idée du nombre, de la variété et de la richesse des Objets Votifs appendus aux murs de l’église primitive de Notre-Dame. Nous en avons déjà signalé de beaux exemples. Le fameux Cierge mentionné plus haut comme offrande solennelle à Notre-Dame, et représentant par sa longueur la vaste enceinte des murs de la ville, doit figurer en première ligne : il était de la grosseur du doigt, et présentait, ainsi qu’il a été observé, environ deux mille cannes de long. En plusieurs circonstances, on ajoutait à cette longueur la mesure de l’église de Notre-Dame, de son Autel et de ses deux Statues. Le lieu déterminé pour recevoir la pieuse offrande des mains des Consuls est toujours l’auguste Sanctuaire. On a remarqué les années particulières où le fameux cierge a brûlé en signe d’hommage ou d’invocation : ce sont celles de 1575, 1585, 1599.

     

    Les deux Tableaux offerts à Notre-Dame par le roi d’Aragon, Jacques 1er, et par le seigneur de la Forest-Toiras ont postérieurement fixé notre attention. Ils méritaient d’être distingués, l’un et l’autre, dans l’innombrable multitude d’objets votifs, qui ont disparu. Tels étaient primitivement le nombre et l’importance des vœux accomplis dans cette église, qu’au temps du pieux évêque Argemire, la Sainte Chapelle était spécialement appelée Notre-Dame des Vœux. Le nom de Notre-Dame des Tables, qu’elle porte encore, ne serait même, selon quelques auteurs, qu’une dérivation de celui des Tableaux natifs qui couvraient les murs de l’auguste édifice. Mais il faut surtout entendre Gariel nous les rappelant avec sa dévotion ordinaire et les énumérant avec complaisance :

     

    « Les uns, dit-il, étaient d’argent pur, d’autres en vermeil ou d’argent doré ; l’or émaillé, continue-t-il, distinguait les plus précieux ; des images en relief venaient aussi figurer à leur tour tout autant de Trophées glorieux de la Noire, poursuit-il encore, et perpétuels Triomphes de sa Grâce !. . . »

    Richesse mobilière de l’Église de Notre-Dame des Tables.

    Le riche Mobilier des églises ne fait point, sans doute, ordinairement partie essentielle des objets votifs.

    On ne nous saura pas mauvais gré, toutefois, d’avoir rappelé et relevé, à cette occasion, celui de l’ancienne Notre-Dame. Telles avaient été envers elle, dans la longue suite des siècles précédents, la dévotion et la générosité des fidèles, qu’avant les ravages de la prétendue Réforme elle possédait d’immenses richesses. Un inventaire en fut dressé vers la fin du XV° siècle, en 1478. La longue énumération qu’il renferme, en langue catalane, a tellement découragé D’Aigrefeuille, qu’il n’en a donné que des extraits. Nous nous bornons à les reproduire, en ajoutant toutefois quelques articles fournis par d’autres Documents. Les voici : 

    Le Vieux Inventaire, selon lui, renfermait plus de 250 marcs d’argent, en croix et colliers, ciboires, chandeliers, encensoirs ou reliquaires ; sans parler des croix de jaspe et de cristal, des perles et des pierreries , dont il y est fait mention. »

    Les principaux Reliquaires, continue-il, étaient le Chef de S. Marcel, avec son diadème de vermeil, pesant 25 marcs 2 onces ; un Bras de la Madelaine d’argent, pesant 4 marcs 21 onces ; une Tête et un Bras des Innocents, en deux reliquaires séparés, pesant en tout 4 marcs 7 onces 15 deniers, au bas desquels étaient les armes de Pierre Brissonet, général des finances en Languedoc, qui en fit don à cette église le 22 mars 1496. »

    Ajoutons à cela un objet précieux mentionné dans les Publications archéologiques : c’est un Reliquaire en vermeil de S . Thomas d'Aquin, que les Consuls avaient fait faire en 1577 et qui portait les armoiries du Consulat.

    La belle Statue d’argent.

