• Ligny en Barrois, Notre-dame des vertus

     
     

     

    Ligny en Barrois

    Notre-Dame des Vertus

     

     

     

    Origine de la sainte image de Notre-Dame des Vertus et du pèlerinage. — Notre-Dame en Italie, — en Provence.

    Quiconque a parcouru l'histoire des nombreux pèlerinages établis en l'honneur de la très-sainte Vierge, a du être frappé d'un fait qui se renouvelle presque partout sous mille formes diverses : c'est que leurs commencements se trouvent ordinairement entourés de mystère, et d'événements surnaturels.

    On n'en saurait être étonné, quand on pense que les pèlerinages étant des lieux privilégiés du ciel, qui sortent de l'ordre commun par les grâces que l'on y reçoit, doivent en sortir également pour leur origine et pour leur principe.

    Cependant, il en est quelques-uns qui, par exception à cette loi générale, tiennent aux événements les plus communs de l'histoire, et parmi eux il faut ranger le pèlerinage de Notre-Dame des Vertus.

    En effet, le tableau ou l'image de Notre-Dame des Vertus, si vénérée dans les temps passés et présents, et qui fût toujours entre les mains de la sainte Vierge un instrument si actif des plus abondantes bénédictions, n'est qu'une simple peinture dont l'origine, selon les documents les plus certains, ne fût consacrée par rien de merveilleux.

    Il est vrai que, pendant longtemps, on a prétendu qu'elle était l'œuvre de l'évangéliste saint Luc, qui était à la fois, comme on le sait, peintre et médecin ; mais cette croyance ne nous semble pas appuyée sur la vérité ; et tout nous paraît prouver que ce tableau est dû au pinceau d'un peintre florentin du Xe siècle, appelé Luca, dont le talent s'exerçait de préférence à peindre des images de la sainte Vierge, et qui, pour cette raison, fut surnommé le Saint, d'où l'on a fait Santo Luca.

    Nous avons sous les yeux une lettre de Ligier Richier à Philippe Errard de Bar-le-Duc, et écrite de Saint-Mihiel, le 31 juillet 1544, alors que le célèbre sculpteur achevait l'admirable monument du sépulcre, dans laquelle il parle de l'origine de l'image de Notre-Dame des Vertus de manière à fixer toutes

    les incertitudes. Voici ce qu'il en dit.

    "Tu sais que né au village de Dagonvillc entre Ligny et Saint-Mihiel, et privé fort jeune de mes père et mère, je fus recueilli chez un oncle qui me mit de bonne heure à la garde de ses bestiaux. Or dans cette vie de contemplateur oisif, je passais mes heures à modeler en terre de petites images de bergers, de brebis, de vaches, de chiens, de tous les objets qui m'étaient familiers. Je faisais présent de mes œuvres à tous les habitants de notre village, et plusieurs de ces petites figures furent portées jusqu'à Saint-Mihiel, et y furent remarqués.
    Or voilà qu'un jour, un beau laquais tout bariolé d'or vint de cette ville me chercher, avec mon oncle, de la part d'un seigneur étranger qui désirait me voir.
    Fort ébahi de cette visite, je me laissai cependant conduire ; et arrivés à Saint-Mihiel, nous fûmes introduits près d'un homme à figure imposante et vêtu comme un duc, qui me parla de mon goût pour la sculpture, et me demanda si je voulais le suivre en Italie pour étudier cet art. Je consultai mon oncle du regard, et répondis que j'y consentais, supposé que mon oncle y fût consentant. Le brave homme était pauvre, avait une famille nombreuse, j'étais entré chez lui à peu près nu, je lui étais donc plus à charge qu'à profit : aussi je ne puis lui reprocher de ce qu'il ne fallut pas le presser pour répondre oui. Nous fûmes bientôt d'accord , et le grand seigneur m'emmena dès le lendemain. Je te fais grâce des détails de mon voyage, pendant lequel j'appris que mon nouveau protecteur était le célèbre Michel-Ange Buonarotti, la gloire de la Toscane et de l'Italie, le peintre, le statuaire, l'architecte par excellence. En quelles mains j'étais tombé ! Juge de mon enthousiasme en parcourant, avec ce grand homme, ces belles cités d'Italie remplies de palais, ornées de chefs-d'œuvre, sous le plus beau ciel du monde, au milieu d'hommes parlant une langue douce et harmonieuse ! Juge de mon bonheur, à moi, pauvre paysan qui n'avais vu jusque-là que nos tristes villages de Lorraine, et nos chaumières décorées pour tous ornements, de leurs draperies de pois de Rome, notre ciel brumeux, nos enluminures barbares, et qui n'avais entendu et parlé que le rude patois de Dagonville ! 
    Or, en passant à Bologne, nous visitâmes une église, où je vis une image de la sainte Vierge absolument pareille à celle de Notre-Dame des Vertus, et mon maître m'apprit, non sans une sorte d'orgueil, qu'elle était l'œuvre d'un de ses compatriotes, d'un peintre florentin, nommé Luca, et surnommé Il Santo, parce qu'il avait embrassé la vie religieuse, et s'était voué à peindre les images des Saints, et principalement de Notre-Dame.
    Ce peintre, me disait-il, qui vivait vers le Xe siècle, a un grand nombre de ses Madones placées dans les églises et couvents d'Italie ; et l'analogie de son nom avec celui de saint Luc l'évangéliste, l'amour du merveilleux, ont fait attribuer à ce dernier les œuvres du Florentin.
     

    J'ajouterai que mon illustre maître se proposait d'écrire une histoire des peintres florentins, et que Luca il Santo devait figurer en tête de cette biographie, comme ayant été, me disait-il, le précurseur de Cimabué, du restaurateur de la peinture, et comme ayant devancé son siècle par le naturel et le dessin de ses figures. Je ne sais s'il a exécuté son projet ; mais juge de mon étonnement quand, de retour dans notre pays, je vis dans l'église collégiale de Ligny, une image en tout pareille à celle de Bologne, et à une autre du même peintre que j'avais vue à Rome, à Sainte-Marie-Majeure ; et persuade-toi bien qu'il n'est pas nécessaire que je la croie de saint Luc pour l'admirer ; car, quoique de beaucoup inférieure aux Madones du divin Raphaël pour le coloris et la perfection des traits, elle est, aux yeux d'un artiste, bien précieuse comme époque dans l'histoire de l'art. »

     

    Si cette lettre est vraiment de Ligier Richier, il serait difficile de conserver quelque doute sur l'origine de Notre-Dame des Vertus ; mais quoi qu'il en soit, cette sainte image n'en est pas moins digne de tous nos hommages et de tous nos respects ; car de tous temps elle a opéré des prodiges, et, de plus, c'est un don souverainement précieux que la divine Providence a fait à la ville de Ligny par le concours des plus singuliers événements.

    En 1435, Louis III, duc d'Anjou et comte de Provence, était mort en Calabre, où il avait porté la guerre, afin de contraindre la reine de Naples, Jeanne II, à le reconnaître pour son successeur. Sa mort avait transmis ses domaines et ses prétentions à son frère René d'Anjou, qui, à son duché de Bar, avait réuni celui de Lorraine par son mariage avec Isabelle, héritière de ce duché. Or, le bon René, non content de ses états d'Anjou, de Lorraine, de Bar et de Provence, voulut encore ajouter la couronne royale à ses couronnes ducales. C'est pourquoi à peine sorti d'une longue captivité qui avait suivi de près son entrée en Lorraine, étant informé de la mort de Jeanne de Naples, il leva aussitôt des troupes, équipa une flotte et se disposa à passer en Italie, pour disputer le trône à Alphonse d'Arragon, que cette princesse versatile avait adopté, mais dont elle avait révoqué l'adoption peu d'instants avant de mourir, en lui substituant René.

    Mais avant de se mettre en mer, ce prince voulut s'assurer des chances que pourraient avoir ses armes dans son nouveau royaume ; et,dans ce but, il se hâta d'envoyer le plus secrètement possible un gentilhomme provençal, nommé Anthoine de la Salle, écuyer et gouverneur de son neveu Charles d'Anjou.

    Anthoine de la Salle partit donc, accomplit fidèlement sa mission et se mit bientôt en devoir de revenir en Provence, vers celui qui l'avait envoyé. Mais comme il revenait, il se trouva que le vaisseau qui le portait fut obligé de relâcher dans le port de la petite ville de Capri, dans l'île de ce nom, l'ancienne et fameuse Caprée de Tibère.

    Or, en cette ville était alors un couvent de Chartreux, que la reine Jeanne Ire de Naples avait fondé, et à qui elle avait donné, comme marque de sa haute bienveillance, l'image de Notre-Dame des Vertus, qu'elle tenait de son trisaïeul, Charles Ier d'Anjou, frère de saint Louis. Charles l'avait reçue autrefois du pape Clément IV, en 1265, au jour où il fut couronné à Rome, roi de Sicile, au détriment de Mainfroi, excommunié et dépossédé.

    On lisait en effet sur le revers de cette image : Lucas pinxit, et plus bas ; Sacrosancta effigies B. Mariæ Virginis Deiparæ, dono data charissimo filio in Christo Karolo, regi Siciliæ, IIIe iduum septembris, anno Incarnations MCCLXV, Clemens, episc. dedit.

    C'était, on le conçoit, un don précieux à plus d'un titre, car, rien que par lui-même, et comme objet d'art, surtout à cette époque, c'était une rareté ; ses couleurs encore éclatantes et vives en laissaient sans doute deviner alors au premier coup d'œil toute la beauté, et ce ne devait pas être sans une douce et pieuse émotion, qu'en la contemplant, on voyait se dessiner sur un fond d'or la sainte Vierge, revêtue d'une robe écarlate et d'un manteau bleu parsemé d'étoiles dorées, tenant sur ses genoux et regardant l'enfant Jésus avec l'amour de la plus tendre des mères. A ses côtés se tenaient debout deux anges aux ailes déployées, dont l'un jouait du hautbois et l'autre pinçait de la guitare, pendant qu'au-dessus, de chaque côté des armoiries de Charles d'Anjou, paraissaient les figures des Apôtres qui dominaient le groupe tout entier, et contemplaient le Fils de Dieu fait homme, offrant une fleur à sa mère.

     

    Aussi les habitants du monastère la gardaient-ils religieusement, et loin de songer à s'en défaire, l'avaient-ils placée dans leur Église où ils l'entouraient d'honneur et de respects. Mais parfois les événements changent bien vite la destinée des choses, et au moment où l'on s'y attendait le moins, la sainte image de Notre-Dame allait passer en d'autres mains.

