• Les dévotions des églises du Nord : Seclin

     
     

     

    Les dévotions des églises du Nord

    Seclin

     

    Les dévotions des églises du Nord : Seclin

     

    Saint Piat

    Le martyrologe flamand fait remonter Seclin (Sacellum, Sacellin) à une haute antiquité. C'est dans ce lieu, nous dit-il, que, vers l'an 299, saint Piat, premier évêque de Tournai, vint mourir, après avoir souffert le martyre dans sa ville épiscopale.

    Ce fait suppose, dès-lors, l'existence de Seclin ou du moins qu'il a dû prendre son nom de cet évènement. Ainsi, pour le peu qu'il eût à cette époque deux ou trois siècles d'âge, il serait plus ancien ou aussi ancien que le christianisme, et compterait, par conséquent, dix-neuf siècles !.. belle et noble antiquité ! ... Comme ce saint jouit d'une grande vénération en Flandre, nous en rapporterons littéralement l'histoire naïve telle que Gazet nous la donne :  

    « Sous l'empire de Dioclétien et Maximien, saint Piat fut pris par les soldats de ces tyrans, lesquels étant assurés qu'il était auteur de la conversion de plusieurs ; premièrement, ils lui poussèrent rudement des clous entre les ongles et la chair, et ne le pouvant faire divertir de la foi par tels supplices, il y eut un méchant qui le frappa de son épée et lui trancha le sommet de la tête, et aussitôt les meurtriers l'ayant laissé pour mort, ils se retirèrent ; et voilà une lumière qui environne le corps du saint homme, et une croix du ciel fut vue, dont le saint homme étant consolé et renforcé recueillit le sommet de sa tête, qui avait lesté couppé et se retira au village d'Egremont, et delà, au grand étonnement des habitants, il fut mené en un endroit bocageux du pays-mélantois, qui s'appelait lors Sacellin, et depuis Seclin, qui est à présent un bourg fort fameux, là où le saint homme rendit son âme à Dieu, près d'une fontaine qui donne encore guérison aux malades.

    Et en ce lieu fut premièrement bâtie une chapelle en l'honneur du saint par les chrétiens qui furent convertis au nombre de cinq mille, par les miracles advenus à sa mort. »

    En 659, saint Éloi, qui inspira au fameux roi Dagobert le goût des fondations, ayant abattu la chapelle originaire de Seclin, éleva à sa place une église beaucoup plus spacieuse, afin d'y contenir cette multitude de pieux personnages qui accouraient de toutes parts en pèlerinage prier sur le tombeau de saint Piat et boire de cette eau miraculeuse qui rendait la santé aux malades.

    Sous le chœur de cette église existe encore aujourd'hui un caveau , au centre duquel on voit un antique sarcophage en pierre bleue, long de 9 pieds sur 4 1/4 de large, sur lequel est grossièrement représentée en creux l'image de saint Piat.  le martyr tient entre les mains le sommet de sa tête ; il est revêtu de ses habits pontificaux et, par un anachronisme ordinaire aux artistes de ces temps de barbarie, il porte la chaussure en usage à l'époque où le tumulaire fut exécuté. Malheureusement ce monument, sans millésime, n'a pas la moindre inscription et l'on n'a rien de précis sur son origine On voit seulement au facies qu'il est très ancien : jusqu'à preuve du contraire, nous pensons qu'il peut dater de saint Éloi qui recueillit les cendres du martyr et les déposa dans ce caveau. Une aussi grande ancienneté se concevra, si l'on songe que cette pierre tumulaire, par sa position, est en partie préservée des ravages du temps, et que, dérobée en quelque sorte aux regards des profanes, elle a dû échapper à la fureur des Iconoclastes et des hommes plus terribles encore que le vieux Saturne, qui mériterait, comme dit Kératry, plutôt le titre de conservateur, si l'on devait prononcer entre la rage destructive des humains et la sienne. Ce monument vénérable et précieux au christianisme et à l'antiquaire est, nous osons l'affirmer, l'un des plus vieux de ce genre que nous possédions en Flandre, et, sauf accident, il peut encore traverser bien des siècles. 

     