    Mais la plus riche de toutes ces pièces, continue D’Aigrefeuille, était l’Image de la Sainte Vierge tenant son fils entre ses bras, et posée sur le grand Autel. Elle ne pesait en tout que 22 marcs 5 onces ; mais elle était chargée de quantité de pierres précieuses garnies en or, et d’une perle pesant 7 carrats. »

    Le remarquable objet est digne d’arrêter notre marche quelques instants et de fixer notre attention. C’est sans contredit l’Enveloppe précieuse de la Statue primitive, en bois noir, dont nous avons déjà parlé. Il faut ici en dire l’origine. Elle trouve éminemment sa place dans le Chapitre des Ex-voto de Notre-Dame.

    Un des plus habiles orfèvres de Montpellier, Raymond Cogat, ou, selon d’autres, ainsi qu’il a été observé, Simon Rainaut, était affligé d’une cruelle et humiliante infirmité. Un chancre, qui lui dévorait la figure, ne lui avait laissé, selon l’expression de Gariel, que les yeux pour pleurer sa misère, et la langue pour se plaindre ou pour demander quelque soulagement. Après avoir inutilement épuisé toutes les ressources de la science pour se faire guérir, le pieux artiste eut recours au grand remède et s’adressa à Notre-Dame des Tables. A l’usage de l’eau bénite dont il avait soin de laver tous les jours sa plaie, il ajoutait celui d’entendre la messe ou de la faire offrir dans son église. La subite et radicale guérison, qui en résulta, ne lui laissa pas le moindre doute sur l’intervention surnaturelle de la miséricordieuse Vierge. Pour en exprimer dignement sa reconnaissance et pour mieux constater le redoublement de sa dévotion, il résolut de lui consacrer les efforts de son remarquable talent. Toute son application se porta dès-lors à reproduire sous ses plus magnifiques traits, en argent, la Sainte Effigie de sa bienfaitrice. Tel est l’hommage qu’il fit à l’Église de Notre-Dame, en l’année 1527. Il était digne d’être transmis à la postérité. Revenons à notre Inventaire. 

    «Je ne parle point, continue l’auteur, des agrafes d’or, des chasubles, dais, robes de Notre-Dame, et autres ornements, dont l’inventaire remplit cinq ou six pages.

    Il me suffit de dire qu’ils étaient des plus riches étoffes d’or, d’argent et de soie, et quelques-uns même brodés de perles.

     

    Il y est fait mention d’un Ornement pour les Processions, que le roi Charles VIII donna le 5 novembre 1488, avec plusieurs joyaux ;

    Et j’ajouterai, pour notre ancienne Liturgie, que les aubes étaient alors garnies, par en bas et aux manches, de ces tissus d’or et de soie dont on conserve encore l’usage dans l’église de Narbonne. »

    Le remarquable Retable d'argent.

    Des objets d’un piquant intérêt sont ajoutés aux précédents par les récentes publications de la Société d’archéologie. Nous devons d’abord faire figurer sur la liste une Custode du Corps du Christ, d’argent doré, en forme de colombe, avec son escabeau rond. L’objet est signalé comme œuvre d’art.

    Mais un autre ouvrage mentionné dans les Documents est digne, à tous égards, par son importance et son prix, de compter parmi les richesses de l’église de Notre-Dame : c’est un beau Retable en argent, placé sur le Maître-Autel. En voici la description :

    Cet ouvrage, en argent doré, était composé de dix figures en bas relief, représentant au milieu Jésus-Christ couronnant la Sainte Vierge, assis tous deux sur des trônes, et des deux côtés les quatre Saints : Pierre, Jacques, Jean-Baptiste et Blaise, et les quatre Saintes : Madelaine, Catherine, Lucie et Florencie. Au-devant était placée une claire-voie en fer et deux serrures à vertenelles. »

     

    L’acquisition du précieux objet avait été faite par la Confrérie de Notre-Dame des Tables, dont il sera parlé en son lieu. On choisit la veille de la Toussaint, 31 octobre de l’année 1588, pour placer ces riches sculptures. Elles assortissaient parfaitement la belle Statue de Notre-Dame remarquée ci-dessus. Les Documents indiquent, d’ailleurs, des stipulations particulières pour en prévenir et en empêcher toute aliénation.