    En effet, sitôt qu'il eut abordé à Capri, Anthoine de la Salle, ne connaissant personne dans l'Ile, alla frapper à la porte de la Chartreuse et y demander l'hospitalité. Tout le monde sait avec quelle générosité les monastères se sont toujours ouverts aux voyageurs, et avec quelle bonté ils ont toujours accueilli leurs hôtes ; Anthoine de la Salle fut donc parfaitement reçu, et comme il fit connaître qui il était, et ce qui l'amenait en Italie, la réception fut des plus charitables et des plus empressées. On voulut qu'il visitât toutes les curiosités de la maison, et surtout qu'il examinât à son aise celle qui surpassait sans doute toutes les autres, c'est-à-dire, l'image de Notre-Dame des Vertus. A sa vue, l'envoyé de René fut saisi et pénétré d'une émotion profonde ; jamais peut-être il n'avait vu une aussi belle peinture ; et comme les religieux lui recommandaient avec instance de s'occuper efficacement de leurs intérêts près du nouveau roi leur maître, il y consentit volontiers, mais à la condition qu'on lui donnerait libéralement l'image de Notre-Dame, à laquelle les moines tenaient tant, et que lui-même venait d'admirer.

    A cette demande, la surprise fut grande dans le monastère, et longtemps les religieux demeurèrent indécis. Cependant, d'un côté la guerre prochaine pouvait leur être si désavantageuse, et de l'autre l'occasion de s'attirer les bonnes grâces du roi René, était si favorable, qu'à la fin ils cédèrent.

    Anthoine de la Salle partit donc avec le précieux tableau, et revint vers René, dont les armes n'éprouvèrent en Italie que des revers, et qui fut contraint de laisser le trône à son compétiteur.

    Dès les premiers jours de son voyage, Anthoine éprouva l'heureuse influence du trésor qu'il emportait avec tant de confiance. Car, à peine avait-il repris la mer pour retourner en Provence, qu'une effroyable tempête souleva les flots, et que les vents contraires, battant continuellement le navire pendant quarante-trois heures, l'éloignèrent de plus de sept cents milles du terme de sa course. Au plus fort du danger, les matelots et les passagers n'attendaient plus qu'une mort certaine, quand Anthoine leur présente la sainte image, et les invite à se prosterner avec lui devant elle, pour invoquer celle qu'on ne prie jamais en vain et que l'on appelle à si juste titre l'Étoile de la mer.

    Chose admirable ! A peine ces hommes désespérés ont-ils terminé leur prière, que la tempête s'apaise, et que le vaisseau peut reprendre sa route sans danger vers la Provence. Tous reconnurent que ce changement était dû à Notre-Dame, et le manuscrit qui le rapporte, s'en exprime en ces termes : "N'eussent été les prières faites par eux tous à cette sainte relique et image de Notre-Dame, sans aucun espoir tous eussent été périllés et morts."

    C'était plus qu'il n'en fallait pour faire aimer et vénérer la sainte image dès son arrivée en Provence, et probablement que ce fut à dater de cette époque, qu'on l'appela Notre-Dame des Vertus, c'est-à-dire, Notre-Dame des Merveilles ou des Miracles ; nom bien touchant qui appellera à jamais la confiance des pèlerins.

    Après une merveille si grande et une protection si visible, on comprend sans peine, qu'Anthoine de la Salle y attachât un prix inestimable. Aussi s'empressa-t-il de la placer dans la chapelle de son château de Sadaron, où il la confia à la garde de religieux, qui étaient chargés de lui rendre les plus grands honneurs, et où elle ne tarda pas à montrer de quel secours elle était le gage pour le pays qui la possédait.

    En effet, quelque temps après le retour d'Anthoine, la Provence fut affligée par une sécheresse si grande, que tous les fruits étaient brûlés et que la contrée tout entière était menacée de la famine. Que faire en ces circonstances difficiles ? Évidemment il n'y avait plus de recours possible que dans la miséricorde de Dieu ; c'est pourquoi l'on résolut d'implorer l'assistance de la sainte Vierge, et de faire une procession dans laquelle on porterait l'image de Notre-Dame des Vertus. On se mit donc en marche, par le temps le plus serein, sous un soleil brûlant, et la vertu de Notre-Dame fut si prompte et si visible, qu'au retour le temps se mit en pluie, et pareillement très-grande abondance de pluie dura longuement. Le manuscrit ajoute : et ainsi souvent est advenu.

    Cependant Notre-Dame des Vertus ne se borna pas à protéger la contrée qu'elle habitait, en répandant ses bienfaits sur les fruits de la terre ; elle les étendit aussi sur tous ceux qui l'invoquaient individuellement et recouraient à elle dans leurs besoins.

    « Un jour, entre autres, à Angers, très-noble et redoutée dame Iolande d'Anjou, comtesse de Vaudémont, travaillant d'enfant, eut souvenance de cette dite image, et réclamant en aide moult dévotement la très-bénite dame, incontinent sa prière faite, de l'enfant fut délivrée. Et maintes autres femmes travaillant d'enfant, quand à cette noble dame dévotement se recommandaient, prestement se délivraient en leurs douleurs ; et autres miracles en diverses manières ont été faits, comme dit et témoigne le dit Anthoine, par intercession de la Dame de grâces, fontaine de miséricorde et de pitié, conforteresse en toute tribulation, représentée en ladite image.

     
     
     

    CHAPITRE III.

    Noire-Dame des Vertus a l.igny, dans l'église du château. — Miracles qu'elle opère. — Son enlèvement par les troupes de Charles-Quint.

    Mais la Provence ne devait pas être le séjour préféré de Notre-Dame des Vérins.

    Dans les desseins de la Providence, le château de Sadaron n'était même qu'une espèce d'étape, où elle ne devait s'arrêter qu'un instant et ne bénir qu'en passant, pour aller, vingt-quatre ans plus tard, habiter une autre contrée qui deviendra à jamais la sienne, et où elle reviendra toujours malgré les vicissitudes du temps.

    Ce dernier et définitif séjour était la ville de Ligny.

    Anthoine de la Salle, en effet, voyant que ses espérances près du roi René était déçues, soit qu'il y fût invité par des sollicitations pressantes, ou qu'il y fût entraîné par son goût pour les causes aventureuses, résolut de se dévouer au service de Louis de Luxembourg, connétable de France, et vint à Ligny en 1459, comme gouverneur des trois fils du comte.

     

    Mais en quittant sa patrie pour en adopter une autre, il ne voulut pas laisser à Sadaron le précieux tableau, dont il était devenu si heureusement possesseur.

    Il l'emporta donc avec lui, et sitôt qu'il fût arrivé à Ligny, pressentant qu'il finirait là ses jours, et que la sainte image de Notre-Dame y serait traitée après lui aussi religieusement que s'il l'eut gardée lui-même, il la donna perpétuellement et à toujours à l'église collégiale du château, de concert avec Lionne Collérière du Bourbonnais, son épouse.

    Ce fut le deux février, fête de la Purification 1459, qu'il choisit pour effectuer son don pieux, et dans l'acte authentique de donation, il ne demanda en retour rien autre chose, que d'avoir participation en tous les biens spirituels qu'en icelle église, se font et ci-après se feront, promettant par sa foy et serment, non jamais venir, ne faire ou souffrir venir, au contraire dudict don.

    Mais si c'est en ce beau jour de fête du deux février, que Notre-Dame des Vertus prit réellement possession de son trône à Ligny, en choisissant cette cité de préférence à toute autre, pour y répandre une multitude de bienfaits, ne serait-ce pas une légitime reconnaissance de la part des descendants de ceux qui méritèrent de la recevoir, de célébrer cette fête, sinon comme la plus belle de l'année, du moins comme celle qui leur rappelle de la manière la plus évidente l'immense bonté de la sainte Vierge à leur égard ?

    Il faut le dire, les habitants de Ligny ont toujours aimé et vénéré la sainte image, et l'ont constamment regardée comme le palladium de leur cité ; disons plus, ils en ont toujours été fiers. Et comment ne pas l'être d'un pareil trésor, quand des miracles presque continuels ont attesté, depuis sa venue, que si ce tableau avait été fait par un homme, Dieu y a cependant attaché tant de vertus et de bénédictions, qu'une foule innombrable et surtout les habitants de la ville privilégiée, devaient trouver devant lui, dans la prière, la grâce, le salut, la santé, des consolations de tous genres ? Et qu'on ne croie pas que nous exagérions ; car des écrits authentiques nous apprennent que, depuis 1459 jusqu'en 1479, c'est-à-dire dans l'espace de vingt ans, on compte vingt-deux miracles, parmi lesquels on remarque particulièrement la résurrection momentanée de plusieurs enfants morts-nés, qui recouvrèrent la vie devant Notre-Dame, pendant assez de temps, pour que l'on put leur administrer le saint baptême.

     

    Voici comment s'expriment ceux qui les ont consignés avec soin : «Autres miracles dignes de mémoire et de grande recommandation sont ici par ordre mis par écrit, tant d'enfants morts-nés apportés dans cette église collégiale de plusieurs lieux, lesquels par l'intercession, mérites et requête de cette dite Notre-Dame, ont récupéré vie et reçu baptême, et après leur baptissement ont été trépassés, et au cimetière de cette présente église ensevelis ; comme d'autres miracles en plusieurs manières. »

    Voilà donc Notre-Dame des Vertus à Ligny ! La voilà comme en Provence, et même, qui ne le croirait volontiers, comme à Capri et à Naples, opérant des miracles et répandant autour d'elle mille bénédictions !

    Arrivés à cette époque de la naissance du pèlerinage de Notre-Dame à Ligny, nos lecteurs aimeraient, sans doute, de suivre désormais pas à pas, année par année, les faits divers auxquels donna lieu cette dévotion. Qui n'aimerait de savoir ce que ses ancêtres faisaient en son honneur, de compter une à une ses fêtes, d'entendre toutes les .prières qu'on lui adressa ? Nous ne le dissimulons, pas, nous-mêmes trouverions à retracer ces résultats des profondes émotions de la confiance et de l'amour envers la sainte Vierge, une consolation bien douce. Mais nul ne saurait le faire, car le temps, les révolutions et les guerres, ont détruit presque toutes les relations qui pouvaient nous en donner connaissance ; aussi ne faudra-t-il pas s'étonner si l'on trouve plusieurs lacunes dans ce récit, car elles seront nécessitées par la force même des choses.

     

    C'est pourquoi, franchissons un espace de soixante-cinq ans, et arrivons à cette année 1544, de si lugubre mémoire pour les habitants de Ligny, qui virent piller le château, saccager la ville et enlever la sainte image.