    Depuis le ralentissement des pèlerinages , il est presque tombé dans l'oubli, à peine le connait-on aujourd'hui : nous ne saurions trop engager les curieux d'aller voir cette pierre élevée à la mémoire d'un des premiers apôtres de la Flandre. A son aspect, on éprouve un certain sentiment de tristesse religieuse qui plaît au poète et à l'historien sensible. Elle est placée sur un prisme rectangulaire en maçonnerie : ce prisme a été jadis ouvert pour en enlever les saintes reliques, et probablement les objets précieux qui y avaient été déposés par la ferveur et la piété de nos prédécesseurs. Car, en 785, le corps du patron de Seclin fut transporté à Chartres par les religieux de cette petite ville, afin de le préserver des profanations des Normands. Réclamé en 1509, il fut replacé, en grande solennité, dans son tombeau originaire. Auprès de ce tumulaire existent les ruines d'un vieil autel de pierres blanches, sur lequel, avant la Révolution, on célébrait encore l'office divin. Cet autel modeste est peut-être aussi ancien que le cénotaphe. A côté se trouve le puits miraculeux dont nous avons parlé. Enfin, tout dans ce caveau nous rappelle involontairement les cryptes et les catacombes de nos aïeux... On donnera le degré de confiance qu'on voudra à l'antiquité de Seclin ; mais qu'on ne lui refuse pas une origine éloignée ; car son chapitre est un des plus anciens de la Flandre : il se trouve, de plus, mentionné d'une manière toute particulière dans une bulle du pape Clément III, datée de l'an 1187 ; titre irrécusable. Or, un chapitre ne pouvait exister que dans un endroit jouissant de quelqu'importance, et il faut bien du temps à une ville pour prendre de l'importance. Pour moi, je ne pense pas qu'on puisse regarder l'antiquité de Seclin comme fabuleuse ; tous les souvenirs concordent à lui donner une belle vieillesse. Mais, hélas ! les vieux monuments n'arrivent pas jusqu'à nous sans avoir éprouvé bien des assauts terribles. Aussi le gothique Seclin n'est plus reconnaissable. Il a été la proie de tant d'évènements désastreux, de tant de guerres ! En effet : En 1214, il fut brûlé par les troupes dévastatrices de Philippe Auguste, qui se rendait à Bouvines Il était certainement alors plus important qu'il ne l'est aujourd'hui, car un historien contemporain, fidèle, minutieux peut-être, lui donne l'épithète de Crave Siclinium. Philippe-le-Bel y campa en 1297, époque presque aussi funeste pour Seclin. Les troupes de ce monarque y portèrent aussi la dévastation : l'église même ne fut point épargnée, et après avoir été dépouillée de ses plus riches ornements, elle devint la proie des flammes ; mais, dit Buzelin, les chanoines de la collégiale de saint Piat, suppliant le prince guerrier de leur faire restituer la tête sacrée de ce saint martyr, les calices, les cloches, les monuments des archives, archivi monumenta, titres plus précieux encore, puisqu'ils étaient leurs titres de propriété et de donations, titres dont quelques uns sont relatés sur la pierre et encastrés dans la muraille de l'église, Philippe-le-Bel, voyant ces bons religieux prosternés à ses genoux, s'empressa de réparer à leur égard les torts que leur avait fait éprouver la brutalité de son armée. En 1540, lors du siège de Tournai par les Anglais, Seclin fut encore pillé et brûlé par le comte de Hainaut. L'église fut aussi en partie la proie de l'incendie ; mais bientôt elle se releva avec magnificence : c'est environ à cette époque que nous attribuons celle qui existe aujourd'hui.

    Enfin, cette petite ville a été encore le théâtre de divers autres événements, dont voici le sommaire : La pieuse Jeanne, notre bonne comtesse de Flandre, créa, en 1218, une neuvaine à Seclin en l'honneur de saint Piat.

    Ce fut alors qu'elle accorda aux bourgeois de Seclin les mêmes privilèges que ceux dont jouissaient déjà les bourgeois de Lille.

    Nouvelle preuve de l'importance de la première de ces deux villes.

    Marguerite de Dampierre, sœur de Jeanne, confirma ces privilèges par lettres-patentes du dimanche de la Passion. Jean et Charles V, rois de France, les confirmèrent également en 1555 et en 1568.

    Ce fut aussi Marguerite de Dampierre, à qui Seclin avait été donné en dot, qui bâtit le magnifique hôpital qu'on y voit encore aujourd'hui. Il était destiné à y recevoir des infirmes et, de plus, les pèlerins qui venaient visiter saint Piat. Elle lui donna un grand nombre de terres, des rentes de diverses natures, et elle institua pour le desservir des sœurs de l'ordre de saint Augustin. Cet établissement n'a rien ou presque rien conservé de sa forme ancienne ; mais il est encore très beau, et un revenu de 22,000 fr. le met  à même d'entretenir parfaitement 40 à 45 malades des deux sexes.

     

    En 1585, Charies V, roi de France, sur le point d'attaquer les Flamands campés au-delà de la Lys, délibéra à Seclin sur les dispositions stratégiques qu'il aurait à suivre dans cette circonstance. Et en 1455, Seclin fut encore le lieu où l'on conféra de la paix entre Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, et les Gantois révoltés.

    Enfin, en 1566, les chanoines de saint Piat, ayant enflammé le courage des habitants de Seclin, au nom de ce saint martyr, contre les hérétiques qui venaient profaner leur église ; on les vit, s'armant de pelles, de pioches, de marteaux, de bâtons et d'autres instruments que le hasard leur mit sous la main, aller se joindre aux habitants de Hérin, d'Allennes, de Gondecourt, et tomber à l'improviste sur la bande acharnée de ces furibonds Iconoclastes. Ils en firent une telle boucherie, qu'il y en eut à peine un seul qui pût porter aux leurs la nouvelle de leur défaite.

    Avant la Révolution, la collégiale de saint Piat existait encore. Elle était alors composée d'un prévôt, de vingt chanoines et de vingt chapelains.

    L'église de Seclin a survécu à cette sanglante époque où le christianisme persécuté a vu tomber ses plus beaux édifices, épargnés par tant de siècles. Elle est l'une des plus belles qu'on puisse trouver dans une petite localité. On en admire spécialement l'élégante majesté, la hauteur de ses voûtes à gracieuses nervures, les fenêtres en ogives et les nombreuses colonnes des nefs, ainsi que le chœur couvert de dalles de marbre en losanges, et ceint d'une belle grille de fer autour de laquelle se rangent humblement les fidèles qui viennent prier leur antique patron d'intercéder pour eux. L. DE ROSNY.

    Source : Livre "Archives Historiques et Littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique" par Aime Leroy