    Les mesures de précaution sont d’une bonne administration, sans doute, dans les temps ordinaires : l’expérience n’a que trop souvent démontré qu’elles sont de bien faibles digues au torrent des révolutions. Ce n’est pas ici le lieu de raconter comment a disparu, sous le coup de l’hérésie du XVIe siècle, cette antique et belle richesse de l’Église de Notre-Dame, dont les magnifiques pièces de choix font l’objet de notre admiration. Pour compléter cette appréciation, nous avons encore à rapprocher de cette époque une autre époque qui lui ressemble assez, quoique bien distincte et postérieure. Un rapide exposé du nouvel état de richesse où notre Église était parvenue, après tant de pertes, lors de la Révolution de 89, doit avoir ici sa place naturelle. Le voici tel qu’il nous est transmis dans les Mémoires de P. Thomas : 

    État de la richesse de l’Église de Notre-Dame, avant la Révolution de 1789.

    «Les ornements, les vases sacrés et les autres effets qui composaient les trésors de l’Église de Notre-Dame, livrés d’abord au curé intrus, le 14 mai 1791, passèrent plus tard entre les mains des Corps administratifs, qui en disposèrent à leur gré. Ces objets étaient fort considérables. Les revenus de la Fabrique avaient permis aux Marguilliers de fournir leur Sacristie, dans l’espace de vingt années, d’un mobilier qui, par sa richesse, pouvait le disputer à celui des Églises les plus anciennes et les plus remarquables du royaume. On l’évaluait à plus de cent cinquante mille livres. »

    On distinguait surtout un 0stensoir en argent d’environ quatre pieds d’élévation, dont le travail répondait parfaitement à la beauté du dessin. Il était en deux pièces : l’une, servant de piédestal, représentait un trône de figure ovale ; l’autre, l’ostensoir proprement dit, était formé par une Vierge posée sur le globe terrestre et écrasant de son pied la tête du serpent.

    L’attitude et la proportion du corps de la Vierge étaient admirables. Elle avait la tête élevée en contemplation vers le ciel, telle que Jouvenel l’a représentée dans son tableau du Magnificat. Les bras étendus portaient au-dessus d’elle et au sommet de l’ouvrage un très-beau soleil, dont les rayons, parfaitement développés, étaient entièrement incrustés de pierreries. Le tout était, surmonté d’une grande couronne en argent, détachée de l’ouvrage. L’auteur du dessin, Étienne Loys, peintre, avait parfaitement rendu le sens des paroles qui en avaient fourni le sujet : UNE FEMME ECRASERA LA TÊTE DU SERPENT, et fera Voir aux nations LE SOLEIL DE JUSTICE. L’exécution en avait été confiée au sieur Mistou aîné, orfèvre. »

     

    Un Registre particulier, déposé aux archives de la paroisse Notre-Dame, ajoute les détails suivants ; nous ne devons pas les omettre :

    1° Une garniture de chandeliers et croix : en argent, de 176 marcs 7 onces 1 grain, acquise en 1704 au mois de décembre , au prix de 7,075 livres ;

    2° Une petite statue de la Sainte-Vierge, en argent, qu’on avait coutume de poser au banc de MM. les Marguilliers, avec un bassin, et qui était portée par le curé de Notre-Dame à la Procession de la fête des Miracles, le 31 août ;

    3° Une croix processionnelle, en argent haché, procurée en remplacement d’une autre de même matière et de moindre valeur, en I720 ;

    4° Un encensoir et navette en argent, pesant 10 marcs et demi, achetés au prix de 756livres, en août 1725 ;

    5° Une lampe en argent, donnée en 1729 par M. l’abbé Plomet, à la condition de ne pouvoir être vendue.  Nous pourrions produire, d’après le même Document, d’autres objets de prix, tels que :

     

    ornement en damas blanc, galonné en or, coûtant 1,527 livres ; la grille de fer des Fonts baptismaux, du prix de 850 livres, etc. Mais ces particularités suffisent pour nous donner une juste idée de la richesse de l’ancienne Église.

    Le chapitre des Ex-voto présente ainsi un double avantage : il nous transmet, avec le souvenir de la piété antique de nos Pères, celui des chefs-d’œuvre et objets d’art qui ont fait dans tous les temps l’ornement et la richesse de l’église de Notre-Dame. Ce n’est pas sans intérêt que l’on y trouve représentés, avec leur cachet particulier, le goût et le style de chaque siècle. Mais il est encore un de ces objets, formant ex-volo, qui n’a pas été mentionné parmi les autres, et qui mérite, de notre part, une distinction particulière : c’est l'antique Effigie de Notre-Dame des Tables aux Armes de la Ville. Elle va faire le Sujet du chapitre suivant.