    A cette époque, le château de Ligny était occupé par le comte Antoine de Luxembourg et par la comtesse Marguerite de Savoie, son épouse ; Charles Quint occupait le trône de l'empire d'Allemagne, et François Ier celui de France. Ceux qui savent l'histoire n'ignorent pas, sans doute, que ces deux monarques furent longtemps ennemis jurés l'un de l'autre, et que Charles-Quint, voulut, en 1544, pénétrer en France avec toutes ses troupes. Aussi, quand, au mois de juin de cette année, cet empereur arriva devant Ligny, était-il résolu de tout tenter pour parvenir au but de ses désirs. Mais le château faisait bonne garde, et, de son côté, le comte Antoine de Luxembourg était déterminé à résister jusqu'à la dernière extrémité, afin d'arrêter les Allemands dans leurs courses, et de prouver au roi de France son inviolable fidélité. Le siège commença donc, et il fut si émouvant, si terrible, que nous croyons devoir laisser un témoin oculaire, Philippe Errard, en retracer toutes les péripéties, en transcrivant une partie de la lettre qu'il écrivit à Ligier Richier, le 29 juillet 1544.

    « La renommée a dû t'apprendre, ami Ligier, les circonstances principales du siège et de la prise de Ligny-en-Barrois. J'étais dans cette ville, au nombre des féaux du comte Antoine, lorsque ce damné empereur Charles-Quint (que Dieu puisse confondre !) vint l'investir avec ces mécréants de reîtres et de lansquenets. Le roi François Ier, y avait envoyé une garnison de quinze cents hommes, sous les ordres du sire de Bertheville ; et notre bon duc de Lorraine, son filleul, qui se trouva comme entre enclume et marteau, avait recommandé au comte Antoine de faire de son mieux pour résister et soutenir le roi. »

     

    « Voilà donc que le jour de la fête du bienheureux saint Jean-Baptiste, nous signalons, du haut des tours, l'armée impériale arrivant de Commercy, descendant la colline, passant l'Ornain au gué de la Gravière et au delà des jardins du château, vers Givrauval. Tu peux bien penser que ce soir là, on ne pensa guère à allumer, suivant l'usage, les Bures de saint Jean sur les hauteurs et hors des portes. Le sire de Bertheville maugréait du fond de l'âme, et se plaignait au comte de Ligny, de ce qu'on n'avait pas eu l'idée d'établir sur la colline de Pilleviteuil, un fort qui eût barré la route, tenu en bride l'armée ennemie, et l'eut empêchée de venir, sans coup férir, camper à notre barbe. Les capitaines d'Eschénay et de Gonzoles voulaient qu'on abattit les beaux tilleuls, ormeaux et taillis du parc ; croyant déjà voir, à l'aide de leurs couverts, les Allemands arriver jusqu'au bord du fossé. Le comte Antoine ne voulait pas ouïr parler de mettre la cognée à ces beaux arbres séculaires qui, disait-il, avaient couvert de leur ombre le chevalier sans peur et sans reproche, et son parent, le saint cardinal de Luxembourg. Mais la plus désespérée, dans cet effroi général, était Madame Marguerite de Savoie, la digne comtesse de Ligny. Voyant tous ses guerriers en tel discorde, elle n'avait plus d'espoir que dans l'assistance de Notre-Dame des Vertus, et passait en prières devant sa châsse presque toutes les heures du jour, voire même de la nuit. »

     

    « L'événement prouva trop que messire de Gonzoles et d'Eschénay jugeaient vrai. Dès le surlendemain, vingt-sixième de juin, les impériaux ayant forcé, sans grande peine, l'enceinte du parc, s'avancèrent d'arbre en arbre, de couvert en couvert, jusque sur le bord du fossé, et s'établirent pour faire brèche entre la grosse Tour et les Buttes, en s'épaulant à droite et à gauche. On retarda bien quelque peu leur approche en faisant chanter les fauconneaux de la grosse Tour ; mais ils tinrent bon, et le vingt-neuf au matin, ils commencèrent d'ouvrir la muraille, sur une largeur de plus de soixante pieds. Enfin le dimanche, deuxième de juillet, désespérant de pouvoir résister plus longtemps, et voulant au moins éviter les suites d'une prise d'assaut, monseigneur le comte demanda une suspension d'armes et envoya en parlementaire, au camp de l'empereur, le sire de Bertheville, pour traiter de la reddition. Et nous, pendant cette parlementation, nous assistions tous à la messe en l'église du château, quand, pendant la préface, nous ouïmes de grandes clameurs de détresse du côté des remparts ; et à peine avions-nous eu le temps de nous signer, que voici une troupe de soldats furieux qui entrent par la grande porte, renversant sur leur passage, hommes, femmes et enfants : ils courent aux autels, aux châsses, aux tabernacles, pillent et profanent les vases sacrés, les saintes reliques, les tableaux de prix, les bas-reliefs, œuvres de ton ciseau, mon pauvre Ligier ; ils se saisissent du comte et de la comtesse, et leur déclarent qu'ils sont prisonniers. Autant en font-ils de messires de Roussi, de Gonzoles, d'Eschenay et autres principaux. Nous autres, le fretin, nous fûmes laissés comme gens non rançonnables, et demeurâmes témoins du sac, incendie et dévastation de la ville et du château, qui durèrent le reste du jour et la nuit suivante. »

     

    Mais dans ce désastre, que devint l'image de Notre-Dame des Vertus ? Elle ne fut pas plus épargnée que tout le reste. Seulement, au lieu de la détruire, un Rittmeister (maître de camp) la détacha du pilier auquel elle était attachée, la plia dans un livre et l'emporta avec lui. Il pensait sans doute en faire sa propriété et la conserver à jamais, mais la Providence avait d'autres desseins ; car le lendemain, cet officier se dirigeant vers Saint-Dizier avec sa troupe s'arrêta au village du Bouchon, dans la maison d'un honnête laboureur, Jean Lelièvre, surnommé le Prestre, pour y passer la nuit, et oublia en partant le livre et l'image qu'il avait cachés sous le chevet de son lit. Or, à quelque temps de là, une servante de Jean Lelièvre, en mettant tout en ordre dans la maison, aperçut le livre qu'elle ne soupçonnait pas renfermer un si précieux trésor, et s'empressa de le remettre à son maître, qui, en l'ouvrant, reconnut bien vite que l'image qu'il renfermait n'était rien autre chose que celle de Notre-Dame des Vertus, qu'il avait vénérée tant de fois dans l'église des seigneurs de Ligny. C'est pourquoi tout joyeux de cette découverte, il la mit avec respect en lieu sûr, et après avoir fait faire un petit tableau de bois sur lequel il l'attacha, il la plaça aux courtines de son lit, où plusieurs notables personnes l'ont souventes fois pu voir. Ce fut sans doute alors que disparurent les armes d'Anjou et les figures des Apôtres, peut-être aussi furent-elles déchirées quand le maître de camp la détacha violemment de son encadrement ; quoi qu'il en soit, actuellement on ne les voit plus.

     

    Qu'on ne pense pas cependant, qu'une fois sortie de l'église du château, où elle avait habité depuis soixante-quinze ans, cette sainte image perdit quelque chose de la vertu qui la consacrait aux yeux des peuples ! Au contraire, dès qu'elle fut dans la maison de ce laboureur privilégié du Bouchon, elle ne cessa de le combler de bénédictions. « Aussi le dict Lelièvre n'avait-il aucune volonté de la révéler, si non en article de mort, tant à cause de la dévotion qu'il avait en elle, qu'aussi de l'accroissement des biens qu'il en avait reçus depuis qu'il l'avait eu en sa maison. »

     

     

    CHAPITRE IV.

    Retour de l'image de Notre-Dame des Vertus à Ligny. — La comtesse Marguerite de Luxembourg. — Chapelle de Notre-Dame. — Ce que Notre-Dame des Vertus devint pendant la Révolution de 93.

    Cependant l'éloignement de la Patronne de Ligny ne devait être que momentané, et le jour n'allait pas tarder à luire, où elle serait rapportée dans son sanctuaire de prédilection.

    C'était en 1580 ; à cette époque, la comtesse douairière de Ligny, Madame Marguerite de Savoie, vivait encore, fort avancée en âge, et surtout très attristée de la disparition de l'image de Notre-Dame, devant laquelle elle aurait tant désiré prier encore et mourir, qu'elle avait même fait chercher partout, depuis son retour de Bruges, mais qui était toujours restée introuvable, quand, vers la fin de l'année, la Providence vint enfin la consoler, en lui rendant son précieux trésor.

     

    « En effet, pendant que ladite Dame était en l'église du château, le jour de Noël de cette année, 1580, lorsqu'on célébrait la grand'messe, est survenu un vertueux et notable bourgeois, nommé Pierre Dechevillier, pour visiter ladite chapelle ; lequel, après avoir achevé sa prière, s'approcha de ladite Dame, et la saluant honorablement, lui déclara et affirma, pour décharger sa conscience, que certainement il savait que l'image de Notre-Dame des Vertus, de tout le peuple de Ligny tant réclamée, était en la maison d'un laboureur du village du Bouchon, nommé Jehan Leliepvre, dit Leprestre : et que ce serait un grand bien, pour contenir ses sujets à grande dévotion, de procurer que, par son autorité, ladite image fût restituée en son lieu et place, en ladite collégiale.

    Madame Marguerite, après l'avoir pertinemment ouï, le remercia de son avertissement, et en fut moult joyeuse. Dès-lors, étant retournée en sa chambre pour prendre sa réfection, considéra comment elle pourrait récupérer ladite image, sans user de violence envers ledit Leliepvre. Et parce que ce saint jour de Noël n'était pas jour convenable à voyager, différa son entreprise jusqu'au lendemain, fête du glorieux martyr saint Étienne : et, dès le grand matin, envoya un messager vers ledit Leliepvre, le prier, d'autant qu'elle avoit ouï dire qu'il possédait une fort belle image de Notre-Dame, la lui vouloir envoyer et prêter, pour en faire faire une pareille. A quoi Jehan Leliepvre, comme un très-bon sujet de ladite Dame, répondit, qu'il avait véritablement une image de Notre-Dame, qu'un maître de camp de l'empereur, après la prise de Ligny, avait laissée en son logis, pliée dans un livre, sous le chevet de son lit, avec une image de saint Jean, et plusieurs pièces de cuivre, servant d'ornement aux colonnes du grand autel de l'église du château de Ligny. Mais qu'il les avait rendues depuis longtemps au doyen de la collégiale, non toutefois ladite image, que par une singulière dévotion, il avait toujours retenue près de lui, en faisant grand cas, parce qu'il estimait que c'était l'image de Notre-Dame des Vertus, qu'il avait vue, avant les guerres, en ladite église. Cependant qu'il la rendrait bien volontiers à Madame, et que libéralement lui en ferait présent, sachant bien que dorénavant il n'en serait paisible possesseur. Et incontinent, le même jour de saint Etienne, il la renvoya à Madame de Luxembourg.

    La dite Dame ayant donc reçu l'image en grande joie et révérence, et voyant l'élégante peinture d'icelle, se montrant pitoyable et miséricordieuse aux personnes qui dévotement la regardaient, que tant plus on la voyait, tant plus on avait volonté de la voir, n'a eu doute que ce fut la susdite image de Notre-Dame, depuis le temps des guerres ainsi misérablement perdue.

     

    Toutefois pour sa plus grande satisfaction et assurance de vérité, ne se confiant à sa seule opinion, et pour plus grande assurance de tout le peuple, l'a premièrement montrée aux sieurs doyen et chanoines de ladite église, leur déclarant son recouvrement, et les priant de donner leurs avis, lesquels, tant pour l'avoir plusieurs fois vue, que pour la similitude des châsses et tabernacles, là où elle devait être placée, ont assuré et affirmé, que c'était la vraie image de Notre-Dame des Vertus, priant ladite Dame, de la montrer à d'autres personnes notables, tant de Ligny que des pays circonvoisins, pour ôter la suspicion de leur dire et témoignage.

    Ladite Dame, fort contente de telle monition, a fait alors convoquer tous ses plus anciens sujets et habitants de Ligny et des pays voisins, les requérant de dire la vérité, en leur montrant ladite image, s'ils la reconnaîtraient ; lesquelles personnes, tant hommes que femmes les plus âgés, ayant bien et dûment examiné la forme et peinture d'icelle image, ont dit, attesté et affirmé, être la vraie image de Notre-Dame des Vertus, qu'ils avaient vue avant les guerres, tant en ladite église, que par la ville, étant portée en procession ; et tous assurant qu'ils la reconnaissaient très-bien, et entre autres l'ont reconnue, Pierre Thieblement, Simon Miget, Simon Vautier, Pierrot Boy, Nicolas Moligny, François Husson, Jehan Errard, Barbe Contenot et plusieurs autres personnes catholiques, tous habitant et demeurant à Ligny, dont les noms, à cause de brièveté, ne sont ici insérés et écrits. »

     

    Le bruit de cet heureux retour se répandit bien vite, et de tous côtés on vit bientôt accourir des pèlerins nombreux, désireux de revoir leur protectrice et leur mère. L'enthousiasme fut même si grand, que pendant longtemps l'église du château ne désemplit pas. C'était à qui s'approcherait de plus près de la sainte image, et lui ferait toucher des chapelets et d'autres objets de dévotion, comme c'est la louable coutume des bons catholiques.

    Cependant elle ne fut pas alors immédiatement replacée au lieu qu'elle occupait auparavant. Comme elle avait été intronisée pour la première fois en 1459, le jour de la Purification, Marguerite de Savoie, voulut que l'on attendît cette belle fête, afin de la remettre sur son autel, avec toute la pompe qu'exigeait un événement si heureux. C'est pourquoi dans l'intervalle, elle la fit placer dans la chapelle de la Nativité de Notre Seigneur, qu'elle affectionnait et où elle priait habituellement.

     

    En lisant les lignes suivantes, on se fera facilement une idée de l'éclat de la fête attendue et désirée.

    Après les Vêpres et Complies chantés, et un bref sermon prêché par le gardien des Cordeliers de Ligny, on porta processionnellement, le plus honorablement qu'il se put faire, la sainte image, cheminant au devant tout le clergé et chanoines de la ville, avec tous les luminaires de ladite ville, par la cour du château ; et Madame Marguerite cheminait après moult dévotement, avec tous ses gentilshommes et damoiselles. Et puis suivaient tous les sieurs bourgeois et bourgeoises de la ville, en grand nombre et grande dévotion, avec tous leurs luminaires. Laquelle procession finie, l'on a apporté la sainte image devant son autel, en chantant dévotement Salve Regina ; et puis elle a été remise et colloquée en son tabernacle (et accoustrée par ladite Dame) en chantant le Te Deum, et un motet en musique, le tout au vu de tout le peuple, qui soit à la gloire de Dieu Omnipotent et à sa glorieuse mère, et consolation de tous les fidèles, et pieusement. Amen. »

    Tel est le récit exact et véridique du retour de Notre-Dame des Vertus.

    Il est possible que plusieurs lecteurs soient étonnés de ne pas trouver ici certains détails que la tradition a transmis depuis un siècle parmi le peuple, et dont on découvre l'origine dans un manuscrit de 1717, signé par Nicolas Regnard.

    Ce manuscrit décrit en effet une procession de Ligny qui aurait été jusqu'au village du Bouchon, chercher le tableau de Notre-Dame ; mais nous devons dire que ce récit est complètement apocryphe et qu'il est fait visiblement à plaisir ; car son rédacteur s'est mis en plusieurs passages en contradiction si évidente avec les faits les plus connus de l'histoire, que l'on n'est point téméraire en affirmant qu'il n'est aucunement digne de foi. Ajoutons que l'inattentif écrivain a même si mal dissimulé son invention, que l'on retrouve dans son récit, mot pour mot, des lambeaux de descriptions détachés de l'histoire des trois grandes années du pèlerinage de Benoîte-Vaux, au dix-septième siècle.

    On ne s'étonnera donc pas que nous n'en ayons tenu aucun compte.

    Sans doute, rien n'est plus légitime que de laisser son âme s'enthousiasmer pour le culte d'une image, qui a tant de droit à la vénération de tous ; mais s'il est utile de présenter les faits de l'histoire avec tous les détails qui peuvent les rendre plus sensibles, et les fixer plus profondément dans l'esprit, n'est-il pas souverainement dangereux, pour ne rien dire de plus, d'altérer la vérité et de l'entourer de fictions qui l'outragent, surtout quand il s'agit de choses si saintes, et qui touchent de si près aux manifestations de la foi.

     Mais revenons à notre récit. Une fois replacée dans l'église du château, Notre-Dame des Vertus vit aussitôt son culte traditionnel reprendre son cours, et dans l'année 1583, connue sous le nom d'année des processions blanches, c'est-à-dire à l'époque où la piété de nos pères voulut réagir par des manifestations éclatantes de dévotion, contre les efforts incroyables que faisait le protestantisme pour établir son règne dans nos contrées, son sanctuaire fut visité par une foule innombrable de pèlerins.

    Bar-le-Duc, où le deux juillet de la même année, plus de trente paroisses du Barrois et du Perthois étaient arrivées devant Notre-Dame du Guet, suivit l'entraînement général, et se rendit à Ligny, qui fit à son tour le pèlerinage de Bar et de Saint-Nicolas-de-Port. Et chose digne de remarque, ajoute le chroniqueur, pendant les processions qui eurent lieu en l'été de cette année, juin et juillet, chacun abandonnait les ouvrages des champs, comme foins, moissons et autres ; néanmoins toutes besognes se sont trouvées faites. Et en tous lieux où ces processions passaient et logeaient, on nourrissait pour rien la plus grande partie. »

     

    Marguerite de Savoie, qui, pendant sa longue vie, avait vu de si mauvais jours et subi de si grandes épreuves, eut encore la consolation de jouir de tous ces beaux spectacles ; car ce ne fût que huit ans après, le quinze juillet 1591, qu'elle quitta ce monde pour aller recevoir près de Dieu la récompense de ses mérites.

    Si l'on doit juger de la gloire réservée aux hommes dans le ciel par la multiplicité de leurs bonnes œuvres, par l'abondance de leur charité, et par la vivacité de leur foi, celle de Marguerite de Savoie doit être aujourd'hui bien grande ; car il est impossible de dire tout le bien qu'elle a fait autour d'elle, et de donner une juste idée de sa piété. Sans parler de ses fondations dans l'église paroissiale, disons que c'est elle qui a établi et fondé le monastère des Annonciades, celui des Capucins, le premier de cet ordre en Lorraine, le collège pour l'instruction supérieure de la jeunesse, qui fut bâti sur l'emplacement de l'ancien hôpital, et la maison de Sainte Marguerite en faveur des pauvres femmes veuves, qui, pour y entrer, ne prenaient d'autre engagement que celui de passer le reste de leur vie dans la viduité. Enfin, ce fut elle qui fonda la chapelle de Notre-Dame des Vertus en 1567 ; fondation que le doyen du chapitre, Jacques Massu, augmenta en 1665.

    On comprendra sans doute que sa mort fut un deuil public ; on la pleura comme une mère, et pendant un mois entier qu'elle resta exposée aux regards de ses sujets dans une chapelle ardente, on accourut de toutes parts pour vénérer ses restes mortels comme ceux d'une sainte.

     

    Nous ignorons quelles furent ses dernières volontés ; une seule chose est parvenue à notre connaissance, c'est qu'elle avait demandé à être enterrée dans la chapelle de Notre-Dame des Vertus, à côté de son époux, le comte Antoine, qui déjà y reposait. Où pouvait-elle mieux reposer elle-même, qu'à cet endroit où elle était venue tant de fois prier, et où elle avait puisé cette foi vive et cette charité féconde, qui, après l'avoir fait bénir de ses sujets pendant sa vie, lui conserve encore de nos jours un souvenir qui a survécu aux oublis si ordinaires parmi les hommes, et qui, sans doute, demeurera inaltérable.

    Aussi, soixante-dix-neuf ans plus tard, crut-on que la reconnaissance obligeait à quelque chose ; et c'est alors, en 1665, que l'on bâtit une autre chapelle à Notre-Dame des Vertus, pendant que la première recevait le nom simple, mais éloquent de chapelle Madame.

    Cependant quelques années après, ce changement parut à bon droit regrettable, et l'on rétablit les choses dans l'ordre primitif ; de manière que la noble comtesse, qui avait tout fait pour la gloire de Notre-Dame des Vertus, put encore se dire, après sa mort, la servante dévouée de la protectrice de Ligny, et attendre en paix, devant la sainte image qu'elle avait tant aimée, le jour de la résurrection. 

    Les choses restèrent ainsi pendant un siècle.

    Mais survint la Révolution française. Cruelle, impitoyable, dévastatrice de tous côtés, elle le fut peut-être plus encore à Ligny que partout ailleurs, parce qu'il y avait là, précisément, plus de choses saintes et vénérées.

    Les couvents, les églises, furent pillés et renversés, les sépultures violées, les monuments mis en pièces, et l'église collégiale fut une des premières en France profanée et détruite de fond en comble.

    Une seule, parmi tant d'autres qui s'élevaient avec gloire au-dessus de la cité, une seule resta debout : l'église paroissiale actuelle ; et encore ce ne fut pas sans avoir été dévastée par le vandalisme et l'impiété.

    Pertes irréparables, que l'on ne pourra jamais assez regretter ; car, outre la disparition de ces édifices, qui seraient aujourd'hui remplis de tant de beautés plusieurs fois séculaires, et qui relieraient si bien le présent avec le passé, que de sacrifices n'en a-t-il pas coûté à leurs restaurateurs, pour réparer des ruines amoncelées, et préparer aux générations modernes, des lieux où, en honorant Dieu d'une manière digne de lui, ils expieront des crimes qui ne sont pas les leurs, mais dont ils payent si chèrement la triste solidarité ?

    Mais pendant cette longue tourmente, qu'était devenue l'image de Notre-Dame des Vertus ?

     

    Maintenant qu'elle est encore visible aux yeux de tous, tout le monde sait qu'elle fut préservée.