     

    L’EFFIGIE DE NOTRE-DAME DES TABLES PLACEE AUX ARMES DE LA VILLE. — SON ORIGINE ET SES ATTRIBUTS CARACTÉRISTIQUES. — LEUR SYMBOLISME.


    L’EFFIGIE DE LA VIERGE AUX ARMES DE LA VILLE est, sans contredit, le plus mémorable et le plus précieux de tous les Ex-voto offerts par nos Pères à Notre-Dame des Tables. Monument solennel de leur tendre dévotion pour elle, il a été un des plus solides. Il a survécu à des révolutions où tant d’autres ont péri : sa conservation jusqu’à nos jours est un triomphe permanent de la divine Mère.

    L’adoption d’un tel sujet pour ARMOIRIES fait certainement le plus grand honneur à l’esprit religieux de la Cité qui en a fait le choix. Il n’est pas facile d’en fixer l’origine, elle est des plus anciennes. Sans en connaître l’époque précise, en la fait généralement remonter aux temps des Croisades. Gariel la place au Xe siècle, sous le pontificat de Ricain Il, évêque de Maguelone.

    Il n’est pas aussi difficile de constater la cause et le motif de ce choix remarquable ; on les reconnaît sans peine dans la constante dévotion de la Ville envers Notre-Dame des Tables et dans la reconnaissance publique pour ses perpétuels bienfaits. Tous les historiens de la Ville s’accordent sur ce point ; ils n’attribuent pas d’autre origine à ce caractère si particulier et à cette belle distinction de nos armes. La plus simple connaissance des faits démontre d’ailleurs toute la justesse de cette commune appréciation. Qu’on nous permette quelques détails.

    La souveraineté de Notre-Dame était proclamée de toutes parts à Montpellier pendant le moyen-âge et dans les temps mêmes qui l’avaient précédé. Tels étaient le prestige et l’influence de son Nom Béni, que son Effigie et son Image se trouvaient reproduites sur la plupart des Monuments publics et sur les objets d’art de quelque valeur. Presque pas de chef d’œuvre de marbre ou d’airain, dans la ville de Marie, qui n’en eût reçu la religieuse empreinte. Était-il de temple plus vénéré que celui qui portait son Nom ? Ce Sanctuaire était tout à la fois, ainsi qu’il sera plus tard démontré, et la sauvegarde des libertés publiques, pour les citoyens, et la garantie de la fidélité aux devoirs et aux constitutions, pour leurs chefs. Tous les régimes qui se sont succédé en ont fourni la preuve. L’insertion officielle des Insignes de la Vierge de Montpellier sur la Bannière de la Ville, n’était donc que la consécration du sentiment universel qui reconnaissait sa Domination.

    Cette expression publique marquée du sceau de l’autorité n’a même pas suffi pour rendre toujours le pieux enthousiasme dont Notre-Dame était l’objet. Nous ne résistons pas au désir de reproduire ici, comme pièce justificative, une sorte de nouvelles armoiries de l’invention du chanoine Gariel ; on les trouve comme frontispice en tête de son livre sur la Succession des Évêques : Series Præsulum. Toute précieuse qu’elle est, la vieille légende apposée aux Armes de la Ville n’a pu contenter la dévotion du fervent chanoine pour Notre-Dame des Tables. Au hasard d’encourir le reproche d’exagération poussée au suprême degré, voici en quels termes il la remplace :

    La Vierge, Souveraine Maîtresse de la Ville de Montpellier et du Monde.

     

    Mais une explication détaillée des vraies Armoiries et de leurs signes caractéristiques est nécessaire pour en déterminer le sens et y reconnaître l’Ex-voto de la Cité.

    De notables modifications y ont été faites, sans doute, suivant la diversité des temps et des goûts ; on ne saurait toutefois y méconnaître, à travers les divers changements, les véritables traits et le type primitif de la Vierge des Tables. Remettons sous les yeux, à cet effet, soit l’Image placée en tête de ce Livre, soit celles du Timbre paroissial, ou du Sceau de la Ville, qui vont être reproduits.