    Elle le fut même d'une manière exceptionnelle ; car on n'ignore pas que le gouvernement d'alors ne se préoccupait guère des objets du culte que pour les détruire, et, cependant, l'administration du département, qui siégeait à Bar-le-Duc, ordonna, en 1790, non pas sa destruction, mais sa translation dans l'église paroissiale ; tant était grand le respect que l'on avait dans la contrée pour Notre-Dame des Vertus ! Le curé de Ligny, monsieur Brigeat de Lambert, fut même averti officiellement de cette détermination, et, le même jour, il envoya son vicaire, monsieur Masson, chercher le tableau de Notre-Dame.

    Ce fut donc le 22 décembre 1790, que la sainte image entra pour la première fois dans l'église paroissiale, où elle devait, à part quelques vicissitudes temporaires, demeurer définitivement et continuer à consoler et à bénir.

    Malgré les tristes circonstances qui l'avaient amené, c'était un événement des plus heureux ; aussi le curé de la ville, oubliant un moment la douleur que lui causait la destruction de la collégiale, pour ne songer qu'au bonheur qui lui venait du trésor qu'il recevait, célébra le lendemain une messe solennelle d'actions de grâces, à laquelle les autorités furent convoquées. Toute la paroisse se montra en ce jour, ainsi qu'elle s'est montrée chaque fois qu'il s'est agi de sa Bonne Notre-Dame, pieuse et exemplaire ; et, à cette époque d'effervescence, elle fit preuve d'une dévotion si extraordinaire, que ceux qui ont laissé de tous ces faits un récit authentique, ont cru devoir en faire mention.

    Par conséquent, si Notre-Dame des Vertus est venue dans cette église à une époque néfaste, on ne peut pas dire que son intronisation ne fut pas digne d'elle ni de sa gloire passée ; elle fut au contraire reçue en reine ; et du haut du ciel la sainte Vierge dut être heureuse de se voir, en des jours si mauvais, acclamée et entourée d'honneurs inespérés.

    Mais ce n'était pas assez, et ses enfants allaient lui montrer encore plus de dévouement et d'amour.

    C'était le 27 décembre 1793, c'est-à-dire à cette époque où tout le monde tremblait pour sa vie, et où il n'était plus permis de paraître chrétiens ; comme on procédait à l'inventaire de tous les objets du culte renfermés dans l'église, et que l'on était arrivé devant l'autel où se trouvait le tableau de Notre-Dame, tout à coup un homme, G. V., étranger à la ville, mais qui s'était jeté en forcené dans les idées révolutionnaires les plus avancées, lève le bras, et, désignant la sainte image, prononce ces horribles paroles : « Et que fera-t-on de cette...... ?»

    A peine l'a-t-on entendu, qu'à l'instant le peuple qui se trouvait dans l'église, se précipite sur le blasphémateur, le jette littéralement dehors comme une vilenie, et serait allé plus loin encore, si le misérable n'était parvenu à s'évader et à se mettre en lieu sûr.

    Cet homme a vécu jusqu'en 1839, à Lunéville, où il est mort misérablement, après avoir éprouvé souvent, dans sa vie, les plus terribles effets de la colère de Dieu. Qui pourra s'en étonner, quand on se ressouviendra que si Dieu est toujours jaloux des intérêts de sa gloire, il l'est peut-être plus encore de ce qui touche à l'honneur de sa Mère ?

     

    En présence d'une protestation si solennelle et si unanime, Notre-Dame fut donc respectée une seconde fois, et, dans la soirée, deux officiers municipaux enlevèrent la sainte image et la déposèrent à l'hôtel-de-ville, pour la soustraire plus efficacement à tous les outrages possibles.

    Elle y resta jusqu'au mois de juin 1795.

    Cette année, on le sait, par suite de la loi du 30 mai qui permettait l'ouverture des églises, apporta quelque adoucissement aux maux de la France.

    La ville de Ligny voulut en profiter une des premières, et à peine la loi avait-elle été promulguée, qu'une commission déléguée par la majorité des habitants de la cité, se présenta à la municipalité pour demander le libre exercice du culte catholique, et surtout l'image de Notre-Dame des Vertus.

    On doit le dire à sa louange, la municipalité se prêta facilement à tout ce que l'on demandait.

    L'église fut donc ouverte, et le tableau de Notre-Dame rendu avec son encadrement et la grille de fer qui servait à l'enfermer dans la niche du retable de l'autel.

    Mais en attendant qu'on lui eut préparé un lieu convenable et les objets les plus indispensables, on la remit entre les mains d'un nommé Hubert Mulot, qui la transporta chez lui.

    Il la garda pendant trois jours, et l'on ne peut décrire l'enthousiasme populaire qui fit alors de sa demeure le rendez-vous de milliers d'hommes, d'enfants et de femmes, qui se succédaient sans cesse, avides de revoir et de contempler celle qu'ils voulaient conserver toujours.

    Mais cet élan fut bien plus grand encore, quand le vingt-deux juin, M. Laguerre, autrefois vicaire à Ligny, et, depuis la fuite de M. Brigeat de Lambert, administrateur de la paroisse, se mit en devoir delà transporter à l'église.

    Ce jour fut celui d'un véritable triomphe pour la sainte Vierge, et malgré les craintes légitimes que l'on pouvait concevoir, la ville entière s'ébranla, et accompagna dans les rues l'image de Notre-Dame, comme dans les plus beaux jours d'autrefois.

    Elle est restée exposée sur l'autel principal, ajoute le rapport authentique des archives de la paroisse, jusqu'au jour où l'on célébrait sa fête de temps immémorial, c'est-à-dire le cinquième dimanche après Pâques ; et on ne peut dire combien grand fut alors le concours du peuple, tant de cette paroisse que des paroisses voisines, qui est accouru en foule pour célébrer son retour dans cette église, se prosterner à ses pieds et lui rendre le même culte, et en aussi grand nombre que de tout temps.

    Cette fête a été célébrée le 1er mai 1796 (onze mois après l'ouverture de l'église), avec autant de pompe et de majesté que jamais. L'image miraculeuse, après avoir été descendue deux jours auparavant, pour satisfaire la piété du grand nombre des fidèles qui s'y sont trouvés, et sur la tête desquels elle a reposé, a été portée processionnellement eu triomphe après les Vêpres dans l'intérieur de l'église, et a été ensuite remise, à la grande satisfaction des paroissiens et pendant qu'ils chantaient le Te Deum, dans l'embrasement pratiqué au-dessus de l'autel de la chapelle de Saint-Nicolas, qui avait été totalement dégradé, mais que le citoyen Mulot, receveur des quêtes et offrandes de cette paroisse, avait fait rétablir ; et enfin elle fut encadrée et fermée par la grille de fer qui la renfermait avant la dévastation. »

    Personne ne le contestera, ce sont là des faits dignes de la primitive Église ; car les temps étaient aussi difficiles que dans les premiers siècles du christianisme, et la manifestation de leur croyance faisait courir à nos pères les mêmes périls qui mirent si longtemps en danger la vie des premiers chrétiens ; et cependant, pas plus que chez les athlètes des catacombes, la foi des habitants de Ligny ne subit de défaillance.

    Quinze mois plus tard, l'église ayant été de nouveau fermée, à la suite d'un sermon virulent prononcé par M. Laguerre, un pieux notaire craignant des avanies de tous genres qui pouvaient compromettre pour jamais le tableau de Notre-Dame, s'en empara clandestinement et l'emporta dans sa maison, où il la cacha à l'insu même de son épouse.

    Mais quelque temps après, redoutant quelque accident pour son précieux dépôt, il le confia à l'un de ses amis, qui le reçut avec autant de bonheur que de respect, et qui le garda jusqu'à la restauration du culte, en voyant se renouveler pour lui, ce qui était arrivé deux siècles auparavant au pieux laboureur du Bouchon, c'est-à-dire la faveur de nombreuses bénédictions.

     

    CHAPITRE V.

    Notre-Dame des Vertus aux temps présents.

    En lisant, dans les annales de l'église de Ligny, ce qui concerne les temps présents, nous avons éprouvé tout d'abord une surprise bien agréable et bien douce, qui, en réveillant en nous le souvenir d'un nom qui nous est cher entre tous, est venue pour ainsi dire doubler l'attrait que Notre-Dame des Vertus nous inspirait, depuis que nous l'avions connue.

    Nous ne pensions pas qu'à Ligny, c'est-à-dire dans une ville où il n'est jamais peut-être entré durant sa vie, nous trouverions au commencement de ce siècle, l'action, l'âme, la survivance en quelque sorte du fondateur de la Congrégation de Notre-Sauveur, le bienheureux Pierre Fourier de Mattaincourt ? Et cependant, c'était la consolation que nous ménageait la Providence, car le Père Varnerot, premier curé de Ligny après la Révolution française, était l'un de ses enfants.

     

    Ancien prieur du beau monastère de Pont-à-Mousson, que notre bienheureux Père avait lui-même fondé, et qui a été anéanti en 1793 avec la Congrégation tout entière, le Père Varnerot avait d'abord émigré, puis au retour de jours plus sereins, il était revenu en France, et avait été nommé curé de Ligny en 1803. Son apostolat y fut court, il est vrai, car il ne dura que neuf ans ; mais qu'il fut digne de celui qui fut son Père en religion, et quelle belle succession de vertus il nous a léguée, à nous, les derniers venus d'une Congrégation qu'il vit mourir et que nous voyons renaître ! Il était instruit, bon, affable, très-zélé, nous disent les registres que nous avons sous les yeux ; mais surtout il se faisait tout à tous, imitant parfaitement en cela le bon Père de Mattaincourt dont la devise si connue était : Etre utile à tous et ne nuire à personne. Aussi, quoiqu'il eut en partage le ministère le plus difficile et le plus pénible, puisqu'il n'avait devant lui que des ruines, se montra-t-il à la hauteur de sa tâche et fit-il tout ce qui était possible alors.

    Ce ne fut pas lui cependant qui donna à la chapelle de Notre-Dame des Vertus la beauté et l'éclat dont elle est entourée aujourd'hui ; il y avait tant à faire dans l'église, qu'il dût laisser la sainte image dans l'état où une restauration précipitée l'avait placée en 1796. Mais la sainte Vierge, que la Congrégation de Notre-Sauveur a toujours regardée comme sa patronne spéciale, ne fut pas oubliée par lui ; car son premier soin, dès son arrivée, fut de rétablir la Congrégation des demoiselles, avec les mêmes règles qu'Innocent XII lui avait données primitivement par un bref spécial en 1700. Personne ne pourra en être surpris, puisque le bienheureux Pierre Fourier fut le plus ardent propagateur de ces pieuses institutions, et que les religieuses de Notre-Dame, ses filles, en ont toujours été, avant le XIXe siècle, l'âme et les apôtres zélées dans les villes où elles existaient. C'est ce qui explique pourquoi, autrefois, les congréganistes de Ligny avaient leur chapelle particulière bâtie à côté du couvent des religieuses de Notre-Dame ; mais surtout c'est ce qui démontre pourquoi, partout où ces œuvres pieuses existent dans nos contrées, le bon Père de Mattaincourt devrait être plus connu et plus aimé.