    L’attention se porte, avant tout, sur la physionomie et la forme invariable de la sacrée Image. Qui n’est frappé de l’attitude majestueuse qu’elle offre sur ce trône où elle est assise, au souvenir du nom si longtemps populaire qu’elle a porté au milieu de nous : LA MAGESTAT ANTIQUA ? Le beau Diadème placé sur sa tête ajoute merveilleusement à ces insignes de royauté. Des modèles anciens ne la représentent, il est vrai, sur son siège, qu’en profil et sans cette Couronne. Le Timbre paroissial récemment adopté en fournit la preuve, et nous le reproduisons ici comme terme de comparaison. Le type choisi est de l’année 1258 :

      [graphic]

    Le modèle édité pour la publication de l’Histoire de la Commune de Montpellier, par M. Germain, est à peu près de la même époque, malgré les différences qu’on y aperçoit. Pour constater la variété, on peut le voir au frontispice de cet ouvrage même.

    Mais il est des types d’une date presque aussi ancienne où la figure de Notre-Dame est repré sentée en face et la Couronne sur la tête. Tel est celui que nous avons adopté soit pour le Médaillon sculpté du grand retable, au fond du Sanctuaire de notre Église, soit pour les Médailles et les Gravures de la Vierge distribuées aux fidèles, dont nous venons de parler. Cette antiquité nous a paru suffire pour lui laisser la préférence qu’il méritait à d’autres égards. Poursuivons nos explications. 

    La figure de Jésus-Enfant, porté par sa Mère, est le second sujet de notre respectueuse attention. Nous laissons à d’autres le soin d’expliquer l’étendue de ces proportions, qui en font un enfant de six ou sept ans sur les genoux de sa mère : c’est, dit-on, l’usage suivi et le goût caractéristique du moyen-âge. Mais ce qui ne peut nous étonner, c’est le glorieux cachet et l’indice de maternité donné à la Vierge Marie, soit dans la représentation de la personne, soit dans l’inscription. Tel est le large point de vue sous lequel nos Pères avaient coutume de la contempler : en face de la Vierge, le grand Mystère de l’Incarnation se déroulait à leurs regards, et l’idée de Dieu, dans ses plus touchantes miséricordes, dominait toujours celle du culte rendu à Marie.

    Aussi Jésus-Enfant reste-t-il, dans les bras de sa Mère, le principal personnage du tableau. Ne voilà-t-il pas à ses pieds le globe du monde, ou peut-être aussi l’emblème particulier de la ville de Montpellier ? C’est la Vierge Mère qui le lui offre de ses mains. Les plus amples bénédictions du Fils sont assurées à la Cité. Toute la population, multitude nombreuse de ses enfants, acclame la Vierge à ce titre ; la Légende est formelle :  

    Vierge Mère, priez le Fils né de votre sein
    De nous secourir à toute heure.

    Bien, au reste, de plus touchant et de plus digne de notre attention que ces courtes paroles, sous forme rimée, comme on le voit, selon le goût du temps. Leur naïve simplicité et l’arôme d’antiquité qu’elles respirent ne font que relever la piété de ceux qui, les premiers, les ont adoptées. Sous les caractères gothiques qui les retracent, elles ont cela de particulier qu’elles se font lire sur deux lignes en sens inverse et de droite à gauche. Une Petite Croix les sépare dans le haut, par où elles commencent et se terminent.

    Les sceaux de la Ville n’offrent plus, il est vrai, depuis longtemps, l’antique et pieuse Inscription si propre pourtant à les compléter, et nous ne savons à quoi attribuer cette regrettable suppression. Heureusement il n’en a pas été ainsi des deux autres Lettres ou Caractères emblématiques qui en forment comme une seconde. Nous devons faire remarquer leur symbolisme naturel et l’altération qu’ils ont subie. Remettons-les d’abord sous les yeux :

    T W
    A X

    Tels sont les signes caractéristiques qui ont constamment, quoique diversement, figuré à côté de la sacrée Effigie de la Vierge , aux Armoiries de la ville de Montpellier, l’un à droite, l’autre à gauche. Expliquons cette variante. La dernière version est du temps actuel.

    Les deux initiales postérieures sont évidemment à l’adresse de la Sainte-Vierge, et rappellent tout simplement le commencement de la Salutation angélique : Ave, Maria. Ce sens est suffisamment indiqué par la seule inspection. Il est, d’ailleurs, positivement consacré par l’Acte solennel du roi Charles X, rendant à la ville de Montpellier ses anciennes Armes avec leurs attributs reconnus. Le précieux document a ici sa place naturelle : il sera lu avec intérêt ; il est de l’année 1826. On le trouvera, avec la reproduction des armoiries actuelles, à la fin du présent chapitre.  

    Malgré l’autorité d’un tel acte, malgré l’honneur qu'il rend à Notre-Dame des Tables, dont il continue dans ces temps modernes à consacrer l’antique Effigie aux Armes de la ville, nous ne saurions nous dispenser de donner la préférence aux types plus anciens et à l’interprétation des caractères symboliques.

    Il est d’abord à regretter, pour la piété, que la Boule emblématique et la Bénédiction de Jésus Enfant aient disparu avec la Légende. Regrettons aussi le changement du second des signes symboliques, la transformation de la lettre w en M. Y avait-il lieu de ne voir qu’un m gothique renversé dans la première de ces lettres ? Ne devait-on pas y reconnaître et la forme et le sens de l’Omega ? De savants archéologues ont opté pour ce dernier sens, et il nous paraît aussi avantageux à la piété que conforme à la théologie et à la logique. Voyons-en d’abord le côté purement matériel.

    L’appréciation de la forme des deux lettres est du ressort des yeux. Trois fois le m gothique revient, dans la Légende, aux mots : Mater — Natum —- omni —; nulle part il n’est tourné comme on le voit dans la seconde lettré. Y a-t—il lieu de le supposer renversé et de prêter une pareille intention à ceux qui l’ont placé les premiers? Une telle déviation de la règle ordinaire ne peut leur être imputée sans motif raisonnable. Tout est favorable, au contraire , au maintien du sens de l’Ome’ga. Citons des exemples.

     

    Les Documents archéologiques nous montrent, en effet, les mêmes Signes reproduits au moyen-âge et dans les temps antérieurs sur un grand nombre de Monuments publics. On peut les voir dans les diverses publications de la Société ; nous pourrions encore en indiquer sur les Monuments même“. Il est à croire qu’en les adoptant sur leurs Armes, nos Pères ont aussi adopté l’interprétation qui leur est donnée naturellement dans le sens droit et sans détour.

    Quoi de plus conforme, d’ailleurs, à la piété éclairée de ceux qui nous ont précédés, que le sens théologique de ces deux Lettres prises à ce point de vue ! Alpha et Oméga réunis ne sont rien moins, dans nos Livres Saints, on le sait, que le Nom sublime et mystérieux du Sauveur, et la solennelle proclamation de la Divinité du Verbe. C”est lui-même qui se le donne et se l’adapte comme Nom propre dans l’Apocalypse, sans qu’il l’ait reçu ni des Anges ni des hommes. Appliqué donc à Jésus-Enfant sur les bras de sa tendre Mère, ce Nom sublime est-il déplacé, et, loin de le désavouer, la plus saine Théologie ne vient-elle pas, au contraire, applaudir à ce choix ?

     

    La logique ne repousse pas moins le sens de la version qui suppose dans les deux Lettres les initiales de l’Ave, Maria. Est-il dans l’ordre de retracer, sur l'espace si rétréci d’une Médaille, deux diverses légendes, qui ne sont, au fond, que la répétition l’une de l’autre ? Le pléonasme serait-il admis quelque part, qu’il se trouverait déplacé ici. Tel serait cependant l'inévitable inconvénient des deux antiques inscriptions de notre sceau : Virgo Mater Ave, Maria. Le sens de la dernière n’ajoute rien à celui de la première. Ne faut-il pas même supposer qu’il lui est devenu nuisible, et que l’interprétation par Ave, Maria a amené la suppression de la véritable légende : Virgo Mater ? Ce motif seul nous paraît suffisant pour en revenir au sens primitif et lire toujours Alpha et Oméga.