     

    Après qu'il eût ainsi travaillé avec un zèle persévérant à l'accroissement de la religion et de la piété, sa dernière heure arriva, et sa mort fut une preuve de plus qu'il était un ami de Dieu, un prédestiné. Car il eut la gloire de mourir victime de son dévouement et d'être frappé du coup mortel au milieu de circonstances absolument semblables à celles qui enlevèrent de ce monde, au XVII° siècle, le premier général de la Congrégation de Notre-Sauveur, le T. R. P. Guinet. Un jour, en 1814, alors que le typhus faisait de nombreuses victimes dans la ville de Ligny, il est appelé auprès d'un mourant qui se débattait dans d'effroyables tortures ; il y court. Mais en donnant généreusement les soins de son ministère, il reçoit près du moribond les premières atteintes du mal, qui, au bout de cinq jours, le ravit à l'amour de ses paroissiens.

     

    Cette mort de martyr de la charité, jointe aux qualités qui le rendirent cher à tous, lui valut des regrets universels. On l'enterra sous le portail de l'église, et sur là pierre tombale on lit encore ces mots : Cy git Nicolas Varnerol, curé de Ligny, installé le 22 mars 1803 ; il mourut le 7 janvier 1814, à l'âge de 66 ans, victime de son zèle dans une maladie contagieuse.

    Cette mort fut une bénédiction ; car, depuis lors, il est remarquable que la paroisse de Ligny eût à sa tête, les prêtres les plus recommandables du diocèse de Verdun. Pour ne parler que de ceux qui ne sont plus de ce monde, qu'on se souvienne un moment de MM. Varin , Leblanc, Marotte, dont le souvenir est toujours vivant et précieux pour ceux qui les ont connus.

    Monsieur Varin, succéda immédiatement an Père Varnerot, le 4 juin 1814 ; et c'est à lui que Notre-Dame des Vertus doit en grande partie l'éclat qui entoure son autel. Dès l'année qui suivit son installation, il commença la restauration de la chapelle, aidé puissamment par les dons généreux des demoiselles Thiéri de La Cour, et il se réjouissait déjà du jour peu éloigné où les travaux allaient être terminés, quand, en 1826, deux mois avant leur achèvement, il fut appelé à Verdun eu qualité de vicaire général.

    Mais si M. Leblanc, son successeur, vint moissonner ce qu'il n'avait point semé, qu'il était digne de recueillir des fruits de cette nature, et qu'il sut bien les conserver et les multiplier ! M. Leblanc, en effet, était un saint. Bon, zélé, rempli de l'Esprit de Dieu, il était pour son devoir d'une exactitude rigide ; mais surtout il était d'une charité inépuisable, donnant tout ce qu'il avait et ne se réservant rien. Aussi chaque jour, nous a dit l'un de ses anciens vicaires, M. l'abbé Grand-Clair, on le voyait à l'heure de midi parcourir les rues de la ville pour visiter ses malades, et revenir ensuite à heure fixe dans son église, où il se tenait constamment en prières, près de son confessionnal, attendant patiemment ses paroissiens pour le salut desquels il a dépensé son âme, ses richesses et sa vie.

     

    Où a-t-il puisé ces inspirations si pures du zèle apostolique et sacerdotal ? Qu'on nous le laisse dire ici avec bonheur, puisque nous avons eu tant de joie à le constater ; ce fût encore près du bienheureux Pierre Fourier, dont il voulut sans doute copier la vie, après l'avoir méditée à Gondrecourt, près des religieuses de Notre-Dame qu'il dirigea au commencement de son sacerdoce, avant la Révolution. De là, son zèle pour l'avancement de la gloire de Notre-Dame des Vertus, et pour la conservation de son culte traditionnel ; de là aussi le retour dont le paya cette divine Mère, en manifestant sa puissance, l'année même qui suivit son arrivée dans la paroisse, par un miracle éclatant : la guérison de mademoiselle Jeanne Garnier.

    Depuis la mort du vénéré M. Leblanc, arrivée le 5 mai 1843, Notre-Dame des Vertus a vu deux curés se succéder et travailler ardemment à sa gloire. Si M. Gallet et M. Antoine ne vivaient plus, nous nous plairions certainement à faire le récit de leurs œuvres, et, nous devons le dire, la gloire de la sainte Vierge en recevrait un nouvel éclat ; mais la louange de ceux qui vivent entre si peu dans l'esprit chrétien, que nous préférons garder le silence, en nous persuadant que Notre-Dame les bénira d'autant plus, que la parole humaine les aura moins félicités.

     

    Depuis 1833, la chapelle et l'autel de la sainte image n'ont presque pas changé, et se trouvent toujours tels que M. Varin les a faits, et que Monseigneur d'Arbou les a bénit.

    En terminant cette notice, il ne nous reste plus qu'à formuler un vœu qui nous a été inspiré par la lecture d'une page écrite sur Notre-Dame des Vertus, dans les Chroniques Lorraines ; il y est dit :

    « Une fête est établie en son honneur, et se célèbre le cinquième dimanche après Pâques avec grand concours des populations voisines. Elle se termine religieusement par une procession qui promène la sainte image dans tous les quartiers de la ville ; commercialement par une foire où se débitent mille objets de diverse nature ; gastronomiquement par des repas dans lesquels les bourgeois de la ville traitent leurs parents et amis du dehors, et mondainement par des bals champêtres. »

    Nous ne nous appesantirons pas sur la forme un peu leste de cette nomenclature ; car si la façon de dire est légère, nous savons que ce n'est là que l'expression véridique des choses. Mais nous ne pouvons nous empêcher de louer ce qui est digne de louange, et de blâmer ce qui est digne de blâme.

    Dans cette fête il y a plus qu'une procession, dans laquelle Notre-Dame des Vertus est portée en triomphe par les rues de la ville ; car l'heure où Notre-Dame est le plus honorée, c'est peut-être celle du vendredi précédent, à laquelle on l'expose aux yeux des pèlerins ; alors la cité plus tranquille, plus à elle-même, peut manifester plus librement et manifeste en effet avec plus de piété sa dévotion envers sa protectrice séculaire. C'est le jour des communions, et l'ouverture d'une série de fêtes qui finissent par la procession solennelle.

     

    Une cérémonie bien touchante encore, c'est, quand le dimanche, avant que la sainte image ne sorte de l'église, plusieurs milliers de pèlerins passent sous le tableau de Notre-Dame, que supportent deux prêtres. Pieux usage qui doit réveiller chez plusieurs une foi trop endormie pendant qu'il fortifie chez les autres une confiance bien méritée.

    Mais pourquoi faut-il que l'esprit du monde vienne gâter ce qu'il y a de plus pur et de plus saint ? Pourquoi dans une cité où le culte de Notre-Dame est resté si longtemps sans mélange, voit-on les plaisirs mondains, les divertissements défendus, se mêler aux témoignages de la piété la plus dévouée ? Que le commerce cherche et trouve en ce jour son profit, on le conçoit ; que les liens des familles et de l'amitié se resserrent à cette occasion, rien de plus légitime et de plus chrétien ; qu'il y ait même des réjouissances que ni l'Église, ni la morale ne réprouvent, rien de plus avouable ; mais ce que l'on ne concevra jamais, ce que l'Église désavouera toujours, ce sont ces empiétements des mondains dans nos fêtes catholiques, et ces altérations qu'ils font subir, partout où ils se retrouvent, aux choses qui devraient respirer uniquement l'esprit de Dieu. Aussi ne pourrait-on pas s'étonner à juste titre, qu'une ville qui a su, au dernier siècle, protester avec tant d'énergie contre les envahissements redoutables de l'impiété, ne proteste pas davantage, pour les exclure à jamais, contre les envahissements, non moins redoutables, de l'esprit et des divertissements du monde ? sans cette protestation publique, il est impossible que les efforts du clergé soient efficaces.

     

    Espérons cependant que ces désordres disparaîtront bientôt, et que, dans peu, la fêle de Notre-Dame des Vertus sera pure de tout alliage étranger et malfaisant.

    Tel est le vœu que nous avions à formuler; qu'on nous permette d'y ajouter celui de voir cet opuscule bien reçu par les pèlerins de Notre-Dame des Vertus ; et si, en le lisant, ils y trouvent une édification pour leur âme et un encouragement pour leur piété, qu'ils veuillent bien demander pour nous, quelques unes des bénédictions de la sainte Vierge dont nous avons si besoin, et que nous avons voulu mériter quelque peu par ce travail.

     

    MIRACLES OPÉRÉS ET FAVEURS SPÉCIALES OBTENUES PAR L'INTERCESSION DE NOTRE-DAME DES VERTUS

     

    Nous devons dire, avant de commencer le récit des principaux miracles opérés par Notre-Dame des Vertus, qu'ils n'ont pas reçu l'approbation de l'autorité ecclésiastique, mais aussi qu'ils n'y ont pas encore été soumis. On va les lire dans le style même de leur première rédaction, sauf quelques corrections accidentelles et sans importance.

    1° En cette ville de Liney (Ligny), l'an 1462 , au mois de juillet, Jeannotte, femme de Jehan Héraut, détenue de grande maladie et étant en grand péril de mort, réclama dévotement à son aide ladite Notre-Dame des Vertus, en la faisant saluer d'un Salve Regina par les chanoines de l'église (la collégiale), et par les mérites de la Vierge, a reçu allégement de sa maladie, de ses bras et jambes dont elle était percluse, et finalement recouvra pleine et entière santé.

     

    2° En cette ville de Liney (Ligny), la femme d'un pauvre homme nommé Jehan de Joye, travaillant d'enfant et étant en péril de mort, incontinent qu'elle eût réclamé dévotement en aide Notre-Dame des Vertus, fut délivrée.

    3° A Resson, en l'an 1467, la femme de Vincent Aubry travaillant longuement d'enfant, réclama en aide ladite Notre-Dame et promit de la visiter ; et aussitôt les promesses faites, fut heureusement délivrée.

    4° A Resson, en l'an 1468, Didotte, fille d'un nommé Collot, fut tellement tenue et oppressée par un mal qu'elle avait environ le cou, que chacun la jugeait à mourir. Sa mère la voyant en cet état, a réclamé humblement et dévotement ladite Notre-Dame, en promettant d'amener sa fille en cette église, si de mort elle pouvait échapper. Et aussitôt qu'elle eût fait sa promesse, sa fille recouvra la santé, et depuis toutes deux se vinrent acquitter de leurs promesses, affirmant tout être vrai.