     

    Quoi qu’il en soit de ces variantes de détail, il n’en est pas moins constaté que la Vierge aune Armes de la Ville n’a jamais cessé, sous les diverses formes qu’elle a reçues, de présider à ses brillantes destinées. Par deux fois, il est vrai, dans la longue histoire de la Cité, on a essayé d’arracher le Glorieux Emblème aux affections de la population, au XVIe siècle et à la fin du XVIIIe. Mais le nom de Notre-Dame était trop profondément gravé dans les cœurs, et l’alliance antique trop honorable et trop étroite. Jamais Montpellier n’a voulu perdre l’inappréciable qualification que lui donnent ses historiens, de Cité de Marie, Peuple de Marie : PLEBS Mariana, Civita MARIANA. Sa fidélité n’a paru dans ces circonstances qu’avec plus d’éclat. Deux fois aussi on l’a vu relever sur sa Bannière l’Emblème de ses antiques gloires et le gage de toutes ses prospérités. En voici la preuve authentique :

    Les guerres de religion venaient de cesser. Dès l’année 1627, l’Autorité publique fit placer sur une des portes de l’Hôtel-de-Ville, gravée sur marbre, en lettres d’or, l’Inscription qu’on va lire :
    ANTIQUA URDIS MONSPELIENSIS INSIGNIA
    DISCERP’I‘A MALIGNITATE SŒCUI.I
    E cursus SOLO ORRE RETENTO
    SACRA CHRIST! ET EIUS MATRIS IMAGO
    SUBLATA FUERAT; TANDEM CURANTE
    POTENTE VIRO DOMINO MARCRIONE DE rosssz,
    URBIS ET ARCIS CIIBERNATORE,
    COMMUNI CIVITATIS ORDINUM CONSENSU;
    OCTAVA DIE MENSIS DECEMBRIS, ANNO 1627,
    DICATA IN HONOREM CONCEPTIONIS BEA’I‘Æ MARI/E VIRGINIS,
    IN INTEGRUM RESTITUTA SUNT.

    Les anciennes Armes de la ville de Montpellier se trouvant détruites par l’effet des mauvaises révolutions de ces derniers temps, et la Sacrée Image de Jésus-Christ, ainsi que celle de sa Mère, en ayant été arrachées pour ne laisser subsister que les bords, tout a été réintégré par les soins du Puissant Seigneur Marquis de Fossez, Gouverneur de la ville et de la citadelle, du commun consentement des différents Ordres de la Cité, en l’année 4627, le 8 du mois de décembre, consacré au culte de la Conception de la Bienheureuse Vierge Marie.

    Il en a été de même après les ravages de la grande révolution du siècle dernier. Le religieux auteur de l’Histoire de la Commune de Montpellier nous rappelle ainsi la manière dont l'Effigie sacrée de la Vierge fut encore vengée des outrages de l’impiété de I793.

    « Montpellier, dit-il, dans ces temps modernes, n’a pas cru devoir méconnaître ce symbole de son antique foi. Voici comment Charles X, en lui restituant, sur sa demande, ses anciennes armoiries, les décrit dans des lettres patentes, données à Saint-Cloud le 29 mai 1826, et précieusement conservées dans nos Archives municipales :

     

    D’azur, au trône antique d’or, une Notre-Dame de carnation, assise sur le trône, habillée de gueules, ayant un manteau du champ de l’écu, tenant l’Enfant-Jésus aussi de carnation, en chef à dextre un A et à senestre un M gothiques, d’argent, qui signifie Ave Maria, en pointe un écusson aussi d’argent, chargé au d’un tourteau de gueules. »

    En voici la représentation telle qu’on la trouve en tête de tous les actes et sur les monuments publics, à la gloire perpétuelle de notre bien aimée Vierge :

    [graphic] 

    Le grand nombre des Ex-voto et la richesse de l’Église de Notre-Dame sont l’indice certain de la Dévotion dont l’auguste Patronne a été l’objet, et du Culte qui lui était rendu. Les diverses Fondations établies dans l’antique Temple peuvent être placées à ce même aspect. Il n’est pas superflu d’en faire remarquer d’abord l’importance.

    On connaît le but et l’utilité des Fondations, Au point de vue des familles et des fondateurs, ce sont des Œuvres Pies destinées à assurer, dans les églises, des services et des secours spirituels à ceux qui les établissent, en y perpétuant le souvenir de leur nom et de leurs bienfaits. Aux yeux de l’Église, qui les accepte, ces précieux dépôts confiés à sa garde lui créent des ressources , et lui imposent, d’autre part, l’obligation d’acquitter des charges déterminées.