    5° A Commercy, Robert, fils de Monsieur de Commercy, l'an 1468, âgé d'environ un an et demi, était si très-fort malade, qu'on faisait doute de sa mort. Madame sa mère promit sur l'heure, par grande dévotion, le voyage à ladite Notre-Dame, et de la venir visiter en cette église, en lui recommandant son fils. Incontinent après les promesses, en faisant son pèlerinage et qu'elle pouvait être à demi-lieue de Commercy, on envoya après elle, signifier que son enfant se portait trop mieux, dont elle fut moult joyeuse ; et depuis, amena son enfant en cette église, remerciant Dieu et la sainte Vierge.

    6° De Nantois (le manuscrit porte : de la ville de Nantois), au comté de Ligny, le dimanche, quatrième jour de juillet 1473, fut apporté un enfant mort-né en cette église, et présenté devant Notre-Dame, lequel après prières, requêtes et autres dévotions faites, commence à remuer, cueillant des couleurs, ouvrant les yeux, tirant à lui ses bras. Le peuple qui là en grand nombre était, voyant ces signes de vie, requit le baptême, et le baptisa messire Henry Tisselin, vicaire en ladite église, et le représentant tout vif devant Notre-Dame, en remerciant Dieu, chanta hautement Te Deum laudamus.

    7° De cette ville de Liney, le 24 novembre 1473 environ minuit, fut présenté devant Notre-Dame un enfant mort-né, lequel après prières faites, pour lors noir et froid, recueillit chaleur et couleur vermeille et autres signes de vie. Ce pourquoi il fut baptisé, et le baptisa messire Didier Gérard qui était vicaire de céant.

    8° Le dimanche, 17 juillet 1474, à l'heure des matines, fut apporté un autre enfant mort-né, de cette ville de Liney, et présenté à Notre-Dame. Et aussitôt furent démontrés en lui plusieurs signes de vie, d'ouvrir les yeux, tirer les bras et autres. ; messire Henry Tisselin le baptisa en présence de plusieurs personnes. Après lequel baptême, il fut rapporté tout vivant et présenté sur l'autel Notre-Dame, en louant Dieu et en chantant : Te Deum laudamus.

     

    9° Le samedi, 10 septembre 1474, à l'entrée de la nuit, fut apporté un autre enfant mort-né de Liney en cette église, et présenté à Notre-Dame comme dessus ; auquel, pendant que les gens d'église et le peuple faisaient leurs dévotions, apparurent signes de vie semblables comme en l'article précédent ; et fut ledit enfant baptisé par messire Jehan Biaise, chapelain en cette église, en présence de gens sans nombre.

    10° De la ville de Marson, le mercredi 6 octobre 1474, fut pareillement apporté et présenté à ladite Notre-Dame un enfant mort-né, qui comme dessus, après les signes de vie qui en lui apparurent, fut baptisé, et fut vivant après le baptême l'espace d'une heure.

    11° A Nant-le-Grand, au comté de Liney, le neuvième d'octobre, 1474, fut un enfant mort-né, lequel fut porté en plusieurs lieux de dévotion, comme à Notre-Dame-de-Nauroy, Notre-Dame-de-l'Epine (probablement Notre-Dame-de-l'Epine au village du Bouchon), pour le recouvrement de sa vie, et fut indiscrètement chauffé et brûlé en plusieurs parties de son corps. Ceux qui le portaient voyant qu'il ne profitait en rien, fut par eux apporté et présenté en cette église, et, pendant que les gens d'église, avec le peuple, saluaient et priaient Notre-Dame, l'enfant donna signes de vie, suant, remuant. Il fut baptisé par messire Simon, vicaire, en présence de plusieurs assistants.

     

    12° De Petit-Nançois, du comté de Liney, le jour de la Toussaint, environ 9 heures du soir, 1474, fut présenté devant Notre-Dame un autre enfant mort né, lequel pareillement, après prières et dévotions faites, fut trouvé avoir signes de vie, et fut baptisé en présence de plusieurs par messire Henry Tisselin.

    13° En cette ville de Liney, en la rue de Givrauval, la nuit de saint Clément, 1474, environ minuit, naquit un enfant avant le temps, lequel par défaut d'être secouru devint tout roide et noir et comme mort. En cet état, il fut apporté en cette église, et présenté dévotement devant Notre-Dame, et donna signes de vie.

    14° De Boviolles, du comté de Liney, le 24 février 1474, environ neuf heures du matin, fut apporté un enfant mort-né et présenté à Notre-Dame, lequel sitôt qu'il fut mis sur l'autel commença à se mouvoir, et en lui apparurent plusieurs signes de vie, en présence de plusieurs gens d'église et de femmes en grand nombre, et fut jugé avoir vie et fut baptisé par messire Henry Tisselin ; et depuis le baptissement, l'enfant tut vivant par l'espace d'une grosse heure.

     

    15° Vendredi, troisième jour de mars, 1474, environ à l'heure de matines, un enfant mort-né de cette ville de Liney, de la rue de Velaine, fut apporté et présenté devant ladite image de Notre-Dame, lequel en le chauffant en présence de plusieurs hommes et femmes, se commença à mouvoir ; et autres signes de vie apparurent. Ce pourquoi il fut baptisé par messire Jehan Blaise, chapelain en cette église.

    16° De même de Liney, le mercredi, 5 d'avril, l'an 1475, un enfant mort-né de Pierre le Bon, fut présenté à Notre-Dame comme dessus, et finalement après dévotions et salutations faites, tant par ceux de l'église comme par autres, ledit enfant commença à changer de couleur et ses veines de battre, et plusieurs autres signes de vie. Lesquels virent MM. Pierre Dupont, Nicol Vaudrin, Jehan Villequot et plusieurs femmes, et fut baptisé par ledit maître Jehan Villequot, et depuis le baptême fut vivant par l'espace d'une heure et demie, comme le dit et témoigne M. le doyen de cette présente église.

    17° De Revigny, le mercredi second jour d'août, 1475, à l'entrée de la nuit, fut apporté en cette église un enfant mort-né de Nicolas Taillarde, et présenté à Notre-Dame, auquel enfant, tandis que dévotions et prières se faisaient, furent vus semblables signes de vie comme en l'article précédent, et fut baptisé par ledit messire Henry Tisselin, et après le baptissement fui longuement vivant, auquel miracle étaient présentes plus de cent personnes, et entre autres le curé de Revigny.

     

    18° Le dimanche troisième jour de septembre, l'an que dessus 1415,fut apporté et présentée Notre-Dame, un enfant mort-né de Pierre le Papetier, bourgeois de Liney, lequel après dévotes prières pour lui faites, et qu'il fut réchauffé et mis sur l'autel devant ladite Vierge, commença à changer et à donner signes de vie. Il fut baptisé par messire Henry Tisselin, et depuis fut vivant par l'espace d'une grosse heure, en présence de plusieurs appelés pour plus grand témoignage dudit miracle.

    19" De Tréveray au comté de Liney, le jeudi en suivant, veille de la Nativité de Notre-Dame, l'an que dessus, fut apporté et présenté à la sainte Notre-Dame un autre enfant mort-né, auquel après dévotions et suffrages faits pour lui, furent vus les semblables signes de vie, comme en l'article précédent, et fut baptisé par messire Gengoult, chanoine de cette église, en présence de messire Jehan Blaise, Didier de Festu, et de plusieurs hommes et femmes en grand nombre, témoins dudit miracle.

    20° De Nant-le-Grand, au comté de Liney, un autre enfant mort-né de Henry Daulnois fut apporté en cette église, la veille de saint Michel, l'an que dessus 1475, environ une heure après minuit, et présenté à Notre-Dame, lequel après prières et dévotions pour lui faites, et tous devoirs faits par la Baile (sage-femme), et autres femmes qui ne cessèrent toute la Duit jusqu'à primes de le chauffer, ne revint point à vie. Or donc, le père tout déconforté reprit son enfant, et avant que de partir de l'église se mit à genoux, et en pleurant requit la sainte Vierge Marie, qu'elle voulut aider son enfant, promettant de faire dire une messe en l'honneur d'Elle. Les prières et dévotions faites, en mettant ledit enfant dedans une hotte, ladite femme vit l'enfant changer en recueillant couleurs et a dit que l'enfant avait vie. Pour lors était en cette ville et entendant la messe en cette église, monseigneur le comte Saulme, ainsi que Jehan de Sampigny, noble homme, et Haot de Liney écuyer, qui furent voir ledit enfant et le jugeant, aux signes qu'ils virent, avoir vie, il fut baptisé par messire Henry Tisselin. Le tinrent sur les saints fonts, ledit seigneur comte, et Jehan de Sampigny ; auquel miracle étaient M. Jehan de la Guerre, M. Pierre le Verd, et autres en grand nombre.

    21° De Longeville, le vendredi vingt-troisième jour d'avril, 1479, fut présenté en cette église un enfant mort-né de Aubert Lagraffaud, et présenté à ladite image de Notre-Dame, auquel enfant, tandis que dévotions et prières se faisaient, furent vus grands signes de vie, et fut baptisé par messire Henry Tisselin ; et après le baptissement fut longuement vivant. Auquel miracle étaient présents, noble homme Jehan de Bussinot, M. Jehan Savoy, M. Didier de Festu, M. Jacques Berthier, et autres en grand nombre.

    22° A Ligny, le 21 mai 1824, eut lieu la guérison miraculeuse de mademoiselle Jeanne Garnier. Cette demoiselle avait été atteinte, le 18 janvier 1824, d'une maladie cruelle, qui, dès le premier moment jusqu'au jour de sa guérison, c'est-à-dire pendant quatre mois, l'avait retenue sur son lit de douleur. Durant tout ce temps elle perdit complètement l'usage de ses jambes, et souffrait horriblement dans toutes les parties de son corps, sans que ni les remèdes ni les soins que lui prodiguait son médecin, M. Pierron, lui procurassent le moindre soulagement. L'art semblait donc en défaut et impuissant, quand cette pieuse demoiselle songea à réclamer la protection de Notre-Dame des Vertus, et fit faire devant la sainte image, par une jeune fille âgée de douze ans, nommée Stéphanie Lintz, une neuvaine qui devait se terminer le 22 mai, veille de la fête de Notre-Dame. Pendant les premiers jours de la neuvaine, la Sainte Vierge parut vouloir éprouver sa patience et sa confiance, car elle ne sentit aucun adoucissement à ses douleurs. Mais quelle ne fut pas sa joie, quand, le vendredi 21, vers les deux heures de l'après-midi, au moment où le clergé de la paroisse, selon l'antique usage, descendait la sainte image, elle se sentit tout à coup délivrée de ses souffrances, libre de tous ses membres et particulièrement de ses jambes, au point qu'elle eut pu se lever seule sur-le-champ ! Cependant, par prudence, elle attendit le retour des deux personnes qui la levaient ordinairement, et, aussitôt, elle leur annonça que si elles venaient de l'église, elle espérait y aller à son tour le lendemain. Elle sortit de son lit en même temps, assistée de ces deux personnes ; mais, sentant qu'elle n'avait aucun besoin de leur secours, elle marcha dans la chambre et sortit même devant la porte. Elle reçut à la même heure la visite de son médecin et celle de M. le curé, qui lui témoignèrent l'un et l'autre leur extrême surprise et leur grande satisfaction. Le dimanche 23, jour de la fête, elle suivit sans aucun aide, en marchant très-librement, les deux tiers de la procession, et continua depuis ce temps de jouir de l'usage de tous ses membres et de la meilleure santé. Le médecin a certifié luimême que cette guérison était au-dessus des lois de la nature.

    23° En l'année 18.., Mme de Vesins, fille du maréchal Oudinot, de la ville de Bar-le-Duc, vint de Bar à pied en pèlerinage, prier Notre-Dame des Vertus, afin d'obtenir une heureuse délivrance de l'enfant qu'elle portait. Elle fut en effet délivrée heureusement, mais l'enfant qu'elle mit au monde paraissait très-malade et sur le point de mourir, ce qui fit dire par le médecin à la mère, qu'elle ferait bien de le faire baptiser au plus tôt. Madame de Vesins s'enferme alors dans les rideaux de son lit, et prie avec ferveur Notre-Dame : elle lui promet que si son enfant vit elle lui offrira un cœur en argent. Le vicaire de la paroisse, que l'on avait envoyé chercher pour baptiser l'enfant, arrive ; il fait demander s'il peut entrer ; le médecin va voir l'enfant, et trouvant en lui un changement extraordinaire, il dit à Madame de Vesins : « Madame, il n'est plus besoin de baptiser votre enfant, il est maintenant en parfaite santé. » Mme de Vesins, M. de Vesins, son mari, Mme la maréchale Oudinot, M. le général Oudinot, M. le colonel Oudinot, sont venus accomplir la promesse faite, et le cœur offert par Mme de Vesins est suspendu dans la chapelle près de la sainte image. Il renferme un écrit signé de sa main, qui atteste la vérité du fait.

     

    PRIÈRES DIVERSES EN L'HONNEUR DE NOTRE-DAME DES VERTUS.

    Offrande de soi-même à Notre-Dame des Vertus.

    Sainte Marie, vierge très-pure, fille du Père, mère du Fils, épouse, du Saint-Esprit ; refuge des âmes pécheresses, bien que je sois indigne de me présenter à vous, attiré néanmoins par la merveille des grâces que Dieu a opérées en vous et par l'ardeur de vos admirables vertus ; poussé du désir d'être particulièrement à votre service, je vous choisis aujourd'hui pour ma souveraine,

    (I) Ces prières ont été approuvées le 20 mai 1768 par Monseigneur Claude Drouas . évêque de Toul.

     

    je vous offre et vous consacre, après Dieu, mon âme et les mouvements de mon corps ; l'usage, les puissances et les actions de l'un et de l'autre ; je me jette dès à présent dans les bras de votre bonté maternelle, vous suppliant de vouloir bien conduire et gouverner tout le corps et tous les états de ma vie, conformément à votre volonté et à celle de votre fils, empêchant, par le pouvoir que vous avez auprès de lui, que je ne succombe aux attaques de mes ennemis jurés : le démon, la chair et le monde, et qu'ils ne triomphent de ma faiblesse. Je fais un ferme propos de vous invoquer tous les jours de ma vie, de vous prendre pour la règle de mes actions et le modèle de ma conduite ; de recourir à vous en toutes mes nécessités ; d'être zélé pour votre gloire et de me dévouer entièrement à votre service. Recevez-moi donc dès maintenant pour être à jamais à vous ; réconciliez-moi et me conservez à votre fils ; obtenez-moi les grâces nécessaires pour résister aux tentations ; assistez-moi dans les occasions où je pourrai être de pécher ; surtout ne m'abandonnez point à l'heure de ma mort. Ainsi soit-il.

    Vierge sainte et tout admirable, ne me rejetez point de votre présence ; ne détournez point l'œil de dessus moi, afin que je ne m'écarte point de votre fils, qui est mon unique fin et le seul objet de mes désirs. Ainsi soit-il.

     

     

    ASPIRATIONS A NOTRE-DAME DES VERTUS.

    1° 0 très-sainte Vierge, que tout le monde vous nomme Rejeton de Jessé, Tour de David, Porte du ciel, Maison de sagesse ; pour moi, je veux vous appeler avec l'ange, Pleine de grâce et Demeure du Seigneur. Rendez-moi agréable à votre Fils, afin que je lui chante tous les jours de nouveaux cantiques de louanges, avec une nouvelle ferveur d'esprit.

    2° 0 Vierge incomparable, qui pourra raconter la surabondance de vos grâces ! Les autres saintes ressemblent aux rivières et vous à la mer ; je vous remercie, ô très-sainte Trinité, de la plénitude des grâces dont vous avez, pour ainsi dire, inondé ce champ virginal, pour le rendre fécond ; je vous supplie, par ses mérites, de m'en donner quelque petite portion, afin que mon âme en demeure remplie selon sa capacité. 0 mère de miséricorde, faites couler dans mon sein quelque ruisseau de cette surabondance de grâces, afin que le vide de mon cœur en demeure rempli, et que par là mes œuvres soient pleines et parfaites de Dieu.

    3° 0 sainte Vierge, je me réjouis de ce que vous avez trouvé grâce devant Dieu, et de ce que vous avez gagné son cœur. Que si la reine Esther, pour avoir été la favorite d'Assuérus, fut cause que le peuple hébreu reçut de ce prince toutes sortes de faveurs et de protection, je m'assure que si vous daignez intercéder pour moi auprès du Monarque céleste, dont vous êtes regardée avec tant d'amour, nous trouverons grâce à ses yeux ; et par le moyen de cette même grâce, nous obtiendrons la vie éternelle, qui en est la consommation.

    4° Sainte Vierge, par vos unions secrètes, liez-nous étroitement à votre Fils ; divin Jésus, communiquez-nous quelque chose de cet amour inexplicable que vous eûtes pour votre auguste Mère et qu'elle ressentit pour vous : mettez mon cœur entre le sien et le vôtre, afin qu'il y soit serre par tout l'effort de votre tendresse réciproque , et qu'il ne puisse plus être enlevé par les créatures.

    5° Sainte Vierge, parfait modèle de toutes les vertus, enseignez-moi à pratiquer celles que vous avez exercées plus particulièrement, afin que, par elles, je me rende agréable à votre Fils, et que je sois trouvé digne de lui appartenir comme votre fils et son cohéritier dans la gloire.

     

    6° 0 sainte Vierge, obtenez-nous la ferveur et la grâce de bien user de toutes celles que Dieu nous communiquera, d'y coopérer fidèlement, de nous avancer généreusement en esprit, de l'honorer dans toutes nos démarches, tant intérieures qu'extérieures, en accomplissant tous les devoirs auxquels notre condition nous oblige, tant envers les hommes qu'envers nous-mêmes, et nous soumettant entièrement à sa divine providence.

    7° 0 Vierge admirable, donnez-nous au Père par assujettissement à sa grandeur ; donnez-nous au Fils, par reconnaissance de ses miséricordes ; donnez-nous au Saint-Esprit, par l'amour et par l'union de sa bonté, et par quelque participation à sa divine sainteté.

    8° 0 sainte Vierge ! que je serais heureux, si toutes les actions de ma vie étaient dédiées à Dieu comme ont été les vôtres. Mais cela n'étant pas, il ne me reste qu'un désir, ô Vierge sacrée ' qui est de vous prier de m'obtenir cette faveur ; que dès à présent je suive le bon plaisir de Dieu, et que je dégage mon affection de tout ce qui n'est point lui, afin de l'aimer de toutes mes forces et de tout mon cœur à jamais.


    PRIÈRE POUR LA CONVERSION DES PÉCHEURS.

    0 Vierge immaculée ! refuge du pécheur après son crime ! consolatrice de tous ceux dont la peine a flétri le cœur ! O Marie ! mon espérance, mes délices, toute ma vie ! écoutez la prière du plus humble de vos enfants ! daignez obtenir de Dieu, par la puissance de votre intercession, pour mes parents, pour mes amis, pour les personnes qui me sont chères, pour toute la paroisse, pour les pécheurs de tous les pays, un retour sincère à la foi catholique, la pratique fidèle des préceptes de la religion, un repentir véritable des fautes qu'ils ont pu commettre, un ferme propos de les éviter désormais. 0 Marie, ne permettez pas que périsse une seule des âmes que Jésus-Christ, votre adorable Fils, a rachetées au prix de son sang précieux ! Vierge sans tache ! que toutes les brebis, jusqu'à présent égarées, rentrent dociles au bercail du père de famille, que désormais il n'existe plus qu'un seul pasteur, qu'un unique troupeau ! Ainsi soit-il.


    Oraison à Notre-Dame des Vertus, pour obtenir, pars son intercession, un bon conseil

    0 bienheureuse Vierge Marie, digne Mère de Dieu et fidèle dispensatrice de toutes les grâces qu'il veut nous distribuer en cette vie ! Je vous supplie, par les mamelles sacrées dont vous avez allaité votre cher fils notre Sauveur Jésus-Christ, de m'obtenir de votre divin époux, le Saint Esprit, une lumière céleste et un bon conseil pour connaître ce que je dois faire et comme je me dois conduire en telle circonstance, pour la plus grande gloire de Dieu et pour l'avancement de mon salut. J'espère, ô sainte Vierge, recevoir par votre intercession, cette faveur du ciel ; car, après Dieu, j'ai mis toute ma confiance en vous. Et de crainte que mes péchés n'empêchent l'effet de ma prière, je les déteste autant que je puis, parce qu'ils déplaisent infiniment à votre cher Fils, et je me repens de tout mon cœur, pour l'amour de lui, de les avoir commis, me proposant, moyennant sa sainte grâce de ne plus l'offenser à l'avenir, ou si j'avais le malheur de commettre quelque faute grève, de m'en confesser au plus tôt.

     

    Oraison qui se récitait à la sainte messe et à toutes les heures de l'office de Notre-Dame des Vertus  

    Seigneur Jésus-Christ, qui avez voulu faire briller à nos yeux, dans la personne de votre sainte Mère, le plus parfait modelé de toutes les vertus ; accordez-nous, par le secours de votre grâce, qu'en nous efforçant de l'imiter, nous méritions de jouir de son intercession, ô vous qui, étant Dieu, vivez et régnez avec le Père et le Saint-Esprit par tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

    Source : Livre "Notre-Dame des Vertus à Ligny en Barrois (Meuse)" par Jean-Baptiste Chevreux

     

    En savoir plus :

    http://lalumierededieu.eklablog.com/ligny-en-barrois-eglise-notre-dame-des-vertus-p1051908