    Les Fondations de l’ancienne église de Notre- Dame avaient été fidèlement acquittées jusqu’à la Révolution de 1795. Il a fallu toute la violence de cette tempête pour détruire, avec des titres si sacrés et si légitimes, les obligations qui s’y rattachaient. L’aliénation et la perte des biens ecclésiastiques, sanctionnées légitimement par le Concordat en 1801, ont nécessairement entraîné celle des fondations. L’Église, toutefois, n’a pas cru être dispensée de tout devoir de reconnaissance envers les anciens fondateurs. Ses dispositions et ses actes constatent le contraire. Une mention particulière des anciennes fondations est prescrite comme dédommagement, en quelque sorte, et comme acquittement de dette sacrée, dans toutes les Formules de prières du Prône. Tous les dimanches, une part spéciale aux fruits du Saint-Sacrifice est réservée aux anciens Fondateurs, et ils sont proclamés solennellement à la Messe paroissiale. Des prières spéciales sont faites en commun à leur intention. Par prescription épiscopale, un De profundis y est récité pour le soulagement des fidèles trépassés, en particulier pour ceux qui ont donné de leurs biens à cette église : ainsi s’expriment les Statuts diocésains. On disait précédemment, avec plus   de précision encore : Pour tous ceux qui avaient fait diverses Fondations dans l’église de cette Paroisse. C’est donc entrer dans l’esprit de l’Église et nous acquitter, à notre tour, d’une véritable dette, que d’arracher à l’oubli et de mettre ici sous les yeux les Anciennes Fondations et les Noms des Fondateurs de Notre-Dame des Tables.  

    Un mandement de l’évêque de Montpellier, Monseigneur François Bosquet, sur le rétablissement de la Paroisse de Notre-Dame , en 1658 , porte à Plus de Cent les anciennes fondations qui avaient précédé cette époque. C’étaient, il est vrai, les Titres réunis des Fondations des diverses églises de la ville qui avaient été sauvés des ravages de l’hérésie pendant sa longue domination, et que l’évêque avait ordonné de faire recueillir dans l’église de Notre-Dame. Il n’entre pas dans notre dessein de les énumérer l’un après l’autre. Le mandement, d’ailleurs, n’en donne qu’un sommaire et n’entre pas dans les détails. Nous nous bornerons à mentionner ici les diverses Chapelles où étaient établies la plupart de ces fondations, ou qui en étaient elles-mêmes l’objet. Un premier travail a été fait sur ce sujet par D’Aigrefeuille, qui s’est servi, dit-il, avec avantage du recouvrement des divers titres de ces fondations, fait à cette époque par Messieurs les Marguilliers. On peut le voir à la deuxième partie de son Histoire de la Ville de Montpellier  ; mais un Registre Particulier, conservé aux Archives paroissiales de Notre-Dame, nous fixe encore davantage. En reproduisant à peu près les détails de l’historien, ce Manuscrit nous montre l’état de ces Chapelles et de ces Fondations tel qu’il était à l’époque de la Révolution, à la fin du siècle dernier. La réunion des deux documents doit compléter le relevé que nous devons faire.

    Les fondations particulières indiquées par notre Registre sont au nombre de Vingt-trois, toutes à la charge de l’œuvre de l’église de Notre-Dame. Mais il est à observer que les chapelles qui en étaient l’objet ou l’occasion n’étaient pas toutes dans cette église ; on les trouve diversement établies dans plusieurs autres, telles que Sainte Anne, Saint Matthieu, Sainte-Croix, Sainte Foi, etc., dont la nouvelle Église de Notre-Dame des Tables était devenue sur ce point et sur plusieurs autres un véritable Centre. Il n’est pas sans intérêt de découvrir aujourd’hui ces divers noms et les pratiques qui s’y rattachaient. Nous les exposons dans un tableau  comme simple résultat de nos recherches à ce sujet. 

    Source : Livre "Notre Dame des Tables. Histoire détaillée de ce sanctuaire" par Jean François VINAS

     

    En savoir plus :

    http://notredamedestables.fr/

    http://www.montpellier.fr/333-eglise-notre-dame-des-tables.htm

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_Notre-Dame_des_Tables